Les septs Eglises d'Asie
PREMIER DISCOURS
ÉPHÈSE
ou
LA PERTE DU PREMIER
AMOUR
Écris à l'ange de
l'église d'Éphèse:
Celui qui tient les sept étoiles
dans sa main droite, et qui marche au
milieu des sept chandeliers d'or, dit ces
choses : je connais tes oeuvres, ton
travail et ta patience; et je sais que tu
ne peux souffrir les méchants, et
que tu as éprouvé ceux qui
se disent apôtres et qui ne le sont
point, et que tu les as trouvés
menteurs; et que tu as souffert, et que tu
as eu patience, et que tu as
travaillé pour mon nom, et que tu
ne t'es point lassé.
Mais j'ai quelque chose
contre toi : c'est que tu as
abandonné ta première
charité. C'est pourquoi ,
souviens-toi d'où tu es
déchu, et te repens, et fais tes
premières oeuvres; autrement je
viendrai bientôt à toi, et
j'ôterai ton
chandelier de son lieu, si tu ne te
repens. Mais pourtant tu as ceci de bon,
c'est que tu hais les actions des
Nicolaïtes, lesquelles je hais, moi
aussi.
Que celui qui a des
oreilles écoute ce que l'Esprit dit
aux églises : A celui qui vaincra,
je lui donnerai à manger de l'arbre
de vie, qui est au milieu du paradis de
Dieu. (Apoc. 11, 1-7-)
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Mes frères,
QUAND on examine une carte de l'ancienne
Asie Mineure, on ne tarde pas à trouver,
à l'extrémité occidentale de
cette vaste presqu'île, dans la province
appelée jadis Asie proprement dite, ou Asie
pro-consulaire, sept villes rangées en un
cercle irrégulier, à des distances
dont la plus petite est de huit lieues et la plus
grande de trente-cinq à quarante. C'est dans
ces sept villes que se trouvaient, au temps de
Jean, sept églises importantes et comme sept
flambeaux, dont la disposition, un peu
idéalisée, formait un cercle lumineux
dans le pays.
Ces sept églises et leurs annexes
étaient, en quelque sorte, le diocèse
de l'apôtre Jean, qui,
fixé à
Éphèse depuis la destruction de
Jérusalem, en avait accepté devant
Dieu la responsabilité et la haute
surveillance. Nous apprenons, en effet, par les
écrits des Pères, qu'il visitait
régulièrement les
congrégations' de la contrée, pour en
suivre, avec une sollicitude toute paternelle, les
vicissitudes et le développement
intérieur.
Vers l'an 95 de notre ère,
pendant qu'il était dans l'île de
Patmos, à quarante lieues
d'Éphèse, exilé pour la foi
par le terrible empereur Domitien, Jean
reçut probablement des renseignements sur
l'état spirituel et les circonstances
diverses où se trouvaient les sept
églises. Peut-être même eut-il
la visite d'un représentant de chacun de
leurs presbytères, ce qui (le mot traduit
par « ange signifiant aussi en grec «
envoyé » et « député
» donnerait, d'après' certains
commentateurs, l'explication de cette
mystérieuse adresse « à l'ange
» que nous venons de rencontrer. Chacun de ces
hommes venus auprès de Jean aurait
reçu, par son entremise, une lettre de
Jésus-Christ lui-même, destinée
à être lue, à son retour,
devant la congrégation qui l'avait
délégué. En tout cas, que ce
mot « ange » doive désigner un
député du
presbytère, ou qu'il
s'applique collectivement à ce corps
personnifié, c'est, en
réalité, à l'église
elle-même que le Seigneur voulait
écrire : tous les interprètes sont
unanimes à le reconnaître. On s'est
beaucoup demandé pourquoi ces églises
ont reçu de telles lettres, à
l'exclusion de toutes les autres
congrégations d'Asie ou d'Europe? Les
quelques faits d'histoire que je viens d'exposer
donnent, ce me semble, le premier motif fort
naturel de ce choix. Cependant suffisent-ils
à l'expliquer? C'est peu probable.
