LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
2. Farel en Suisse et
dans les Vallées vaudoises
Durant le séjour de
Farel en Dauphiné, ses trois frères devinrent des
disciples du Christ, ainsi qu'un jeune chevalier, Anemond de Coct, et
beaucoup d'autres. Farel prêchait constamment, soit en plein
air, soit dans des bâtiments disponibles. Beaucoup de gens
étaient surpris, voire scandalisés d'entendre
prêcher un laïque. Pourtant c'était un
prédicateur idéal: instruit, hardi, éloquent,
intensément convaincu de la vérité et de
l'importance de son message, très versé dans les
Écritures, pleinement conscient de sa responsabilité
envers Dieu et rempli d'amour compatissant envers les hommes. Il
avait un extérieur frappant: de taille moyenne, maigre, avec
une longue barbe rouge et des yeux flamboyants. Sa voix puissante et
sa manière, solennelle autant qu'animée, retenaient
l'attention, tandis que sa parole éveillait la conviction dans
les âmes. Chassé de Gap et poursuivi jusque dans les
lieux retirés du pays qu'il connaissait si bien, il franchit
la frontière par des sentiers solitaires et atteignit
Bâle. Il fut reçu dans la maison d'Oecolampade et les
deux hommes devinrent grands amis. Cependant Farel ne voulut
même pas visiter Erasme qu'il considérait comme
infidèle et tiède dans son témoignage
chrétien. Ce dernier lui en voulut et devint son adversaire.
Farel et Oecolampade eurent l'occasion de tenir une dispute publique
à Bâle. Ils y démontrèrent avec
succès la suffisance de la Parole de Dieu. Farel avait
gagné la plupart de ses auditeurs par sa chaude
éloquence. Toutefois, en rentrant de Zurich, après une
courte visite à Zwingli, il apprit qu'en son absence des
influences hostiles avaient obtenu son expulsion de la ville. Il se
rendit alors à Strasbourg, fut reçu sous le toit
hospitalier de Capiton et y rencontra Lefèvre, ainsi que
d'autres exilés français.
Ce fut en Suisse romande
surtout que Farel accomplit sa grande oeuvre. Par son labeur
persévérant et intense, il transforma ce beau pays,
resté si longtemps dans les ténèbres
spirituelles, dont la plus grande partie devint et resta
jusqu'à ce jour un centre de christianisme
évangélique éclairé. Parmi les nombreux
succès de la prédication de Farel, ce qui se passa
à Neuchâtel est particulièrement frappant. Il n'y
avait, semblait-il, aucune porte ouverte dans cette ville, mais le
curé du petit village voisin de Serrières lui permit de
prêcher dans le cimetière autour de son église.
On l'apprit à Neuchâtel, et, avant longtemps, il parlait
à la foule sur la place du marché. L'effet fut
extraordinaire. Beaucoup de gens reçurent le message, tandis
que d'autres faisaient une violente opposition; toute la ville et les
environs furent en ébullition. Le réformateur dut
s'absenter pendant quelques mois. Puis il revint, accompagné
de plusieurs compagnons, et l'oeuvre S'étendit, non seulement
dans la ville, mais à Valangin, tout à travers le
Val-de-Ruz, dans les villages qui bordent le lac, à Grandson,
jusqu'à Orbe. A Valangin, lui et Antoine Froment faillirent
être noyés dans le Seyon par le peuple furieux. Ils
furent battus dans la chapelle du château jusqu'à
laisser des traces de sang sur les murs, puis, temporairement
jetés en prison, d'où ils furent libérés
par les hommes de Neuchâtel. En octobre 1530, moins d'une
année après la première prédication de
Farel à Serrières, les habitants de Neuchâtel
furent appelés à voter pour le choix d'une religion. Le
catholicisme romain fut aboli par une faible majorité de 18
voix et la religion réformée fut adoptée, mais
avec la liberté de conscience pour tous.
