LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
6. Doctrine
évangélique et sectarisme
Un petit livre, publié
en 1542 par Pilgram Marbeek, jette une lumière
appréciable sur l'enseignement et les pratiques des
frères (77). Il y avait certainement entre
eux des différences d'opinions, mais cet ouvrage montre leur
sincère effort de comprendre les Écritures et d'y
obéir en toute simplicité. Bien que Fauteur attache une
trop grande importance aux observances extérieures, on ne
trouve dans son livre aucune des mauvaises doctrines qu'on leur
attribuait généralement. Dans son long titre, Marbeek
indique que son ouvrage est destiné à donner aide et
réconfort à tous les croyants sincères et pieux,
en leur montrant ce que la Ste-Ecriture enseigne sur le
baptême, la Ste-Cène, etc.
Il appuie ses remarques sur de
nombreux passages de l'Écriture auxquels il renvoie ses
lecteurs, puis il conclut: «Après avoir exprimé
notre pensée, notre opinion et notre foi concernant le
baptême et la cène, nous terminerons par un
exposé général de l'usage des deux, en insistant
surtout sur la raison et le but qui ont présidé
à leur institution. Le Christ Jésus désirant se
faire connaître, non seulement à son assemblée,
mais encore par elle, veut que son saint Nom soit confessé et
loué par les siens devant le monde. C'est pourquoi Christ a
commandé et institué, à côté de la
prédication de l'Evangile, le baptême et la
Ste-Cène pour maintenir pure et sainte l'assemblée des
croyants. Si nous regardons cette question sous son vrai jour, nous
devons admettre que trois choses sont nécessaires pour
constituer une assemblée chrétienne, soit la vraie
prédication de l'Evangile, le vrai baptême et la vraie
observance de la Cène. Là où manquent ces
éléments, ou même l'un des trois, une
assemblée véritablement chrétienne, ne peut
subsister et maintenir un témoignage envers ceux du
dehors.
» ... La proclamation du
pur et salutaire Évangile est indispensable pour
réunir, fonder et continuer l'assemblée visible des
enfants de Dieu. C'est le filet vivant qui doit être
jeté parmi les hommes, car tous nagent dans le marécage
du monde. Ils sont comme des bêtes sauvages, «par nature
des enfants de colère». Ceux qui sont pris dans ce filet,
c'est-à-dire qui entendent la Parole de l'Evangile et s'y
attachent fermement par la foi, sont amenés des
ténèbres à la lumière, sont
changés en enfants de Dieu, d'enfants de colère
condamnés qu'ils étaient auparavant. Avec ces
âmes, comme le dit Pierre, est construit le temple de Dieu,
l'assemblée de Christ, faite de pierres vivantes. Car
l'Église chrétienne est l'assemblée de tous les
vrais croyants et enfants de Dieu qui louent le nom du Seigneur et le
proclament. Les croyants seuls ont place dans cette Église,
car nous savons que, par nature, tous les hommes sont sans
intelligence des choses divines. Ce n'est que par la Parole qu'ils
arrivent à une vraie foi, à la compréhension de
Christ; l'Écriture ne nous montre aucun autre chemin. Donc,
pour rassembler tous les hommes et les amener à la
connaissance de Dieu et à sa Ste-Église, il faut tout
d'abord, selon notre jugement, leur faire entendre la Parole de Dieu,
qui est la source de la foi. Puis ils deviennent alors enfants de
Dieu et peuvent être reconnus comme membres de la
Ste-Église...
» ... Vient ensuite le
saint baptême pour l'édification de l'Église. Il
est la porte d'entrée de la Ste-Église; en sorte que,
d'après l'ordonnance de Dieu, nul ne devrait entrer dans
l'Église sans avoir passé par le baptême.
Quiconque est reçu dans la Ste-Église, soit dans
l'Assemblée de ceux qui croient en Christ, doit être
mort au diable, au monde et à ses pompes, ainsi qu'à
l'orgueil et à tout désir charnel. Il faut qu'il renie
totalement ces choses. Puis il doit confesser de sa bouche cette foi
salutaire par laquelle il a cru dans son coeur. Ensuite il doit
être baptisé au nom de Dieu, ou en Jésus-Christ,
c'est-à-dire baptisé sur la base que, par la repentance
et la foi sincères, il est purifié de ses
péchés et rendu capable de marcher dans la
pureté et dans l'obéissance à Dieu en Christ...