Placées dans un livre prophétique qui
était destiné à
l'Église universelle, ces lettres doivent
avoir eu, dans la pensée du Seigneur, une
utilité plus générale, une
portée plus étendue.
Si l'on compare entre elles les sept
églises de l'Apocalypse, on constate qu'il
n'en est pas deux dont les circonstances soient
identiques. Malgré la proximité de
quelques-unes d'entre elles, elles ont toutes leur
physionomie propre, leurs dangers et leurs
épreuves, leurs bons ou leurs mauvais
côtés particuliers, et chacune
reçoit des éloges ou des
blâmes, des encouragements ou des menaces qui
ne ressemblent nullement à ceux de sa soeur
la plus rapprochée.
Chacune parait donc avoir
été une église-type, et,
peut-être, les sept réunies
épuisent-elles la somme des types
d'église, c'est-à-dire de tous les
principaux états par lesquels une
église ou l'Église peut
passer.
Telle a été aussi la
pensée d'un grand nombre
d'interprètes de l'Apocalypse. Allant plus
loin, beaucoup de chrétiens voient aussi
dans ces épîtres les tableaux
prophétiques de sept grandes périodes
de l'histoire ecclésiastique, depuis la fin
du premier siècle jusqu'à celle de
l'économie présente et du retour de
Jésus-Christ. Il me parait sage d'accepter
pleinement la première de ces deux vues et
timidement la seconde, là seulement
où elle est décidément
confirmée par l'étude impartiale des
faits.
Mais il ne faudrait pas s'en tenir
à une étude historique et purement
objective de cet important sujet. Puisque à
toute époque une congrégation
chrétienne peut ressembler à telle de
ces sept églises ou, successivement,
à plusieurs d'entre elles, il faut que la
nôtre s'efforce de découvrir et de
recueillir les avertissements qu'elle doit en
recevoir; et si le Seigneur ne se contente pas de
s'adresser aux églises,
mais va jusqu'aux individus qui les composent, en
disant: « Que celui qui a des oreilles
écoute ce que l'Esprit dit aux
églises, » il faut aussi que chacun de
nous soit attentif aux solennelles leçons de
Dieu.Aussi m'a-t-il paru qu'il y aurait une grande
utilité à faire cette étude,
qui intéresse notre époque, notre
église et l'âme de chacun de nous.
Écoutons donc ce que l'Esprit dit aux
églises, avec autant de recueillement que si
ces sept lettres étaient à notre
propre adresse.
I
Fondée par l'apôtre Paul, qui passa
près de trois ans à
Éphèse au début de son
troisième voyage missionnaire,
l'église de cette ville devint bientôt
l'un des plus importants foyers de la
lumière évangélique. Dans une
conquête, à mesure que l'armée
s'avance et triomphe, le quartier
général se transporte plus loin.
Ainsi en fut-il aussi dans la conquête
spirituelle du monde. Jérusalem
d'abord, Antioche ensuite,
Éphèse plus tard, furent
successivement le centre d'action et comme le
quartier général de cette
intrépide phalange qui montait à
l'assaut des forteresses de Satan.
On sait, par les Actes des
apôtres, quels furent l'ardeur, la
décision et le zèle des nouveaux
convertis à Éphèse.
Poussés par la puissance irrésistible
de l'Esprit, les uns vinrent confesser publiquement
leurs fautes; d'autres qui, jadis, vivaient de la
magie, brûlèrent sans hésiter
leurs précieux volumes : tous rendirent
à l'Évangile un témoignage
enthousiaste et conséquent. Aussi la Parole
de Dieu agit-elle dans cette ville avec un
degré de force qu'elle atteignit rarement
ailleurs.
À Paul succéda
Timothée qui reçut, à
Éphèse même, les deux lettres
conservées dans le canon sous son nom. Il va
de soi que l'église en entendit les
pressantes exhortations. Mais elle eut mieux
encore: elle reçut elle-même une
épître, son épître, la
lettre aux Ephésiens, l'une des plus
profondes, des plus sublimes et, cependant., des
plus pratiques de l'apôtre Paul.
