L'Avertissement
La Parole de l'Eternel me fut
adressée en ces termes: Fils de l'homme, parle aux enfants de
ton peuple, et dis-leur: Quand j'envoie l'épée pour
ravager un pays, les habitants de ce pays choisissent l'un d'entre
eux pour le placer comme sentinelle. Celui-ci, voyant venir
l'épée sur le pays, sonne de la trompette pour avertir
le peuple. Alors, si celui qui entend le son de la trompette ne se
tient pas sur ses gardes et si l'ennemi le surprend, le sang de cet
homme retombera sur sa tête; car il a entendu le son de la
trompette, et il ne s'est pas tenu sur ses gardes. Son sang retombera
sur lui. Mais s'il se tient sur ses gardes, il sauvera sa vie. Si la
sentinelle voit venir l'épée et ne sonne pas de la
trompette, en sorte que le peuple ne se tienne pas sur ses gardes; et
que l'épée vienne enlever la vie à l'un ou
à l'autre, celui-ci aura péri à cause de son
iniquité mais je demanderai compte de son sang à la
sentinelle.
Eh bien, Fils de l'homme, je
t'ai établi pour servir de sentinelle à la maison
d'Israël; écoute la parole de ma bouche, et avertis les
Israélites de ma part. Lorsque je dis au méchant:
« Méchant, tu mourras certainement!» - si tu ne dis
rien pour détourner le méchant de sa mauvaise conduite,
ce méchant mourra à cause de son iniquité mais
je te demanderai compte de son sang. Si au contraire tu avertis le
méchant pour le détourner de sa mauvaise conduite et
qu'il ne s'en détourne pas, il mourra à cause de son
iniquité mais toi tu auras sauvé ta vie.
Fils de l'homme, dis à
la maison d'Israël: Vous parlez ainsi et vous dites: «
Puisque nos forfaits et nos péchés pèsent sur
nous et que nous dépérissons à cause d'eux,
comment pourrions-nous subsister ?» Dis-leur: Aussi vrai que je
suis vivant, dit le Seigneur, l'Eternel, je prends plaisir, non pas
à la mort du méchant, mais à sa conversion et
à son salut. Détournez-vous, détournez-vous de
la mauvaise voie que vous suivez ? Pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël?
Ezéchiel 33. 1-11
Les sentinelles qui montent la garde sur les
remparts de Jérusalem aux frontières de l'histoire
humaine et de l'éternité, ont à combattre sur
deux fronts. Tournées vers Dieu, elles lui parlent du monde.
Elles ne renoncent pas à Dieu pour le monde. Elles ne laissent
pas Dieu se reposer. Elles luttent avec celui qui tarde à
venir. En un mot, elles intercèdent.
Mais aussi, tournées vers les hommes,
elles leur parlent de Dieu. Elles luttent avec leur repos, avec leur
sommeil au nom de celui qui vient. Elles avertissent les hommes de ce
qui doit arriver, inéluctablement. Elles sont établies
pour mener conjointement ces deux luttes, avec Dieu dans
l'intercession, avec les hommes dans le témoignage et la
profession de foi. Ce sont les deux fronts de la même lutte, de
la lutte de toute Eglise vivante pour le salut du monde et pour la
gloire de Dieu - pour préparer le chemin du Seigneur. Nous
nous porterons sur ce front aujourd'hui pour écouter ce que
Dieu y attend de nous. « Fils de l'homme, je t'ai établi
sentinelle. Ecoute la parole de ma bouche et avertis les
Israélites de ma part.»
Quel est cet avertissement ? Il est simple et
rude et sommaire. C'est un avertissement de vie et de mort ! «
Méchant ! tu mourras certainement !» Est-ce là ce
qu'il faut dire ? Est-ce là votre Dieu ? Un tyran qui menace.
