LE PÈLERINAGE
DOULOUREUX
de
L'ÉGLISE A
TRAVERS LES ÂGES
2. Traductions de la Bible. Cyrille
Lucas, 850-1650
Les Russes ne connaissaient pas les
Écritures, tues dans les églises en vieux slavon,
langue qui n'était plus comprise. Comme il n'y avait pas de
prédication, mais seulement la récitation
chantée - admirablement, il est vrai - de la liturgie, eux et
leurs prêtres restaient donc ignorants de la
révélation divine. Cependant l'Église orthodoxe
ne s'opposait pas à la circulation des Écritures. Elle
exhortait le peuple à regarder la Bible comme un livre
sacré, le livre de Dieu. Les Russes - naturellement religieux
- avaient ainsi un grand désir d'apprendre ce que contenait le
livre qu'ils révéraient, et, lorsque la merveilleuse
histoire de l'Evangile leur était annoncée, elle
était reçue avec Joie dans beaucoup de coeurs.
Comme en bien d'autres nations, chez les Slaves
aussi la Bible fut le commencement de la littérature. Ce fut
pour leur apporter l'Écriture que Cyrille, au neuvième
siècle, inventa l'alphabet (cyrillique). Combinant certaines
lettres grecques avec les vieux caractères glagolitiques, de
manière à exprimer les sons des langues slaves, il
traduisit une grande partie du N. Testament. Son compagnon,
Méthode, s'efforça d'en préserver l'usage quand
les avocats du latin en menacèrent l'existence. De la Moravie,
son pays d'origine, le langage de cette vieille Bible slavone se
répandit. Il devint, plutôt que le grec, la langue du
culte public dans la plupart des pays slaves de religion orthodoxe
grecque. Quand les diverses branches des langues slaves se
développèrent, le vieil idiome ne fut plus compris du
peuple. Au onzième siècle, le gouverneur russe de Kiev,
Yaroslav, traduisit des portions de la Bible dans la langue
populaire.
Ce fut l'étude des Écritures qui
décida un berger et un diacre, au quatorzième
siècle, à prêcher à Pskov, et plus tard
à Novgorod, où la foire attire de grandes foules. Ils
montrèrent que les prêtres de l'Église orthodoxe
ne reçoivent pas le St-Esprit à leur ordination et que
les sacrements qu'ils administrent n'ont pas de valeur; qu'une
église est une assemblée de vrais chrétiens, qui
peut choisir ses propres anciens; que les membres peuvent prendre la
Ste-Cène entre eux et baptiser, et que tout chrétien
peut prêcher l'Evangile. Mais comme d'habitude, en Russie il
est permis de lire les Écritures, mais pas d'y obéir.
Leurs adeptes furent donc supprimés, ou
dispersés.
En 1449, l'archevêque de Novgorod
réunit diverses traductions slavones et publia toute la Bible,
qui fut imprimée ensuite sous une forme complète
à Ostrog, en 1581.
L'Église orthodoxe grecque
diffère de l'Église catholique romaine en ce qu'elle
n'a pas fait d'expérience comparable à celle de la
Déformation. Il y eut cependant une tentative d'introduire
dans cette église les principes de la Réforme, et ceci
en haut lieu. Cyrille Lucas (1572-1638), originaire de Crête,
était connu comme l'homme le plus savant de son temps. Il fut
successivement Patriarche d'Alexandrie (1602) puis de Constantinople
(1621). Ce fut lui qui découvrit, sur le Mont Athos, un
manuscrit du cinquième siècle, la plus ancienne Bible
grecque connue. Il l'envoya d'Alexandrie à Charles 1er, roi
d'Angleterre. On le déposa ensuite au British Museum, sous le
nom de Codex Alexandrinus. Étant encore Patriarche
d'Alexandrie, Cyrille commença à comparer soigneusement
les doctrines des Églises grecque, romaine et
réformée avec les Écritures, et il décida
de laisser de côté les Pères de l'Église
et de n'accepter que la Bible comme guide. Trouvant l'enseignement
des réformateurs plus conforme aux Écritures que celui
des Églises grecque et romaine, il publia une
«Confession» dans laquelle il se rangeait à
plusieurs égards, du côté des
réformateurs. «Je ne puis plus souffrir -
déclare-t-il - que l'on dise que les commentaires de la
tradition humaine ont une même valeur que ceux de la
Ste-Ecriture». Il combattit énergiquement la doctrine de
la transsubstantiation et le culte des images. Il enseignait que la
vraie église catholique renferme tous les fidèles en
Christ; mais, dit-il, il y a des églises visibles, en des
lieux et en des temps divers. Elles peuvent errer, mais les
Stes-Ecritures restent un guide et une autorité infaillibles,
à laquelle nous devons toujours retourner. Il recommanda
l'étude constante de l'Écriture que le St. Esprit
interprète à ceux qui sont nés de nouveau, en
comparant une portion à une autre.
