HISTOIRE DES VAUDOIS.
CHAPITRE
XVI.
PREMIÈRES
PERSÉCUTIONS CONNUES CONTRE LES VAUDOIS DU
PIÉMONT, AUX XIVe ET XVe SIÈCLES.
Le nombre des Vaudois en
Dauphiné et en Piémont. - L'inquisition
à l'oeuvre. - Effets. - Persécution sous
Clément VI. - Trop lente au gré de
Grégoire XI. - Représailles des Vaudois. - La
persécution continue. - Borelli contre Suse et val
Pragela. - Ravages. - Persécution de Veleti. -
Vaudois brûlés à Coni. - Ordres de
Iolanta. - Martyrs. - Croisade de Capitaneis. -
Préparatifs. - Marche suivie. - Attaque contre les
Vallées. - Résultats. - Paix accordée
par Charles II. - Vaudois de la vallée de Pô,
persécutés en 1500.
Les Églises d'origine vaudoise
étant en ruine dans le midi de la France et en
apparente dissolution partout où les légats
avaient un libre accès, le moment semblait venu de
poursuivre à outrance ces défenseurs de la foi
évangélique, dans les montagnes
reculées au sein desquelles une partie
considérable d'entre eux était comme
retranchée. Ils occupaient, à moitié
distance entre Turin et Grenoble, les deux versants des
Alpes, qui s'inclinent à l'orient et à
l'occident des pies neigeux des monts Genèvre et
Viso. Leurs humbles demeures s'étageaient sur les
flancs des montagnes, se groupaient ou s'étendaient,
parsemées au fond des vallons. À l'occident,
dans le massif des hautes Alpes du Dauphiné et de la
Provence, les vallées les plus élevées
et les plus retirées étaient habitées,
en totalité ou du moins en grande partie, par des
Vaudois. Dans le diocèse d'Embrun, en particulier, il
n'en était aucune qui ne contint de leurs
Églises. Mais l'on signalait surtout la haute
vallée de la Durance et les vallons adjacents
d'Argentière, de Fraissinière et de val Loyse
ou Pute.
À l'orient, tous les
vallons et les vallées qui débouchent des
hautes Alpes dans la plaine, vers Pignerol et Saluces, ceux
qu'arrosent le Cluson et la Germanasque, le Pélice et
la Grana, affluents du Pô, et le Pô
lui-même; savoir, le val Pragela, la vallée de
Saint-Martin, le val d'Angrogne, la vallée de
Luserne, celle du Pô et celle de Bagnolo, etc.
étaient encore, et depuis des siècles, la
patrie terrestre des fidèles Vaudois du
Piémont.
C'est dans ces anciennes et
vénérables retraites de la pure foi, que le
prétendu vicaire de Jésus-Christ, sauveur du
monde et prince de, la paix, songea à porter la
cruelle persécution. Elle s'en était
déjà sans doute approchée plusieurs
fois : elle avait même fait verser bien des larmes
dans l'Embrannais et assurément aussi dans les
plaines du Piémont, quoique l'histoire s'en taise
encore. Mais l'heure était venue où elle
devait aussi éclater sur la région montapense
de l'ancien diocèse de Claude de Turin, sur le foyer
même où brillait encore le feu de la
vérité.
Le pape Jean XXII, voulant
poursuivre l'oeuvre commencée par Innocent III et le
faire avec ensemble, ordonna à Jean de Badis,
inquisiteur à Marseille, de joindre ses efforts
à ceux «Albert de Castellatio, établi
avec la même qualité en Piémont. Dans sa
bulle, datée de l'an 1332, le susdit pape
désigne à l'attention de son légat les
Valdenses ou Vaudois des vallées de Luserne et de
Pérouse. Il se plaint de l'accroissement de ces
hérétiques, de leurs fréquentes
assemblées en forme de chapitres (s'agissait-il
peut-être de leurs synodes?) dans lesquels ils se
réunissaient jusqu'au nombre de cinq cents personnes.
Il les accuse d'avoir tué le recteur Guillaume,
après la messe, sur une place qu'il nomme Villa
(1),
et de s'être soulevés contre l'inquisiteur de
Castellatio, lorsqu'il voulait exercer son office. Le
récit détaillé de ce, premier essai de
persécution contre les vallées de Luserne et
de Pérouse n'est pas parvenu jusqu'à nous.
Tout ce que l'on sait de cette expédition, qui eut
réellement lieu, c'est que de Badis réussit
à envelopper dans ses pièges Martin Pastre,
l'un des chefs vaudois, et qu'il le fit conduire à
Marseille et jeter dans les prisons. Mais, sur l'ordre du
pape, il le renvoya en Piémont, afin d'y être
jugé par Albert de Castellatio et être
exposé à la torture, si cela était
nécessaire, pour dénoncer ses complices. (De
LA MOTHELANGON, t. III, p. 217. - LÉGER, II
ème part., p. 20.)
En 1352, le pape
Clément VI chargea Guillaume, archevêque
«Embrun, et Pierre de Mont, cordelier et inquisiteur,
de faire disparaître l'hérésie. Les
seigneurs, les juges et les consuls (syndics) de la province
étaient invités à leur prêter
appui.
Mais, cette fois encore, les
résultats ne répondirent pas à
l'attente pontificale. (DE LAMOTHE-LANGON, t. III., p. 256.)