Les Vaudois (82) entendirent parler
de la Réformation, soit dans les vallées
piémontaises, soit en d'autres lieux où ils
s'étaient établis : en Calabre et dans les Pouilles, en
Provence, en Dauphiné, et. en Lorraine. D'autre part, dans les
pays voisins gagnés à la Réforme, on apprit
qu'il se trouvait, dans d'obscurs villages alpestres et ailleurs, des
gens qui avaient toujours maintenu les vérités
qu'eux-mêmes étaient en train de défendre. Les
Vaudois donnaient à leurs anciens le nom de Barbes. L'un
d'entre eux, Martin Gonin, d'Angrogne, fut si touché par les
rapports qui lui parvenaient, qu'il résolut de se rendre en
Suisse et en Allemagne pour visiter quelques-uns des
réformateurs; ce qu'il fit (1526). Il en revint avec toutes
les informations qu'il avait pu recueillir, ainsi qu'avec quelques
ouvrages des réformateurs. Les nouvelles qu'il rapporta
excitèrent grand intérêt dans les vallées,
et, lors d'une réunion tenue (1530) à Mérandol,
les frères décidèrent de déléguer
deux de leurs Barbes, Georges Motel et Pierre Masson, pour essayer de
nouer des relations avec ces frères.
En arrivant à
Bâle, ils se rendirent chez Oecolampade et se
présentèrent eux-mêmes à lui. D'autres
croyants furent convoqués et ces simples et pieux montagnards
témoignèrent de leur foi remontant aux temps
apostoliques. «Je bénis Dieu - s'écria Oecolampade
- de ce qu'Il vous a appelés à une si grande
lumière.» Au cours de la conversation, des divergences
furent découvertes et discutées. En réponse
à certaines questions, les Barbes dirent: «Tous nos
ministres sont célibataires et exercent quelque honnête
métier.» - «Mais le mariage - répliqua
Oecolampade - convient à tous les croyants, et
spécialement à ceux qui doivent être en tout les
modèles du troupeau. Il nous semble aussi que les pasteurs ne
devraient pas consacrer à des travaux manuels, comme vous le
faites, le temps qui pourrait être mieux employé
à l'étude de l'Écriture. Le ministre a beaucoup
de choses à apprendre. Dieu ne nous enseigne pas
miraculeusement, sans effort de notre part. Il faut travailler pour
s'instruire.» Quand les Barbes reconnurent que parfois, à
cause de la persécution, ils avaient laissé baptiser
leurs enfants par des prêtres catholiques et avaient même
assisté à la messe, les réformateurs furent
surpris et Oecolampade dit: «Mais Christ, sainte victime,
n'a-t-Il pas satisfait la justice éternelle à notre
place? Quel sacrifice serait encore nécessaire après
celui de Golgotha? En disant «Amen» au sacrifice de la
messe vous reniez la grâce de Jésus-Christ.»
Parlant de la condition de l'homme depuis la chute, les visiteurs
dirent. «Nous croyons que tous les hommes ont quelque vertu
naturelle, comme les herbes, les plantes ou les pierres.» -
«Nous croyons - répondirent les réformateurs - que
ceux qui obéissent aux commandements de Dieu ne le font pas
par leurs propres forces, mais par la grande puissance de l'Esprit de
Dieu, renouvelant leur volonté.» - «Ah! - dirent les
Barbes - nous, pauvres gens, sommes profondément
troublés par l'enseignement de Luther sur le libre arbitre et
la prédestination... Nos doutes viennent de notre ignorance,
instruisez-nous donc.» Ces différences d'opinions ne
séparèrent pas ces frères. Oecolampade dit:
«Nous devons éclairer ces chrétiens et par-dessus
tout les aimer.» «Christ est en vous comme en nous - dirent
les réformateurs aux Vaudois - nous vous aimons comme des
frères.»
Morel et Masson se rendirent
ensuite à Strasbourg. En rentrant chez eux, ils
visitèrent Dijon, où leur conversation attira
l'attention de quelqu'un qui les dénonça comme
dangereux, et ils furent incarcérés. Morel put
s'échapper avec les documents dont ils étaient
chargés; mais Masson fut exécuté. Quand Morel
relata sa conversation avec les réformateurs, il y eut une
vive discussion et l'on décida de convoquer une
conférence générale des églises et d'y
inviter des représentants des réformateurs, afin de
pouvoir débattre ces questions avec eux. Martin Gonin et un
Barbe de la Calabre, nommé Georges, furent envoyés en
Suisse pour transmettre l'invitation. A Grandson, durant
l'été de 1532, ils rencontrèrent Farel et
d'autres prédicateurs conférant ensemble sur la
propagation de l'Evangile en Suisse romande. Ils expliquèrent
aux frères réunis les divergences, dans la doctrine
comme dans la pratique, existant entre eux et les
réformateurs. Puis ils demandèrent que quelqu'un
voulût bien se rendre avec eux à la conférence
projetée dans leur pays, pour qu'ensemble ils puissent arriver
à une entente commune sur les points débattus et
combiner ensuite leurs efforts pour évangéliser le
monde. Farel accepta l'invitation et se mit en route avec Saunier et
un autre.