La sentinelle a plutôt l'air d'un gendarme. Et il y a une
manière bien déplorable pour les chrétiens
d'annoncer le jugement et de dire aux autres que Dieu les punira, de
le faire sans amour et sans une vraie et personnelle connaissance du
jugement. Pour annoncer la mort de la part de Dieu à
l'incrédule, au pharisien, il faut que cette mort, Dieu nous
l'ait révélée, que nous ayons passé par
elle, que nous ayons ,saisi à la lumière de Sa parole
et de Sa justice, la correspondance intime, la liaison
inéluctable du péché et de la mort. Car le
péché est une semence de mort, il contient la mort
comme la graine contient le fruit. Le mensonge, la convoitise, la
trahison produisent leur moisson. La mort pousse tout doucement dans
notre désobéissance, comme un enfant dans le sein de sa
mère. Et un beau jour elle est là, le
péché a enfanté la mort. Les incrédules
que nous sommes tous ne peuvent pas plus échapper à la
mort, qu'une femme ne peut échapper à la naissance de
l'enfant qu'elle a conçu. Un monde où la parole
donnée n'a pas de valeur absolue, ne peut pas plus
échapper à la guerre et à la
décomposition qu'une graine ne peut échapper à
son fruit. Nous avons beau être bien vivants et animés
et remuants, Dieu nous voit tels que nous sommes : morts dans nos
fautes. Méchant, tu mourras certainement. Voilà ce
qu'une sentinelle doit comprendre. Mais il ne suffit pas qu'elle le
comprenne pour elle-même, si elle ne l'a pas compris pour les
autres. Nous ne sommes pas sauvés de la mort, si nous
consentons à celle des autres. Nous n'avons pas
écouté vraiment la Parole de l'Eternel, si nous la
gardons pour nous. Si tu ne dis rien pour détourner le
méchant, il mourra... Mais je te demanderai compte de son
sang.
Si tu ne dis rien! Quel jugement sur nous
tous!
Quel jugement sur l'Eglise qui ne reproche rien
au méchant et garde pour elle le secret du salut. Combien de
fois et dans combien de pays l'Eglise a-t-elle voulu se sauver par
son silence, et s'est-elle tue par prudence devant l'injustice. La
méchanceté des faibles, les fautes des vaincus,
celles-là on les dénonce toujours assez facilement.
Mais celles des forts, des puissants, des vainqueurs, on les admet
silencieusement quand on ne leur cherche pas même des excuses.
Quoi qu'il en soit, que nous nous taisions par paresse, ou par peur,
notre silence est un crime, notre silence remet en question notre
propre salut : «Je te demanderai compte de son
sang.»
Une telle parole nous fait mesurer combien peu
nous avons pris au sérieux notre fonction de sentinelle, et
combien il est grave d'être chrétien. Ainsi Dieu
pourrait demander compte à son Eglise de la défaite de
la France. Il pourrait lui demander compte de tout ce sang, de toute
cette désolation, de toutes ces ruines. Il pourrait demander
compte à chacun de nous du malheur de notre prochain, de sa
chute, de son désespoir, de sa révolte. Pas
forcément: il se peut que nous avons fait ce qu'il fallait,
que nous ayons sonné de la trompette. Mais la question doit
bien être posée. Les quelques millions de soi-disant
chrétiens qui vivaient dans ce pays, dans les usines, dans les
champs, dans les affaires, dans la politique, qu'ont-ils dit poux
avertir, pour alarmer ? Et aujourd'hui que disons-nous, chacun de
nous à notre place, devant la lâcheté,
l'injustice, la mauvaise foi, l'avarice, devant la mort qui pousse
partout comme une plante ? Avons-nous la parole de vie et de mort
pour les hommes, ou seulement de vagues désapprobations.
Torpeur ou peur ? La sentinelle dort-elle ou craint-elle d'être
mal reçue en faisant quelque bruit ? Ou pense-t-elle qu'il
suffit de s'abriter elle-même ?