À la page 254 du même écrit, on trouve
une lettre étrange, écrite au même pape,
et qui pourrait avoir donné lieu à la
persécution qu'il entreprit après dix ans de
pontificat. Cependant, comme cette possibilité n'est
pas exprimée, nous nous contentons de signaler la
lettre.
Le pape stimulait aussi
à la persécution des hérétiques
le dauphin Charles de France, ainsi que Louis, roi de
Naples, et la reine Jeanne, sa femme. Cette dernière
circonstance vient confirmer le fait des colonies vaudoises
dans le royaume de Naples ; car, pourquoi le pape se
serait-il adressé à ce prince, si celui-ci
n'eût pas eu aussi des hérétiques dans
ses états ? L'invitation adressée à la
reine de Naples, qui possédait des terres dans le
marquisat de Saluces, voisin des Vallées, vient
ajouter une nouvelle présomption aux indications que
nous avons données de la présence des Vaudois
sur plusieurs points de ce marquisat. (DE LAMOTHE-LANGON, t.
III, p. 256. - Monumenta historae patriae, t. III, p.
860.)
Les instances de la cour
d'Avignon n'eurent pas non plus, cette fois, les
résultats qu'elle avait
espérés.
Deux ans plus tard, Jacques,
prince «Achaïe, de la maison de Savoie, ordonnait
à Balangero et à Ueto Rorengo de mettre en
prison ceux de la secte vaudoise qui avaient
été découverts dans la vallée de
Luserne (1) et dans les vallées voisines. (Histoire
de la ville, etc., de Pignerol, t. III, p.
33.)
Cependant des appels pressants
ne cessaient «être adressés par la cour
pontificale d'Avignon aux autorités
séculières pour la destruction de
l'hérésie. Mais, loin de déployer tout
le zèle requis, les magistrats et le peuple
paraissaient pencher vers l'indulgence. Grégoire XI,
écrivant, en 1373, au roi de France, Charles VI pour
se plaindre de ce que ses officiers contrariaient les
inquisiteurs dans le Dauphiné, disait : « Ils
mettent des obstacles au travail des inquisiteurs, en les
forçant à tenir leur tribunal dans des lieux
exposés aux attaques des ennemis de la foi ; en ne
leur permettant pas d'instrumenter contre les
hérétiques sans le concours des juges civils ;
en les contraignant à révéler le secret
de leurs procédures. Ils font sortir de prison les
sectaires condamnés ; ils se refusent même
à prêter le serment d'agir contre ces
opiniâtres (2).
Hâtez-vous, ajoutait-il, de remédier à
une telle conduite, sous peine de vous attirer l'indignation
des saints apôtres Pierre et Paul. » (DE LA
MOTHE-LANGON, t. III, p. 270-271.)
Si les inquisiteurs,
chargés d'extirper la fidélité
vaudoise, étaient souvent mal secondés,
cependant ils faisaient bien des victimes et causaient bien
des douleurs.
Ces rigueurs incessantes et
des violences excessives entraînèrent, en 1375,
des Vaudois à se livrer à des actes de
représailles déplorables. Ils se
jetèrent en armes sur la ville de Suse,
forcèrent le couvent des dominicains et mirent
à mort l'inquisiteur. On les accuse également
«avoir ôté la vie à un autre
inquisiteur de Turin, peut-être près de
Briqueras, à l'entrée de la vallée de
Luserne. (DE LA MOTHE-LANGON, t. III, p. 278. - Monumenta
historiae patriae t. III, p. 86 1. - RORENGO, dans
l'Histoire de Pignerol, par Massi, t. II, P.
35.)
Le grand schisme qui se forma,
en 1378, dans l'Église romaine par l'élection
de deux papes, «Urbain VI à Rome, et de
Clément VII à Avignon, ne ralentit point la
persécution. L'inquisiteur Borelli, ayant cité
vainement à son tribunal tous les habitants de
Fraissinière, de l'Argentière et de val Loyse,
en fit arrêter un grand nombre. Il fit conduire
à Grenoble et brûler vifs cent cinquante
Vaudois hommes, avec beaucoup de femmes, de filles et
même de jeunes enfants, tous de val Loyse. Des
vallées de l'Argentière et de
Fraissinière, quatre-vingts victimes, hommes ou
femmes, furent livrées au bras séculier, et
l'on mit tant de persévérance à les
punir, que souvent ils étaient exécutés
sans autre jugement qu'une déclaration de
culpabilité, fournie par le saint-office.... «
Il reste des preuves, écrit un auteur catholique, que
plusieurs prévenus n'avaient été mis en
prison que pour parvenir à s'emparer de leurs biens.
Du sang ou de l'or, ajoute-t-il, voilà ce qu'il
fallait à l'inquisition. n (DE LA, MOTHE-LANGON, t.
III, p. 289. - PERRIN, Hist. des Vaudois, p.
114.)
Le même inquisiteur,
Borelli ou Borille, est accusé d'avoir, à la
tête d'une troupe armée, sévi avec
cruauté dans Suse, et surtout d'avoir apporté
la désolation dans la vallée de Pragela ou
Cluson, au coeur de l'hiver, aux fêtes de Noël de
l'an 1400. Us historiens vaudois imputent l'odieux de cette
attaque aux gens de la vallée de Suse
(3).
