Aux pieds du
Maître
AVANT-PROPOS.
La campagne ardente
d'évangélisation du Sâdhou
Sundar Singh en Suisse, pendant le mois de mars
1922, a éveillé partout une profonde
affection pour lui. Il n'est pas étonnant
que le public, après la publication des
discours de cet apôtre (1), ait
réclamé avec insistance le petit
volume At the Maiter's feet, Aux pieds du
Maître.
Le Sâdhou a
laissé derrière lui une trace
lumineuse. Il a vivement intéressé
ses auditeurs par tout ce qu'il leur a appris sur
le monde religieux de l'Inde, mais il les a saisis
par le rayonnement de sa personne et par sa
conception de la religion chrétienne. Il y a
eu là, pour plusieurs, une vraie
révélation. Joie inaltérable,
dans la pauvreté et la souffrance pour
Christ, paix profonde, charité vivante,
amour personnel pour Dieu et pour le Sauveur,
piété qui est une
réalité constante, tels sont
quelques-uns des traits de cette religion nouvelle
pour nous. Le Sâdhou aime Jésus-Christ
comme peu d'hommes l'ont fait, car
Jésus-Christ occupe la place centrale dans
sa vie.
La religion du
Sâdhou est celle du coeur plus que de la
tête. Cette attitude est une réaction
contre l'intellectualisme religieux qui nous perd,
contre la religion apprise,
mémorisée, objet de discussions,
à laquelle un grand nombre d'hommes
s'arrêtent. M. le professeur Streeter,
d'Oxford, a consacré à cette question
une étude pénétrante dont
voici quelques lignes : (2) «
L'antithèse, l'opposition, entre le coeur et
la tête occupe à peu près la
même place, dans les enseignements du
Sâdhou, que l'antithèse entre la foi
et les oeuvres dans les enseignements de saint
Paul, et cela pour des raisons analogues. Tous deux
expriment ainsi leur attachement à
Jésus-Christ, mis au centre de la vie, ce
qui est pour eux l'essence de la religion ; d'autre
part, il y a là une vigoureuse
réaction contre la philosophie religieuse de
leur temps, dont ils se sont dégagés.
Pour saint Paul, la foi est l'amour suprême
du croyant pour le Sauveur, le mouvement de
l'âme qui tend à s'unir à lui.
Le même amour, le même élan de
l'âme est le fait du Sâdhou quand il
dit : « Donnez votre coeur à Christ ;
laissez-le prendre possession de votre être.
» Saint Paul a souffert du légalisme
juif qui conçoit Dieu essentiellement comme
un juge et comme un être qui vit en dehors du
monde. Le Sâdhou avait appris à
connaître Dieu dans la philosophie hindoue
comme la Vie universelle, répandue dans la
création, mais étrangère au
coeur de l'homme. Par oeuvres, saint Paul entend la
doctrine du salut qui dépend d'observances
rituelles ou morales méticuleuses. Par la
tête, le Sâdhou entend une doctrine du
salut par la connaissance. « J'ai
rencontré, dit-il, un Sanyasi hindou qui
disait : Inana-marga, c'est-à-dire. la
Connaissance est nécessaire au salut. je lui
ai répondu que, pour apaiser la soif, il est
nécessaire d'avoir de l'eau, mais non pas de
savoir qu'elle se compose d'oxygène et
d'hydrogène. Certains Sanyasis hindous sont
des savants, mais ils n'ont pas la paix.
»
Le Sâdhou ignorait,
quand l'expérience de Jésus-Christ
lui révéla ces vues fécondes,
qu'il entrait dans la voie où les
défenseurs modernes du christianisme les
plus pénétrants se sont
engagés : Pascal, Schleiermacher, Vinet.
Mais il savait qu'un plus grand les avait
proclamées dans l'Evangile: « Tu as
caché ces choses aux sages et aux
intelligents, mais tu les as
révélées aux enfants.
»
Jésus-Christ
aimé par le coeur, et saisi par la
conscience ! Jésus-Christ suivi avec
adoration sur le chemin de l'obéissance, du
sacrifice et de la charité, n'est-ce pas le
secret de tous les grands réveils ! Il en
fut ainsi à la Pentecôte, chez les
auditeurs de saint Pierre, puis chez ceux de saint
Paul et de saint Jean ; il en fut ainsi à la
Réformation et dans le réveil du
commencement du dix-huitième siècle ;
Zinzendorf n'avait qu'une passion :
Jésus-Christ ! Il en est ainsi aujourd'hui
dans des milliers d'âmes humbles et
fidèles ! - Par contre, Jésus-Christ,
discuté, contesté, sommé de
livrer les titres les plus intimes de son
autorité, c'est le propre des milieux que la
sécheresse envahit, depuis les pharisiens du
premier siècle, jusqu'à certains
psychanalystes profanes de notre temps.