Enfin, après saint Paul,
après Timothée, vint l'apôtre
de l'amour, saint Jean, l'ami intime de
Jésus, qui consacra
à cette église la fin presque
céleste de sa longue
carrière.
C'est probablement aux chrétiens
d'Éphèse qu'il écrivit la
première de ses trois épîtres,
où se résument, en deux mots, sa
pensée et son âme : Dieu est amour
pour nous, nous devons être amour pour lui et
pour nos frères. Grands et nombreux furent
donc les privilèges de cette église
favorisée entre toutes; mais grande, aussi,
et redoutable sa responsabilité devant Celui
qui réclame selon qu'il a donné!
Longtemps elle fut à la hauteur de cette
responsabilité, en accomplissant la
tâche d'activité, de
fidélité et de patience pour laquelle
Dieu l'avait si richement pourvue; et, quarante
années après sa fondation, le
Seigneur pouvait lui rendre un témoignage
qui, au premier abord, ne laisse rien à
désirer : « je con-nais tes oeuvres,
lui dit Jésus, ton travail et ta patience;
et je sais que tu ne peux souffrir les
méchants, et que tu as éprouvé
ceux qui se disent apôtres sans l'être,
et que tu les as trouvés menteurs, et que tu
as souffert, et que tu as eu patience, et que tu as
travaillé pour mon nom, et que tu ne t'es
point lassé. »
Quel magnifique éloge! Il porte
sur quatre points : attachement
d'Éphèse à la saine doctrine,
pratique des devoirs de la vie chrétienne,
activité infatigable et patience dans les
souffrances endurées pour le nom de
Jésus-Christ. Fidèle aux
recommandations solennelles que saint Paul avait
adressées à ses anciens réunis
dans la ville de Milet, l'église a
veillé, et, au jour où ont paru
« les loups ravissants, très dangereux
pour le troupeau, , ces faux docteurs qui, sous des
apparences chrétiennes, renversaient la foi
chrétienne, l'église les a reconnus
et démasqués.
Un ennemi plus redoutable encore l'a
trouvée sur ses gardes : après
l'hérésie de la doctrine,
l'hérésie de la vie, de faux
principes de conduite chrétienne ont
essayé de s'introduire chez elle. Ce
n'était même pas alors une
théorie, ce n'était encore qu'une
tendance, celle d'hommes nommés
nicolaïtes pour des motifs qui restent assez
obscurs, et qui consistait dans un coupable
accommodement des exigences de la vie
chrétienne avec les habitudes de la
mondanité païenne. Cette tendance,
fatale entre toutes, qui se présente une
fois ou l'autre devant la porte de toute
église,
Éphèse l'a. aussi,
énergiquement combattue et
répudiée.
Enfin son activité pour la cause
de l'Évangile est encore
considérable; ses oeuvres sont très
nombreuses, peut-être même plus
nombreuses qu'au début, et autant elle
tolère peu les séducteurs et les
méchants, autant, à l'inverse de
beaucoup d'églises, elle sait supporter
mépris et souffrances pour le nom du
Crucifié.
Ainsi : orthodoxie de la foi et
pureté de la vie; haine de l'erreur et
horreur de la mondanité; infatigable
activité et patience sous la croix, tels
sont les traits distinctifs de la
congrégation d'Éphèse.
II
Une telle église n'est-elle pas parfaite
? N'est-elle pas la réalisation de la
prophétie qui annonce l'union mystique de
Jésus-Christ avec son épouse
immaculée? Que peut-on désirer de
plus? Le paradis promis à cette
église dans la conclusion de
notre lettre, elle le
possède déjà, elle y est
parvenue; elle jouit de l'arbre de vie et nul
blâme ne saurait lui être
adressé!
