L'Accusateur
Et j'entendis dans le ciel une
voix forte qui disait: Maintenant le salut est arrivé et la
puissance, et le règne de notre Dieu, et l'autorité de
son Christ, car il a été précipité,
l'accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant
notre Dieu jour et nuit. Ils l'ont vaincu par le sang de l'Agneau et
par la parole de leur témoignage, et ils n'ont pas aimé
leur vie jusqu'à craindre la mort. C'est pourquoi,
réjouissez-vous, cieux, et vous qui habitez dans les
cieux.
Apoc. 12. 10-12
Il y avait, dans le pays d'Uts,
un homme dont le nom était Job. Cet homme était
intègre et droit; il craignait Dieu et se détournait du
mal...
Or, les fils de Dieu vinrent un
jour se présenter devant l'Eternel, et Satan vint aussi au
milieu d'eux. Et l'Eternel dit à Satan: D'où viens-tu ?
Satan répondit à l'Eternel: Je viens de parcourir la
terre et de m'y promener. L'Eternel dit à Satan: As-tu
remarqué mon serviteur Job ? Il n'y a pas d'homme comme lui
sur la terre. Il est intègre et droit; il craint Dieu et il se
tient éloigné du mal. Satan répondit à
l'Eternel: Est-ce donc pour rien que Job craint Dieu ? N'as-tu pas
élevé comme une clôture tout autour de lui,
autour de sa maison et de tout ce qui lui appartient ? Tu as
béni l'oeuvre de ses mains, et ses troupeaux couvrent tout le
pays. Mais étends ta main, touche à tout ce qui lui
appartient; on verra s'il ne te maudit pas en face !... L'Eternel dit
à Satan: Eh bien, tout ce qui lui appartient est en ton
pouvoir; seulement ne porte pas la main sur sa personne. Alors Satan
se retira loin de la présence de l'Eternel.
Job 1. 1. 6-12
Par delà les puissances du mensonge, les
vociférations humaines, et la confusion du monde, par
delà toutes nos peurs, nos misères, nos hontes, une
grande voix retentit, claire, souveraine et vraie.
«Maintenant... » L'éternel maintenant de Dieu vient
immobiliser notre déroute et les fugitives minutes que nous
ramassons comme nos dernières pièces perdues.
Maintenant! Que chercher demain ou avant-hier, qu'attendre encore ou
que regretter quand la grande voix céleste retentit et couvre
tout: maintenant est venu le salut et le règne de notre Dieu.
Mais cet avènement du Royaume de Dieu s'accompagne d'un fait
auquel nous n'aurions jamais pensé. Cet avènement
consiste en une victoire très précise «car il a
été précipité, l'Accusateur de nos
frères». Nous avions donc devant la face de Dieu un
accusateur, un procureur général qui s'acharnait
à notre perte ? Le savions-nous ? Savions-nous qu'aussi
longtemps qu'il avait notre cause en main, nous étions perdus
et que la puissance de Dieu ne s'exerçait pas sur nous ? Qui
est donc cet accusateur et quel est son plaidoyer ? De quoi Satan
nous accuse-t-il jusqu'au jour où «il est
précipité» ? Énumère-t-il nos
mauvaises actions ? Il nous serait difficile de le savoir au juste,
si nous n'avions, au premier chapitre de Job, le texte même du
plaidoyer satanique et si nous n'assistions, dans ce fameux prologue,
à l'audience où se joue notre sort éternel. Pour
perdre Job, pour compromettre irréparablement sa position
devant Dieu (qui est solide, car Job est fidèle, il craint
Dieu, il est intègre) l'accusateur vient poser au juge une
question, une petite question qui n'a l'air de rien, mais insinuante
et perfide : «Est-ce donc pour rien que Job craint Dieu ? Tu
l'as béni, tu l'as comblé, tu lui as donné
toutes les raisons de te servir. Mais essaye donc de
l'éprouver et tu verras ce qui reste de son
affection.»
C'est ainsi que l'accusateur s'attaque aux
chrétiens les plus authentiques. Les ivrognes, les escrocs,
les idolâtres, les assassins, petites causes sans
intérêt! Mais ceux qui servent Dieu, les vrais
chrétiens, les frères de Jésus-Christ,
ceux-là, il vaut la peine de les perdre et de déployer
quelque éloquence dans ce but.
