HUDSON TAYLOR
TROISIÈME PARTIE
LES ANNÉES DE
PRÉPARATION - LONDRES ET VOYAGE
1852-1854
(de vingt à
vingt et un ans)
CHAPITRE 15
Je ne te laisserai jamais
septembre 1853 - mars 1854
Hudson Taylor allait s'embarquer comme unique
passager sur un petit voilier, le Dumfries. Le 19
septembre, peu avant l'heure du départ, il
priait avec sa mère dans la cabine à
l'arrière du bateau. Ils avaient peine
à se rendre compte que c'était la
dernière fois pour bien longtemps. Depuis la
décision du Comité ils avaient eu
beaucoup de préparatifs à faire, et
peu de temps pour réfléchir. Et
maintenant, l'heure de la séparation
était venue. Après une visite
à Barnsley, où il avait pris
congé de ses soeurs, après des
réunions à Tottenham et à
Londres, le jeune missionnaire s'était rendu
à Liverpool où sa mère
était venue le rejoindre. Son père
l'avait accompagné, et M. Pearse
était venu représenter la
Société, mais un retard dans la date
du départ les obligea l'un et l'autre
à s'en retourner. Ainsi la mère et le
fils restèrent seuls jusqu'à la fin,
et le récit qu'elle a laissé de leur
séparation est d'un intérêt
tout particulier :
Le dimanche 18 septembre, Hudson fut
abondamment béni aux différents
cultes. Son âme était remplie de
l'amour de Dieu et, dans la soirée, il
écrivit quelques lettres d'adieux à
des parents et à des amis, messages pleins
d'affection rendant un beau témoignage
à la puissante grâce de Dieu qui
l'avait soutenu. On pouvait se rendre compte que,
librement et joyeusement, il quittait tout pour
apporter la lumière de la connaissance de
Dieu à ce pays
enténébré qu'il aimait depuis
si longtemps et pour lequel il s'était
préparé et avait travaillé et
prié.
En me voyant pleurer, il dit
:
« Oh ! mère, ne
t'afflige pas je suis si heureux ! Je pense que la
différence qu'il y a en ce moment entre nous
deux vient de ce que tu arrêtes tes
pensées sur mon départ tandis que je
songe surtout à la réunion
éternelle. »
Avant de se retirer pour la nuit,
il lut à haute voix une partie du chapitre
14 de Jean : « Que votre coeur ne se trouble
point », et il pria. Le Trône de la
grâce lui était d'un accès
facile. Tandis qu'il remerciait
Dieu de toutes les grâces reçues et
qu'il demandait de nouvelles
bénédictions pour lui-même,
pour ceux qu'il quittait, pour l'Église et
pour le monde, je sentais combien l'intercession
était sa vie.
Le lendemain matin, nous nous
rencontrâmes vers dix heures dans la cabine
du Dumfries où nous fûmes rejoints par
M. Plunkett, un pasteur âgé, dont nous
avions fait la connaissance pendant notre
séjour à Liverpool. Après une
courte conversation, on proposa de chanter et de
prier et Hudson entonna d'une voix ferme et claire
le beau cantique :
- Que le nom de Jésus est doux
- Pour le coeur du croyant.
- Seul il apaise, il guérit tout
- Et chasse le tourment.
Après une prière de M.
Plunkett, Hudson se mit à prier à son
tour et un étranger ne se serait
guère aperçu que cette voix
décidée, cette attitude calme, ces
expressions joyeuses étaient celles d'un
jeune homme qui, dans quelques minutes, allait
quitter ses parents, ses soeurs, ses amis, sa
maison et sa patrie. Mais son coeur était
assuré dans le puissant Dieu de Jacob, aussi
son courage ne faiblit-il pas. Il n'eut qu'un
léger moment de trouble, lorsqu'il
recommanda à son Père céleste
ceux qu'il aimait une lutte d'un instant,
après laquelle tout fut calme. Il n'oubliait
cependant pas qu'il entrait dans, une époque
d'épreuves, de difficultés et de
dangers; mais, considérant tout cela
d'avance, il s'écriait: « Aucune de ces
choses, ne m'émeut et je compte ma vie pour
rien, pourvu que je puisse achever avec joie ma
course et le ministère que j'ai reçu
du Seigneur Jésus, pour rendre
témoignage à l'Évangile de la
grâce de Dieu. » Ce fut une heure
mémorable...
