HUDSON TAYLOR
TROISIÈME PARTIE
LES ANNÉES DE
PRÉPARATION - LONDRES ET VOYAGE
1852-1854
(de vingt à
vingt et un ans)
CHAPITRE 12
Rien de certain si ce n'est...
septembre et octobre 1832
Le vapeur qui relie Hull à Londres
remontait lentement la Tamise au milieu du bruit
des sirènes. C'était le 26 septembre
18,52, un samedi. Hudson Taylor, comme les autres
passagers, comptait débarquer le soir
même. Mais le brouillard devenant de plus en
plus épais, il n'y eut rien d'autre à
faire qu'à jeter l'ancre et à
attendre jusqu'au matin. Vers midi, il fut possible
d'atteindre la Tour de Londres, et la plupart des
voyageurs descendirent à terre. Pour ceux
qui restaient à bord, il y avait encore
quelques bonnes heures de tranquillité, et
Hudson Taylor en était spécialement
reconnaissant au moment où se tournait une
nouvelle page de sa vie.
Personne mieux que lui ne savait combien
tout était nouveau et combien il avait
besoin de la force qui vient de Dieu seul. Il
n'avait parlé ni à sa mère, ni
même à sa soeur qui avait passé
avec lui les dernières journées
à Drainside, de la décision qu'il
avait prise avant de quitter Hull et qui
remplissait ses pensées alors qu'il
arpentait le pont du bateau. Ses amis et ses
parents savaient qu'il se rendait à Londres
tout en subvenant à ses besoins, si
possible, tandis qu'il complétait ses
études médicales. Ils savaient que la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine avait
offert un appui financier et en concluaient que, vu
qu'il avait refusé des promesses d'aide
venant de sa propre famille, il devait avoir des
moyens suffisants. Et voici, il n'avait rien de
plus et rien de moins que toutes les promesses de
Dieu. Il avait un peu d'argent de poche et quelques
livres sterling mises de côté, en vue
de payer son équipement pour la Chine. Il
avait reçu l'assurance d'être
aidé pour les frais d'hôpital et une
invitation à passer quelques jours ou
quelques semaines chez son oncle pendant qu'il
chercherait une situation. Mais à part
cela, il ne pouvait attendre,
humainement parlant, que le dénuement dans
la grande ville où il était presque
un étranger.
Toutefois, malgré l'approche de
l'hiver, cela ne lui causait aucun souci. Pour
l'avenir immédiat, comme pour l'avenir plus
lointain, il avait une confiance pleinement
suffisante. Si elle devait fléchir, il
valait mieux faire cette découverte à
Londres qu'en Chine.
Délibérément et de son propre
chef, il avait renoncé à tout secours
possible, afin d'avoir la preuve absolue que, dans
des circonstances difficiles, Dieu Lui-même
prendrait soin de lui. C'était de Dieu, du
Dieu vivant, qu'il avait besoin, d'une foi plus
forte pour s'appuyer sur Sa fidélité,
et pour s'en remettre à Lui en toutes
circonstances. Confort ou gêne à
Londres, moyens ou absence de moyens, tout cela lui
semblait secondaire comparé à la
connaissance plus intime de Celui dont il
dépendait. Maintenant, il avait une occasion
inattendue de mettre cette connaissance à
l'épreuve, et il avançait,
résolu, dans l'assurance que le Seigneur,
qui avait répondu déjà avec
tant de bonté à sa petite foi,
prendrait soin de lui.
Voici comment il raconta lui-même
par quel chemin il avait été
amené à prendre cette position juste
avant de quitter Drainside :
J'arrivai peu à peu à
la conviction que je devais quitter Hull pour
suivre des cours de médecine à
l'Hôpital de Londres. J'avais tout lieu de
croire qu'après un court stage, l'oeuvre
pour laquelle j'étais appelé en Chine
pourrait commencer. Mais tout en me
réjouissant beaucoup de ce que Dieu voulait
bien m'écouter, exaucer et aider son enfant
mi-confiant et mi-craintif, je sentis que je ne
pouvais partir pour la Chine sans avoir encore
développé et mis à
l'épreuve ma capacité de me reposer
sur Sa fidélité. Une occasion toute
spéciale d'agir ainsi me fut
providentiellement donnée.
