L ÉVANGILE ET LA VIE
SOIS UN HOMME!
(Réimpression.)
DISCOURS PRONONCÉ À LA
CONSÉCRATION AU SAINT MINISTÈRE DE M.
X. KOENIG
SOIS UN
HOMME!
1 Rois 2, 2.
MON CHER JEUNE AMI,
MES BIEN-AIMÉS FRÈRES EN
JÉSUS,
Cette solennité appelait une
voix plus autorisée que la mienne. Si j'ai
consenti, pourtant, à monter dans cette
chaire, c'est pour céder au désir
d'une amitié déjà ancienne.
Nous avons étudié, cherché,
travaillé ensemble, dans ce champ de Dieu
où la beauté et
l'austérité des préoccupations
communes donnent, aux rapports entre
collaborateurs, je ne sais quel charme
sévère. Nous avons appris à
nous affectionner et à
nous estimer. Votre départ imminent (comment
m'empêcher de penser que vous partez ce soir
même) mettra fin à l'intimité
de nos relations, sans en altérer le fond.
Nous travaillerons encore dans le même champ,
et sous le même rayon béni; mais nos
sillons ne se confondront plus. - Cette
collaboration, ces souvenirs, cette
séparation, rendent ma tâche
également touchante. Puis-je oublier
d'ailleurs, qu'en exprimant mes sentiments,
j'exprime en même temps ceux de vos amis, si
nombreux dans cette assemblée? Leur
présence vous soutient, leurs voeux vous
accompagnent. - Vous partez, votre coeur vous
pousse, et le devoir vous appelle. La charrue vous
attend là-bas avec ses obscurs labeurs et
ses joies intenses. Allez! ne nous oubliez pas;
mais ne regrettez rien, n'emportez dans la poitrine
que des sentiments qui fortifient et
réconfortent. J'ai hâte même, de
peur d'accentuer une note mélancolique, de
m'arracher aux impressions personnelles, pour
gagner les hauteurs, sur
lesquelles, en cet instant, nous voulons
méditer sous le regard de Dieu.
À notre époque, au sein de cette
société et particulièrement
dans cette Église réformée de
France à laquelle nous appartenons, que
convient-il de dire au jeune pasteur, à
l'entrée de sa carrière pratique? Une
seule chose, la plus simple et la plus difficile,
la plus évidente et la plus méconnue
: il faut lui dire: Sois un homme. C'est à
développer cette parole, qui doit être
votre devise, que nous allons consacrer cette
heure. Dieu veuille bénir les
méditations de ses serviteurs!
Sois un homme! Écartons tout
d'abord d'un mouvement vigoureux une conception
fausse, caricature haïssable du grand
idéal que fait entrevoir
cette parole, et qui tend à confondre
l'homme avec l'homme de parti. Ne soyez pas un
homme de parti! Sans doute, je le sais, votre
désir, ici, s'accorde avec mon conseil. Le
souffle d'enthousiasme qui anime votre jeunesse n'a
rien de commun avec les ardeurs malsaines de
l'esprit exclusif, Vous vous sentez uni de coeur a
quiconque, sur cette terre, et peu importe dans
quel milieu, travaille à l'oeuvre divine;
vous n'avez pas donné pour mesure à
votre fraternité le cadre, toujours
étroit, d'une tendance
ecclésiastique. Et cependant, je maintiens
mon avertissement, et j'y insiste. À cette
heure de désagrégation sociale, de
morcellement politique, d'émiettement
religieux, où ce qui nous fait le plus
défaut, dans toutes les sphères de
l'activité humaine, c'est un peu
d'équité, un peu de justice envers
l'adversaire, nous sommes guettés tous les
jours par un ennemi terrible, et si, par malheur,
notre vigilance vient à se relâcher,
il fait de nous sa proie certaine. Cet ennemi, je
vous le signale, c'est t'esprit
de parti. Gardez-vous de son levain impur. S'il
s'infiltrait dans votre âme, il vous
empêcherait à tout jamais de devenir
un homme.
Pour devenir un homme, il faut commencer par un
grand acte d'abnégation.