Les paisibles habitants de Pragela, assaillis à
l'improviste, dans une saison où ils se croyaient
garantis par les neiges qui couvraient les cimes et las
pentes des montagnes, ne purent que s'enfuir en toute
hâte, hommes. femmes et enfants, sur les hauteurs et
sur les roches escarpées. Fugitifs, poursuivis sans
relâche jusqu'à la nuit, plusieurs
tombèrent frappés par le fer ennemi, ou
emmenés prisonniers; et «autres, encore plus
à plaindre, périrent misérablement de
faim et de froid, sur les rochers couverts de neige et de
glace. La troupe la plus nombreuse, s'enfuyant dans la
direction de Macel au val Saint-Martin, passa la nuit sur
une haute montagne, au lieu appelé encore,
aujourd'hui, l'Albergan ou refuge. Le coeur s'émeut
à la mention de leurs souffrances. Qu'il suffise de
dire, qu'au matin, cinquante pauvres petits enfants,
d'autres prétendent que ce fut quatre-vingts, furent
trouvés morts de froid, les uns dans leurs berceaux,
les autres dans les bras glacés de leurs pauvres
mères, mortes comme eux. (DE LA MOTHE-LANGON, t, III,
p. 295. - PERRIN, p. 116. - LÉGER, II ème
part., p. 7. )
Les bandes papistes, qui
avaient passé la nuit dans les maisons
abandonnées des infortunés Val-Clusons,
reprirent le lendemain le chemin de Suse, gorgées de
pillage, et saccageant tout ce qu'elles ne pouvaient
emporter. On les accuse aussi d'avoir pendu à un
arbre une pauvre et vieille femme vaudoise, Marguerite
Athode, qu'elles rencontrèrent sur la montagne de
Méane.
Cette incursion sanglante, au
bruit qui s'en répandit épouvanta les peuples
du Dauphiné et du Piémont, en même temps
qu'elle les indigna. Ils témoignèrent leurs
sentiments avec une telle énergie, que le pape
enjoignit à l'inquisiteur de modérer son
zèle et d'avoir plus de prudence, dans la crainte que
l'hérésie ne fît des progrès. Ce
mécontentement général et ces
remontrances feraient penser que la population catholique
avait souffert de cette expédition, dans laquelle on
n'avait guère songé à
l'épargner.
Il semble que la
persécution dirigée contre les Vaudois
s'amortit au début du XVe siècle, pour
recommencer vers la fin avec une nouvelle
violence.
Vers l'an 1460,
l'archevêque d'Embrun chargea le moine franciscain,
Jean Veleti ou Veilèti, de procéder contre les
réchappés de Fraissinière, de
l'Argentière et de val Loyse. Il s'acquitta de sa
mission avec tant de barbarie, avec une partialité et
une mauvaise foi telle, qu'il irrita et troubla tout le
pays, et que des plaintes furent portées contre lui
devant le roi Louis XI. Dans l'interrogatoire des
accusés, il altérait et dénaturait sans
scrupule leurs réponses à ses questions. Par
exemple, à la demande adressée à un
prévenu: Croyez-vous qu'après que les paroles
sacramentelles ont été prononcées par
le prêtre en la messe, le corps de Christ soit dans
l'hostie? si le Vaudois répondait : Non, Veleti
écrivait ou dictait: L'accusé a
confessé qu'il ne croyait point en Dieu. Ce
prêtre inique fit passer par le feu plusieurs
fidèles disciples du Seigneur. (DE LA MOTHE-LANGON,
t. III, loco citato. )
Sous le gouvernement de Louis
de Savoie, entre 1440 et 1465, vingt-deux personnes
dénoncées comme gazares ou vaudoises furent
brûlées à Coni, comme relaps. Elles
étaient de Bernezzo (Burnecium), ville du voisinage,
dans laquelle, selon l'expression d'un auteur catholique
piémontais, pullulait l'hérésie des
pauvres de Lyon. Nous signalons ce fait, parce qu'il est du
petit nombre et un des derniers de ceux qui
démontrent que l'Église vaudoise s'est
étendue autrefois en Piémont, vers le midi,
bien au-delà de ses limites actuelles. (RORENGO, dans
l'Hist. de Pignerol, t. Il.)
À l'instigation de
l'évêque de Turin, Jean Compesio, et de
l'inquisiteur, André de Aquapendente, qui
publièrent eux-mêmes, le 28 novembre 1475, des
bulles très-sévères centre les Vaudois,
la duchesse Iolante, princesse française, veuve
d'Amédée-le-Bienheureux, tutrice de son fils
Charles, ordonna, en janvier 1476, aux châtelains de
Pignerol et de Cavour, au podesta de Luserne et à ses
autres officiers dans ces contrées, de pourvoir
activement à la répression des
hérétiques. Dans son décret, la
duchesse s'exprime ainsi - «Notre volonté est,
que ceux de la vallée de Luserne principalement
puissent entrer (venire possint) dans le sein de la sainte
mère Église. » L'expression entrer et non
pas rentrer pourrait faire penser qu'à cette
époque, on ne pensait pas encore à contester
à l'Église vaudoise son existence
simultanée et antérieure à celle de
l'Église romaine. (V. Raccolla degli Editi, etc.;
Stamperia Sinibaldo, etc.)