Après la prière,
Hudson lut un psaume. Peu après, nous nous
rendîmes sur le pont, dans l'intention de
descendre à terre. À notre surprise,
le bateau avait quitté son poste de
mouillage et était à peu près
hors du dock.
Puis vint pour moi le moment le
plus pénible - la bénédiction
d'adieu, l'étreinte dernière. Le
bateau s'était rapproché du bord; une
main secourable se tendit et je sautai à
terre, sans bien savoir ce que je faisais et
m'assis sur une poutre qui se trouvait là.
Un frisson me prit et je tremblai de la tête
aux pieds. Mais aussitôt je sentis ses bras
autour de mon cou et il me pressa encore une fois
avec amour sur sa poitrine. Voyant ma
détresse, il avait couru à moi pour
me faire entendre des paroles de
consolation.
« Chère maman,
disait-il, ne pleure pas. Ce n'est que pour un peu
de temps que nous nous séparons, puis nous
serons de nouveau réunis. Pense au but
glorieux pour lequel je te quitte. Ce n'est pas
pour la richesse ou les honneurs, mais pour essayer
d'amener les pauvres Chinois à la
connaissance de Jésus. »
Comme le vaisseau
s'écartait, il dut y retourner, et nous le
perdîmes de vue un instant. Il avait couru
à sa cabine, et après avoir
écrit en toute hâte au crayon sur la
page blanche d'une Bible de poche :
« L'amour de Dieu qui
surpasse toute intelligence, J. H. T. », il
revint et me jeta le livre sur le
quai.
Un instant plus tard le navire
s'approcha de nouveau pour prendre le second qui
nous serra chaudement la main « Soyez
courageuse, dit-il, je vous rapporterai de bonnes
nouvelles. »
Une fois de plus notre
bien-aimé tendit la main et je la saisis
avec empressement. Nous échangeâmes un
autre : « Bon voyage ! Dieu te bénisse
», puis les eaux profondes de la Mersey nous
séparèrent.
Tandis que nous agitions nos
mouchoirs en suivant des yeux le navire qui
s'éloignait, il se plaça à la
proue et monta ensuite dans les agrès,
brandissant son chapeau et ressemblant plus
à un héros victorieux qu'à un
tout jeune homme entrant dans la bataille...
(1).
Les propres souvenirs d'Hudson
Taylor, écrits longtemps après,
montrent combien il fut sensible, lui aussi,
à cette séparation.
Ma mère bien-aimée
m'avait accompagné à Liverpool. je
n'oublierai jamais ce jour-là, ni sa visite
dans la cabine où je devais passer
près de six longs mois. D'une main
maternelle, elle caressa le petit lit. Elle s'assit
à côté de moi et nous
chantâmes ensemble avant de nous
séparer; nous nous mîmes à
genoux et elle pria - la dernière
prière que j'entendis prononcer par ma
mère avant mon départ pour la Chine -
puis on nous avertit qu'il fallait nous
séparer, et nous dûmes nous dire au
revoir, ne pensant jamais nous revoir sur la
terre.
Par amour pour moi, elle
maîtrisait son émotion autant qu'elle
le pouvait. Nous nous quittâmes et elle
descendit à terre en me donnant sa
bénédiction. Je restai seul sur le
pont et elle suivit le navire tant qu'il longea le
quai. Mais lorsqu'il sortit du bassin et que la
séparation commença vraiment, le cri
d'angoisse qui s'échappa du coeur de ma
mère me transperça comme une lame. Je
ne l'oublierai jamais. Je n'avais jamais compris
aussi complètement, jusqu'alors, ce que veut
dire : Dieu a tant aimé le monde. Et je suis
sûr que ma précieuse mère
apprit davantage de l'amour de Dieu pour les perdus
en cette seule heure que pendant toute sa vie
jusqu'à ce moment-là.