Pas un d'entre nous qui soit donc à
l'abri des pointes de l'accusateur. «Il accuse nos frères
jour et nuit devant Dieu. » En ce moment même, il se tient
devant notre juge et parle de nous et demande: « Est-ce donc
pour rien que tel ou tel craint Dieu ? » Et dans cette phrase,
Satan condense toute sa haine contre Dieu et contre nous. Il est
comme le personnage jaloux qui vient dire à un camarade au
comble du bonheur parce qu'il a trouvé enfin la jeune fille
qui répond à son amour: «Tu crois que cette jeune
fille t'aime. - Elle n'en veut qu'à ton argent!» Oui,
c'est ce que Satan veut dire à Dieu: Tu crois qu'il t'aime
celui-là ? Tu n'y vois goutte, mon pauvre Dieu! Tu te fais des
illusions. Il n'en veut qu'à ta richesse. Car ça
rapporte d'être chrétien, voyons! Excellente affaire
où l'homme n'a rien à perdre. juste quelques petits
services pas bien gênants à te rendre, et pour cela des
bénédictions de toutes sortes, des consolations en cas
d'accrocs et la vie éternelle par-dessus le marché !
Qui ne voudrait conclure une affaire aussi avantageuse ? Mais essaye
seulement de diminuer la participation au bénéfice pour
qu'on voie ce que deviendra la fidélité de tes
associés. Retire-leur tout avantage, tout profit à
être chrétien, et l'on verra combien le resteront.
»
Ainsi parle jour et nuit notre accusateur. Pas
une seule de nos attitudes n'échappe à sa vigilance. A
tout ce que nous faisons de meilleur, à nos gestes apparemment
les plus désintéressés, il insinue: «Mais
c'est son intérêt, c'est à lui que l'homme pense
quand il obéit, c'est pour lui qu'il te sert. Il ne pense
qu'à une chose, c'est à sauver sa vie, par tous les
moyens dont le plus sûr est évidemment d'être en
bons termes avec toi. » Jour et nuit l'accusation est
portée.
Et j'imagine qu'en l'entendant, nous ne sommes
pas tout à fait rassurés, et que le terrain se met
à vaciller sous nos pas. L'accusateur aurait-il raison ? Satan
dirait-il la vérité quand il parle de nous ? S'il dit
vrai, il est à jamais impossible que nous soyons
sauvés. Tant que cette accusation peut être
portée contre nous, tant que Satan peut se tenir devant le
trône du juge, tant que nous fournissons la matière de
son réquisitoire, il n'y a pas de salut, il n'y a pas sur
toute la terre un seul homme qui aime Dieu, un seul homme qui cherche
la gloire et la justice de Dieu. Il n'y a partout que des hommes qui
s'aiment eux-mêmes et qui cherchent à se sauver. Le
christianisme est le meilleur des sauve-qui-peut. Si l'accusateur dit
vrai, si nous ne souhaitons que ses bienfaits et non Dieu
lui-même, Job est perdu, nous sommes tous perdus, nos
fiançailles sont rompues, l'alliance avec Dieu n'existe plus.
Savez-vous bien ce qui est la pire catastrophe ? c'est que Satan dise
la vérité ? C'est que notre vie chrétienne ne
soit qu'une bonne affaire, c'est que nous cherchions finalement dans
l'Eglise notre avantage spirituel et non point la gloire de Dieu,
l'enrichissement de notre personnalité et non pas la
volonté de Dieu, un sérum contre la mort et non la
royauté présente de Dieu - et qu'alors le jour
où nous serions privés de tous ces avantages, le jour
où l'épreuve nous réduirait comme Job à
n'être plus qu'une voix pour nous lamenter, nous ne pensons
secrètement: «Ce n'était pas la peine de croire en
Dieu; qu'en a-t-on de plus ? on vit tout aussi bien sans lui »
et qu'ainsi nous n'apparaissions finalement comme des athées,
des ennemis de Dieu, des enfants du diable.
Ah, certes ! on frémit de constater le
nombre de bons chrétiens qui, au premier coup de
l'adversité, à la première épreuve un peu
douloureuse, donnent raison à l'accusateur, et se
déclarent blasés d'un Dieu qui ne garantit plus leur
bonheur, qui n'accomplit pas leur propre volonté, qui ne les
sauve plus à la manière dont ils voudraient être
sauvés. Et qui donc est capable d'agir sans que cela soit son
avantage, capable de s'oublier soi-même, capable d'amour ? En
un mot où est-il celui que Satan ne puisse accuser ? Qui nous
délivrera du Malin ? Qui fera mentir l'accusateur ? Quel est
l'homme, dans ce temple, qui ne veut que la justice de Dieu,
dût-elle lui coûter la vie, dût-elle signifier sa
propre condamnation ?