Aux pieds du
Maître, nous apporte l'écho des
méditations et des prières intenses
du Sâdhou, sous la forme d'entretiens entre
le Maître et son disciple. L'imitation de
Jésus-Christ avait déjà
adopté cette forme dialoguée. Le
lecteur retrouvera dans ce volume quelques-unes des
paraboles entendues dans les discours de 1922. Ces
pages seront certainement en grande
bénédiction à ceux qui ne se
laisseront pas arrêter si, par hasard, ils y
trouvent telle idée à laquelle ils ne
sont pas accoutumés. Le Sâdhou nous
les confie du fond de son âme, après
ses rencontres solennelles avec le Sauveur. Le
lecteur qui les recevra avec la même
sincérité y puisera l'abondante
richesse qui y est contenue et aura ici un livre de
chevet.
G. S.
.
PRÉFACE.
Paroles du Christ
:
Vous
m'appelez Maître et Seigneur, et vous dites
vrai, car je le suis. (Jean 13 : 13)
Chargez-vous de mon joug et
apprenez de moi, et vous trouverez le repos de vos
âmes. (Matth. 11 :29)
Rien n'est aussi beau
dans le monde que de s'élever hardiment
au-dessus de toute objection et de toute critique.
Le soleil lui-même qui nous donne la
lumière et la chaleur, n'est pas exempt de
taches. Et pourtant, malgré ses
défectuosités, il accomplit sans
défaillance son devoir quotidien ; c'est lui
aussi qui nous met en état, dans la mesure
de nos capacités, d'accomplir le travail qui
nous a été confié.
Quand les questions
traitées dans ce petit livre m'ont
été révélées par
le Maître dans de nombreuses paraboles,
(Matth. 13 :34-35) elles exercèrent une
influence profonde sur ma vie. Quelques-unes
d'entre elles ont été
répétées dans mes
prédications et allocutions, en Europe, en
Afrique, en Amérique, en Australie et en
Asie. Maintenant, à la demande de nombreux
amis, je les confie à l'impression. Quoique,
sans doute, leur rédaction présente
des défectuosités, ce qui provient de
mon manque d'instruction et de pratique, je suis
sûr que ceux qui les liront sans
prévention et avec prière, y
trouveront du bien. Il m'aurait été
impossible d'exposer ces enseignements tout
spirituels, sans le secours de paraboles, mais par
ce moyen-là, il m'a été
relativement facile de les fixer par écrit.
je demande à Dieu que, dans sa grâce
et sa bienveillance, il veuille bien les
bénir pour le lecteur, tout comme il l'a
fait pour moi.
Votre humble
serviteur,
1er mars 1921. Sundar
Singh.
.
INTRODUCTION
Première
Vision.
Par une nuit obscure, je
sortis seul pour prier dans la jungle, et pendant
que j'étais assis sur un gros rocher, je
présentai mes besoins à Dieu et
j'implorai son secours. Après un instant, je
vis un homme pauvre qui venait vers moi. je
supposai qu'il souffrait de la faim et du froid, et
venait me demander un secours ; je me levai alors
et lui dis que j'étais moi-même un
pauvre mendiant qui ne possédait rien sinon
une simple couverture ; qu'il valait mieux pour lui
se rendre en ville et demander aux gens ce dont il
avait besoin. A peine avais-je prononcé ces
mots, qu'il brilla subitement comme un
éclair et disparut en laissant
derrière lui une bénédiction
pareille à des gouttes de pluie sur un
terrain desséché. Hélas ! La
vérité se fit jour ! C'était
mon cher Sauveur qui était venu à
moi, non pas pour recevoir, mais pour me donner,
à moi, pauvre, misérable, et pour
m'enrichir (2 Cor. 8 : 9). Songeant alors à
ma folie et à ma
légèreté, je répandis
d'abondantes larmes.
Deuxième
vision.
