LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
3. Jean Ziska et les guerres
hussites
Les premiers, sous la conduite de Jean Ziska,
entreprirent une guerre énergique et avec succès. La
petite ville de Tabor, sur une haute colline, au coeur de la
Bohême, devint un centre militaire et spirituel. Sur la place
du marché, on peut encore voir les restes des tables de pierre
autour desquelles des dix milliers de personnes se
réunissaient pour célébrer la Ste-Cène
sous les deux espèces, tandis que l'Église de Rome
avait réservé l'usage du vin aux prêtres seuls et
le refusait aux laïques. La coupe devint le symbole des
Caborites. Au pied de la colline de Tabor, on peut voir un
étang, nommé encore Jourdain, dans lequel des croyants
en grand nombre furent baptisés sur la profession de leur foi.
Ziska fut à la tête, non seulement des nobles, mais de
la nation entière. Les paysans libres furent saisis par un
esprit général d'enthousiasme irrésistible.
Leurs instruments aratoires devinrent des armes redoutables et Ziska
leur enseigna à employer leurs chars de ferme comme
retranchements mobiles aussi bien que comme moyens de transports. Le
pape lança des croisades contre eux, mais les armées
envoyées furent mises en déroute et les Hussites
envahirent et dévastèrent les pays environnants. De
grands excès furent commis des deux côtés.
L'Église fut obligée de pactiser avec les Hussites et,
au Concile de Bâle (1433), elle leur reconnut le droit de
prêcher librement la Parole de Dieu, de prendre la
Ste-Cène sous les deux espèces, d'abolir la possession
des biens temporels par le clergé et plusieurs lois
oppressives. Cependant les guerres continuèrent,
épuisant et démoralisant le pays. Des lois asservissant
les paysans vinrent affaiblir la puissance de la nation et, en 1434,
à la bataille de Lipan, les Taborites furent battus. On
conclut un accord - le Pacte de Bâle - qui divisa les
Bohémiens. Les Utraquistes étant les plus favorables
à l'Église romaine, furent reconnus par le pape comme
constituant l'Église nationale de Bohême et le
privilège d'employer la coupe de communion leur fut
accordé. Leur chef, Rokycana, fut élu archevêque
et tout passa de nouveau aux mains de Rome.
4. Le filet de la foi
Pendant que ces événements se
déroulaient et que les Hussites étaient à
l'apogée de leurs succès, il y avait d'autres croyants
qui, en matière de foi et de témoignage, n'avaient pas
eu recours à la force matérielle, mais agissaient comme
le leur avaient enseigné autrefois les prédicateurs
vaudois. Ils continuaient à chercher et à trouver dans
l'Écriture des directions spirituelles pour l'ordre des
églises et le témoignage évangélique. En
imitateurs de Christ, ils acceptaient les souffrances injustes et
s'en remettaient à Dieu.
L'un des plus éminents fut Jakoubek
(53), collègue de Huss à
l'université de Prague. Déjà en 1410, il avait,
dans l'un de ses cours, établi le contraste entre
l'Église fausse et antichrétienne de Rome et la vraie
Église, ou communion des saints, exhortant tous les
chrétiens à revenir à l'Église primitive.
Nommons encore Nikolaus, Allemand expulsé de Dresde comme
hérétique, très versé dans
l'Écriture et dans l'histoire de l'Église. Il
influença les Taborites en leur exposant l'enseignement des
apôtres et l'ordre des églises primitives, en contraste
avec les erreurs qui s'étaient graduellement glissées
parmi eux.
La question du droit des chrétiens
d'employer l'épée fut grandement discutée
à Prague. Les Taborites estimaient qu'il était juste
aussi d'attaquer et de dépouiller l'ennemi, sous la pression
des circonstances. Sur ce point, Jakoubek fut bientôt en pleine
opposition avec les Taborites. Parmi ceux qui objectaient à
l'usage des armes, même en cas de défense, Peter
Cheltschizki fut l'un des plus influents et des plus capables. Bien
qu'ayant plusieurs points de contact avec les Taborites, il ne se
lassa pas de s'opposer à Ziska et à ses appels aux
armes.