Pour confondre l'accusateur, pour faire mentir
Satan, Dieu n'a qu'un moyen: relever son défi et l'autoriser
à dépouiller Job entièrement de tout ce qu'il
avait reçu. Comme le jeune homme, s'il veut s'assurer des
sentiments de sa fiancée, devra couper court à ses
largesses, changer ses rapports avec elle et attendre. C'est une
épreuve. L'épreuve de Job, c'est la seule
possibilité de prouver à l'accusateur la foi de Job, et
ainsi de le confondre. Et c'est alors que nous assistons à
cette suite de calamités qui s'abattent sur le patriarche, et
à l'effroyable combat qui se livre dans le coeur du
malheureux. Va-t-il blasphémer ou, malgré tout, rendre
gloire à Dieu ?
Mais nous ne nous arrêterons pas à
Job pour l'instant, car le dépouillement de Job, son
épreuve, comme celle de tous les témoins de Dieu dans
la Bible, n'est point là pour elle-même mais pour
annoncer un autre dépouillement, l'épreuve unique et
totale du Fils de Dieu, sur la croix. Dépouillement
nécessaire, encore une fois; il faut que Jésus soit
rejeté, il n'y a pas d'autre moyen pour le Dieu tout-puissant
de vaincre l'accusateur: car tant que tout n'est pas consommé,
tant que Jésus n'a pas rendu le dernier soupir, Satan demeure
à son poste pour prétendre : « Oh, tu ne l'as pas
encore éprouvé jusqu'au bout, continue et tu verras
s'il ne t'échappe pas pour finir.» Tant que Jésus
n'est pas mort, Satan peut espérer qu'il descendra de la
Croix, qu'il se sauvera lui-même et il met tout en oeuvre pour
cela (si tu es Fils de Dieu descends de la croix!). Oui, tant que
Jésus respire, Satan respire; il peut maintenir la
vérité de son réquisitoire, il peut affirmer que
pas un homme ne préfère Dieu à sa propre vie.
Tant que Jésus respire, Satan peut vaincre, peut avoir raison.
Mais à l'instant où Jésus expire, où il
s'anéantit lui-même, l'accusateur est
précipité, car son réquisitoire est faux.
«Maintenant est venu le règne de Dieu et le pouvoir de
son Christ. »
Cette grande voix que nous entendons dans
l'Apocalypse n'est que l'écho dans l'éternité du
cri que Jésus pousse en expirant. Satan est vaincu par le sang
de l'Agneau. Par sa mort, Jésus a fait mentir l'accusateur. Il
est venu pour cela, pour faire mentir Satan et pouvoir devenir ainsi,
devant la face du Père, notre avocat. Car Jésus peut
nous défendre (non pas que notre cause soit défendable,
elle est perdue), mais parce que, de notre cause perdue, il fait sa
propre cause, parce qu'il nous attribue sa mort, sa victoire sur
Satan, son obéissance. Il parle en notre faveur. Il parle de
nous comme de Lui. Il affirme que tout ce qu'il a fait, c'est nous
qui l'avons fait. Il prétend que tout ce qu'il a
été, c'est nous qui le sommes. «Je me sanctifie
moi-même pour eux » (Jean 17. 19). Voilà notre
avocat. Voilà l'intercession de l'Agneau qui offre à
Dieu sa propre vie pour la nôtre. Voilà notre unique
espérance, notre seule chance d'échapper à
l'accusateur. Sans la Croix, sans cette offrande perpétuelle
que Jésus fait à Dieu de sa vie, Satan dit la
vérité, le père du mensonge a raison: nous
sommes vaincus et qui pis est Dieu est vaincu. Dieu ne peut pas se
faire aimer quoi qu'il fasse. La création tout entière
appartient à son adversaire.
C'est donc bien le sang de l'Agneau,
c'est-à-dire la réalité de la mort de
Jésus, qui est la victoire éternelle sur le diable. Et
c'est elle qui nous donne la victoire. C'est par elle que nous sommes
vainqueurs. «Ils ont vaincu l'accusateur par le sang de l'Agneau
», dit notre texte. Ce n'est point par une vertu ou une
piété particulière ou par une force de
caractère spéciale que Job tient bon et glorifie Dieu,
au travers d'indicibles souffrances, c'est par le sang de l'Agneau,
par la foi en celui qui s'est dépouillé sur la croix.
Si tous les témoins bibliques aiment Dieu alors même que
tout devrait le leur faire détester, alors même qu'ils
sont accablés outre mesure, c'est uniquement parce qu'un autre
a fait mentir Satan une fois pour toutes. Jésus a convaincu
l'accusateur d'être le père du mensonge et l'a
précipité, c'est pourquoi nous pouvons nous aussi par
la foi en son sang le convaincre de mensonge. Satan nous accuse mais
il ne peut plus dire la vérité, si nous croyons en
Jésus-Christ.