Ces ordres furent
exécutés, et il arriva fréquemment que
des Vaudois, attirés hors de leurs vallées par
le négoce ou par quelque affaire, furent saisis et
livrés aux inquisiteurs, qui ne manquaient pas d'en
faire mourir quelques-uns. En sorte, qu'à peine y
a-t-il ville en Piémont, en laquelle n'ait
été supplicié quelqu'un d'entre eux.
Jordan Tertian, barbe ou pasteur, fut brûlé
à Suse. Hippolyte Roussier monta sur le bûcher
à Turin. Villermin Ambroise fut pendu sur le col de
Méane, ainsi qu'Antoine Hiun. Ugon Chiamp de
Fenestrelles, pris à Suse, fut conduit à
Turin. Là, attaché à un poteau, les
entrailles lui furent arrachées du ventre et
répandues dans un bassin; son martyre fut
bientôt consommé. (LÉGER, II éme
part., p. 7.)
Mais qu'était-ce que
quelques supplices pour satisfaire l'impatience romaine.
Aussi peu de sang eût-il pu apaiser la colère
de l'ennemie irréconciliable des Vaudois, de celle
qui assimile, aux crimes punissables par le tranchant du
glaive et par le feu, la prétention des
chrétiens évangéliques de penser par
eux-mêmes, et la réclamation du droit d'examen
en matière de foi ? Ayant commencé
l'application de son système oppressif sur les
honnêtes et timides habitants des vallées
voisines et ayant obtenu quelques succès partiels,
comment l'Église persécutrice se serait-elle
arrêtée? Son orgueil était
intéressé à continuer la guerre, que sa
jalousie, sa soif de dominer, son avarice et sa haine
avaient commencée. Mais pour que le triomphe
fût certain, il fallait que l'attaque, de partielle,
de locale, d'artificieuse et de lente, devint
générale, violente, rapide et terrible. Une
expédition du genre de celle qui avait anéanti
les albigeois fut donc résolue contre ces milliers de
laboureurs et de pâtres, dont la foi ferme et
inébranlable résistait aux efforts de la
superstition romaine, comme les hautes cimes de leurs
montagnes aux nuées menaçantes, au choc des
vents et de la tempête.
Innocent VIII, digne
successeur de cet Innocent III, qui prêcha la
première croisade contre des chrétiens,
chargea Albert de Capitaneis, archidiacre de Crémone,
de l'exécution de ses projets cruels et lui
adjoignit, pour collègue, l'inquisiteur Blaise de
Bena de l'ordre des prêcheurs. Il les accrédita
auprès du roi de France et du duc de Savoie, ainsi
qu'auprès de tous les seigneurs, comme nonces et
commissaires apostoliques dans leurs états, et
spécialement en Dauphiné et en Piémont,
pour procéder contre cette très-pernicieuse et
abominable secte «hommes malins, appelés pauvres
de Lyon ou Vaudois : « Laquelle, dit-il dans sa »
bulle, s'est malheureusement depuis longtemps
élevée » dans le Piémont et lieux
circonvoisins. » Et bien qu'il reconnaisse à cet
objet de sa colère, une apparence de sainteté,
il commande de les écraser comme des aspics venimeux,
et de les exterminer s'ils ne veulent pas abjurer. (Extrait
de la bulle d'Innocent VIII; LÉGER, Il ème
part., P. 8.)
La bulle papale promettait,
pour récompense, à tous ceux qui, princes,
seigneurs ou autres, prendraient en main le bouclier de la
foi orthodoxe, et prêteraient secours aux susdits
légats, indulgence plénière,
rémission. de leurs péchés une fois en
leur vie, et pareillement à l'article de la mort. Et
ce qui n'était pas moins tentatif, elle
concédait à chacun la permission de s'emparer
des biens quelconques, meubles et immeubles des
hérétiques. (Même citation que plus
haut.)
Il ne fut bientôt bruit
que de la bulle d'Innocent. Toutes les contrées qui
touchent aux Alpes Cottiennes en retentirent. À
Embrun, à Suse, à Pignerol, à Turin,
à Vienne en Dauphiné, à Lyon, et
même à Sion en Valais, ou ne parlait que de la
prochaine croisade. Les populations s'émurent.
Charles VIII, roi de France, et Charles Il, duc de Savoie,
permirent l'expédition, et les seigneurs s'y
préparèrent. Une nombreuse armée va
cerner de tous côtés et attaquer avec ensemble
la forteresse de l'hérésie. Albert de
Capitaneis, muni de pouvoirs suffisants, appelle, excite et
dirige les croisés. Son coeur est dur et sa main
pesante : qui échappera ?
L'année 1488 allait
être un temps de douleurs poignantes pour les Vaudois,
et de honte perpétuelle pour Rome. De Capitaneis a
deux corps d'armée à ses ordres; l'un,
réuni en France, remontera les vallées du
Dauphiné et viendra donner la main à l'autre,
qui, parti du Piémont, doit envelopper les
vallées orientales et se rapprocher en demi-cercle
des frontières françaises, en
détruisant tous les hérétiques sur son
passage.