Les écrits des frères
étaient fréquemment brûlés avec leurs
auteurs. Cependant quelques-uns échappèrent à la
flamme, entre autres un livre de Peter Cheltschizki, intitulé
«Le filet de la foi» (54), écrit en 1414. Cet ouvrage,
qui contient en grande partie l'enseignement des frères,
exerça une grande influence. L'auteur écrit: «Dans
ce livre, nous, les derniers venus, ne cherchons qu'à voir les
premières choses et à y revenir, selon que Dieu nous en
rendra capables. Nous sommes comme des gens examinant une maison qui
a brûlé et cherchant à en retrouver les
fondations. La chose est d'autant plus malaisée que les ruines
sont recouvertes de plantes de tous genres et beaucoup de gens les
confondent avec les fondations. Ils disent: «Voici les
fondations» ou bien: «C'est ainsi que tout doit
aller». D'autres le répètent après eux.
Dans ces nouveautés qui ont pris racine, ils s'imaginent avoir
découvert les bases de l'édifice, alors qu'il s'agit de
quelque chose de tout autre, voire de contraire aux vraies
fondations. Ceci complique beaucoup les recherches, car si tous
disaient: «Le vieux fondement est enfoui sous ces ruines»,
ils se mettraient à bêcher et à fouiller pour le
retrouver. Ainsi ils feraient oeuvre véritable en
rétablissant toutes choses sur son fondement, comme le firent
Néhémie et Zorobabel, après la destruction du
temple. Il est beaucoup plus difficile maintenant de relever les
ruines spirituelles, après un temps si long, et de revenir
à l'état primitif, pour lequel il n'existe d'autre
fondement que Jésus-Christ, et dont beaucoup se sont
éloignés, en se tournant vers d'autres
dieux.»
Il écrit encore: «Je ne dis pas
que, partout où prêchaient les apôtres, tous
croyaient, mais seulement ceux que Dieu avait choisis, ici beaucoup,
là moins. Aux temps apostoliques, les églises de
croyants étaient nommées d'après les villes,
villages ou districts, où elles rassemblaient les
frères d'une même foi. Ces églises avaient
été séparées par les apôtres des
non-croyants. je ne veux pas dire par là que les frères
habitaient tous ensemble quelque rue spéciale de la ville,
mais qu'ils étaient unis par une foi semblable et se
réunissaient pour être en communion spirituelle les uns
avec les autres au moyen de la Parole de Dieu. C'est à cause
de cette association spirituelle dans la foi qu'on les nommait
églises de croyants.» Cheltschizki relate encore
«qu'à Bâle, en 1433, le représentant du pape
dit qu'il y avait eu bien des choses à admirer dans
l'Église primitive, mais qu'elle avait été
simple et pauvre et que, de même que le temple avait
succédé au tabernacle, ainsi la beauté et la
gloire de l'Église présente avaient
succédé à sa simplicité première.
En outre, bien des choses ignorées de l'Église
primitive sont maintenant révélées.»
Cheltschizki se contente d'ajouter: «Le chant serait bien beau
s'il n'était un mensonge.»
Il enseigna que le
«grand-prêtre» (soit le pape) déshonorait le
Sauveur en s'arrogeant la puissance divine de pardonner les
péchés, qui n'appartient qu'à Dieu seul.
«Dieu a témoigné que Lui seul remet les
péchés et pardonne aux hommes leurs iniquités,
à cause de Christ qui mourut pour les péchés de
l'humanité. Le témoignage de la foi c'est qu'Il est
l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde et
par~ donne aux pécheurs. Il est le Seul et Unique qui ait le
droit de pardonner les péchés, parce qu'Il est en
même temps Dieu et Homme. C'est comme Homme qu'Il est mort pour
le péché. Sur la croix Il s'est offert à Dieu en
sacrifice pour le péché. C'est donc par Lui et par ses
souffrances que Dieu a pu pardonner les péchés du
monde. Lui seul a donc la puissance de pardonner. Le
grand-prêtre, s'entourant de pompe et de luxe, et
s'élevant au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, a donc fait
main basse, comme un voleur, sur les droits de Christ. Il a
institué le pèlerinage à Rome, comme moyen de
purifier le péché. Des foules exaltées accourent
de tout pays, et lui, le père de tout mal, distribue, de
quelque lieu élevé, sa bénédiction
à la foule, pour lui accorder le pardon de tout
péché et la délivrance du jugement à
venir. Il sauve de l'enfer et du purgatoire et il n'y a aucune raison
pour que personne soit condamné. Il envoie aussi, en tous
lieux, des billets que l'on achète pour être
délivré du péché et de la souffrance. Les
gens ne prennent même plus la peine d'aller vers lui. Ils
envoient l'argent et tout est pardonné. Ce qui appartient au
Seigneur, ce fonctionnaire de l'Église s'en est emparé.