Et si nous témoignons : «Ils l'ont
vaincu par la Parole de leur témoignage » si nous
confessons que notre Dieu n'est pas un distributeur de
médailles d'or ou de privilèges, mais qu'il est sur la
croix, dépouillé de tout, au comble de la faiblesse,
incapable de rien nous accorder, si notre Seigneur n'est vraiment
qu'un agneau immolé, un condamné à mort, il
n'est plus possible que ce soit à son argent, à sa
puissance que nous en voulions. L'agneau immolé, Jésus
sur la croix, ce n'est vraiment qu'à lui que nous allons. Il
n'est plus là que lui-même sans rien d'autre. Et c'est
pour rien, c'est-à-dire pour l'amour de lui que nous le
servons, et non pour des avantages. Ceux qui rendent
témoignage au crucifié, ceux qui affirment
sincèrement appartenir à ce misérable, Satan ne
peut pas prétendre qu'ils le font pour avoir une belle
situation et recevoir des faveurs. - La belle affaire que de se
compromettre avec celui qui meurt comme un criminel. Le bel avantage,
en vérité! C'est pourquoi l'accusateur est confondu par
le témoignage que les hommes rendent à l'Agneau. Il ne
peut plus rien dire. Il n'a plus aucun pouvoir sur eux. Ils ont
vaincu Satan, non pas seulement par le sang de l'Agneau, en sachant
que Jésus l'avait vaincu, mais ils l'ont vaincu doublement en
quelque sorte, en osant témoigner que le Dieu de toute
grâce et de toute bénédiction était pour
eux dans cet homme agonisant et maudit. Partout où l'on
témoigne que Jésus est l'Agneau de Dieu, la grande voix
retentit.
Ainsi ce passage jette sur notre existence une
lueur singulièrement dramatique; la plus plate, la plus
quelconque de nos vies prend une allure inaccoutumée et un
retentissement qui laisse loin derrière lui celui « des
grands procès de l'histoire».
Nous avons tous, petits et grands, devant la
face du Juge, un Accusateur et un Avocat, qui parlent de nous.
Forcément l'un dit vrai et l'autre faux. Mais lequel ? Cela
dépend, en ce moment et à tous les moments, de notre
foi ou de notre incrédulité, de notre témoignage
ou de notre silence. N'oubliez donc jamais l'actualité de ce
procès. N'oubliez pas que Satan nous accuse jour et nuit,
qu'il ne prend pas de vacances, qu'il ne se relâche pas, et
qu'il s'agit donc de ne pas nous relâcher non plus, mais de le
vaincre jour et nuit par le sang de l'Agneau. En cet instant c'est
notre culte qu'il s'acharne à détruire: « Tu as un
bel auditoire aujourd'hui. Trié sur le volet. 0 Dieu,
félicitations! Belle jeunesse! Mais crois-tu que ces gens
soient venus pour t'écouter et pour t'obéir ? Les uns
sont là par pure habitude, et pour accomplir leur devoir
religieux, les autres parce qu'ils ont un beau-frère ou une
cousine à rencontrer, les autres parce que c'est une
distraction ou la mode, les autres parce qu'ils ont peur de la guerre
et qu'ils tremblent, les autres enfin parce qu'ils aiment à se
laisser bercer par des paroles pieuses et pensent «qu'en tout
cas cela ne fait pas de mal» - mais pour t'écouter, mais
pour se mettre à tes ordres, mais pour que tu changes leur
coeur ? Pas un, sois tranquille!»
Eh bien, ces paroles n'ont plus de quoi nous
effrayer. Toutes ces vérités (car ce sont des
vérités), vous pouvez en ce moment en faire des
mensonges, par le sang de l'Agneau. Oui, vous pouvez tous en ce
moment, par la foi en Jésus-Christ, mais seulement par elle,
vaincre l'accusation. Car Jésus notre défenseur prend
la parole et déclare: «Non, ce sont mes frères,
ceux pour qui je suis mort, ceux à qui j'ai donné ma
vie. Ils sont venus pour t'écouter et pour t'obéir,
ô Père, pour que ton règne vienne et que ta
volonté soit faite sur la terre. Ils ne veulent que ta justice
et ta gloire. » Et cela est vrai si nous croyons en lui; tout ce
qu'il dit de nous s'accomplit s'il est notre vie. Alors il est vrai,
oui vrai, que nous aimons Dieu, que nous voulons premièrement
son royaume. C'est bien de nous qu'il est dit aujourd'hui: « Ils
ont vaincu l'accusateur. Ils n'ont point aimé leur vie.»
Et c'est maintenant que vient le salut et le règne de notre
Dieu et le pouvoir de son Christ. Il suffit que Satan mente, il
suffit que par la mort de Jésus-Christ nous le fassions
mentir, pour que le ciel soit plein de joie, pour que le Royaume des
cieux s'approche, pour que nous soyons remplis de toute la
plénitude de Dieu. Amen.