La première de ces
divisions, commandée par le comte de Varax, sieur de
La Palu, lieutenant du roi, gravit les montagnes du
Dauphiné et envahit le val Loyse. Toutes les horreurs
de la guerre saisissent, à la fois, les habitants
consternés de cette vallée. Les papistes les
traitent avec une barbarie sans égale. Les premiers
que le fer égorge sont les plus heureux. Ceux qui se
sont enfuis dans les creux des rochers et dans les
profondeurs des cavernes, connues des seuls habitants de la
vallée, y sont poursuivis; de grands feux
allumés à l'entrée de leurs refuges ne
leur laissent de choix qu'entre l'horrible massacre du
dehors et la mort par la flamme ou par la fumée. La
plupart se résignent à celle-ci. On rapporte
que quatre cents jeunes enfants furent trouvés
étouffés dans ces cavernes, et que trois mille
personnes périrent dans ces terribles
journées. Les malheurs du val Loyse en
épargnèrent de semblables aux vallées
voisines d'Argentière et de Fraissinière. Ne
voyant de, salut (lue dans une résistance
énergique, ils gardèrent les passages, se
défendirent vaillamment et virent bientôt leurs
persécuteurs s'éloigner pour lin
temps.
De l'armée qui
opérait en Dauphiné, sur le flanc occidental
des Alpes, se détacha un corps qui, traversant les
cols élevés des montagnes, vint par
Césane fondre sur le versant oriental dans la
vallée de Pragela ou de Cluson, celle de toutes les
Vallées Vaudoises qui était le plus au nord.
La troupe ennemie, tombant inopinément comme une
avalanche sur un peuple tout occupé en ce
jour-là de ses paisibles travaux, le surprend sans
défense, le terrasse, dévaste et ravage ses
bourgades, pille ses chaumières et en massacre les
habitants. Les fuyards eux-mêmes ne peuvent se
soustraire à la fureur de ceux qui les poursuivent.
Comme au val Loyse, on entasse des matières
inflammables à l'entrée des cavernes qui
devaient les dérober à la fureur d'adversaires
sans pitié, et s'ils essaient d'échapper
à la flamme qui les dévore ou à la
fumée qui les étouffe, ils sont
transpercés à l'instant. De toute la
vallée de Pragela, les villages du Fraisse et de
Méane eurent le plus à souffrir. Cependant les
Val-Clusons, revenus de leur première
épouvante, s'organisent sur divers points, fondent
à leur tour sur leurs ennemis et réussissent
à les repousser.
L'armée réunie
en Piémont par les appels pressants du légat
du pape, de Capitaneis, et destinée à extirper
l'hérésie vaudoise des vallées de
Saint-Martin, de Pérouse et de Luserne, ainsi que de
Pravilhelm et autres lieux de la vallée du Pô,
était prête à envahir ces malheureuses
contrées. On assure qu'elle ne comptait pas moins de
dix-huit mille hommes dans ses rangs, outre un grand nombre
de Piémontais qui les suivaient pour mériter
l'indulgence plénière promise par le pape et
pour avoir leur part du pillage.
On na pas conservé le
souvenir de tous les actes de cette grande
persécution ; aussi nous ne saurions nommer tous les
lieux dévastés, toutes les églises
vaudoises isolées qui furent détruites. Mais
il est bien probable que c'est de cette époque qu'il
faut dater la ruine des nombreux Vaudois, dans les villes et
les villages de la plaine du Piémont.
Quant aux attaques contre les
Vallées proprement dites, l'on possède plus de
détails. Il parait qu'une division de l'armée
pénétra sans grandes difficultés dans
la vallée de Luserne. Celle-ci est trop large, et le
sol y est trop peu accidenté, pour que des hommes
inaccoutumés à la guerre eussent pu
sérieusement essayer d'en fermer l'entrée
à une colonne nombreuse, bien armée et
disciplinée. Saint-Jean, La Tour, Le Villar, Bobbi,
et tous leurs hameaux, situés dans le bas de la
vallée, furent donc occupés par l'ennemi. Dieu
sait tout ce qu'on fit souffrir à ceux qui ne
s'étaient pas enfuis à temps.
De Bobbi, dernier village en
plaine de la vallée de Luserne, paisiblement assis au
milieu des châtaigniers et des pampres verdoyants, sur
de belles prairies légèrement
inclinées, à la base de montagnes
gigantesques, que le Pélice a déchirées
et dont il s'éloigne couvert d'écume en
murmurant; de ce lieu fertile enrichi des beautés de
la nature, mais alors dévaste par «avides et
impitoyables soldats, s'ouvre au nord une gorge entre les
rochers. Le sentier de montagne que les pâtres y ont
tracé s'élève jusque sur l'arête
du col Julien (Giulian) qui, non loin des formidables pies
de la frontière française, à
l'occident, et des cimes de la vallée d'Angrogne,
à l'orient, sépare la vallée de
Luserne, au midi, de celle de Saint-Martin, au septentrion.