Il est nécessaire de rompre,
et sans retour, avec tout ce qu'il y a dans la vie
de factice, de superficiel, de conventionnel, pour
retourner aux sources pures et profondes de
l'humanité réelle; il est
nécessaire d'abandonner tout ce qui divise
les hommes et en fait des adversaires, pour
rechercher ce qui les unit et en fait des
frères. L'évolution intérieure
à laquelle je fais allusion n'a rien de
fantaisiste, ni qui puisse inspirer de la
méfiance par sa nouveauté. Elle
est possible, véritable,
et date de loin. Lorsque le Christ, au milieu des
innombrables désignations, par lesquelles
ses contemporains s'honoraient ou se stigmatisaient
entre eux, prenait le titre de Fils de l'homme, il
indiquait et réalisait du même coup
cette transformation essentielle. Lorsqu'il
exigeait de ses disciples de renaître, de
devenir des hommes nouveaux, il montrait, avec une
insistance que personne ne peut
méconnaître, la
nécessité de mourir à toutes
les vieilles choses. Saint Paul, au sortir de la
crise qui fit de lui un chrétien,
s'écrie, et ce cri est comme le cri du sang
de la fraternité retrouvée : «
En Christ il n'y a ni maître, ni esclave, ni
juif, ni grec, mais une nouvelle créature!
» - Nous sommes par conséquent sur le
bon terrain et dans la bonne tradition. La parole
de notre texte, quoique choisie dans l'Ancien
Testament, n'est nulle part mieux à sa place
que sur les lèvres mêmes du Fils de
l'homme. Il nous semble l'entendre dire à
tous les siens, et en particulier
à ceux qui aspirent au
redoutable honneur de devenir Bergers d'hommes:
Soyez des hommes! - Après avoir
consommé le grand sacrifice, et rompu avec
toute vaine distinction, pour devenir un homme, il
faut conclure une alliance nouvelle. Il faut
refaire le vieux pacte avec le Père et avec
les frères, et s'efforcer de réaliser
le double idéal que nous allons essayer de
tracer et qui consiste à être un homme
de Dieu et un homme du peuple.
I
Un homme de Dieu. On appelait ainsi les
prophètes d'Israël. Y aurait-il quelque
prétention à s'inspirer de leur
esprit et de leur Oeuvre, que le Christ est venu
accomplir? Non. Si le plus humble brin d'herbe de
la vallée peut être touché du
même rayon qui éclaire les sommets les
plus élevés, pourquoi celui qui
alluma, à travers les
siècles, les grandes âmes des
prophètes comme autant de phares lumineux,
ne pourrait-il pas faire descendre, jusqu'en nos
abîmes, une étincelle du feu qui les
embrasa?
Ce qui caractérise les
prophètes, c'est qu'ils tiennent leur foi
robuste de première main. Ils ne sont pas
croyants de confiance ou par procuration, mais
d'inspiration et par contact immédiat. Plus
respectueux que personne du passé religieux
de leur peuple, ils le vivifient en se
l'assimilant. Ils unissent dans leur personne, en
une harmonie étroite, ces deux choses qu'on
ne rencontre, d'ordinaire, qu'opposées l'une
à l'autre : la fidélité
à la tradition, lien organique à
travers lequel chacun se rattache à ses
origines religieuses, comme on se rattache par
l'hérédité à ses
origines matérielles; et la
spontanéité, l'originalité qui
rend la croyance vivace et neuve, en la faisant
jaillir avec puissance de l'individu
lui-même. En un mot, ils sont de LIBRES
CROYANTS, portant en eux la preuve que le Dieu qui
avait parlé aux
pères parle encore aux enfants. Il faut que,
dans ce même sens, chacun de nous soit un
homme de Dieu. Nous ne pourrons jamais aimer ni
vénérer assez tout ce passé
religieux, par qui le suc et le sang de notre vie
morale nous furent transmis. jamais, en nous
arrêtant devant ces monuments et ces
symboles, où l'humanité raconte ses
larmes, ses chutes, ses recherches, ses combats,
comme sa paix, sa réconciliation, ses
victoires spirituelles; jamais en nous inclinant
sur ces pages sacrées, toutes
brûlantes d'amour, tout
imprégnées d'un souffle de Dieu,
nous, les derniers venus de leurs enfants, nous ne
pourrons assez vénérer, pour toutes
leurs peines, nos pères sur la terre, ni
adorer assez, pour ses miséricordes
immortelles, le Père qui est aux cieux! Mais
la meilleure manière de démontrer
notre gratitude, c'est de faire fructifier tout ce
capital religieux, et de continuer, en l'adaptant
au présent par un patient labeur
intérieur, la grande oeuvre divine des
siècles. Celui-là
comprend le mieux le
présent et le sert le mieux, qui le sert et
le comprend à la lumière du
passé. Celui-là sait le mieux
apprécier le passé, qui le sent
revivre en lui, sous la secousse frémissante
du présent. Voilà qui impose de
grands devoirs à tout homme religieux, mais
surtout au pasteur qui veut être un
initiateur, un gardien des choses
saintes.