Oh ! comme cela doit attrister le
coeur de Dieu quand Il voit Ses enfants
indifférents aux besoins de ce vaste monde
pour lequel souffrit et mourut Son
bien-aimé, Son Fils unique.
Le voyage fut un temps de
bénédiction pour le passager
solitaire à bord du Dumfries. Long et
monotone à bien des égards, puisqu'il
devait durer cinq mois et demi sans toucher terre,
il fut pourtant, d'une façon
générale, une expérience
fortifiante et bienfaisante après les
premières terribles
journées.
Jamais peut-être bateau ne dut
affronter pires dangers que le petit voilier avant
qu'il pût atteindre la haute mer. Il semblait
presque que le « prince de l'autorité
de l'air », connaissant quelque chose des
possibilités incarnées dans le jeune
missionnaire à bord, faisait tous ses
efforts pour couler le Dumfries. Pendant douze
longues journées, il fut ballotté
dans le détroit de Saint-Georges,
tantôt en vue de l'Irlande, tantôt en
vue de la côte dangereuse du Pays de Galles.
Durant la première semaine, il fut pris
presque continuellement dans la houle de
l'équinoxe, à un point tel que,
poussé dans la baie de Carnavon, il fut
à un doigt d'être brisé sur les
rochers. Cette scène en pleine nuit, au
milieu des écueils recouverts
d'écume, et la façon dont le bateau
fut sauvé alors que tout espoir paraissait
vain, firent une impression si profonde sur Hudson
Taylor qu'il faut relater ici cette partie du
voyage d'après ses lettres et son
journal.
Avec une immense gratitude,
écrivait-il le lundi 26 septembre, je veux
faire le récit des bontés de Dieu.
Lui et Lui seul nous a arrachés des griffes
de la mort. Puissent nos vies
épargnées être utilisées
entièrement à Son service et pour Sa
gloire.
Le baromètre baissa toute
la journée samedi et, à la nuit
tombante, le vent commença à
fraîchir. Les matelots eurent une nuit
pénible, si bien que le capitaine ne les
appela pas, comme c'était l'habitude, pour
le culte du dimanche matin. À midi, le vent
soufflait fort et la voilure fut réduite le
plus possible; on laissa juste ce qui était
nécessaire pour que le navire restât
stable. Je distribuai quelques traités, puis
retournai dans ma cabine parce que le mouvement
plus violent du bateau me rendait
malade.
Le baromètre descendait
toujours et le vent augmenta pour devenir un
véritable ouragan. Le capitaine et le second
déclarèrent qu'ils n'avaient jamais
vu une mer si furieuse. Entre deux et trois heures,
l'après-midi, je réussis à
monter sur le pont, quoique le tangage rendît
la chose difficile. Je n'oublierai jamais la
scène qui se présenta à moi.
Elle défiait toute description. La mer,
absolument démontée, était
blanche d'écume.
Derrière nous, il y avait un grand navire;
devant, un deux-mâts. Le premier nous
rejoignait, mais il était
entraîné à la dérive
plus que le nôtre. Les vagues, semblables
à des collines de chaque côté
de nous, paraissaient devoir nous engloutir d'un
instant à l'autre, mais notre voilier
résistait vaillamment. Comme la mer
était grosse, nous n'avançions que
peu ou pas; le vent soufflant de l'Ouest, nous
étions portés rapidement,
irrésistiblement, vers la
côte.
- Si Dieu ne nous aide pas, dit
le capitaine, il n'y a plus
d'espoir.
Je lui demandai à quelle
distance nous étions de la
terre.
- À vingt-cinq
kilomètres environ, me répondit-il.
Nous ne pouvons faire autre chose que de mettre le
plus possible de voile. Plus nous en mettrons,
moins nous dériverons. C'est une question de
vie ou de mort. Dieu veuille que les mâts
résistent !