En poursuivant sa route, toujours au nord, sur la pente
opposée, au travers des pâturages et des bois,
l'on descend, enfin, aux hameaux de la commune de
Prâli, épars sur un plateau enceint de
montagnes abruptes. C'est là, et par le col qui vient
d'être décrit, que sept cents hommes,
détachés de l'armée papiste, qui
occupait la vallée de Luserne, vinrent porter les
fureurs de la guerre. Ils avaient espéré
surprendre cette commune paisible, que sa position à
l'extrémité de la vallée de
Saint-Martin et hors de route pouvait rassurer contre une
attaque. Ils parent croire un instant qu'ils avaient
réussi, Déjà ils étaient au
hameau des Pommiers, lorsqu'ils se virent assaillis
eux-mêmes par les Prâlins réunis, avec an
courage si impétueux qu'ils ne purent résister
longtemps. Fatigués par une marche rapide et longue,
dans des chemins rocailleux, glissants et en pente, surpris
de rencontrer, au lieu de fuyards éperdus et
suppliants, des hommes armés, pleins d'ardeur, et
quelques-uns animés d'un sombre désespoir, ils
fléchirent bientôt et furent tous
taillés en pièces, sauf un seul ;
c'était un porte-enseigne. Pendant le massacre, il
s'enfuit le long d'un torrent qu'il remonta, et se cacha
sous un grand amas de neige, dans la cavité qui s'y
était formée par la fonte, car c'était
en été, et il y demeura jusqu'à ce que
le froid et la faim le fissent descendre pour implorer la
miséricorde de ceux qu'il avait voulu massacrer. Il
l'obtint sans peine. Les Prâlins apaisés par le
succès le laissèrent aller en paix annoncer la
défaite et la mort de tous ses
compagnons.
L'effort de l'armée
croisée porta principalement sur le val d'Angrogne,
qui petit être regardé comme le coeur des
Vallées, et qui fut alors, sans doute, comme tant
d'autres fois encore, le lieu de refuge, la forteresse de
leurs habitants éperdus, Ce vallon, bras
latéral et septentrional de la vallée de
Luserne, s'abaisse du nord et de l'occident, où les
chaînons escarpés de Soiran, de l'Infernet et
du Rouis le séparent des pâturages alpestres de
la vallée de Saint-Martin vers le sud-est, et
débouche par un brusque contour an midi, dans la
vallée de Luserne, à l'orient du bourg de La
Tour. L'arête de rochers et de pies qui, du Rous
à l'occident, se dirige à l'orient et se
termine par le magnifique Vandalin, aux flancs pyramidaux,
ferme le vallon au midi, et le sépare de la
vallée de Luserne, jusqu'au lieu où il vient
se confondre avec elle. De ce côté, il est
inattaquable. Des hauteurs de Soiran, au nord, la
chaîne de montagnes, qui sépare le vallon
d'Angrogne de la vallée de Saint-Martin et de la
demi-vallée de Pérouse, se dirige au sud-est,
aplatie et uniforme depuis le mont Cervin; son nom est la
Séa d'Angrogne; elle contourne, enfin, vers le sud,
et s'abaisse en ondulant des hauteurs de Roccamanéot
sur la costière de Saint-Jean, et meurt dans la
vallée. C'est sur le versant d'abord
méridional, puis occidental de ce chaînon, que
sont étagés, sur des pentes radoucies, les
hameaux principaux de la vallée. Ce vaste plateau,
peu accidenté, déboisé et couvert de
pâturages dans sa partie supérieure, s'incline
ensuite plus fortement, se subdivise, se déchire dans
le bas, en sillons variés, s'ombrageant sous une
forêt d'arbres fruitiers magnifiques, et se termine
par des ravins en précipices dans le torrent de
l'Angrogne au fond du vallon. Le chemin qui, de La Tour,
conduit aux hameaux populeux semés sur ces pentes
fertiles, suit les sinuosités de la rivière,
ondoyant et serpentant sur le penchant des collines de la
rive gauche à mi-côte.
Attaquer Angrogne par cet
endroit serait une folie. Les escarpements, les
sinuosités, les déchirures du sol
sillonné de ruisseaux, ainsi que l'ombrage des
châtaigniers, des noyers au feuillage épais,
masquant continuellement la vue, exposeraient une
armée à des surprises continuelles et
permettraient à un petit nombre d'hommes
déterminés de l'arrêter à chaque
pas, de lui faire essuyer des pertes incessantes, de la
couper et de la précipiter dans les profondeurs que
longe la route.
Si la vallée d'Angrogne
ne peut être forcée de ce côté,
elle peut l'être plus facilement en gagnant le haut
plateau par les pentes radoucies qui, de la plaine de
Saint-Jean, à l'entrée de la vallée de
Luserne, s'élèvent dans la direction du nord,
vers la Séa d'Angrogne, par les hauteurs de
Roccamanéot. Arrivée là, une troupe
ennemie est maîtresse du plateau supérieur.
Aucun obstacle ne s'oppose plus à sa marche,
jusqu'aux rochers qui enceignent le vallon reculé du
Pradutour; elle peut alors se précipiter comme un
torrent dévastateur sur les hameaux qu'elle domine et
qui n'ont plus de moyen de défense
naturel.