Un autre jour, mon
travail étant terminé, je retournai
dans la même jungle pour prier ; je m'assis
sur le même rocher, et pensai à la
prière que j'allais faire. J'en étais
là de mes réflexions, lorsqu'un autre
personnage se présenta. Ses manières
et toute son attitude indiquaient qu'il
était de caractère noble et pieux,
mais il y avait pourtant quelque chose de
rusé dans ses yeux et de diabolique dans son
accent. Il m'aborda en ces termes : «
Maître ! pardonne-moi si je trouble ta
solitude et tes prières, mais c'est un
devoir de chercher le bien des autres ; je suis
venu vers toi, car ta vie si pure et si
dévouée m'a fait une profonde
impression. Nombre d'autres personnes qui cherchent
Dieu éprouvent envers toi un sentiment
analogue. Néanmoins, tu es loin d'être
suffisamment honoré, toi qui as
consacré ton coeur et ton âme au bien
des hommes. Voici mon sentiment : ta conversion au
christianisme a exercé une influence sur
quelques milliers de chrétiens, mais elle ne
s'étend pas au-delà, et même
quelques-uns d'entre eux te regardent avec
défiance. Ne vaudrait-il pas mieux pour toi
devenir le chef de tes compatriotes, en restant
hindou ou musulman ? Tout une partie de notre
peuple est à la recherche d'un chef. Si tu
acceptais mon conseil, nous verrions bientôt
des milliers et des milliers d'Hindous et de
Musulmans dans l'Hindoustan devenir tes sectateurs
et t'adorer ! »
En entendant ces
suggestions, les paroles du Seigneur
montèrent spontanément à mes
lèvres : « Arrière de moi, Satan
! je savais bien que tu es un loup qui te
déguises en brebis. Tu désires, que
je quitte la vole étroite, que j'abandonne
la croix et la vie éternelle, pour prendre
la voie large qui mène à la mort. Le
Seigneur est ma récompense, Lui qui a
donné sa vie pour moi ! C'est mon devoir
absolu de me sacrifier avec tout ce que je
possède pour lui, car il est tout pour moi.
Ainsi, va-t'en, car je n'ai rien de commun avec toi
! » Entendant cela, il fut effrayé et
disparut en grommelant. Alors, dans mon
émotion, il me fut impossible de retenir mes
larmes, et je priai Dieu en ces mots : « 0 !
Seigneur Dieu, qui es tout, en tous lieux, pour
moi, vie de ma vie, esprit de mon esprit, aie
pitié de moi, et remplis-moi tellement de
ton saint Esprit et de ton amour, qu'il n'y ait
place pour quoi que ce soit d'autre que toi dans
mon coeur. je ne désire aucune
bénédiction, mais je te désire
toi-même, toi de qui descendent toute
bénédiction et toute vie. je ne
demande ni le monde, ni ses pompes ni sa gloire, je
ne demande pas même le ciel, mais je te
demande toi ; car où tu es, là est le
ciel ! C'est en toi seul que je trouve la paix et
l'abondance pour mon coeur. Toi-même, ô
Créateur ! Tu as créé ce coeur
pour toi et non pas pour aucune créature
quelconque! C'est pourquoi ce coeur ne peut trouver
de repos nulle part sinon en toi, en toi seul,
ô Père, qui as mis en moi cette soif
de paix. Arrache de ce coeur tout ce qui est
contraire à toi, demeures-y, et dirige-le
toi-même! Amen. »
Lorsque je me relevai,
après avoir prononcé cette
prière, que vis-je ? Un être de
lumière, glorieux, et d'une beauté
extrême, se tenait devant moi. Quoiqu'il ne
prononçât pas une parole, et que je
fusse incapable de le voir nettement, à
cause des larmes qui remplissaient mes yeux, un
flot d'amour s'échappait de sa personne, et
une lumière abondante se répandit
dans mon âme. je reconnus
immédiatement mon cher Sauveur ; je me levai
du rocher et tombai à ses pieds. Il tenait
désormais la clé de mon coeur ; il en
ouvrit la porte avec cette clé, qui est
faite d'amour, et il me remplit de sa
présence. Où que ce fût, en moi
ou autour de moi, je ne voyais plus que lui. Il
était enfin évident que le coeur de
l'homme est le trône et la citadelle de Dieu.
Lorsqu'il lui plaît d'habiter en un coeur,
les cieux et le royaume de Dieu commencent à
s'y trouver. En quelques instants, il me remplit
tellement et -me révéla de telles
merveilles, que même si on en
,écrivait des livres, on ne pourrait pas en
donner une idée exacte. La langue du ciel
est seule suffisante pour exprimer les
réalités du ciel. Les langues de la
terre sont insuffisantes pour rendre compte de ces
merveilles ! Quoi qu'il en soit, je ferai mon
possible pour mettre par écrit quelque chose
de ce que le Seigneur m'a accordé dans ces
visions. Il prit place sur ce même rocher sur
lequel je m'étais assis auparavant ; je me
mis à ses pieds et lui adressai mes
questions. Ainsi, par questions et réponses,
l'entretien se poursuivit entre le Seigneur et son
disciple !
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