La préparation
théologique, par laquelle vous arrivez
à la carrière pastorale, a pour but
de vous aider à mieux remplir ces devoirs.
Leur importance est telle que nul labeur
opiniâtre, nulle lutte avec les vieux textes
et les traditions antiques, nul problème
ardu ne doivent vous paraître trop
pénibles. Parfois, au cours de tout ce
travail, il survient des états d'âme
délicats, des crises spirituelles., des
hésitations, des doutes. Quelques-uns se
sont demandé si le genre d'études
auquel vous vous astreignez servait la foi, ou la
contrariait? On en est venu jusqu'à
suspecter ces études., et presque à
les condamner. Grave erreur !
Coûte que coûte il faut passer par
là ! Il peut y avoir (qui donc en doute, les
faits sont là), il peut y avoir une foi
ardente, féconde en oeuvres, chez les
simples, comme il peut se rencontrer de courageux
soldats, des matelots intrépides, parmi ceux
qui ne connaissent ni stratégie ni science
navale; mais autre chose est le devoir du soldat,
autre celui du chef; autre la fonction du matelot,
autre celle du pilote. Les temps, d'ailleurs, en
changeant tout, transforment nos devoirs. Dieu,
autrefois, appela Amos du milieu de ses troupeaux,
pour en faire un prophète en Israël;
mais nos réformateurs, et Luther tout le
premier, pour devenir les prophètes de leur
temps, durent se frayer à travers la Bible
et les traditions humaines un chemin dur à
gravir. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils purent
retirer du fourreau, où la rouille le
couvrait, le vieux glaive du verbe divin, et le
fourbir pour de nouveaux combats.
Le chemin qu'ils ont choisi est le
nôtre; rien ne saurait
nous dispenser de le suivre aussi. Dieu merci,
d'ailleurs, ce travail d'interprétation,
d'assimilation du passé religieux, a
derrière lui sa période la plus
difficile, et nous ajouterons la plus ingrate! Dieu
merci, nous n'en sommes plus à penser que
l'étude critique des livres sacrés
soit une des pires façons de leur manquer de
respect! Dieu merci, nous n'en sommes plus à
ce point désolant de la route, où la
lassitude vous prend et devient mauvaise
conseillère! Nous avons compris, enfin, que
la vérité religieuse n'est pas en
deçà des formes où le
passé l'enfermait, dans une sorte de
réduction misérable, de piteux
minimum, mais au delà, infiniment ait
delà. Bien loin d'en dire trop, les
pères n'en ont pas dit assez. Les saintes
réalités que la foi nous fait
entrevoir au fond des mystères où
nous vivons, sont si belles et si grandes que leurs
enveloppes les plus riches, leurs formules les plus
majestueuses ressemblent à des
bégaiements d'enfant, que le Père
seul peut comprendre. La joie de
croire, de vivre et de construire est revenue dans
nos coeurs. Un de nos maîtres a pu dire que
nous sommes aujourd'hui mieux outillés pour
comprendre les prophètes et le Christ
lui-même, que leurs contemporains les plus
immédiats, et il avait raison. Nous devons
cela à cette science patiente,
obstinée, scrupuleuse, qu'on appelle la
théologie historique. Rien n'égale
l'honneur qu'elle mérite, si ce n'est le mal
qu'on en a dit; mais pour la venger de tout ce mal
et l'honorer dignement, il n'est qu'un seul moyen:
colliger, employer les matériaux qu'elle
nous met tout taillés sous la main, afin de
continuer à édifier et à
cimenter ce temple de Dieu dont nos pères
jetèrent en sol profond les fondements
indestructibles, et où, un jour,
l'écho de leurs vieux psaumes se
mêlera à nos chants nouveaux.