Il fit mettre alors les deux
voiles à chacun des
mâts.
Ce fut un moment
épouvantable. Nous courions sous le vent qui
soufflait d'une façon terrifiante, à
une vitesse effroyable - un moment
élevés en l'air et ensuite plongeant
la tête la première entre les lames
comme si nous descendions jusqu'au fond de la mer.
Le flanc du navire, du côté du vent,
était dangereusement soulevé, et le
côté opposé enfoncé
d'autant, à un point tel que l'eau passait
par-dessus le bastingage.
Le soleil se coucha alors, et je
le contemplai avec ferveur.
- Demain, tu te lèveras
comme d'habitude pensai-je, mais, à moins
que le Seigneur n'opère un miracle en notre
faveur, il ne restera du navire que quelques
poutres brisées.
La nuit fut froide, le vent
mordant. Les masses d'eau que nous embarquions sans
répit nous trempaient
complètement.
Plus tôt dans
l'après-midi, il avait ressenti d'une
façon remarquable une grande paix et une
grande joie, malgré la situation
désespérée. Mais, une fois le
soleil couché, une impression si
pénible de solitude et de désolation
s'abattit sur lui, qu'il en fut très
éprouvé et fort anxieux. Il songeait
à la tristesse de ses bien-aimés si
le Dumfries venait à être perdu ; aux
frais que la Société avait eus -
près de cent livres sterling - pour son
équipement et son passage ; à
l'état de non-préparation de
l'équipage ; à la froideur de l'eau
et à la lutte contre la mort. Il n'avait
aucun doute quant à son bonheur
éternel. Il ne craignait pas la mort
elle-même. Mais mourir dans de pareilles
circonstances! Ceux qui n'ont pas vu un naufrage en
face ne peuvent en réaliser
l'horreur.
Je descendis - poursuit
simplement le Journal -, lus un ou deux cantiques,
quelques psaumes, et les chapitres 13 à 15
de jean et repris courage, si bien que je
m'endormis pour une heure. Après cela, le
baromètre monta. Nous
avions progressé dans le détroit et
je demandai au capitaine si nous pourrions passer
au large de la pointe de Holyhead.
- Si le vent ne nous
entraîne pas, répondit-il, nous le
pourrons tout juste. Mais si nous dérivons,
que Dieu nous soit en aide !
Or, nous
dérivions...
Tout d'abord, le phare de
Holyhead était devant nous. Ensuite, nous
l'eûmes à notre droite, du
côté du vent, alors que nous aurions
dû passer en l'ayant à notre gauche.
Notre sort semblait donc réglé. je
demandai alors si nous avions encore deux heures de
vie assurées. Le capitaine ne put me
l'affirmer. Le baromètre montait toujours
mais trop lentement pour nous donner quelque
espoir. Je pensais à mes bien-aimés
parents, à mes soeurs et aux amis qui
m'étaient particulièrement chers...
et les larmes me venaient aux yeux. Le capitaine
était calme et courageux. Il se confiait
dans le Seigneur pour le salut de son âme. Le
quartier-maître déclara qu'il savait
n'être rien et que Christ était tout.
J'étais reconnaissant pour eux, mais je
suppliai Dieu d'avoir pitié de nous et de
nous épargner pour l'amour de
l'équipage inconverti aussi bien que pour Sa
propre gloire, la gloire du Dieu qui écoute
et exauce la prière. Ce passage me revint
à l'esprit : « Invoque-moi au jour de
la détresse; je te délivrerai, et tu
me glorifieras. » Et, avec instance je plaidai
en me fondant sur cette promesse, mais en me
soumettant à Sa
volonté.
Notre situation était
vraiment dramatique. La nuit était claire et
comme la lune brillait, nous pouvions voir la terre
juste devant nous. Je descendis de nouveau. Le
baromètre montait toujours, mais le vent ne
diminuait pas.
Je pris mon agenda et y inscrivis
mon nom et l'adresse de mes parents au cas
où mon corps serait retrouvé.