Après un voyage
dangereux, ils atteignirent Angrogne, où vivait Martin Gonin,
et visitèrent plusieurs des hameaux vaudois, dispersés
aux flancs des collines. Celui de Chanforans fut choisi comme lieu de
rencontre et, comme il ne s'y trouvait aucun bâtiment assez
vaste, la conférence se tint en plein air, des bancs rustiques
servant de sièges. Les Vaudois étaient restés en
dehors du mouvement de la Déformation, mais ils avaient
toujours maintenu leurs anciennes relations avec de nombreux croyants
dispersés et avec des églises qui avaient existé
avant la Réforme. Tout en s'intéressant vivement
à la Réformation, ces églises n'avaient
été en aucune manière absorbées par elle.
La conférence réunit donc des anciens des
églises d'Italie, même de l'extrême sud de la
péninsule. D'autres étaient venus de France, des pays
allemands et surtout de la Bohême. Au milieu d'un grand nombre
de paysans et de journaliers se trouvaient quelques gentilshommes,
les seigneurs de Rive Noble, de Mirandole et de Solaro. Ce fut
à l'ombre des châtaigniers et entourés de la
muraille des Alpes que les frères ouvrirent leur
conférence «au nom de Dieu», le 12 septembre 1532.
Farel et Saunier exposèrent éloquemment les doctrines
des réformateurs, tandis que deux Barbes, Daniel de Valence et
Jean de Molinos, furent les principaux orateurs en faveur des
pratiques adoptées par les Vaudois des vallées. Farel
mentionna les points sur lesquels ces frères montagnards
avaient fléchi sous l'intense persécution de Rome: leur
participation à certaines fêtes, à des
jeûnes ou à des rites ; leur fréquentation
occasionnelle de la messe, et même une soumission
extérieure à certains actes cléricaux. Il leur
montra qu'ils s'étaient ainsi écartés de leurs
anciennes pratiques religieuses et les exhorta fortement à se
séparer absolument de nome.
Les réformateurs
maintinrent qu'il faut rejeter tout ce qui, dans l'Église
romaine, ne s'appuie pas sur les Écritures. Les Vaudois
estimaient suffisant de rejeter ce qui est absolument défendu
dans la Bible. Les questions d'observances furent aussi
examinées. Mais ce fut la doctrine qui provoqua les plus vives
discussions. Farel enseignait que « Dieu a élu,
dès avant la fondation du inonde, tous ceux qui ont
été ou seront sauvés; qu'il est impossible que
ceux qui ont été destinés au salut soient
perdus. Celui - disait-il - qui défend le libre arbitre de
l'homme, renie absolument la grâce de Dieu». Jean de
Molines et Daniel de Valence insistaient sur le double fait de la
capacité de l'homme, et aussi de sa responsabilité de
recevoir la grâce divine. Sur ce point, ils étaient
appuyés par les gentilshommes et par beaucoup d'autres qui
déclaraient que les changements suggérés
n'étaient pas nécessaires et qu'ils jetteraient un
blâme sur ceux qui avaient si longtemps et si fidèlement
dirigé les églises. L'éloquence de Farel et son
affectueuse insistance impressionnèrent puissamment les
auditeurs et la majorité accepta son enseignement. On
élabora une confession de foi selon les principes du
réformateur. Elle fut signée par la plupart des
participants. Quelques-uns s'abstinrent.
On montra aux
réformateurs les Bibles manuscrites employées dans les
églises et quelques documents anciens: la «Noble
leçon», le «Catéchisme»,
«l'Antichrist», et d'autres encore. Ils montrèrent
un vif intérêt pour ces écrits et en comprirent
la valeur, mais ils virent le besoin de faire imprimer des Bibles en
français, que l'on pourrait faire circuler parmi le peuple. Il
en résulta la traduction française de la Bible par
Olivétan, qui avait fidèlement collaboré
à l'oeuvre de la Réforme à Paris, dès les
premiers jours. Les frères vaudois firent un gros effort pour
contribuer aux frais de cette publication, et la Bible parut en 1535.