Mais ce n'est pas seulement par les pieuses
études que le pasteur doit être un
homme de Dieu; il doit l'être aussi par sa
vie religieuse intime. Ici je ne dirai que peu de
mots : au sanctuaire du coeur, le silence et la
discrétion seuls conviennent. Mais je vous
dirai encore : Sois un homme! Un homme par
l'humilité, par le sentiment douloureux du
péché, sainte meurtrissure sans
laquelle il n'est donné à personne de
connaître le salut; un homme par la
solidité du sentiment religieux, exempt de
toute fantaisie malsaine et de toute rêverie
sans virilité; un homme par la droiture, par
le courage d'être seul, par cette
indépendance de conviction et cette absence
de respect humain que procure la crainte de Dieu;
un homme dans la tentation, dans
le malheur, dans les
misères et les sacrifices endurés
sans murmure, pour une cause toujours
attaquée; un homme par la joie de vivre et
la simplicité d'accepter la mort; un homme
par la résignation et l'abandon à
Celui qui, seul, connaît toutes choses; un
homme par la prière, cette fonction royale
de l'humanité divine; un homme, un homme de
Dieu, un chrétien, enfin, par cette vie
intérieure où règnent la
sérénité, la clémence,
la paix, et où se réfugie, en
attendant que le monde veuille la recevoir, la
sainte image de l'Église universelle.
II
Et cependant, si le pasteur n'était qu'un
homme de Dieu, par l'étude, la vie
intérieure, la foi libre et puissante,
l'adoration, il serait incomplet. Que dis-je? il ne
saurait être cet homme-là sans
être en même temps un homme du peuple.
Ici aussi, dès le
commencement, écartons la contrefaçon
de l'idéal qui nous inspire. Des jouets du
peuple, des flatteurs de la foule, des excitateurs
de ses plus malsaines passions, ce n'est pas
là ce qu'il nous faut. Des
personnalités pareilles, le besoin ne s'en
fait pas sentir, nous en sommes
encombrés!
Que le pasteur soit un homme du
peuple cela veut dire qu'il ne soit pas l'homme
d'une caste, d'un groupe isolé et
renfermé en lui-même, où se
développent des intérêts
factices, où ce qui finit par passionner les
initiés est peut-être une chose
indifférente au bien général.
Que le pasteur vive de la vie de tous! Le peuple
d'ailleurs pour lui n'est pas une classe
particulière. Est peuple et populaire ce qui
est commun à tous, ce qui va d'un bout de
l'humanité à l'autre et fait vibrer
tous les coeurs, qu'on soit lettré ou
illettré, puissant ou misérable,
opulent ou indigent. - Sans doute, le pasteur doit
être, avant tout, l'homme des petits et des
vaincus, de tout ce qui est écrasé,
souffrant, perdu; de tous ceux
qui font le mal et se souillent sans savoir ce
qu'ils font, et pour lesquels, d'âge en
âge, monte vers le ciel la prière du
Sauveur expirant : Père! pardonne-leur, ils
ne savent pas ce qu'ils font! Il faut que les
rivages de son âme soient battus nuit et jour
par les grandes vagues des douleurs humaines. Qu'il
se souvienne que c'est Dieu qui souffre dans ses
pauvres enfants, puisqu'il nous dira au dernier
jour : J'ai eu faim, j'ai eu soif, et que tous, le
pasteur surtout (c'est Jésus qui le dit),
seront jugés selon qu'ils auront
été miséricordieux ou
impitoyables. Mais, malgré cela, il est
indispensable que, pour le pasteur, le pauvre et
l'ignorant n'existent pas seulement comme
l'être souffrant dont on doit avoir
pitié, dont on doit plaider la cause,
défendre les droits, réparer les
maux, mais comme homme et enfant de Dieu. Il faut
oublier parfois cet accident, la pauvreté,
pour se souvenir de cette substance:
l'humanité.