Voilà donc la pratique du baptême: par lui les croyants
s'unissent visiblement à la Ste-Église et sont admis
dans son sein...
» La
célébration de la Ste-Cène a un double objet.
Premièrement elle manifeste l'union des membres de la
Ste-assemblée chrétienne en les maintenant dans
l'unité de la foi et de l'amour. Secondement, elle manifeste
l'exclusion, dans la Ste-Église de Christ, de toute
iniquité, de tout ce qui est contraire à l'esprit
chrétien et devient une cause de scandale.»
L'auteur de ces lignes, Pilgram
Marbeek, était un ingénieur distingué.
Originaire du Tyrol, il exécuta d'importants travaux dans la
vallée inférieure de l'Inn et il reçut du
gouvernement des marques de distinction qui montrent que ses services
furent appréciés. On ne sait pas exactement quand il se
rattacha aux frères. Mais, en 1528, la confession de sa foi
lui fit perdre ses avantages matériels. Il écrivit
à cette époque: «Élevé dans le
papisme par des parents pieux, j'abandonnai cette religion et je
devins un prédicateur de l'évangile de Wittenberg.
Découvrant que, là où la Parole de Dieu
était prêchée à la manière
luthérienne, il y avait aussi une liberté charnelle, je
commençai à douter et ne trouvai pas de repos dans ce
milieu. Alors j'acceptai le baptême comme signe de
l'obéissance de la foi et ne regardai plus qu'à la
Parole de Dieu et à son commandement.»
Marbeek dut abandonner tout ce
qu'il possédait; ses biens furent confisqués et il dut
se rendre à l'étranger avec femme et enfant. Mais,
partout où il alla, il put subvenir aux besoins des siens,
grâce à ses capacités. A Strasbourg, il enrichit
la ville par la construction d'un canal pour le transport des bois de
la Forêt-Noire. Son caractère pur et son zèle
spirituel lui gagnèrent les coeurs des nombreux frères
de cette ville, et les réformateurs Bucer et Capiton furent
attirés par sa sincérité et ses dons spirituels
et intellectuels. Toutefois il se fit bientôt des ennemis par
sa prédication courageuse du baptême des croyants. Bucer
se tourna contre lui et il fut emprisonné. Capiton ne craignit
pas de le visiter en prison. Mais, après de longues
discussions, le Conseil de la cité déclara qu'il ne
considérait pas le baptême des enfants comme
anti-chrétien. En conséquence, on donna à
Marbeek trois ou quatre semaines pour réaliser ses biens et,
en 1532, il quitta la ville.
Le sectarisme est une
limitation. Il saisit certaine vérité scripturaire,
quelque portion de la révélation divine, auxquelles le
coeur répond et s'attache. Cet aspect de la
vérité étant exposé, défendu et
mis en lumière, la beauté et la force en sont toujours
plus appréciées. Un autre côté de cette
même vérité, un autre aspect de la
révélation, également biblique, semblant
affaiblir et même contredire la vérité que l'on a
trouvée si efficace, on éprouve une crainte jalouse
pour la doctrine acceptée, et la vérité
complémentaire est sous-estimée, amoindrie et
même rejetée. C'est ainsi que sur un fragment de la
révélation divine on fonde une secte, bonne et utile
parce qu'elle prêche et met en pratique la Parole de Dieu, mais
limitée et manquant d'équilibre parce qu'elle
n'envisage pas toute la vérité et n'accepte pas
franchement toute l'Écriture. Les membres de la secte sont
privés, non seulement du plein usage de toute
l'Écriture, mais encore sont exclus de la communion d'autres
saints moins limités queux, ou limités dans une autre
direction. Il y a lieu de regretter les divisions du peuple de Dieu,
car son unité fondamentale, essentielle est obscurcie par ces
scissions extérieures et apparentes. Cependant cette
liberté des églises de mettre l'accent sur ce qu'elles
ont appris et expérimenté a une haute valeur, et
même les conflits sectaires entre églises
zélées pour quelque aspect de la vérité
ont conduit les âmes à sonder les Écritures et
à en découvrir les trésors. Si ces conflits
mettent l'amour chrétien en danger, la perte est grande.
Néanmoins, il y a pire encore que ces luttes sectaires,
à savoir l'uniformité maintenue au prix de la
liberté, ou l'accord rendu possible par
l'indifférence.