J'attachai quelques objets dans un panier qui,
pensais-je, flotterait et aiderait peut-être
quelqu'un à atteindre la terre ferme. Puis,
recommandant mon âme et mes amis à
Dieu mon Père, et abandonnant tout à
Ses soins avec la requête que, si
c'était possible, cette coupe passât
loin de nous, je montai sur le pont.
Satan me tenta de nouveau et
j'eus une lutte terrible. Mais le Seigneur calma
mon esprit qui, depuis cet instant, fut si affermi
en Lui que la paix ne me quitta
plus.
Je demandai au capitaine si des
bateaux de sauvetage pourraient tenir dans une mer
pareille. Il me répondit : Non. Je lui
demandai si nous ne pourrions pas attacher ensemble
des poutres et faire une sorte de radeau. Il
répondit que nous n'aurions probablement pas
le temps.
L'eau devenait blanche
maintenant. La terre était juste devant
nous.
- Nous devons tenter de tourner
le bateau et de virer de bord, dit le capitaine, ou
tout est perdu. La mer peut balayer le pont quand
nous virerons, et emporter tout ce qui s'y
trouve... mais nous devons essayer.
Ce fut un moment à faire
trembler le coeur le plus vaillant. Il donna un
ordre, et nous essayâmes de tourner en
dehors, mais sans succès.
Cela nous eût donné
de la distance. Il fit virer de l'autre
côté et, avec l'aide de Dieu, la
manoeuvre réussit. Nous frôlâmes
les rochers. Juste au même instant, le vent
changea légèrement de direction et
nous pûmes sortir de la baie.
Si le Seigneur ne nous avait
secourus, tous nos efforts eussent
été vains. Vraiment, Sa
miséricorde est inépuisable
(2).
Délivré pour le
moment, ce fut avec une reconnaissance inexprimable
que l'équipage salua le lever du soleil, le,
lundi, et vit la tempête
s'apaiser.
Une semaine plus tard, le bateau se
trouvait dans le golfe de Gascogne. Le temps fut de
nouveau très mauvais. La mer, fort houleuse,
arracha le hublot de l'avant et sembla vouloir
engloutir le navire. Cependant, trois semaines
après le départ de Liverpool, le
Dumfries entra dans des eaux plus calmes et les
plus grands dangers furent ainsi
dépassés. Durant toute cette
période, il avait fait froid et humide.
Tout, à bord, était mouillé,
ce qui était très
désagréable.
Aussi la satisfaction fut-elle vive
quand les vents favorables poussèrent le
bateau vers des latitudes plus chaudes. Mais les
premières
expériences du voyage n'avaient pas
été vaines. Hudson Taylor
découvrit dans l'équipage un
chrétien de plus, le charpentier, un
Suédois. Assuré de son appui, il
demanda au capitaine la permission de commencer des
services réguliers pour les hommes et, dans
les chaudes et calmes journées qui les
trouvèrent immobilisés près de
l'Équateur, ces services se poursuivirent
avec ferveur.
Le jeune missionnaire se consacra de
tout son coeur à ce travail. Soixante
services eurent lieu pendant le reste du voyage et
il s'y prépara avec beaucoup de
prières. Ce fut une grande
bénédiction pour lui et cela
contribua aussi à le préserver du
déclin spirituel qu'amène souvent
l'inactivité. Pour lui, le voyage fut un
temps d'enrichissement évident ; son seul
chagrin était de voir peu de changements
durables dans la vie des matelots. Ils
étaient cependant intéressés
et venaient parfois lui parler et prier avec lui.
Mais quoique plusieurs parussent très
près du royaume de Dieu, aucun ne se rangea
pleinement du côté de Christ. Ce lui
fut un sensible désappointement. À
n'en pas douter, cette expérience fut utile
en le préparant à semer en tout
temps, même si, apparemment, aucun fruit ne
se manifeste.