Il reçoit les louanges qui sont dues au Seigneur et s'enrichit
par la vente des indulgences. Que reste-t-il de l'oeuvre de Christ
pour nous, si son représentant nous délivre du
péché, du jugement et peut nous rendre justes et
saints? Ce sont nos péchés qui nous barrent la voie du
salut. Si le grand-prêtre les efface tous, que fera le pauvre
Seigneur Jésus? Pourquoi le monde Le néglige-t-il
ainsi, ne cherche-t-il. pas le salut auprès de Lui? Tout
simplement parce que le grand-prêtre jette sur Lui l'ombre de
sa majesté et l'obscurcit dans ce monde, tandis que lui, le
prêtre, magnifie son nom. C'est ainsi que le Seigneur
Jésus, déjà crucifié, devient la
risée du monde, et que chacun ne parle que du
grand-prêtre et du salut qu'il dispense.»
5. L'Église de
«l'Unité des Frères»
Prêchant dans la fameuse église
«Tyn» à Prague, l'archevêque utraquiste
Rokyeana (55) recommanda éloquemment les
enseignements de Cheltschizki et dénonça les erreurs de
l'Église de Rome. Toutefois, il ne pratiquait pas ce qu'il
prêchait. Beaucoup de ses auditeurs résolurent de vivre
selon les principes enseignés et, prenant pour conducteur un
homme de bonne réputation, Grégoire, connu comme le
patriarche, ils délaissèrent Rokycana et
fondèrent (1457) une communauté au nord-est de la
Bohême, dans le village de Kunwald, où se trouvait le
château de Lititz. Beaucoup d'autres se joignirent à
eux, parmi lesquels des disciples de Cheltschizki et des Vaudois,
ainsi que des étudiants de Prague. Tout en restant en
relations avec l'église utraquiste, ils revinrent, sur
plusieurs points, à l'enseignement de l'Écriture et
à l'ordre des églises primitives. Ils avaient un
prêtre utraquiste comme pasteur, mais nommaient des anciens.
Selon l'ancienne coutume vaudoise, ils avaient aussi dans leurs rangs
des «Parfaits» qui abandonnaient tous leurs biens. Mais on
ne les laissa pas longtemps en paix. Au bout de quelques
années, la colonie de Kunwald fut dissoute. L'église
utraquiste persécuta ces frères aussi amèrement
que l'avait fait l'Église de Rome. Grégoire fut
emprisonné et torturé. Un certain Jakob Hulava fut
brûlé, et les frères se réfugièrent
dans les montagnes et les forêts. Cependant, leur nombre
augmentait et, peu à peu, la persécution cessa.
En 1463, dans les montagnes de Reichenau
(56), et, en 1467, à Lhota, se
tinrent des assemblées générales de
frères, auxquelles participèrent beaucoup de
personnalités de haut rang et où l'on examina à
nouveau les principes de l'Église. L'un des premiers actes
accomplis fut le baptême des croyants; car le baptême par
immersion était habituel chez les Vaudois et chez la plupart
des frères d'autres pays, mais il avait souvent
été empêché par l'intensité des
persécutions. Ils déclarèrent aussi formellement
leur séparation de l'Église romaine et se
donnèrent le nom de Jednota Bratrskâ (Église de
la Fraternité) ou Église de l'Unité des
frères. Leur intention n'était pas de former un nouveau
parti, ou de se séparer des nombreuses églises de
frères en divers pays. Ils espéraient plutôt que
leur exemple en encouragerait d'autres à faire connaître
nettement leur séparation du système de l'Église
romaine. Avant de clore ces assemblées, en choisit neuf des
participants sur les soixante présents; puis trois d'entre ces
neuf furent désignés par le sort et enfin l'un d'eux,
Matthias de Kunwald, fut désigné et envoyé vers
l'évêque vaudois Etienne, en Autriche, pour être
consacré, afin de prouver que la relation était
maintenue avec les frères vaudois. Ils ne considéraient
pas cette consécration comme indispensable, mais comme
désirable. Ils pensaient qu'au temps de Sylvestre,
l'Église romaine avait perdu la succession apostolique - ou ce
qu'il en restait - et que c'était plutôt chez les
Cathares, les Pauliciens, ou les Vaudois qu'il fallait la
chercher.