« J'ai quelque chose contre toi,
» dit Celui qui se promène dans le
cercle des sept chandeliers! - Quelque chose contre
Éphèse? Quelque chose contre une
telle église? Mais que lui manque-t-il? Que
peut-on raisonnablement attendre de plus? Un
enseignement plus pur? elle a retenu intact celui
de Paul, de Timothée et de Jean. Une
discipline plus rigoureuse? mais n'a-t-elle pas
haï les oeuvres des nicolaïtes? Des
oeuvres plus nombreuses, une action plus
étendue? mais le Seigneur ne dit-il pas
qu'elle s'est fatiguée pour lui? Aurait-elle
renié tant soit peu le nom de son
Maître pour diminuer le poids de son opprobre
? pas davantage : le Seigneur n'a rien à
observer sur ce point. Alors, que lui manque-t-il
donc?
Ce qui laisse à désirer
dans cette église, ce n'est pas la
quantité des oeuvres, c'en est plutôt
la qualité! Aussi Jésus censure-t-il
moins les oeuvres elles-mêmes que l'esprit
des oeuvres. Le corps est intact: il n'y manque
aucun membre; nulle fonction de suspendue: un oeil
exercé, mais humain, n'y
pourrait rien découvrir de
défectueux, aucune lésion, aucune
maladie apparente: c'est l'âme du corps qui
est malade; c'est le feu intérieur qui tend
à s'éteindre; c'est ce quelque chose
de mystérieux, d'insaisissable et
d'indéfinissable, qui échappe
à l'analyse et qui est, pourtant, si
réel et si essentiel, c'est la vie, la vie
intime, la vie spirituelle dont la quantité
diminue. Et quel est cet esprit des oeuvres, cette
âme de l'activité et de la patience,
cette vie de la foi, ce quelque chose sans quoi
tout est vain, tout est mort dans une conduite
extérieurement chrétienne? C'est
l'amour : l'amour répandu dans le coeur par
le Saint-Esprit, l'amour pour Dieu, l'amour pour
Jésus - Christ, l'amour pour les âmes,
l'amour, sans lequel les oeuvres les plus belles
perdent toute valeur aux yeux de Dieu, et sans
lequel, aussi, ne sont rien.. absolument rien, et
celui dont la foi transporte des montagnes, et
celui qui livre ses biens aux pauvres ou son corps
au bûcher.
L'amour fait défaut aux
chrétiens d'Éphèse!
Complètement? Non pas, car, en son absence
absolue, on ne s'expliquerait pourtant pas ses
vertus. Éphèse
n'est pas Laodicée; son état n'est
pas celui de la tiédeur; il le deviendra,
s'il s'aggrave. Moins encore est-il celui de la
mort spirituelle reprochée à Sardes.
Telle qu'elle est, l'église
d'Éphèse a encore plus d'amour que
d'autres églises moins favorisées;
mais, comparée à elle-même,
à ce qu'elle était au début
(car c'est ainsi que Jésus-Christ juge),
elle a fait des pertes, elle commence à
décliner, elle n'a plus son premier amour.
III
Quelle cause faut-il assigner à cet
affaissement spirituel? - Peut-être une trop
grande ardeur dans la polémique?
Peut-être, dans la discipline, une rigueur
excessive? Toute église, toute époque
ou toute personne appelée à la lutte
ou à la répression des abus court de
grands dangers spirituels. Il y aurait
lâcheté à fuir une tâche
aussi sacrée, mais non moins d'imprudence
à s'en dissimuler les périls.
Sans un redoublement de communion avec
Celui qui est amour, autant que sainteté et
vérité, à ces frottements
nombreux l'huile de la charité se
dessèche vite; le zèle devient aride
et cassant; la fermeté
dégénère en raideur, en
dureté; la vigilance, en défiance: on
confond, dans la même haine, le
pécheur et le péché; on oublie
les saintes compassions du Christ, et la douceur,
avec laquelle on doit reprendre, fait place
à l'irritation et à
l'acrimonie.
Peut-être Éphèse
a-t-elle donné contre cet écueil.
Dans sa seconde lettre à Timothée,
Paul le signalait à plusieurs reprises. Il
suppliait déjà qu'on ne prit pas
goût à ces disputes de mots, qui
engendrent les mauvais soupçons, les
divisions et les haines.
Mais, indépendamment de cette
cause particulière, une autre, plus
générale, produit infailliblement
cette diminution d'amour, si rien ne la neutralise.