7. Renouveau de
persécution
Un édit du duc Jean de
Clèves, Jülich, Berg et Mark, s'exprime comme suit
(78) : «Bien que l'on sache ce
qu'il faut faire des anabaptistes... nous voulons cependant, d'accord
avec l'archevêque de Cologne, le rappeler par un édit,
afin que personne ne puisse s'excuser en plaidant l'ignorance.
Désormais, tous ceux qui rebaptisent, ou se font rebaptiser,
et ceux qui enseignent que le baptême des enfants est sans
valeur, seront punis de mort... Nous ne tolérerons pas non
plus ceux qui croient ou enseignent que le vrai corps et le sang de
notre Seigneur Jésus-Christ ne sont pas présents, mais
seulement symbolisés, dans le très-saint sacrement sur
l'autel. Ils seront bannis de nos principautés et, s'ils n'ont
pas quitté notre territoire au bout de trois jours, ils seront
punis de mort, tout comme les anabaptistes.» On a
conservé des comptes rendus des supplices, par le feu, l'eau
ou le glaive, qui suivirent cet édit.
A Cologne, l'assemblée
tenait des réunions secrètes dans une maison
bâtie sur la muraille et ayant deux entrées, pour
pouvoir mieux échapper aux poursuites et arrestations. En
1556, Thomas Drucker von Imbroek, docteur pieux et capable,
âgé de vingt-cinq ans, fut conduit d'une tour à
l'autre, torturé à plusieurs reprises, mais en vain, et
finalement décapité. Il écrivit en prison de
belles lettres et des cantiques qui, avec sa profession de foi,
parvinrent aux croyants. Ils furent imprimés et
répandus, ce qui fit connaître la vérité.
Sa femme lui écrivit sous forme de vers. «Cher ami,
attache-toi à la vérité pure, ne te laisse pas
terrifier; rappelle-toi tes voeux; que la croix te soit acceptable!
Christ et tous les apôtres ont suivi cette voie.»
L'Église de Cologne ne fut pas découragée par la
mort de Drucker. En 1561, trois frères furent noyés;
l'année suivante, deux furent emprisonnés, dont l'un
fut noyé et l'autre relâché au moment de
l'exécution, et banni. Les réunions continuèrent
jusqu'en 1566 où, par la trahison de l'un des membres, la
maison fut cernée et tous les frères furent
arrêtés. On inscrivit leurs noms et on les
répartit dans différentes prisons. Matthias Zerfass
déclara de son propre gré qu'il enseignait les autres.
Il endura sans faiblir la torture et fut décapité. Il
écrivit de sa prison. «Le but principal de la torture
était de nous faire dire les noms et adresses de nos
conducteurs... On me demanda de déclarer que les
autorités étaient chrétiennes et que le
baptême des enfants était juste. Mais je serrai les
lèvres et me livrai à Dieu, puis je souffris patiemment
en pensant à cette parole du Seigneur: - Il n'y a pas de plus
grand amour que de donner sa vie pour ses amis. Vous êtes mes
amis, si vous faites ce que je vous commande. - je crois que j'aurai
encore beaucoup à souffrir, mais je suis dans la main du
Seigneur et ne fais que Lui dire: Ta volonté soit
faite.»
On publia encore l'ordre
suivant: «Afin d'arrêter les chefs, docteurs,
prédicateurs en plein air, ou cachés des sectaires...
les fonctionnaires enverront des espions dans les haies, les landes
et les terrains marécageux - spécialement à
l'approche des fêtes importantes, et lorsque la lune brille en
son plein - pour découvrir leurs réunions
secrètes.»
Toutefois, en 1534,
l'évêque de Münster, dans une lettre au pape,
rendait témoignage à l'excellente conduite des
anabaptistes.
Hermann V, archevêque de
Cologne (1472-1552), vit le besoin d'une réforme de
l'Église catholique romaine et fit un sérieux effort
dans ce but. Il était comte de Wied et de Runkel,
électeur de l'empire. A quinze ans, il devenait doyen de
l'Église de Cologne, et, plus tard, archevêque.