Ils communiquèrent leur décision
à l'archevêque Rokycana. Ce dernier les ayant
blâmés du haut de la chaire, ils lui écrivirent
qu'ils ne désiraient pas créer quelque chose de
nouveau, mais retourner à la vraie Église des premiers
chrétiens que les Vaudois avaient toujours maintenue. Il leur
fut répondu que, par leur séparation, ils condamnaient
tous ceux qui n'étaient pas de leur nombre et niaient qu'ils
pussent être sauvés. Ils répliquèrent
alors que jamais ils n'avaient rattaché le vrai christianisme
à certaines formes ou opinions seulement; qu'ils
reconnaissaient la présence de vrais chrétiens parmi
ceux qui n'appartenaient pas à leurs assemblées et
considéraient que l'Église de Rome péchait en
déniant le salut à ceux qui refusaient soumission au
pape. L'un des frères, neveu de l'archevêque, lui
écrivit: «Nul ne peut dire que nous condamnons et
excluons tous ceux qui obéissent à l'Église
romaine... Telle n'est pas notre pensée... Nous n'excluons pas
davantage les élus de l'Église catholique romaine que
ceux des Églises indienne et grecque ... »
Ces frères insistaient sur la
sainteté de la vie telle que Christ et ses apôtres
l'avaient enseignée, appuyée sur la discipline
ecclésiastique scripturaire, mais combinée avec une
pleine liberté de conscience. La vie simple était
recommandée. Aucun frère ne devait souffrir de la
pauvreté, les riches étant prêts à les
secourir.
L'accroissement de ces églises amena des
changements. Des gens riches et instruits se joignirent à
elles et la direction passa à des hommes d'éducation
supérieure. Lukas de Prague fut pendant quarante ans,
jusqu'à sa mort (1528), le plus éminent et le plus
actif de ces conducteurs. Il écrivit beaucoup et avec talent.
En fait, à cette époque, les oeuvres des frères
dépassèrent de beaucoup celles du parti catholique
romain, tant par l'abondance de leurs ouvrages que par l'usage de
l'imprimerie. Ils écrivirent nombre de cantiques et en
composèrent la musique. Ils cessèrent de croire qu'il
était mal d'occuper des positions importantes comme
fonctionnaires de l'État, ou de faire, par le commerce,
d'honnêtes bénéfices, en plus des gains
strictement nécessaires à l'entretien de la vie. Ils
consentirent aussi à prêter serment. L'instruction se
répandit et les écoles des frères furent
généralement recherchées. La doctrine de la
justification par la foi fut plus clairement enseignée que
précédemment. Lukas développa aussi
l'organisation du gouvernement de l'Église et introduisit un
certain rituel dans le culte, resté simple jusqu'alors. Tous
ne le suivirent pas. Quelques-uns demeurèrent attachés
aux formes anciennes.
Au bout de quelque temps, le pape Alexandre VI
persuada le roi de Bohême que la puissance croissante des
frères mettait son trône en danger, et, en 1507,
l'Édit de St.-Jacques ordonna, sous peine d'exil,
l'obéissance à l'Église catholique romaine, ou
à l'Église utraquiste. Les frères furent de
nouveau persécutés, leurs réunions interdites,
leurs livres brûlés. Eux-mêmes furent
emprisonnés, bannis ou cruellement mis à mort. Cette
épreuve dura dix ans, pendant lesquels Lukas se dépensa
sans compter pour réconforter et encourager les croyants,
jusqu'à ce qu'il fût lui-même saisi et
emprisonné. Grâce à la bonne réputation
des frères, la persécution finit par s'éteindre.
Quelques-uns de leurs plus cruels ennemis moururent subitement et de
manière étrange, ce qui épouvanta les autres et
les empêcha de continuer leur oeuvre de mort. Le roi de
Bohême mourut aussi, et des querelles entre catholiques romains
et utraquistes détournèrent l'attention des
persécuteurs. Les frères retrouvèrent alors la
tranquillité.
6. Les Frères de Bohême et
Luther; les guerres de religion
Dans le même temps, il vint d'Allemagne
la nouvelle de l'énergique protestation de Luther à
Wittenberg. Dès que possible, les frères
envoyèrent là-bas des représentants et se mirent
en contact avec les réformateurs. Lukas, sorti de prison,
exprima quelques doutes au sujet des méthodes, à son
avis un peu violentes, de Luther et des étudiants de
Wittenberg. Tout cela était si différent de la vie bien
réglée qu'il avait introduite dans les
communautés de frères, où chaque acte
découlait d'un principe défini. Cependant les
frères, en général, saluèrent avec
enthousiasme des alliés si inattendus. De son
côté, Luther avait des doutes sur les frères.