Cette cause, c'est tout simplement le temps; le
temps qui s'attaque à tout, qui use tout,
qui fane tout, à moins que, par une
réaction énergique et incessante, le
coeur et la volonté ne triomphent de son
action. Laissé à lui-même sur
la voie du bien, l'homme ne suit
pas l'impulsion donnée; il ne continue pas
à monter, il retombe plutôt. On a de
Vinet un mot redoutablement vrai: « L'homme,
a-t-il dit, tend continuellement à
descendre. » Eh bien, dans le chrétien
lui-même, si une force supérieure
à cette loi de pesanteur morale ne l'attire
continuellement plus haut, le poids du vieil homme
entraîne le nouvel homme partiellement
privé du secours de Dieu. De là la
nécessité d'une communion permanente
avec Christ, et la solennité de cette
déclaration : « Hors de moi vous ne
pouvez rien, demeurez en moi. » En même
temps que ce « demeurer en Christ, » la
vie spirituelle baisse tout de suite : ferveur,
joie chrétienne, piété, feu de
l'Esprit, toutes ces grâces dans la
grâce déclinent et s'éteignent
vite. Alors, comme par habitude prise, par devoir
envers soi-même ou envers le prochain, on
continuera les mêmes, oeuvres, sans que rien
au dehors en trahisse l'altération
secrète; mais leur moelle, leur sève,
l'âme des oeuvres, sans laquelle celles-ci ne
sont que cadavres pour Dieu, toute cette vie
délicate du dedans sera atteinte
jusqu'à s'épuiser tout à fait,
si l'on ne remédie promptement au mal.
Si Éphèse n'a pas
échappé à cette action du
temps, c'est que les membres de l'église ne
se sont pas suffisamment retrempés dans la
prière collective et individuelle. Ils se
seront un peu reposés sur leurs premiers
succès, sur les bénédictions
antérieurement reçues. Ils ne se
seront pas remplis toujours plus de l'Esprit
(1);
peut-être l'auront-ils contristé
(2) maintes fois
sans rentrer assez promptement et assez avant dans
la communion de Christ. Alors l'amour a
diminué d'autant dans cette église.
On n'y a plus ressenti, dans le culte, cette
même ferveur des premiers jours, cette
même cordialité et cette même
intimité entre frères, ce même
abandon et cette même simplicité dans
les réunions communes, cette même joie
radieuse et ce même élan pour
l'évangélisation. On y croyait, comme
par le passé, à la mort expiatoire et
à la résurrection de
Jésus-Christ, au pardon gratuit et à
la vie éternelle. On y serait mort pour de
telles convictions, et, cependant, la pensée
de cet amour provoquait moins d'amour,
l'espérance chrétienne moins de
sainte impatience, la communion
des enfants de Dieu moins de tressaillements, la
perdition des âmes moins de poignantes
douleurs.
IV
Hélas! ce commencement d'affaissement
spirituel paraît n'avoir pas
été particulier à
l'église d'Éphèse. Presque
toutes les autres en étaient, alors, ou
déjà atteintes ou très
fortement menacées, en sorte que cette
congrégation pourrait bien être le
type de l'état de l'Église
apostolique dans le dernier quart du premier
siècle. Mais n'a-t-on pas vu le même
phénomène se reproduire plus tard
dans les églises issues de la reforme ou des
réveils, et n'en serions-nous pas
nous-mêmes, dès longtemps,
témoins dans les nôtres? je connais
une église et des églises, je connais
des sociétés chrétiennes qui,
elles aussi, ont travaillé avec ardeur pour
Jésus-Christ; des églises qui ont
rallumé et maintenu avec
fidélité le flambeau de la foi
évangélique; des églises qui
ont remis en lumière le
principe de la souveraineté de
Jésus-Christ et la doctrine de l'oeuvre de
l'Esprit; des églises qui ont
évangélisé, combattu, rompu
jadis avec le monde, enduré l'opprobre et
quelquefois même la persécution; des
églises qui ont réagi en bien sur
celles-là mêmes qui les repoussaient.