«Si tu ne dis rien... je te demanderai
compte de son sang.» Voyez qu'au moment même où
l'Eglise veut se mettre à l'abri dans son silence, garder pour
elle le compromettant secret de la mort et de la vie
éternelle, dès qu'elle veut se reposer ou se sauver en
se retirant du monde, en renonçant aux hommes, non seulement
elle les perd en ne les avertissant pas, mais elle se perd
elle-même, elle perd cette vie qu'elle veut garder pour elle,
cette justice et cette vérité dont elle ne proclamerait
plus l'existence absolue, universelle. Tout silence de l'Eglise
devant l'iniquité commise, notre silence à chacun de
nous devant l'égarement de notre prochain est une
complicité, une contribution à cette iniquité.
Tu as laissé cet homme, tu as laissé ce pays se donner
la mort devant toi sans ouvrir la bouche, tu as contribué
à sa mort ! Tu connaissais la source d'eau vive et tu ne la
lui as pas indiquée ! Cain, qu'as-tu fait de ton frère
? Qu'as-tu fait de ta famille ? Qu'as-tu fait de ton pays ? Tu as
craint qu'une parole te coûte la vie, et c'est ton silence qui
t'a coûté la vie.
Mais ce n'est pas l'épée, mais ce
n'est pas la mort que voient venir les sentinelles. Ou plutôt
cette mort certaine, cette nuit qui tombe sur le monde de notre
méchanceté, c'est l'envers du jour qui se lève,
de la vie qui vient. S'il y a mort et désolation certaines
pour l'incrédule et pour la sentinelle qui s'endort, c'est
parce qu'il y a vie, lumière et joie certaines pour celui qui
témoigne et qui écoute. Ce n'est pas parce que la mort
vient qu'il faut avertir les hommes, mais parce que le Seigneur vient
et que c'est vraiment la mort de ne pas l'attendre, et que c'est
vraiment le désespoir de ne pas compter sur lui, et que c'est
vraiment l'injustice que de n'avoir pas soif de sa justice pour tous
les hommes. Si nous parlons de mort aux hommes, c'est pour qu'ils ne
meurent pas, c'est pour qu'ils prennent courage et qu'ils se
lèvent, et non pour qu'ils s'asseoient dans un châtiment
stérile et répètent : «Puisque nos forfaits
et nos péchés pèsent sur nous et que nous
dépérissons à cause d'eux, comment
pourrions-nous subsister ? » Assurément il n'est pas
possible de subsister, il n'y a pas de salut sur la voie que nous
suivons. Mais notre subsistance et notre vie sont là, au
dehors, dans le Dieu vivant qui n'annonce la mort que pour la chasser
et la nuit que pour la dissiper : «Aussi vrai que je suis
vivant, dit le Seigneur, l'Eternel, je prends plaisir, non pas
à la mort du méchant, mais à sa conversion et
à son salut. Détournez-vous, détournez-vous de
la mauvaise voie que vous suivez ! Pourquoi mourriez-vous, ô
maison d'Israël? »
C'est là toujours ce qu'on oublie: ce
n'est pas Dieu qui nous fait mourir, c'est notre péché
qui nous fait mourir. Ce n'est pas Dieu qui donne la mort, c'est le
péché qui nous donne la mort. Dieu fait vivre. Dieu
donne la vie, il ne donne que la vie. Dieu veut notre vie. Il ne veut
que notre vie. C'est là tout son plaisir, c'est là
toute sa joie. Cette mort que les sentinelles annoncent, c'est la
mort que Dieu ne veut pas pour nous. C'est la mort qui ne lui fait
pas plaisir. C'est la mort dont il souffre plus que nous. Nous nous
consolons si facilement du malheur des autres, nous prenons si
facilement notre parti de leur détresse et de leur mort. Mais
Dieu est inconsolable de notre méchanceté. Il ne peut
prendre son parti de notre mort. Il ne peut se résoudre
à nous perdre, à perdre aucune de ses créatures.