Cependant, en 1520, il écrivit à Spalatin:
«Jusqu'à présent, j'ai proclamé, bien
qu'inconsciemment, tout ce que Huss a prêché et
défendu. Johann Staupitz a fait de même. En somme, nous
sommes tous des Hussites sans le savoir. Paul et Augustin en
étaient aussi, dans le sens complet du terme! Voilà
notre horrible misère: nous n'avons pas su reconnaître
comme notre chef le docteur bohémien ... »
Un autre grand chef des Frères de
l'Unité était Jean Augusta qui, à trente-deux
ans, fut nommé évêque. Guide des plus capables,
il favorisa une entière coopération avec les
protestants d'Allemagne. En 1526, l'ancienne maison royale de
Bohême s'éteignit et le royaume échut à la
famille catholique des Habsbourg. Ferdinand 1er l'ajouta à ses
nombreux états. En Bohême, beaucoup de nobles avaient
été favorables aux Frères et s'étaient
même joints à eux. Ils avaient rendu de grands services
à la cause chrétienne en accueillant dans leurs
domaines des croyants persécutés. Jean Augusta
s'adressa à l'un d'eux, Conrad Krajek (qui avait fondé
l'un des principaux centres des frères à Jungbunzlau),
pour le prier de négocier avec le nouveau roi si mal
disposé. Ces démarches furent heureuses, et les
croyants jouirent d'un temps de prospérité.
En 1546, une guerre éclata entre la
Ligue de Smalkalde, ou Ligue des princes protestants d'Allemagne,
sous la conduite de l'Électeur de Saxe, et l'empereur
Charles-Quint frère du roi de Bohême: les étais
protestants contre les catholiques romains. Ferdinand somma les
nobles et le peuple de Bohême, qui étaient ses sujets,
de lui aider. L'Électeur de Saxe invita les frères
à le secourir dans cette lutte pour la foi protestante. Parmi
les nobles bohémiens, quelques-uns des plus influents
faisaient partie des frères, qui étaient très
nombreux et estimés dans le pays. Une réunion fut tenue
chez l'un des nobles, et il fut décidé de combattre
pour la cause protestante. A la bataille de Mühlberg, en 1547,
les protestants furent battus. Ferdinand rentra à Prague
victorieux et commença à persécuter les
frères, en vue de leur anéantissement. Quatre
gentilshommes furent exécutés publiquement à
Prague. D'autres se virent confisquer leurs biens. Les
réunions furent interdites, et ordre fut donné à
quiconque refusait de se joindre aux Églises romaine ou
utraquiste de quitter le pays dans le délai de six
semaines.
Alors commença une vaste
émigration. De tous côtés, les exilés,
formant de vraies caravanes de chars, se dirigèrent vers la
Pologne. En cours de route, ils rencontraient des populations
sympathiques, et purent ainsi passer sans frais la douane et
reçurent partout l'hospitalité. On leur refusa
cependant la permission de s'établir en Pologne, ou en Prusse
polonaise, et ce ne fut qu'après six mois de
pérégrinations qu'ils trouvèrent asile à
Köenigsberg, ville luthérienne de la Prusse orientale.
L'un d'entre eux, Georges Israël, jeune forgeron, remarquable
par sa foi comme par sa vigueur physique, surmonta tous les obstacles
et obtint pour les frères la ville d'Ostrorog, en Pologne. Ils
s'y établirent et en firent un centre d'où leur oeuvre
rayonna dans tout le pays. Ils ne se contentaient pas de
prêcher l'Evangile, mais s'efforçaient de rapprocher les
unes des autres les diverses sections du protestantisme.