Ces enseignements, provenant d'une telle
source, suscitèrent de vives discussions et Cyrille Lucas eut
à soutenir un rude combat. Il fut cinq fois banni, et toujours
rappelé. Le Grand Vizir du Sultan avait confiance en lui et le
subventionnait. Toutefois, tout en l'aidant à maintenir son
rang, cela nuisait à son témoignage, car on estimait
qu'il n'était pas convenable qu'un docteur chrétien
dépendît financièrement d'un homme d'état
mahométan. Lors d'un Synode de l'Église grecque
à Bethléem, il y eut confirmation
générale de l'ordre ancien de l'Église
orthodoxe, repoussant la réforme. Mais l'opposition la plus
effective contre Cyrille vint de l'Église latine qui, par des
intrigues jésuitiques, entrava à
réitérées fois son oeuvre. Finalement, en son
absence, elle le calomnia auprès du sultan Amurat, qui
marchait alors sur Bagdad. Un jugement précipité fut
obtenu et Cyrille fut étranglé avec la corde d'un arc,
à Constantinople et son corps jeté à la mer.
Après sa mort, plusieurs synodes condamnèrent ses
doctrines.
3. Stundistes. Divers
évangélistes en Russie 1812-1930
En 1812, le tzar Alexandre 1er encouragea
l'établissement de la Société biblique
britannique et étrangère en Russie. Il lui accorda des
privilèges spéciaux et de nombreuses branches de
l'oeuvre s'étendirent aux parties les plus reculées de
l'Empire. Il y avait un désir ardent d'obtenir les
Écritures dans les divers idiomes parlés dans le pays,
sur. tout parmi les gens parlant le russe, et la vente allait
toujours croissant. Cette lecture eut des résultats
merveilleux. Très nombreux furent ceux qui se
détournèrent de l'ignorance et du péché
pour devenir les disciples zélés et consacrés du
Seigneur Jésus-Christ. Ceci éveilla naturellement
l'hostilité du St Synode qui s'employa activement à
entraver autant que possible la diffusion des Écritures. Mais,
jusqu'à l'instauration du gouvernement bolchéviste, ce
peuple avide de la Parole de Dieu put l'obtenir sans trop de
difficulté.
Les réunions des colons allemands
étaient désignées sous le nom de Stunden. Quand
donc les Russes commencèrent à s'assembler pour la
lecture de la Bible et la prière, on les appela, par
dérision, Stundistes - autrement dit, ceux qui abandonnaient
l'église pour la «réunion». Quant à
eux, ils se donnaient le nom de frères.
La lecture des Écritures fut pour ces
Russes une révélation extrêmement puissante. Ils
comprirent que le système religieux dans lequel ils avaient
été élevés, les avaient maintenus dans
l'ignorance de Dieu et de son salut en Christ. Ils se repentaient de
leurs nombreux péchés, sincèrement et sans
réserve et acceptèrent Christ comme leur Sauveur et
Seigneur dans la plénitude de la foi et de l'amour.
Réalisant le complet désaccord existant entre
l'Église russe et les Écritures, ils
abandonnèrent la première et s'attachèrent aux
dernières dans la pleine mesure de leur connaissance.