C'est ainsi qu'est notre Dieu. La joie de Noël, n'est rien
d'autre que la joie qu'il prend à nous sauver. Noël, ce
sera la révélation du plaisir de Dieu, de cette joie
dans le ciel pour un pécheur qui se repent, pour une brebis
que le berger ramène sur ses épaules. Connaître
Dieu, c'est entrer dans sa joie, c'est devenir celui qu'il sauve,
celui qu'il arrache à la mort. Comment il le fera, comment il
accomplira ce salut du méchant, ce n'est pas le lieu encore
d'en parler. C'est la grande oeuvre qui se prépare. Mais
déjà le prophète nous y prépare en nous
appelant: «Détournez-vous de la mauvaise voie que vous
suivez pour prendre la route que Dieu lui-même va tracer.
» Car il va rompre pour nous l'infernal enchaînement du
péché et de la mort. Il ne nous sauvera pas dans notre
méchanceté, il nous sauvera de notre
méchanceté. Il n'est pour nous de salut qu'en dehors de
ce que nous sommes, et sur un autre chemin que celui que nous
suivons. Ce qui va commencer, ce sera la fin des choses anciennes, la
fin de tout ce qui fait pleurer, la fin de tout ce qui fait mourir.
Prenez-y garde ! Il n'y a pas de Dieu et pas de vie, point de
Noël pour vous hors de cette conversion, de ce changement. Il ne
peut y avoir que la mort, l'absence de Dieu, devant notre
incrédulité. La lumière du Sauveur qui vient,
c'est une lumière qui vraiment dissipe toute obscurité.
La joie de Noël ne vient pas couronner notre vie, mais la
transformer et la bouleverser. Dieu ne vient pas aplanir notre route,
mais nous en faire prendre une tout autre. Noël, c'est le choix
de la vie ou de la mort.
Nous réalisons mal ce qu'implique
d'attendre Noël et c'est pourquoi nous l'attendons si peu
sérieusement. Vraiment sommes-nous prêts à ce que
tout change ? Est-ce que nous attendons Jésus-Christ comme le
changement, le renouvellement de toutes choses ? Est-ce que nous
l'annonçons ainsi, comme un chemin nouveau ? Et les
apôtres plus tard en annonçant le Sauveur
ressuscité n'ont rien trouvé de plus à dire que
ce: «repentez-vous ! » c'est-à-dire: « soyez
ceux que Dieu sauve! » Ceux à qui Dieu donne la vie de
son Fils ! Ceux qui savent que Dieu seul veut leur bien et le bien de
tout homme.
Sentinelles, il faut empêcher les hommes
de mourir. Il faut empêcher le pays de périr dans
l'ignorance du plaisir de Dieu, dans l'inconscience de la bonne
nouvelle que Dieu prend plaisir à nous sauver et que toute
l'histoire du monde, cette pitoyable et lamentable histoire de la
méchanceté des hommes n'est que l'attente et la longue
patience de Dieu qui ne se résoud pas à la mort de ses
ennemis, et qui ne peut les sauver sans les détourner de leur
injustice. Il faut que cette question nous dévore : «
Pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël ?»
C'est nous qui demandons d'ordinaire pourquoi
nous mourons. Aujourd'hui c'est Dieu qui nous le demande, à
chacun de nous, à notre Eglise, à notre pays, à
notre monde. Pourquoi mourriez-vous puisque Dieu veut votre vie,
puisque Dieu n'a aucun plaisir au mal que vous vous faites, puisqu'il
tient votre salut dans sa main ?
Pourquoi seriez-vous tristes quand le Sauveur
est proche ? Pourquoi dormiriez-vous quand le soleil se lève ?
Pourquoi ne regardez-vous que vous-même quand Jésus va
paraître ? Notre mort n'est pas ce que Dieu veut. Elle n'est
que l'ignorance du salut que Dieu veut pour nous et qu'il nous
prépare.