C'était un homme bon et libéral, très
aimé de ses fermiers, mais s'intéressant plus à
la chasse qu'aux affaires d'église et peu versé dans le
latin ou la théologie. Il s'opposa à Luther et fit
brûler ses oeuvres. Sa cour ecclésiastique condamna deux
des martyrs de Cologne. Il constata pourtant l'ignorance et la
superstition du peuple, le manque de discipline, l'insuffisance du
clergé dirigeant les églises et la dilapidation des
revenus de l'Église. Il vit encore la profanation de
l'eucharistie, et l'inutilité des efforts tentés pour
ramener les membres corrompus du clergé à l'observation
des règles canoniques. Avec l'aide de l'élite des hauts
dignitaires de l'Église, il essaya d'accomplir une
Réforme catholique, d'après les idées d'Erasme.
N'y ayant pas réussi, il tenta une réforme
évangélique, avec l'aide de Bucer et de
Mélanchton, mais ses efforts furent anéantis par
l'opposition du clergé, de l'Université et de la ville
de Cologne, sous l'inspiration du jésuite Canisius. Manquant
d'appui, il renonça à son titre d'archevêque et
se retira dans son domaine.
8.
Schwenckfeld
Il y eut, à cette
époque, un homme qui resta en dehors de l'Église
catholique, ainsi que des églises luthériennes,
réformées, sans pourtant se rattacher aux anabaptistes.
Ce fut le noble silésien Gaspard de Schwenckfeld (1489-1561)
qui exerça -une grande influence dans son pays et au
delà (79). Étant en relations
d'affaires avec plusieurs des petits souverains allemands, il ne se
préoccupait guère des Écritures. Mais, à
trente ans, il fut secoué de son indifférence par la
«merveilleuse trompette de Dieu», Martin Luther. Il se
laissa pénétrer par la «claire lumière de
la visitation de Dieu en grâce» et devint
«l'âme» de la réformation en Silésie.
Cependant, bien vite, il se sentit contraint de critiquer certains
points de la doctrine de Luther, en premier lieu concernant la
Ste-Cène. Le réformateur l'attaqua alors avec violence
et fit usage de son autorité en le faisant traiter de sectaire
et d'hérétique. Mais Schwenckfeld ne cessa de
reconnaître sa dette de gratitude envers Luther au point de vue
spirituel. Après avoir souffert pendant des années des
attaques du réformateur et des pasteurs luthériens' il
donna ce conseil à ceux qui sympathisaient avec lui:
«Prions Dieu sans relâche pour eux; le temps viendra
où ils reconnaîtront, tout comme nous, notre ignorance
en présence du Maître unique, Christ.»
Il fit de l'étude de
l'Écriture ses délices. Il calcula qu'en lisant quatre
chapitres par jour, il pourrait parcourir toute la Bible en une
année. Il s'en fit tout d'abord une règle; mais, plus
tard, il laissa au St-Esprit le soin de diriger ses lectures et ne
s'astreignit plus à lire tant de chapitres par jour.
«Christ - dit-il - est le sommaire de toute la Bible, et le but
principal de l'Écriture tout entière est que nous
arrivions à pleinement connaître Christ, le
Seigneur.» Pour lui, la foi en l'exactitude et en l'inspiration
de la Bible entière n'était pas la simple
adhésion à un dogme vieilli et douteux, mais bien une
découverte pleine de possibilités illimitées;
pas une superstition ancienne, mais un progrès moderne. Il
décrit sa lecture biblique comme étant «une
méditation prolongée, une recherche, un sondage, une
lecture sans cesse renouvelée, ruminant, tournant et
retournant chaque parole dans sa pensée.». «Car l'on
y trouve un trésor sans mélange,
révélé au croyant: des pertes fines, de l'or et
des pierres précieuses.» S'adressant aux exposeurs de
l'Écriture, il leur indique «une règle
sûre». «Si l'on rencontre des passages, sujets
à discussion, il faut tenir compte de tout le contexte,
expliquer l'Écriture par l'Écriture, rattacher à
l'ensemble les versets isolés, comparer un passage à un
autre et trouver une application ne dépendant pas de la teneur
d'un seul texte, mais s'accordant avec le sens que lui donne
l'Écriture entière.»
Schwenckfeld étudia
l'hébreu et le grec et, dans ses ouvrages, il employa, non
seulement la traduction de Luther, mais encore la «vieille
Bible» (en usage chez les anabaptistes) et la Vulgate. Il trouva
la clef d'une grande partie de l'A. Testament dans l'usage typique
qu'en fait le N. Testament. Il résolut de se laisser guider
entièrement par les Écritures, pour la pratique comme
pour la doctrine. «Si nous ne comprenons pas tout - disait-il -
ne blâmons pas la Bible, mais bien plutôt notre
ignorance.»