Mon père m'avait offert de
supporter tous les frais de mon séjour
à Londres. Mais je savais que, par suite de
récentes pertes d'argent, cela aurait
été pour lui un sacrifice
considérable... J'avais été
récemment en rapport avec le Comité
de la Société pour
l'Évangélisation de la Chine, et en
particulier avec son secrétaire, mon cher
ami, M. Georges Pearse. Ignorant la proposition de
mon père, le Comité avait eu la
bonté de m'offrir de se charger de mes
dépenses pendant que je serais à
Londres. Lorsque ces ouvertures me furent faites,
je n'étais pas au clair sur la conduite
à tenir et, en répondant à mon
père et aux secrétaires, je leur dis
que je consacrerais quelques jours à la
prière, avant de prendre une
décision. Je mentionnai à mon
père l'offre de la Société et
parlai aux secrétaires de l'aide que me
proposait mon père.
Par la suite, en priant et en
attendant les ordres de Dieu, il devint clair
à mon esprit que je pouvais sans
difficulté décliner les deux offres.
Les secrétaires de la Société
ne sauraient pas que je m'en remettais
entièrement au secours de Dieu et mon
père conclurait que j'avais accepté
l'autre proposition. Je refusai donc de part et
d'autre et réalisai que, sans que personne
eût à se faire du souci à mon
sujet, j'étais simplement dans les mains de
Dieu et Lui, qui connaissait mon coeur,
bénirait ma décision de
dépendre de Lui seul au pays, s'Il
désirait m'encourager à partir pour
la Chine.
Ce fut donc le coeur plein de
courage qu'Hudson Taylor se rendit le lundi matin
près de Soho Square, à la pension
d'un certain M. Ruffles, où vivait son oncle
Benjamin Hudson. Cet oncle, le plus jeune
frère de sa mère, était un
homme très intelligent, peintre de valeur,
d'une société fort agréable,
et qui avait quelques relations dans le monde
médical. Avec lui vivait un cousin d'Hudson,
Tom Hodson, frère de John que nous avons vu
à Barnsley et qui était maintenant
assistant du Dr Hardey. Par mesure
d'économie, Hudson accepta l'offre qu'il lui
fit de partager sa chambre ; c'était une
mansarde au troisième, aussi chère et
moins confortable que sa chambre de Drainside. Mais
enfin il avait ainsi un pied-à-terre
à Londres et un abri à lui dans la
vaste cité.
Son oncle et son cousin avaient
approuvé son idée de venir à
Londres faire ses études de médecine
et étaient prêts à l'aider.
Mais ils ne comprenaient rien à son
attitude. La façon dont il refusait de
s'engager dans des études
régulières à cause d'un appel
missionnaire pour la Chine les surprenait beaucoup,
d'autant plus que la Société sur
laquelle il comptait ne semblait pas
s'intéresser à lui. Ce fut là
pour Hudson Taylor la surprise la plus
pénible. Il n'avait pas attendu beaucoup de
sympathie à ce sujet de la part de ses
hôtes ; mais il pensait que M. Pearse, avec
lequel il était en correspondance depuis
deux ans, le comprendrait et serait disposé
à le conseiller et à l'aider.
Dès qu'il le put, il partit donc de Soho et
se mit à la recherche du bureau de la
Société, ne se doutant guère
du désappointement qui
l'attendait.
En effet, M. Pearse était
très occupé ce jour-là et ne
put le recevoir qu'un instant. Il faut se souvenir
que, tout en étant secrétaire de la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine, il
était aussi un homme d'affaires. Ce
n'était pas par manque
d'intérêt qu'il le renvoya si
rapidement, mais simplement parce
qu'il était
accaparé par d'autres devoirs et ne se
rendait pas compte de ce que cette visite à
Londres signifiait pour son jeune ami. On n'avait
pas pris encore, lui dit-il, de décision
définitive. Maintenant qu'il était
prêt à suivre des cours, il fallait en
discuter avec le Comité ; cela prendrait
naturellement un certain temps. Ne pourrait-il pas
venir à Hackney un de ces prochains
dimanches et parler de tout cela plus à
loisir ?