Farel et Saunier se remirent en selle, après leur visite si
pleine d'événements importants, pour continuer l'oeuvre
en Suisse romande, avec Genève comme but. Jean de Molines et
Daniel de Valence se rendirent en Bohême. Après une
conférence des églises, les frères de
Bohême écrivirent aux Vaudois, les priant instamment
d'examiner toutes choses avec le plus grand soin avant d'adopter les
modifications de doctrine, ou de pratique recommandées par les
frères étrangers.
Durant l'automne de 1530, les
habitants de Neuchâtel détruisirent les statues de la
collégiale, puis, comme nous l'avons vu, la religion
réformée fut adoptée par vote populaire. La
tyrannie fit ainsi place à la vérité
libératrice et la réforme civile obtenue fut de
très grande valeur. Pourtant il faut reconnaître que ce
n'est ni par le vote du peuple, ni par l'autorité d'un pape,
que les églises de Dieu doivent être dirigées.
Cette direction doit venir du Seigneur Lui-même. Christ est le
centre et la puissance d'attraction de son peuple. La communion des
saints entre eux découle de leur communion collective avec
Lui, ce qui leur confère l'autorité d'exercer la
discipline dans leur milieu. Les églises ne doivent ni dominer
sur le monde, ni être dominées par lui. Pour marquer la
distinction entre l'Église et le monde, Farel fit placer des
tables au lieu de l'autel qui avait été renversé
à la collégiale pour la célébration de la
Ste-Cène. Ici, disait Farel, les croyants pourront adorer
Christ en esprit et en vérité, nettoyés de tout
ce qu'Il n'a pas ordonné. Ici Jésus sera
manifesté parmi eux et Ses commandements seront mis en
pratique. L'année suivante, après que Farel eut
prêché à une vaste congrégation à
l'église d'Orbe, huit croyants prirent part à la
fraction du pain en souvenir du Seigneur.
3. Calvin à la
Cour de Navarre, puis à Genève
En 1535, quelques croyants du
Midi de la France sentirent la nécessité de se
réunir souvent pour la lecture des Écritures.
Marguerite, reine de Navarre, venait de quitter Paris pour se fixer
sur les terres de son mari. Lefèvre et Roussel l'avaient
accompagnée. Ils avaient coutume de fréquenter
l'église catholique de Pau et de tenir ensuite au
château une réunion dans laquelle on parlait sur une
portion des Écritures. Beaucoup de campagnards y assistaient.
Quelques-uns d'entre eux exprimèrent le désir de
prendre la Ste-Cène, tout en sachant qu'ils s'exposaient au
danger. Une vaste salle fut choisie sous la terrasse du château
- ce qui permettait de se réunir sans trop attirer l'attention
du dehors. On y plaça une table, avec du pain et du vin et
tous participèrent à la Cène en toute
simplicité, la reine, comme les plus pauvres, se sentant
égaux en présence du Seigneur. On lut la Parole et on
l'expliqua, puis, après une collecte pour les pauvres,
l'assemblée se dispersa.
A la même époque,
il y avait à Poitiers un jeune homme qui avait dû
quitter Paris, à cause de son enseignement. C'était
Jean Calvin. Il y prit contact avec de nombreux croyants et des
chercheurs de la vérité, tous s'intéressant
profondément aux Écritures. On discutait librement les
doctrines de Luther et Zwingli et l'on critiquait l'Église
catholique romaine. Comme la fréquentation de ces
réunions commençait à devenir dangereuse, les
chrétiens se rencontrèrent en dehors de la ville, dans
une région où il y avait des grottes, appelées
Grottes de St-Benoit. Là, dans une vaste caverne, ils purent
sonder les Écritures sans interruption, et l'un des sujets
fréquemment traités fut l'absence dans les
Écritures de l'institution de la messe. Ceci les conduisit
à se souvenir de la mort du Sauveur selon qu'Il l'avait
ordonné. Ils se réunirent pour prier, lire la Parole,
et prendre ensemble le pain et le vin. Si quelqu'un s'y sentait
poussé par le St-Esprit, il était libre de donner une
parole d'exhortation ou d'interprétation.