En 1556, Ferdinand devint empereur et le
trône de Bohême passa à son fils, Maximilien. Sous
son règne, les frères furent autorisés à
retourner dans leur patrie, à rebâtir leurs lieux de
culte et à reprendre leurs réunions. Bon nombre d'entre
eux ne s'étaient pas exilés. Leurs églises
furent bientôt réorganisées en Bohême et en
Moravie, s'ajoutant à celles de Pologne. Jean Augusta, qui
avait été longuement emprisonné. et souvent
torturé, décida de se joindre à l'Église
utraquiste, dans la pensée qu'il pourrait ainsi amener cette
église à s'unir aux frères. De fait, beaucoup
d'utraquistes étaient devenus protestants, en sorte que la
Bohême et la Moravie étaient en majorité
protestantes. Les principaux conducteurs des frères
étaient alors deux gentilshommes, Wenzel de Budowa et Charles
de Zerotin. Ils possédaient de vastes domaines, vivaient sur
un pied presque royal, et étaient des hommes pieux qui, dans
leur vie familiale, donnaient une place d'honneur à la lecture
de la Bible et à la prière. Le pays prospéra et
l'éducation se généralisa. Un noble polonais,
arrivant, en 1571, à l'une des colonies des frères,
écrivait: «0 Dieu éternel, quelle joie s'alluma
dans mon coeur! Lorsque je me fus renseigné sur toutes choses,
il me sembla être transporté dans les Églises
d'Éphèse, de Thessalonique, ou de quelque autre centre
apostolique. Là je vis de mes propres yeux et entendis de mes
propres oreilles les choses que nous lisons dans les
Épîtres ... » De 1579 à 1593, un grand
travail fui achevé, soit la traduction de la Bible des langues
originales en tchèque. Cette «Bible de Kralitz» a
servi de base à la traduction employée aujourd'hui.
Elle devint la pierre angulaire de la littérature
tchèque.
L'ambition des nobles était que
l'Église de l'Unité des frères ne fût plus
simplement tolérée et exposée en tous temps
à de nouvelles persécutions. Ils aspiraient à la
voir devenir l'Église nationale de Bohême. Lorsqu'en
1603, l'empereur Rodolphe II demanda à la Diète
bohémienne de l'argent pour une campagne qu'il projetait
contre les Turcs, Wenzel de Budowa réclama la
révocation de l'Édit de St-Jacques et une
complète liberté religieuse pour le peuple. Le
crédit demandé ne devait être voté
qu'à ces conditions. La noblesse protestante des divers partis
appuya cette demande et le peuple se rangea avec enthousiasme
à ses côtés. L'empereur, ballotté entre
protestants et jésuites, promit et se rétracta à
réitérées fois, et rien ne fut obtenu. Alors
Wenzel convoqua tous les nobles. Ils se procurèrent des hommes
et des ressources, puis jurèrent de recourir à la
force, si leurs conditions n'étaient pas acceptées.
L'empereur céda, signa la Charte bohémienne, qui
donnait pleine liberté religieuse, à la grande joie du
peuple. On forma un comité de vingt-quatre
«Défenseurs» qui devait veiller à la mise
à exécution des termes de la Charte. Tous les partis
protestants et les frères de l'Unité signèrent
la Confession générale et nationale protestante de
Bohême. Mais, en 1616, Ferdinand Il monta sur le trône.
Entièrement sous l'influence des jésuites, et bien
qu'il eût juré à son couronnement d'observer la
Charte, il commença immédiatement à la violer.
Ses deux ministres principaux, Martinitz et Slawata, prirent des
mesures de contrainte contre la liberté des protestants et
l'attitude des deux partis antagonistes devint de plus en plus
menaçante. La crise inévitable fut provoquée par
une querelle au sujet d'une église protestante que le roi
avait fait détruire. Là-dessus les Défenseurs
pénétrèrent de force dans le château royal
de Prague, où était assemblé le Conseil du toi.
A la suite d'une violente altercation, Martinitz et Slawata furent
jetés, par la fenêtre, d'une hauteur de quelque vingt
mètres. Fort heureusement, leur chute fut amortie par un tas
de fumier et ils n'eurent pas grand mal. Les Défenseurs mirent
une armée sur pied, déposèrent Ferdinand et
nommèrent roi l'Électeur palatin
Frédéric, gendre de Jacques 1er d'Angleterre. Les
jésuites furent expulsés et la messe fut
ridiculisée.
Le point culminant de la lutte fut la bataille
livrée sur la Montagne-Blanche, en dehors de Prague, en 1620.
Les Défenseurs essuyèrent une grande défaite. Le
21 juin 1621, sur la grande place de Prague, fermée d'un
côté par l'église de Tyn et de l'autre par le
palais de la Diète, vingt-sept gentilshommes protestants
furent publiquement décapités, entre autres Wenzel de
Budowa. Ils refusèrent l'offre qui leur fut faite d'adopter la
foi catholique pour sauver leur vie. Le meurtre et la violence
régnèrent alors dans le pays. Trente-six mille familles
quittèrent la Bohême et la Moravie et la population de
la Bohême tomba de trois à un million d'habitants. Ainsi
disparurent ensemble la religion hussite et l'indépendance de
la Bohême.
La guerre de Trente ans avait commencé
à semer la ruine sur de vastes contrées de
l'Europe.
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