Huit ans après sa
première «visitation» - comme il l'appelait - il fit
une nouvelle expérience qui semble avoir influencé
encore plus profondément sa vie. jusqu'alors il avait
prêché avec zèle les Écritures et le
luthéranisme, Mais ce qu'il avait cru intellectuellement
devint alors une conviction intime du coeur. Il réalisa sa
vocation céleste, reçut une mesure surabondante
d'assurance de son salut et s'offrit à Dieu en «sacrifice
vivant». Un sentiment profond de son péché et une
vision de la suffisance de la rédemption accomplie par la mort
et la résurrection de Christ s'emparèrent de sa
volonté, transformèrent son esprit et
l'amenèrent à l'obéissance en laquelle il trouva
la liberté d'accomplir la volonté de Dieu.
Il découvrit encore que
l'Écriture est non seulement un guide infaillible quant
à la justification et à la sanctification personnelles,
mais aussi une source d'instructions très nettes quant
à l'Église. «Pour réformer l'Église
- dit-il - il nous faut faire usage de la Ste-Ecriture, tout
spécialement du livre des Actes, qui nous montre clairement
comment les choses se passaient au début, ce qui est vrai et
ce qui est faux, ce qui est digne de louange et acceptable par Dieu
et par le Seigneur Christ.» Il vit que l'Église, du temps
des apôtres et de leurs successeurs immédiats,
était un glorieux rassemblement, non seulement en un lieu mais
en plusieurs. Il se demande où l'on pourrait trouver de telles
assemblées actuellement, puis il ajoute:
«L'Écriture ne reconnaît que ceux qui acceptent
Christ comme Chef, ceux qui se livrent au St-Esprit et à ses
directions, pour recevoir de Lui dons et connaissances
spirituelles.» Jésus Lui-même conduit par les dons
spirituels qu'Il accorde, non seulement à toute
l'Église, mais encore à chaque assemblée
séparée. Dans ces assemblées, les dons
spirituels sont exercés pour le bien de tous. Le même
Esprit les répartit, mais ils se manifestent en chacun des
membres. La liberté de l'Esprit est illimitée. Si
quelqu'un, conduit par l'Esprit, se lève, celui qui parle doit
se taire immédiatement. Les églises ne sont pas
parfaites; il peut toujours s'y glisser des hypocrites, mais
dès qu'on est conscient de leur présence, il faut les
exclure. Schwenckfeld ne pouvait donc pas reconnaître comme
Église la religion réformée, puisque la grande
majorité des chrétiens baptisés n'avaient pas
l'Esprit de Christ et prenaient le sacrement sans la grâce de
Dieu. Il consentait à recevoir l'aide d'organisations
missionnaires, à condition qu'elles ne prennent pas la place
des églises de Jésus-Christ. L'Église nationale
- disait-il - est une église qui est retournée au
niveau atteint dans l'A. Testament.
«Il est parfaitement clair
- dit-il encore - que tous les chrétiens sont appelés
et envoyés dans le but de louer leur Seigneur et Sauveur
Jésus-Christ, de proclamer les vertus de Celui qui les a
appelés des ténèbres à son admirable
lumière, et de confesser son Nom devant les hommes.» La
moindre restriction du sacerdoce universel de tous les croyants est
une limitation du St-Esprit. «Si l'on avait agi ainsi du temps
de Paul, si seulement ceux que désignaient les magistrats
avaient eu le droit de prêcher, jusqu'où la foi
chrétienne se serait-elle répandue? Comment l'Evangile
serait-il venu jusqu'à nous? » - Parmi les croyants,
quelques-uns sont choisis pour un service spécial;
préparés et mis à part pour leur
ministère, non point par l'étude, l'élection ou
la consécration, mais par une impulsion, une
révélation et une manifestation de l'Esprit, «que
Christ est avec eux, sa présence étant prouvée
en grâce, puissance, vie et bénédiction.» -
Puisqu'ils sont «appelés et envoyés uniquement par
Dieu, dans la grâce de Christ, qu'ils agissent avec puissance
et grande assurance par le St-Esprit: des âmes naissent de
nouveau, des coeurs sont régénérés, le
royaume de Christ s'établit.»