C'est par le chemin que nous
venons de décrire, en dernier lieu, que
l'armée croisée se prépara à
envahir la vallée centrale d'Angrogne. Elle quitta
ses quartiers et se mit à gravir, par la
costière de Saint-Jean, les gradins du flanc
méridional des collines, se dirigeant vers le plateau
et rocher supérieur de Roccamanéot. Les
pauvres Vaudois eurent à soutenir sur ces collines le
plus rude combat. Ils s'y préparèrent par la
prière. Leurs ennemis en s'avançant les
voyaient prosternés et entendaient les requêtes
qu'ils adressaient à Dieu à haute voix. Ces
papistes s'en moquaient, étant pleins de confiance
dans leur nombre, dans leurs équipages de guerre et
dans leur vaillance. Mais la miséricorde divine
assura la victoire au petit nombre; Dieu exauça ceux
qui s'attendaient à lui. Parmi les assaillants, un
des principaux chefs, le Noir de Mondovi, nouveau Goliath
outrageant Israël, se vantait avec d'horribles
blasphèmes de faire un grand carnage de ces
pâtres hérétiques, lorsqu'ayant
haussé la visière, à cause de la
chaleur et comme par mépris, il fut frappé
entre les deux yeux par une flèche qu'avait
décochée Peiret Revel d'Angrogne. Il tomba, et
sa mort épouvanta tellement les siens, surpris
déjà et embarrassés de la
résistance opiniâtre des Vaudois, qu'ils
tournèrent le dos à ceux qu'ils avaient
méprisés auparavant et s'enfuirent avec perte.
La joie d'une si grande délivrance éclata sur
le champ de bataille et dans toute la vallée par des
actions de grâces et de saints
cantiques.
L'ennemi irrité d'une
telle perte et honteux de sa défaite, ayant
ramassé toutes ses forces, assaillit de nouveau la
vallée d'Angrogne, et se rendit maître de tout
le plateau et des hameaux de la rive gauche du torrent
jusqu'à la Rocciailla, massif de rochers qui, des
hauteurs voisines de la Vachère, descend brusquement
au midi jusque dans le lit du torrent et sépare la
vallée inférieure et cultivée
d'Angrogne de la supérieure. Celle-ci, toute
alpestre, a la forme d'un immense entonnoir,
déchiré à l'orient, dont les bords
sont, au midi, l'arête du majestueux Vandalin,
à l'occident les sommités neigeuses de la
Sella Veglia et du Rous, au nord les rocs effrayants de
l'Infernet et de Soiran, et à l'orient cette
Rocciailla, amas de rochers peu élancés, mais
déchirés et escarpés qui viennent
resserrer à sa sortie le torrent de
l'Angrogne.
Au centre de cet entonnoir,
s'étend une prairie, bordée d'un
côté par le torrent et de l'autre par quelques
maisons, c'est le Pradutour ou Prédutour,
célèbre dans l'histoire vaudoise.
C'est-là, c'est dans ce quartier que, selon la
tradition, était autrefois cette
célèbre école des barbes ou pasteurs
vaudois, qui conservait intacte et pure la saine doctrine de
la primitive Église, qui entretenait la flamme de la
vérité évangélique dans ces
montagnes écartées et qui la faisait rayonner
au loin par des missionnaires. Ce vallon retiré, mais
fertile encore dans le bas, a été choisi dans
presque toutes les persécutions pour dernier refuge
terrestre (4),
avec quelques autres points également inaccessibles.
Dans celle qui nous occupe, la population d'Angrogne et les
fugitifs qu'elle avait recueillis s'y
précipitèrent, et y entassèrent leurs
familles avec le peu de biens qu'ils avaient pu
sauver.
En remontant la vallée
inférieure d'Angrogne, comme le faisait
l'armée victorieuse des papistes, on ne peut
pénétrer dans le quartier du Pradutour que par
un défilé (5),
au pied de rochers inaccessibles qui ne se sont ouverts que
pour laisser passer le torrent et un étroit chemin.
C'est dans cette gorge resserrée, entre la Rocciailla
et l'Angrogne, que les bandes victorieuses se sont
engagées. Les plus avancées vont
pénétrer dans le refuge des Vaudois, au
Pradutour, lorsqu'un épais brouillard s'abaisse
inopinément et les enveloppe. Ils ne distinguent plus
aucun objet, ils ne peuvent reconnaître où ils
sont, ils n'osent avancer par crainte de surprise, ils
s'arrêtent, l'inquiétude se met dans leurs
rangs. C'est alors que les Angrognins, remplis de courage
par cette intervention de la Providence en leur faveur,
sortent de toutes leurs retraites, attaquent avec vigueur
leurs agresseurs hors d'eux-mêmes, les repoussent, les
mettent en fuite et les chassent devant eux. Bientôt,
profitant de la connaissance qu'ils ont de la
localité, ils gagnent du chemin sur eux à
travers les rochers et les prennent aussi en flanc. Les,
fuyards encombrant l'étroit chemin se heurtent, et
cherchant à se devancer, se précipitent les
uns les autres en bas des rochers dans les eaux
bouillonnantes. Le brouillard, les abîmes, les rochers
et le torrent firent en ce jour-là plus de victimes
que le fer et le bras des Vaudois. Le nombre des morts fut
très-considérable. La fidèle tradition
a conservé le souvenir d'un de ces hommes que la main
de Dieu atteignit dans cette déroute, c'est celui
d'un capitaine Saguet ou Saquet, de Polonghèra, en
Piémont, homme d'une taille colossale qui remplissait
l'air de ses blasphèmes et de ses menaces contre les
Vaudois. Le pied lui glissa sur le bord cf un rocher, il
tomba dans les ondes bondissantes de l'Angrogne, fut
emporté et jeté par elles dans un gouffre ou
bassin qui porte encore aujourd'hui son nom : Tompi
Saquet.