Heureusement qu'Hudson Taylor
s'appuyait sur Dieu seul et connaissait Sa
fidèle sollicitude. Il avait appris par un
employé du bureau que rien ne pouvait
être décidé avant qu'une
demande en règle soit adressée au
Comité.
La Société l'aiderait
probablement, comme on le lui avait fait
espérer ; mais tout devait se faire dans un
certain ordre. S'il y avait urgence, le mieux
était d'envoyer sa demande tout de suite,
pour ne pas manquer la prochaine séance du
Comité, le 7 octobre, car elle n'avait lieu
que tous les quinze jours.
Le 7 octobre! Et l'on n'était
pas encore à la fin de septembre. Il pensait
que si l'on ne prenait pas de décision
à son sujet ce jour-là, il lui
faudrait attendre encore une quinzaine,
peut-être deux. Il songeait à ses
économies qui fondaient et se demandait ce
que l'on dirait à la pension, où l'on
plaisantait déjà son incertitude.
Mais il avait confiance en Dieu, et il jugeait la
fin d'après le commencement : Dieu avait
été l'Alpha, Il serait l'Oméga
et se chargerait de tout ce qu'il y avait entre
deux.
Ainsi, il envoya sa demande et, en
attendant le résultat, il se mit à
travailler de son mieux dans la chambre qu'il
partageait avec son cousin. Les occupations de ce
dernier, qui étudiait les arts
décoratifs, lui laissaient beaucoup de
temps, et les critiques, bienveillantes d'ailleurs,
qu'il lui adressait ne contribuaient guère
à tranquilliser l'esprit du jeune homme.
Mais il y a quelque chose de meilleur que le
bien-être extérieur et le confort.
Dans des circonstances toutes nouvelles, Hudson
Taylor apprenait la leçon d'autrefois : se
confier dans le Seigneur et attendre patiemment Son
heure.
Pour ce qui est de tes questions,
écrivait-il à sa mère le 2
octobre, je veux essayer d'y répondre de mon
mieux. À vrai dire, tu connais mes projets
aussi bien que moi. Car il n'y a encore rien de
certain, si ce n'est la promesse de Dieu : «
Jamais je ne te laisserai ni ne t'abandonnerai.
»
Je n'ai pas de situation et je
n'en cherche pas... La vie à Londres est
pour moi une épreuve. Il y a tant de bruit
et de distractions. Tu ne peux te figurer la
différence que cela fait d'être au
milieu de gens légers, insouciants,
mondains, après la tranquillité dont
j'ai joui dernièrement. Mais il m'est doux
de réaliser que je suis « gardé
par la puissance de Dieu » et rendu capable de
dire avec l'apôtre : « Dans toutes ces
choses, nous sommes plus que vainqueurs par Celui
qui nous a aimés. »
Je suis entièrement entre
les mains du Seigneur et Il me
dirigera.
Cependant, l'incertitude, ne
disparut pas lors de la séance du 7 octobre.
Chose étrange, le Comité sembla
trouver nécessaire d'avoir des
renseignements complémentaires à son
sujet. Tout ce qu'il fit, ce jour-là, ce fut
de décider de lui demander une série
de certificats à produire à la
prochaine rencontre. Ce fut la première
expérience d'Hudson Taylor du fonctionnement
d'une Société organisée et,
bien que plus tard il vint à comprendre la
nécessité d'avoir des recommandations
dans de telles circonstances, ce lui fut une
leçon qu'il n'oublia jamais dans ses propres
tractations avec des candidats
missionnaires.
La situation dans laquelle il se
trouvait lui était très
pénible, ainsi qu'en fait foi une lettre
qu'il écrivit à sa mère avant
d'avoir connaissance des nouvelles exigences du
Comité :
Comme il est doux de
dépendre du Seigneur pour toutes choses...
Tout, tout est pour le mieux dans la façon
dont Il nous dirige. Et Il dirige et pourvoit, tant
dans les affaires matérielles que
spirituelles, aussi longtemps que nous nous
confions en Lui...