«Les croyants ne sauraient
se fatiguer d'entendre des prédicateurs si apostoliques, si
spirituels, car leurs paroles sont accompagnées de puissance
divine et nourrissent les âmes. En parlant de tels hommes, le
Seigneur Christ a dit: En vérité, en
vérité, je vous le dis, celui qui reçoit celui
que j'aurai envoyé me reçoit (Jean 13. 20). Aucune
personne inconvertie ou se conduisant mal ne peut être un vrai
ministre, travaillant à l'accroissement de l'église,
quand bien même il serait docteur et professeur, qu'il
connaîtrait la Bible par coeur et serait un grand orateur. - Il
en est qui séparent la personnalité des fonctions,
disant que même si un évêque, un prêtre ou
un prédicateur se conduit mal, il peut remplir un
ministère, enseigner le N. Testament en serviteur du
St-Esprit; ceci est contraire à toute l'Écriture et aux
commandements de Christ. - Que peut être le ministère de
celui qui enseigne, alors que son propre coeur est resté
ignorant... qui ne croit pas ce qu'il déclare, puisqu'il
n'agit pas selon ce qu'il dit? Les paroles et la vie doivent marcher
de pair; tel est le vrai ministère de la Nouvelle Alliance,
selon l'enseignement de toutes les Écritures apostoliques et
l'exemple même du Seigneur Christ.»
Quant au baptême,
Schwenckfeld enseignait qu'il ne sauve pas et que l'on peut
être sauvé sans être baptisé. Toutefois il
en voyait l'importance quand les croyants se font baptiser sur la
confession de leur foi. Quant aux enfants au berceau, disait-il,
n'étant pas capables d'avoir la foi, ils ne sont pas en
état d'être baptisés.
Il ne se rattacha pas aux
anabaptistes, comme on les nommait. Tout en les décrivant
comme des gens pieux, séparés de la grande multitude
des indifférents, remarqués pour leur bonne conduite et
pour leurs sérieuses convictions, il les accuse de
légalisme et d'ignorance. Il confondit, comme beaucoup de
gens, les frères pieux et endurants avec tous les
éléments fanatiques de la guerre des Paysans, les
extravagants de Münster, et les fauteurs d'autres
désordres. Il dit avoir connu «les premiers
baptistes» et décrit Müntzer, exécuté
pour sédition durant la guerre des Paysans. Il mentionne des
hommes du type de Balthazar Hubmeyer comme étant disciples de
Hans Hut, bien que le premier fût un adversaire
intrépide des enseignements exagérés et
impondérés de Hut. Il rappelle la rumeur publique que
Hut se serait suicidé en prison, mais il ajoute que cet acte
était peut-être involontaire et il donne le nom de
«baptistes hutistes» à tous ceux que l'on appelait
en général «anabaptistes». Il raconte
certaines anecdotes défavorables qui lui avaient
été communiquées par lettre, et
répète le jugement d'une personne qui avait
quitté l'une des assemblées hutistes, bien qu'il n'ait
qu'une pauvre opinion de son christianisme. Il dit que ces baptistes
n'avaient que des connaissances superficielles sur la foi, sur le
salut par grâce et l'assurance du salut, et que, surtout, ils
n'avaient pas saisi l'idéal de la vraie Église
apostolique.
« Ils se persuadent -
dit-il - que... dès qu'ils sont reçus visiblement...
dans leurs propres assemblées, ils appartiennent au saint
peuple de Dieu, au peuple qu'Il s'est choisi parmi tous les autres,
soit l'église pure et sans tache... Pourtant les dons du
St-Esprit, la beauté et l'ornement des églises
chrétiennes, tels qu'ils sont décrits dans les
Stes-Ecritures, ne se manifestent guère chez eux.» Pour
eux, une orthodoxie extérieure est la marque de la vraie
Église de Christ. Aussi un esprit de critique anti-biblique et
de l'orgueil spirituel les caractérisent-ils. « Ils sont
si satisfaits d'eux-mêmes et de tout ce qu'ils font qu'ils
condamnent tous ceux qui ne pensent pas comme eux,
c'est-à-dire qui n'ont pas accepté leur mode de
baptême et ne fréquentent pas leurs assemblées.