je connais des églises, je connais des
sociétés qui, actuellement, pour un
oeil moins perspicace que celui du Surveillant des
églises, ont encore un aspect relativement
enviable, des principes vrais, une influence qui
dépasse leurs étroites limites. Mais
si Jésus écrivait à cette
église, à ces églises, que
leur dirait-il? N'auraient-elles pas à
entendre le même reproche
qu'Ephèse?... sinon un reproche pire :
« J'ai quelque chose contre toi; tu as perdu
ton premier amour? » Bien des sentiments ne
s'y sont-ils pas refroidis? bien des feux,
éteints? bien des larmes de repentance et de
reconnaissance, dès longtemps
séchées? Mes frères,
connaissez-vous ces églises? Connaissez-vous
cette église?
Mais, des églises passons aux
âmes, passons à vous, mes
frères. Je veux croire que vous
méritez encore les éloges
accordés à Éphèse :
même activité,
mêmes convictions, mêmes principes
qu'autrefois. Cependant Celui qui sonde les coeurs
ne voit-il rien de changé dans votre vie
intérieure? Votre piété
n'a-t-elle pas décliné ? votre amour,
perdu de sa première ardeur? Mes
frères, vous souvient-il de ce que fut la
fête de votre coeur lorsque, après les
angoisses de la repentance, une soudaine
lumière vous permit de crier : « J'ai
trouvé, j'ai trouvé la paix? »
Quels transports! quel alléluiah! quelle
joie débordante! Ah! je n'ignore pas que
tout n'était pas également enviable
dans cette première éclosion de la
vie chrétienne. Inexpériences,
imprudences. exagérations, excès
divers, telles en sont les
défectuosités ordinaires. Les
nouveaux convertis donnent souvent fort à
faire à Dieu et à leurs
frères.
Mais, avec ces défauts, qui ne
sont ni si marqués ni si universels que vous
le croyez peut-être, quel saint enthousiasme,
quel rayonnement, quelle fraîcheur de
sentiments, quelle intensité, quelle
exubérance de vie! quelles ineffables
émotions dans les premières
études de la Bible, quelle intimité
dans la prière! que d'épanchements,
que d'effusions dans la communion fraternelle, quel
besoin d'entretiens, moins sur
les dogmes que sur Christ lui-même, et moins
sur les intérêts extérieurs de
son règne que sur les expériences
intimes! quelle soif de bonne propagande, quel
amour des âmes, quelles angoisses à
leur égard, quelle hardiesse et quelle
éloquence déployées pour les
amener à Dieu !
Mes frères, qu'en est-il de tout
cela aujourd'hui? En, avançant avez-vous
plus gagné que perdu, ou plus perdu que
gagné? À quel prix avez-vous acquis
cet équilibre dont vous vous vantez? Ah! si
votre coeur ne brûle plus comme celui des
disciples d'Emmaüs; si vous ne pouvez plus
crier comme Pascal - « joie, joie, pleurs de
joie! » si nous sommes dans cet état
qu'exprimait si naïvement une femme du
Lessouto en disant : « La prière n'a
plus d'humidité dans mon âme; »
si nous ne nous répétons plus comme
Paul : « Malheur à moi si je
n'évangélise! » si nous n'avons
plus, à l'exemple de Zinzendorf, une seule
passion : Christ et les âmes pour Christ,
nous avons commencé à déchoir,
nous méritons, à notre tour, le
reproche du Sauveur: « J'ai quelque chose
contre toi, » nous avons perdu, nous aussi,
notre- premier amour.
Alors il ne faut pas nous laisser dire
par Satan que cette perte est excusable parce
qu'elle est inévitable. Si elle
l'était, le Seigneur, qui est juste, en
ferait-il l'objet d'un reproche à
Éphèse? Encore moins faut-il croire
que la perte en est irréparable. Cette
église serait-elle invitée à
refaire ses premières oeuvres? Non, non,
cette perte n'est pas plus irréparable
qu'inévitable. Pas d'excuses et pas de
découragement! Il faut nous en humilier,
mais d'une humiliation qui amène la
découverte et la suppression de la cause du
mal. Puis il faut y porter remède; et le
remède, le Seigneur l'indique à
l'église d'Éphèse. Lui
désigner l'arbre de vie, comme
récompense future, c'est le lui montrer
comme source de vie dans le temps présent.