Les colons allemands pratiquaient le
baptême de diverses manières, mais, au début,
personne ne baptisait par immersion. Dans l'Église grecque, on
baptise bien par immersion, mais les petits enfants. Les croyants
russes consultèrent la Parole et, sans se laisser influencer
par les pratiques, de leur entourage, arrivèrent d'un coup
à la conviction que le baptême par immersion des
croyants était selon l'enseignement et le modèle du N.
Testament. Fidèles à cette lumière, ils
adoptèrent aussitôt cette pratique qui devint
universelle parmi tous ceux qui croyaient. Ils comprirent aussi que
la fraction du pain était un commandement du Seigneur pour les
croyants seulement, et ils agirent en conséquence. Le
système clérical de l'Église orthodoxe disparut
lorsqu'ils comprirent par les Écritures ce que sont la
constitution de l'Église et des églises, le sacerdoce
de tous les croyants, la présence du St-Esprit dans le coeur,
les dons et la liberté des ministères qu'Il accorde
pour le bon ordre des églises, pour l'édification des
saints et pour la diffusion de l'Evangile parmi les hommes.
Ce mouvement, appelé stundiste par les
gens du dehors, grandit très rapidement, chaque groupe de
convertis formant tout de suite une église ou centre
d'où rayonnait le témoignage évangélique.
Il devint évident que l'oeuvre de l'Esprit parmi les colons
étrangers n'avait été que l'introduction
à une oeuvre plus vaste, englobant les masses du peuple russe.
Mais la liberté du culte, accordée aux colons, fut
refusée à la population indigène, et, dès
le début, les églises russes furent
persécutées, ce qui ne put éteindre leur patient
enthousiasme.
Divers évangélistes
Si les mennonites jouèrent un rôle
important dans l'introduction de l'Evangile au travers de vastes
étendues d'Europe et d'Asie, ils ne furent pourtant pas les
seuls instruments employés. Bohnekämper (109), envoyé par la Mission de
Bâle au Caucase et chassé de ce pays, accepta le poste
de pasteur d'une colonie allemande près d'Odessa. Il y tint
des études bibliques en russe pour les moissonneurs venus de
différentes parties du pays, qui, une fois leur tâche
accomplie, apportèrent à leurs foyers la Parole de
vie.
Des membres de la Société des
Amis, Etienne Grellet, William Allen et d'autres, visitèrent
St-Pétersbourg et eurent des rapports avec le tsar Alexandre
1er. Ils l'influencèrent en faveur de l'achèvement de
la traduction de la Bible en russe. Le tsar leur raconta qu'il
n'avait jamais vu de Bible avant l'âge de quarante ans. Une
fois en possession de ce livre, il le dévora, car il y
découvrit l'expression de tout ce qui le troublait comme si
lui-même en avait fait la description. Il reçut aussi la
lumière intérieure qu'il possédait, tellement
que pour lui la Bible était l'unique source de la connaissance
qui sauve. Cette expérience le disposa à accepter les
suggestions des Amis et à faciliter l'introduction et la vente
des Écritures en Russie; ce qui eut des résultats
incalculables.
Melville, Écossais connu en Russie sous
le nom de Vassili Ivanovitch, agent de la Société
biblique, consacra soixante ans de sa vie à faire circuler les
Écritures au Caucase et en Russie méridionale. Il ne se
contentait pas de les distribuer, mais appliquait leur contenu aux
consciences des acheteurs. Il resta célibataire et son seul
but fut toujours de répandre la Parole de Dieu dans ces pays,
où il fut un chef et un exemple pour beaucoup de
dévoués colporteurs qui vinrent après
lui.
Souvent l'introduction du N. Testament dans un
district eut pour résultats la conversion des âmes, la
formation d'une église et la propagation de l'Evangile, avant
que l'on eût découvert l'existence d'autres
frères se conformant à l'enseignement des
Écritures. Il y eut des exemples semblables en beaucoup
d'endroits, du nord de la Sibérie aux rivages
méridionaux de la mer Caspienne.