Ils les considèrent comme en dehors de la communion des saints
et sous la puissance de Satan. Même si ces autres frères
étaient pleins de foi, comme Etienne, remplis du St-Esprit et
de la sagesse divine, cela n'aurait que peu de poids pour ces
baptistes, car ils sont ancrés, surtout leurs chefs, dans
leurs jugements frivoles, leur amour d'eux-mêmes et leur
orgueil spirituel.» Dans leurs assemblées, ils rompent
toujours le pain; la Cène et le baptême prennent la
place de ce qui est intérieur et plus important. «Si vous
visitiez une de leurs assemblées, vous les prendriez pour le
peuple de Dieu, car on ne peut douter de leur piété et
de leur conduite extérieure.»
Il montre cependant que le
pharisien de la parabole avait une plus grande apparence de
piété que le péager. « Ce n'est pas -
ajoute-t-il - que je blâme la piété
extérieure chez les baptistes, ou chez les moines, mais cela
ne suffit pas de dire. Venez ici pour être
baptisés.» Il constate encore que l'on tyrannise la
conscience des membres, que le légalisme s'attache à
certaines habitudes, à des choses extérieures comme le
vêtement. Enfin il combat leurs vues quant à la
prestation du serment, la guerre et la participation au gouvernement
civil. De tout cela, on peut sûrement conclure que parmi ces
croyants, comme parmi toute communauté un peu
considérable, il y avait des faiblesses et des erreurs et que
l'étroitesse et le légalisme, dont parle Schwenckfeld,
étaient des limitations auxquelles les
«anabaptistes» étaient sujets, mais contre
lesquelles les meilleurs d'entre eux ne cessaient de protester.
Schwenckfeld condamnait les cruelles persécutions
dirigées contre eux. «Je voudrais pouvoir épargner
les hommes simples et pieux rencontrés chez eux, dit-il, et il
rappelle à ses auditeurs qu'il y a parmi ces frères de
vrais chrétiens qui, s'ils manquent de connaissance, ont
pourtant la vie de Dieu. Il mentionne leur joie au sein de la
souffrance et ajoute que si, comme on le dit, ce sont des
séditieux, c'est au gouvernement civil de s'occuper de la
chose. Pour son propre compte, il les a toujours vus vivre
paisiblement, sans la moindre pensée de
sédition.
Grâce au travail diligent
de Schwenckfeld, des cercles de croyants se formèrent dans
toute la Silésie, à Liegnitz et aux alentours. Ils
étaient un modèle de vraie piété pour
leur entourage. Comme on abusait grandement de la Ste-Cène,
Schwenckfeld en arrêta la célébration pendant
quelque temps, et l'influence de son enseignement - comment
éviter de la prendre indignement - fut telle que le
clergé luthérien de Liegnitz se mit à suivre son
exemple (1526). De là l'accusation qu'il
dépréciait la Cène du Seigneur, alors que
c'était le motif contraire qui le poussait à agir. Son
désir intense était de réaliser l'unité
de l'Église. «Oh! Dieu, veuille que nous soyons vraiment
le corps de Christ, unis par les liens de l'amour... hélas!
jusqu'à présent, nous ne voyons rien qui puisse se
comparer à la première église, où les
croyants étaient un coeur et une âme ... »
«Nous voulons pourtant demeurer fermes dans la liberté
à laquelle Christ nous a appelés, sans former des
sectes humaines, ou nous détourner de l'Église
chrétienne universelle. Nous ne nous mettrons pas de nouveau
sous le joug de la servitude, mais nous nous attacherons à la
seule secte divine, celle de Jésus-Christ.» - «Le
désir de mon coeur est de pouvoir aider chacun à saisir
la vérité et l'unité de Christ et de son
St-Esprit; je ne veux pas propager l'esprit sectaire, être une
cause de division ou de séparation de Christ... Il y en a
maintenant quatre, appelées églises, la papale, la
luthérienne, la zwinglienne et la baptiste, ou picarde.
Chacune anathématise l'autre, car il est clair que Luther
condamne l'Église de Zwingli, ainsi que les fanatiques. On
peut donc se demander laquelle est le vrai rassemblement de
l'Église de Christ - ou le seraient-elles toutes! - serait-on
partout vraiment béni?... Nous répondrons à
cette question par les paroles de Pierre: En vérité, je
reconnais que Dieu ne fait point acception de personnes, mais qu'en
toute nation celui qui le craint et qui pratique la justice lui est
agréable (Actes 10. 34, 35)... Plus ces églises se
condamnent les unes les autres, plus les croyants craignant Dieu,
vivant droitement et chrétiennement, seront acceptés
par le Seigneur, et non condamnés...