Bientôt ces frères
pensèrent aux habitants de ce district et à leur
ignorance de l'Evangile et, à l'une des réunions, trois
des frères s'offrirent comme évangélistes. On
savait qu'ils étaient spirituellement qualifiés pour un
travail de ce genre. On fit une collecte pour couvrir leurs frais de
voyage et ils se mirent en route. Ils obtinrent des résultats
réjouissants. L'un d'entre eux, Babinot, homme doux et
instruit, se rendit d'abord à Toulouse. Il avait une vraie
puissance d'attraction pour étudiants et professeurs et en
amena plusieurs à Christ. Ces hommes, à leur tour,
répandirent largement l'Evangile parmi la jeunesse. On
surnomma Babinot «le Débonnaire» à cause de
son excellent caractère. Il s'occupait activement à
découvrir et à visiter de petits groupes de croyants
qui se réunissaient pour la prière et la fraction du
pain. Véron était un autre évangéliste
très zélé. Il passa vingt ans à parcourir
à pied des provinces entières de la France. Il chercha
si diligemment les brebis perdues et glorifia si bien le Bon Berger
qu'on l'appela «I'Assembleur». Quand il arrivait en quelque
lieu, il s'informait des personnes les plus respectables et
s'efforçait de les gagner à la foi. Il
s'intéressait aussi tout spécialement aux jeunes,, dont
plusieurs devinrent de fidèles disciples du Christ et le
prouvèrent en souffrant pour Lui. Le troisième
évangéliste, Jean Vernou, travailla d'abord à
Poitiers et se fit une réputation dans toute la France par son
influence dans les collèges. Plus tard, il fut
arrêté en Savoie et brûlé à
Chambéry pour avoir confessé Christ.
La puissance de salut de
l'Evangile commença à se manifester abondamment
à Genève après qu'Antoine Froment y eut ouvert,
avec grande appréhension, une école (1532). Il attira
la foule par ses histoires bibliques aux enfants et par ses
connaissances médicales. Parmi les convertis se trouvaient
quelques dames, appartenant aux meilleures familles de la ville, puis
des négociants et des gens de toutes classes. Ils ne
tardèrent pas à se réunir en diverses maisons
pour l'étude des Écritures et la prière. Ces
assemblées s'accrurent rapidement. Le ministère s'y
exerçant librement, l'un ou l'autre lisait la Parole et
quelqu'un l'expliquait, selon sa capacité, puis on priait. On
faisait aussi des collectes pour les pauvres. Parfois un
étranger particulièrement doué passait par
Genève; en l'invitait alors à parler dans la maison la
plus spacieuse et un nombreux auditoire s'entassait pour l'entendre.
Bientôt les croyants désirèrent rompre le pain en
mémoire du Seigneur. Pour éviter tout désordre,
ils se rassemblèrent dans un jardin clos,
propriété de l'un d'eux et en dehors des portes de la
ville, à Pré-l'Evêque. Tous ces
développements prirent place en dépit d'une constante
opposition, qui devint plus violente lorsque ces chrétiens se
rencontrèrent autour de la table du Seigneur comme
églises. Il y eut alors de dangereuses émeutes. Froment
et d'autres furent chassés de la cité, mais les
réunions continuèrent. Plus fard, environ quatre-vingts
personnes, hommes et femmes, s'assemblèrent à
Pré-l'Evêque. Cette fois, l'un des frères lava
les pieds des assistants avant la distribution de la Ste-Cène,
ce qui augmenta l'irritation populaire contre eux. Ce fut dans ces
circonstances difficiles qu'Olivétan travailla à la
traduction de la Bible. Désireux de donner une claire
interprétation, il traduisit en français des mots
auxquels on avait laissé autrefois la forme grecque; ainsi
«apôtre» devint «messager»,
«évêque», «surveillant», et
«prêtre», «ancien», ces fermes étant
la traduction textuelle des mots grecs. Il dit qu'il ne trouvait
nulle part dans la Bible des expressions telles que pape, cardinal,
archevêque, archidiacre, abbé, prieur, moine. Il n'y
avait donc pas lieu de les changer.