Le plus grand bien qu'on puisse
faire à l'être isolé,
méprisé, affaissé sur
lui-même, c'est de le traiter en
frère, sans air de protection et sans
bassesse, mais simplement, et en toute
vérité. Celui qui sait faire cela,
avec le tact et l'esprit que comporte l'occasion,
accomplit un acte qui vaut bien des paroles. Nous
dirons donc au pasteur : avec le pauvre,
l'ignorant, le misérable, sois un homme, un
frère. Et nous ajouterons: sois un homme, un
père pour l'enfant malheureux!
C'est ici, j'ose le dire, sans
craindre de blesser Celui qui appelait à lui
les petits, le côté le plus touchant
du devoir pastoral. L'enfant du peuple, l'enfant
abandonné, l'enfant qu'on scandalise et
corrompt, l'enfant infirme! Si nous pouvons deviner
le coeur du Dieu Père à travers nos
propres émotions paternelles, d'autant plus
vives qu'elles sont éveillées par des
êtres plus souffrants, nous sommes
obligés d'en conclure que le point de ce
vaste univers où se concentrent
le plus de rayons de la
pitié divine doit être, bien
certainement, la tète humble et
oubliée de l'enfant du peuple. je vous le
recommande. En le voyant faible et sans
défense, à la merci de tout, parfois,
vous songerez à ceux que Dieu nous amena des
chaumières et des demeures obscures, pour
les faire grands dans son royaume; vous songerez
surtout à l'enfant du charpentier de
Nazareth, ce pauvre à qui nous devons toutes
choses; et mieux que dans les splendeurs de la
création et les richesses de la vie
intérieure, vous comprendrez
l'évangile du Fils de l'homme, en le
contemplant et en le servant dans ces petits avec
lesquels il s'est identifié.
Il vous tendra la main, il marchera
près de vous, il vous soutiendra; vous ne
serez plus qu'une âme par la pitié, la
charité, la soif d'aimer, de souffrir et de
consoler.
Mais le pasteur se doit, dans une
mesure égale, aux lettrés, aux
puissants, à ceux que le
monde appelle, hélas !
les heureux. Le plus grand malheur des rois est que
ceux qui leur parlent n'oublient jamais qu'ils
parlent au roi. Il faut que, par une série
d'efforts, le pasteur tâche d'arriver
à ce point optique où l'on ne voit
plus devant soi la puissance, la richesse, la
science, pas plus qu'on' n'apercevait tout à
l'heure l'ignorance et la misère, pour ne
regarder que l'homme. Au fond, par la grandeur et
l'indignité, par les vestiges de vie divine
et par les ravages du péché, nous
sommes tous les mêmes, et nous portons, sous
nos haillons ou sous notre splendeur, le même
coeur altéré.
Heureux le pasteur qui connaît
le sentier des coeurs, et vient à eux,
messager de Dieu, apporter, selon ce que l'heure
demande, la sévérité ou la
clémence, l'avertissement pressant, ou le
verre d'eau vive qui réconforte et fait
renaître.
Comme le Christ, son maître,
qui fut le médiateur, le pasteur doit
s'appliquer à être médiateur
à son tour. Qu'il élargisse son
horizon, qu'il regarde la vie,
qu'il en sonde les leçons, qu'il se
renseigne à droite, à gauche, en bas,
en haut, et que, partout fraternel, et impersonnel
partout, il soit une puissance de concorde; qu'il
pleure avec ceux qui pleurent, et se
réjouisse avec ceux qui sont dans la joie. -
Que parfois aussi il sache retrouver le front
d'airain des vieux prophètes, et qu'en face
du mal triomphant, impudent, il apparaisse, fort de
sa conscience, comme un roc irréductible.