»Jusqu'à
présent, je ne me suis nettement rattaché à
aucune église... mais je n'ai méprisé ni
congrégations, ni conducteurs, ni docteurs; je désire
servir tous les hommes en Dieu, être l'ami et le frère
de quiconque est zélé pour Dieu et aime Christ de tout
coeur... je prie donc le Seigneur de me diriger en tout, de me rendre
capable, selon la règle apostolique, de discerner tous les
esprits et surtout l'Esprit de Jésus-Christ. Que Dieu m'aide
à éprouver toutes choses, puis à choisir et
à retenir ce qui est bon 1 Alors, en ces temps de luttes et de
divisions, je parviendrai, en toute bonne conscience en Christ,
à la vérité et à l'unité.» -
«Ma liberté ne plaît pas à tous... les uns
me traitent d'excentrique... pour les autres, je suis suspect... mais
Dieu con~ naît mon coeur... je ne suis pas un sectaire et, Dieu
m'aidant, je ne serai pas un fauteur de trouble ... » -
«J'aimerais mieux mourir que de détruire quelque chose de
bon. C'est pourquoi je ne me rattache à aucun parti, à
aucune secte ou église, afin de pouvoir, selon la
volonté de Dieu et par sa grâce, servir tous les partis
en restant en dehors d'eux tous. »
L'enseignement de Schwenckfeld
et le développement des cercles qu'il créait
attirèrent sur lui l'attention du roi Ferdinand, qui voyait en
lui un détracteur du sacrement de la Cène. Il fut donc
obligé (1529) de quitter sa patrie, où il avait
toujours joui d'une belle position et d'une haute
considération. Les trente dernières années de sa
vie furent celles d'un nomade persécuté par
l'Église luthérienne, qui le déclara
formellement hérétique. Mais son exil lui permit de
donner une plus grande extension aux groupes de croyants qu'il
enseignait, surtout en Allemagne du Sud, où certaines
autorités le protégèrent. Ces groupes ne se
considéraient pas comme des églises. Ils pensaient
qu'en prenant position comme membres d'une église, ils
élevaient une barrière entre eux et les croyants des
divers partis qu'ils désiraient tous servir. Ils
laissèrent de côté le baptême et la
fraction du pain, en attendant des temps meilleurs. Ils s'adonnaient
à la prière et recherchaient une nouvelle effusion du
St-Esprit avant le retour du Seigneur qui ferait alors l'union de son
Église. Leur ministère consistait en études
bibliques, en visites et autres formes de témoignage, dans le
but de préparer les saints pour ce Retour. Ils
prêchaient aussi l'Evangile aux inconvertis, afin que le plus
grand nombre possible soient rendus participants aux
bénédictions promises.
En s'abstenant de tout
témoignage ecclésiastique, dans le but d'éviter
les difficultés qui en découlent, ils devinrent une
source de faiblesse plutôt que de force pour ceux des
frères qui, selon l'exemple apostolique, se conformaient
à l'enseignement de l'Écriture concernant les
églises. Ces principes scripturaires, pratiqués comme
il convient, ne provoquaient ni l'établissement d'une secte,
ni une séparation d'avec les chrétiens ne se joignant
pas à eux. Ils constituaient le seul terrain sur lequel
pouvaient se rencontrer tous les croyants, le terrain de leur
communion avec Christ et en Lui.
Pilgram Marbeck, se joignant
à d'autres, répondit par écrit à
Schwenckfeld au sujet de ses critiques des assemblées
où l'on pratiquait le baptême et la fraction du pain.
Schwenckfeld avait exprimé sa désapprobation par un
ouvrage intitulé: «Du nouveau traité des
frères baptistes publié en l'an 1542.» La
réplique de Marbeck avait un titre de quatre-vingt-trois mots.
Citant les objections de Schwenckfeld, il leur oppose cent
réponses. Lui et les frères écrivent entre
autres: «Il n'est pas exact de dire que nous ne reconnaissons
pas comme chrétiens ceux qui rejettent notre forme de
baptême et que nous les regardons comme des esprits
égarés reniant Christ. Il ne nous appartient pas de
juger ou de condamner celui qui ne se fait pas baptiser selon le
commandement de Christ.
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