Kascha Jagoub était un nestonien persan.
Aidé par la Mission américaine, il vint en Russie et
fit preuve d'un grand don d'évangéliste, surtout parmi
les pauvres. Il prit le nom russe de Jakov Deljakovitch et, durant
près de trente ans, dans la dernière partie du
dix-neuvième siècle, fit des tournées de
prédication à travers la Russie et la
Sibérie.
Une autre classe sociale fut atteinte par Lord
Radstock qui, quittant l'Angleterre en 1866, visita plusieurs pays en
y proclamant l'Evangile, puis vint à St-Pétersbourg. Il
y tint des études bibliques dans quelques hôtels de
l'aristocratie, et la puissante action du St-Esprit s'y manifesta.
Beaucoup de personnes dans les rangs les plus élevés de
la société se convertirent en entendant sa simple mais
directe interprétation de l'Écriture,
accompagnée de lumineuses illustrations. Des coeurs furent
touchés même dans la famille impériale et dans
son entourage immédiat. Ces croyants mirent en pratique les
enseignements de la Parole aussi intégralement que les
fermiers et les ouvriers du Sud, avec lesquels ils entrèrent
bientôt en communion fraternelle. Ils furent baptisés,
rompirent le pain entre eux et, dans leurs palais, les
chrétiens les plus pauvres et les plus ignorants prirent place
à côté des nobles du pays, tous unis par le lien
d'une vie commune en Christ.
L'un des convertis, le colonel Vassili
Alexandrovitch Paschkof, était un propriétaire opulent.
Il offrit la salle de bal de son palais pour des réunions et
prêcha lui-même l'Evangile partout, dans les prisons et
les hôpitaux comme dans les locaux, et les maisons
privées. Il employa sa grande fortune à distribuer les
Écritures, à publier des traités et des livres,
à secourir les pauvres et à avancer de toutes
manières le règne de Dieu. En 1880, il lui fut interdit
de tenir des réunions dans sa maison. N'ayant pas obéi,
il fut banni, grâce à l'instigation du St Synode,
d'abord de St-Pétersbourg, puis de Russie. Une grande partie
de ses biens furent confisqués.
Dans leur pays, les baptistes allemands
s'étaient répandus en Russie. Ils devinrent très
nombreux en Pologne et en d'autres régions. Mais une condition
avait été mise à leur liberté: leur
ministère devait se limiter aux Allemands, ou à
d'autres populations n'appartenant pas à l'Église
orthodoxe. Cependant, avec le temps, leur influence amena la
formation de congrégations baptistes russes qui se
répandirent aussi rapidement. La principale différence
entre ces églises baptistes et les autres est que les
premières formaient une fédération, ou
organisation d'églises nettement définie, tandis que
les autres considéraient chaque église comme une
congrégation autonome, dépendant directement du
Seigneur, la communion entre ces diverses assemblées maintenue
par le contact personnel et par les visites des frères. En
outre, chez les baptistes chaque église avait, si possible,
son pasteur attitré, tandis que, chez les autres croyants, il
y avait liberté de ministère et les anciens
étaient choisis parmi les membres.
Ainsi, par des instruments divers, l'Evangile
pénétra dans ces immenses territoires. Mais, une fois
introduite, les Russes eux-mêmes se chargèrent de
l'oeuvre, qui ne fut jamais une mission étrangère, ou
une institution étrangère parmi eux. Ils comprirent
tout de suite que la Parole de Dieu était pour eux, sans
l'intervention d'aucune société missionnaire, et que la
responsabilité du ministère de réconciliation
leur était confiée. Cette responsabilité, ils
l'assumèrent avec un zèle à toute épreuve
que rien ne put étouffer, et ne reculèrent ni devant la
peine, ni devant la souffrance. C'est pourquoi .'l'Evangile se
répandit et continue à se répandre dans ces
régions, comme cela ne peut être le cas quand -une
société missionnaire étrangère maintient
et dirige l'oeuvre. Les églises de Russie se comptent
maintenant par milliers et leurs membres par millions.
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