Qu'il comprenne, enfin, la noblesse d'un
ministère, unique au monde, où,
étant le serviteur des serviteurs, on ne
dépend que de Dieu seul.
En étant cet homme, en
faisant cette oeuvre, vous serez un berger
fidèle, et le Berger suprême vous
bénira.
Car enfin, disons-le hautement, de quoi
s'agit-il à l'heure où nous sommes?
D'établir la puissance
d'une Église ? de résoudre des
problèmes de philosophie? de vider,
peut-être, un vieux différend
théologique ou ecclésiastique? Non !
mille fois non!
Il fait nuit dans l'âme
humaine, nuit noire presque partout, et ce dont il
s'agit, c'est de faire pénétrer dans
cette obscurité un rayon de lumière
divine. Comment y parvenir? Pour ceux qui
prêchent, parlent, sèment, il est des
moments de grande lassitude, de
découragement profond. Il semble que plus
rien ne prenne ni ne morde sur le fonds ingrat que
nous travaillons. Que faire alors? Voici: Ce
siècle a parcouru le cycle des raisons et
des systèmes; il a épuisé
toutes les phases de la vie spirituelle
représentative. Il ne se convertira plus
à la foi et à l'espérance pour
des motifs rationnels. La seule chance de salut qui
nous reste est de le convaincre par l'action, en
étant des hommes. Aussi, à tous ceux
qui se sont fatigués en appels, en discours,
à toutes les voix dans le
désert, nous voudrions
crier: ne parlez plus, agissez! taisez-vous et
soyez des hommes! « Si vous voulez faire
revivre l'Évangile, soyez l'Évangile
vivant!» Une vérité domine de
bien haut tout ce qui est relatif aux
révélations de Dieu, qu'elles nous
arrivent par la Bible, l'histoire du monde ou nos
expériences intérieures:
- LE DIEU QUI VEUT SAUVER LE MONDE SE TRADUIT
- EN VIE HUMAINE, IL SE FAIT HOMME.
- Quelle démonstration qu'une vie!
- Quelle preuve qu'un caractère !
- Quel argument qu'un homme!
Lorsque, mon frère, vous aurez compris
jusqu'au fond cette grande vérité, ne
vous demandez jamais, en la pratiquant, combien
vous êtes pour la servir. Travaillez et
espérez!
Souvenez-vous de cette scène
si religieuse et si riche en symbolique
poésie, que chaque Noël nous remet en
mémoire.
Souvenez-vous des bergers solitaires
et fidèles auxquels, en premier lieu, les
anges annoncent, la nuit, la naissance du Sauveur.
Il en sera ainsi toujours!
Lorsque l'aube s'apprête
à paraître, bien avant que sa
pâleur matinale ne teigne la frange du ciel,
de petits cris, chants timides encore et
indécis, se produisent, çà et
là, dans la campagne. Ce sont les premiers
oiseaux éveillés auxquels, au sein
des ténèbres, quelque chose a dit que
la nuit va finir. Ils ne se connaissent pas; mais
de distance en distance, leurs voix se
répondent et se comprennent, et leur
instinct prophétique ne les trompe pas.
Soyez comme eux, vous qui, à travers
l'obscurité du présent,
espérez et annoncez un temps meilleur!
Bientôt, n'en doutez pas, Dieu
ramènera au ciel son aube, sa magnifique
aurore, et de tous les sommeils de
la terre, de tous les
engourdissements, de toute cette immobilité
morne et muette, sortira le mouvement
frémissant. Des voix toujours plus
nombreuses et plus fortes se rapprocheront,
s'uniront, et ce ne sera plus (courage! ô
vous qui commencez), ce ne sera plus le chant
timide et incertain des premiers messagers de
l'aube, mais l'harmonie immense et victorieuse : ce
sera la fanfare du matin!
Amen.
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