Ne pensons jamais aux
résultats. Abandonnons-les Lui tous.
Qu'importe si, comme Abraham autrefois, nous avons
à partir sans savoir où nous allons.
Lui le sait. Tandis que l'incrédulité
voit seulement les difficultés, la foi voit
Dieu entre elles et nous.
Quant à mes perspectives,
je ne puis te dire grand'chose maintenant. Le
comité s'est réuni jeudi et a
examiné ma demande. Vendredi soir, j'ai
reçu de M. Bird un message par lequel il me
fait savoir que le comité désire
certaines attestations qui seront examinées
jeudi en huit, à la prochaine séance.
C'est un retard sérieux et j'ai l'intention
de voir M. Pearse demain pour lui parler de tout
cela. je ne saisis pas bien pourquoi on me demande
ces attestations. Si on les considère toutes
comme nécessaires, je remercierai le
comité de son amabilité et ne le
dérangerai pas davantage, car je vois qu'il
n'est pas dans les mêmes sentiments que moi.
Grâces à Dieu, je suis aussi
disposé à me passer qu'à
bénéficier de son
appui.
Que ton coeur ne soit pas
troublé, ma chère maman. Celui qui a
pourvu jusqu'à maintenant, qui m'a
protégé et gardé, maintient
mon âme dans une parfaite
paix, et Il fera bien toutes choses. Qu'il est doux
de pouvoir se confier en Lui pour TOUT. Puisse-t-Il
nous employer toujours pour Sa
gloire !
Sûrement, sa foi grandissait
au milieu de cette épreuve. En dehors de la
Société pour
l'Évangélisation de la Chine, quel
espoir avait-il, humainement parlant, de
compléter ses études médicales
et de se consacrer à l'oeuvre de sa vie?
Aucune porte ne s'était ouverte devant lui
après des années de prière et
d'attente. Être refusé par la
Société signifiait être sur le
pavé, à Londres, sans autre solution
que de prendre un emploi et de renvoyer
indéfiniment le départ pour la Chine.
Cependant il était « aussi
disposé à se passer qu'à
bénéficier » de l'appui de la
Société, si telle, était la
volonté de Dieu.
Il avait pris toutefois la
décision de voir M. Pearse pour arriver
à une entente au sujet des attestations
requises. Il se leva donc de bon matin, le
lendemain, et alla à Hackney à temps
pour rencontrer le secrétaire avant son
départ pour la Bourse. En écoutant
Hudson Taylor lui exposer ses difficultés,
M. Pearse parut avoir compris. Les attestations
furent jugées superflues, une lettre, ou
deux seulement furent demandées à
ceux qui le connaissaient le mieux.
Pendant les dix longs jours qui
devaient s'écouler jusqu'à la
réunion du Comité, un message de son
père vint lui apporter une offre
séduisante : celle de devenir son
associé et d'avoir ainsi un foyer et quelque
chose sur quoi s'appuyer. Combien il lui eût
été facile, étant donné
les circonstances, de se détourner de son
but et de choisir un chemin plus agréable!
Mais sa résolution ne fléchit pas.
S'attachant fermement à ce qu'il croyait
être une direction divine, il patienta comme
seuls le peuvent ceux dont l'attente est en Dieu.
Avant la fin du mois, sa foi était
pleinement récompensée, comme nous
l'apprend une lettre du 24 Octobre :
Je suis heureux de ce que les
choses semblent s'arranger; si tout va bien, je
commencerai demain à travailler à
l'hôpital. Je te prie de remercier papa de sa
généreuse proposition... mais ceux
qui se confient dans le Seigneur ont toujours
quelque chose sur quoi s'appuyer.
Ses prières furent
exaucées aussi d'une autre manière.
Tandis qu'il travaillait de son
mieux dans sa mansarde, il ne s'était pas
aperçu que son compagnon, observant ses
expériences intimes, avait été
amené peu à peu à des
conclusions auxquelles il lui était
impossible de se dérober. Aussi Hudson
Taylor eut-il, avant la fin de l'année, la
joie de voir son cousin Tom Hodson partager sa foi
et prendre résolument une attitude
chrétienne.
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