S'il remplit les cieux, cet arbre descend pourtant
jusqu'à la terre. Cet arbre, dont nous
pouvons manger les fruits et recevoir la
sève, cet arbre est un cep et nous en sommes
les sarments. C'est pour nous en être plus ou
moins séparés que nous nous sommes
appauvris. En nous y laissant rattacher, nous en
recevrons grâce sur grâce. Car cet
arbre, c'est Jésus-Christ glorifié,
Jésus se communiquant à l'âme
par l'Esprit; Jésus
partiellement perdu, mais
Jésus qui se redonne pleinement à
nous, si nous nous redonnons tout entiers à
lui.
Oh! mes frères, soit pour nos
églises. soit pour nous-mêmes, que de
motifs de retrouver en Christ ce premier amour
perdu!
La menace faite à
Éphèse est suspendue sur nos
têtes. Pour notre église, suppression,
non pas subite et par des violences, mais
insensible et par voie d'extinction. Pour
nous-mêmes, déclin progressif,
dépérissement de l'âme, retour
à l'insensibilité, puis, au bout,
réprobation!... Oh! cette parole : «
J'ai quelque chose contre toi, ... » quelle
menace! Celui à qui toute puissance a
été donnée dans le ciel et sur
la terre, celui qui nous jugera, celui qui enverra
les uns à sa droite et les autres à
sa gauche par- un décret irrévocable,
celui-là, mon frère, a quelque chose
contre toi! Oui, quelle menace! mais aussi quel
reproche, bien plus sensible qu'une menace pour un
coeur chrétien! « J'ai quelque chose
contre toi ! » Celui que ton coeur aime
encore, celui à qui tu dois tout, ton
Sauveur, ton frère, ton ami suprême,
Jésus a quelque chose contre toi!
Oh! je me le représente venant
à chacun de nous, avec ses mains
percées, et disant: « Mon enfant,
pourquoi ton amour est-il moindre à mon
égard? Le mien a-t-il diminué?
T'ai-je fait quelque peine? As-tu quelque chose
contre moi? » - Non, bon Sauveur, nous n'avons
rien contre toi. Tu ne nous as pas
été infidèle; c'est nous qui
sommes des ingrats, nous qui méritons que tu
nous abandonnes! Mais pardonne-nous' plutôt!
Tu nous as dit : « Si ton frère a
quelque chose contre toi, va et te
réconcilie avec ton frère. » Tu
nous. l'as dit sachant qu'il y consentirait. Eh
bien, toi, notre meilleur frère, consens
aussi à cette réconciliation.
Rends-nous toute la joie de notre salut. Toi seul,
tu le peux, toi seul, en réchauffant notre
coeur sur ton coeur, tu peux nous rendre notre
premier amour!
Et vous, chers auditeurs, qui n'avez pas
perdu, ce premier amour par la raison bien simple
que vous ne l'avez jamais éprouvé, ne
recevrez-vous pas instruction? Demeurerez-vous dans
votre indifférence? À la
sévérité de Jésus
envers l'Église, mesurez celle qu'il
réserve au monde! S'il menace ceux qui
perdent leur premier amour, que ne
sera-t-il pas contre ceux qui
méprisent le sien? Si, Éphèse
doit se repentir, ne devez-vous pas vous convertir?
Convertissez-vous à ce Sauveur qui vous
aime, et que votre premier amour rallume le feu du
nôtre. Oui, faites-nous honte, soyez plus
chrétiens que nous excitez notre jalousie,
dépassez-nous, et, stimulés par votre
zèle, nous courrons avec vous, nous
lutterons avec vous, nous aimerons avec vous Celui
dont le dernier amour n'a jamais été
et ne sera jamais inférieur au premier.
Ainsi soit-il !...
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