En une succession de temps
très troublés, Genève, comme Neuchâtel,
avait secoué la domination de nome. Tôt après une
forme de gouvernement y fut introduite - qu'on ne saurait trouver
dans les Écritures - et qui devait avoir une grande influence
sur les églises. Olivétan avait été l'un
des premiers à conseiller à Calvin, son parent,
l'étude de la Bible. Ce dernier était si
remarquablement doué que, déjà tout jeune, il
exerçait une grande influence partout où il allait. Ce
fut à Bâle, où il s'était
réfugié après avoir été
chassé de France, qu'il publia, en 1536, son «Institution
de la religion chrétienne»; cet ouvrage le fit
connaître comme l'un des premiers théologiens de son
temps. La même année, se rendant à Strasbourg, il
fut obligé, à cause de la guerre, de passer par
Genève. Il y descendit dans une hôtellerie, avec
l'intention de partir le lendemain matin. Mais Farel, ayant appris
son arrivée, alla le visiter et lui montra l'oeuvre
merveilleuse qui s'était faite et se poursuivait encore
à Genève et aux environs. Il lui dépeignit
l'opposition, le besoin de collaborateurs, l'impossibilité
pour lui et pour d'autres de répondre à tous les
appels, puis lui enjoignit de rester dans cette ville pour les aider.
Calvin commença par refuser; il mit en avant son
incapacité, son besoin de tranquillité pour
l'étude, son caractère enfin, impropre à la
tâche à remplir. Farel l'adjura de ne pas permettre
à son amour de l'étude, ou à toute autre forme
de satisfaction propre, de l'empêcher d'obéir à
l'appel de Dieu. Vaincu par la véhémence de Farel et
persuadé par ses instances, Calvin décida de rester
à Genève, où il passa le reste de ses jours,
à l'exception d'une période d'exil de trois ans, et
où son nom reste à jamais uni à celui de cette
ville. A travers bien des luttes, il imposa à la cité
son idéal d'un État et d'une Église
organisés largement d'après le modèle de l'A.
Testament. Le Conseil de la ville avait pleins pouvoirs en
matière de religion comme en matière civile, et devint
le docile instrument de Calvin. Tout citoyen qui ne signait pas la
confession de foi devait quitter la cité. Des lois
sévères réglaient les moeurs et les habitudes du
peuple. Les églises qui avaient commencé à
grandir en obéissant aux enseignements du N. Testament
disparurent presque, absorbées dans l'organisation
générale. La domination du pape fut remplacée
par la loi du réformateur, et la liberté de conscience
ne pouvait se manifester.
Par sa règle
sévère, Calvin espérait faire disparaître
une forme d'erreur assez répandue, de caractère
unitaire. Elle venait de loin et ressemblait à certains
égards à l'arianisme. Mais, à cette
époque, on parlait de socinianisme, nom dérivé
de ceux de Lelio Socin (1525-1562) et de Fauste Socin (1539-1604),
porté par un oncle et son neveu, originaires de Sienne, en
Italie. Le dernier vécut beaucoup en Pologne, car dans ce
pays, comme en Transylvanie, l'enseignement unitaire était
permis et très généralisé. Fauste par.
vint à unir les sectes divisées d'unitaires polonais.
On les appelait «Frères polonais» et le
catéchisme «racovien» exprime leurs vues. C'est de
ce centre que le socinianisme se répandit et
pénétra dans quelques-unes des églises
protestantes et finit par exercer une grande influence, surtout sur
le clergé protestant. Cette fausse doctrine consistait
principalement en une critique de la théologie existante. Sur
cette critique elle basait son enseignement qui s'adressait plus
à l'intelligence qu'au coeur.
Une doctrine de ce genre
était enseignée par un médecin espagnol,
nommé Michel Servet. Au cours de ses voyages, il passa par
Genève; là il entra en conflit avec Calvin et le
Conseil de la ville. Refusant de se rétracter, il fut
brûlé vif (1553). C'était le résultat
logique du système instauré.
Sous la domination du
réformateur, Genève acquit un grand renom, et donna
asile à de nombreux réfugiés que la
persécution avait chassés de leurs pays respectifs,
même d'Angleterre et d'Ecosse. Ceux-ci furent fortement
influencés par le génie de Calvin et portèrent
au loin son enseignement. Le calvinisme devint bientôt une
puissance dans le monde et l'on ose affirmer que sa
sévère discipline a contribué à former
les plus nobles caractères. Farel se soumit aux ordres de
Calvin, mais il résista à toutes les sollicitations de
se fixer à Genève, ou d'accepter une position lui
procurant honneurs ou rémunération. Il fit de
Neuchâtel son centre et se maria. Toutefois il continua son dur
travail de prédicateur itinérant et mourut
paisiblement, âgé de septante-six ans.
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