Plusieurs autres assauts
furent livrés aux Vaudois dans leurs diverses
retraites. Il est reconnu que les vallées de
Pérouse et de Saint-Martin éprouvèrent
les cruautés de l'armée du légat de
Capitaneis. Pravilhelm, dans la vallée du Pô,
fut aussi attaqué. Beaucoup de sang fut
répandu dans tant de combats
répétés. Les malheureux habitants
durent verser bien des larmes, et ne se remirent que
lentement de leurs désastres. Cependant les
années ont effacé le souvenir de la plupart
des scènes de désolation qui
souillèrent cette époque. Ce qu'on sait de
certain, c'est que Dieu donna partout secours à ses
enfants, et qu'après que cette armée eut
tournoyé pendant, un an dans les vallées et
les contrées d'alentour, semblable à une
tempête menaçante, le prince de Piémont,
Charles II (6),
fit cesser cette guerre pernicieuse à ses sujets.
Désirant la paix, ce jeune prince, âgé
d'une vingtaine d'années seulement, exprima son
déplaisir de cette lutte cruelle, et fit porter des
paroles de paix aux Vaudois. Il chargea de cette mission un
évêque qui vint à Prassuit, hameau de la
vallée d'Angrogne, conférer avec les
montagnards. Le prélat les assura de la bienveillance
de leur souverain et du bon accueil qu'ils en recevraient.
Il réussit à leur persuader de lui envoyer une
députation.
Les Vaudois firent donc partir
pour Pignerol douze des principaux «entre eux, que le
duc reçut avec bonté. Il les questionna
longuement, et sur les réponses qu'ils lui firent, il
leur témoigna ouvertement qu'on l'avait mal
informé, soit à l'égard de leurs
personnes, soit à l'égard de leur croyance. Il
voulut voir de leurs enfants, car on lui avait
certifié qu'ils naissaient tous avec quelques
difformités, monstrueuses, avec un oeil unique au
front, quatre rangées de dents noires, et autres
choses semblables. Ayant trouvé beaux et bien faits
ceux qu'on lui amena, il ne put contenir son
mécontentement d'avoir été si
grossièrement induit en erreur.
Détrompé sur le compte de ses sujets vaudois,
il accepta le don que les députés lui
offraient au nom de leur peuple, leur confirma leurs
privilèges (7)
et libertés usitées, et leur promit de les
laisser en paix à l'avenir.
Telle fut l'issue de cette
cruelle croisade, de l'an 1488, entreprise au nom d'une
religion sans pitié et terminée par la
droiture d'un prince clair-voyant. Hélas ! que de
fois encore, nous aurons occasion de voir les mêmes
faits et les mêmes caractères se
représenter, n'ayant subi d'autre changement que
celui des circonstances. La calomnie n'a que trop
été une arme habituelle dans la bouche de Rome
pour perdre les fidèles Vaudois.
Après la paix de 1489,
quelques années s'écoulèrent
tranquillement pour ceux des Vaudois qui avaient
survécu à la cruelle persécution que
l'on vient de lire. Mais l'an 1500 fut marqué par une
attaque des plus violentes contre les Vaudois de la haute
vallée du Pô, dans le marquisat de Saluces.
Déjà leurs voisins, les Vaudois de Bagnolo, si
nombreux et autrefois si connus, avaient disparu
entièrement. Le récit de leurs malheurs n'est
pas parvenu à la postérité. On ne
connaît ni quand ni comment ils ont cessé
d'exister. Mais le bras qui s'appesantit sur eux ne, peut
avoir été autre que celui qui venait de
décimer les Vallées. Le même esprit
ténébreux souffla des pensées de
destruction dans le coeur de Marguerite de Foix, veuve du
marquis de Saluces, contre ses sujets vaudois de Pravilhelm,
des Biolets et de Bietoné, dans la haute
vallée du Pô. Assaillis, poursuivis avec
acharnement, ces pauvres gens ne virent de salut que dans la
fuite. La vallée de Luserne devint leur retraite.
C'est de là que, durant cinq ans, ils
adressèrent à leur souveraine leurs
supplications pour être remis en possession de leurs
maisons et de leurs biens. Vain espoir ! On ne leur
répondit que par la proposition honteuse de vendre
leur âme en consentant au papisme. Des calculs
criminels étaient étrangers à leur
simplicité; ils demandaient justice : ne l'obtenant
pas, ils songèrent à se la rendre.
Peut-être dépassèrent-ils en cela la
modération chrétienne. Sous la conduite de
l'un d'eux, homme intrépide, ils revinrent à
l'improviste, et armés, dans leurs anciennes
habitations. Ils en chassèrent à coups
d'épée les papistes qui s'y étaient
établis, et inspirèrent tant
d'épouvante aux populations voisines que celles-ci,
n'espérant le repos que d'un compromis avec les
légitimes et anciens habitants du territoire
contesté, et se souvenant sans doute aussi des douces
relations qu'ils avaient soutenues avec eux autrefois,
joignirent leurs demandes aux leurs, pour implorer de leur
souveraine la libre rentrée des Vaudois dans leurs
villages; ce qui leur fut accordé ainsi que la
jouissance de leurs libertés en ce qui concernait
leur foi.
Ainsi se terminèrent pour un
temps les persécutions armées contre les
Vaudois fidèles à la religion de leurs
pères. (Sources : DE LA MOTHE-LANGON
déjà cité souvent. - PERRIN et GILLES
que nous citerons encore.)
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