Si la place le permettait, que de
faits pourraient être relatés de ce
voyage de plus de cinq mois
(3). Le journal
est plein de détails variés et
intéressants. Mais surtout il retrace les
expériences intimes, tellement plus
importantes que les circonstances
extérieures. Non seulement Hudson Taylor
priait et travaillait pour le bien de
l'équipage, mais encore il recherchait une
communion plus intime avec Dieu. On, trouve
fréquemment des inscriptions comme celles-ci
:
30 octobre. J'ai
été richement béni
aujourd'hui. Le Seigneur m'est vraiment
précieux. Puissé-je l'aimer davantage
!
1er novembre. Encore un mois de
passé, mais combien peu profitablement !
Combien peu de choses à l'honneur de, Celui
en qui nous avons le mouvement
et l'être. Que le mois qui vient soit
utilisé plus fidèlement à Son
service et pour Sa gloire.
26 décembre. J'ai joui
d'une douce communion avec le Seigneur Jésus
et d'une grande liberté d'accès au
Trône de la grâce. Oh ! que je
recherche toujours « les choses qui sont en
haut », comme uni ressuscité avec
Christ, toujours debout sur la tour, prêt
à proclamer la joyeuse parole : «
Voici, l'Époux vient ! »
31 décembre. En passant en
revue les grâces de l'année
écoulée et la bonté de Dieu
pour moi, je me perds dans l'admiration, l'amour et
la louange. Et j'élève mon «
Eben-Ezer » : jusqu'ici l'Éternel m'a
secouru. Passé les derniers instants de
l'année en prière et senti la
précieuse présence du
Seigneur.
Il y eut des moments, dans son
voyage solitaire, où la maison paternelle
lui semblait bien éloignée et
où il soupirait avec intensité
après ses bien-aimés.
Quelle immense distance nous
sépare, écrivait-il, nous qui
étions si près l'an dernier !
Loué soit Dieu, Il ne change pas, Sa
grâce ne fait jamais
défaut...
Trouvé, dans un livre que
m'a prêté le capitaine Morris, le
cantique de la mère israélite. Cela
m'a vivement affecté. je n'oublierai jamais
la dernière fois que je l'ai entendu; ma
bien-aimée mère était
là, c'est elle qui le jouait. Arrivée
à ces paroles :
Je t'ai donné à ton
Dieu
Le Dieu qui te donna à
moi,
elle ne put se contenir et,
m'étreignant dans ses bras, elle pleura
abondamment en pensant à la
séparation. Que le Seigneur la
bénisse et la réconforte jour
après jour.
Jésus EST précieux.
Son service est parfaite liberté. Son joug
est aisé et Son fardeau léger. Son
peuple a vraiment joie et paix, plus que tout. Plus
mon coeur désire les revoir, plus l'amour de
Christ est fort, pressant.
Cet amour pour les âmes,
l'amour de Christ en lui, ne faiblit pas à
l'épreuve de la souffrance et du
dépouillement. Il devait s'approfondir
encore au contact des réalités qu'il
ne connaissait que par ouï-dire. Par exemple,
les habitants isolés de nombreuses
îles entre Java et les Philippines
l'émurent de compassion. Pendant bien des
jours ils passèrent en vue d'îles
magnifiques, fertiles, populeuses, où il n'y
avait aucun témoin de l'amour
impérissable du Calvaire.
Oh ! quel travail pour le
missionnaire ! Île après île,
beaucoup presque inconnues, quelques-unes avec
beaucoup d'habitants, mais sans lumière,
sans Jésus, sans espérance. Mon coeur
soupire après elles. Comment est-il possible
que des hommes et des femmes chrétiens
restent confortablement à la maison et
laissent périr des âmes ? Se
pourrait-il que la foi n'ait plus le pouvoir de
pousser au sacrifice pour l'amour de Celui qui
donna Sa vie pour la rédemption du monde
?
Estimerons-nous que nous sommes
dégagés de la responsabilité
d'obéir au commandement direct : «
Allez dans tout le monde, et prêchez
l'Évangile à toute créature
» ? La parole du Seigneur a-t-elle
cessé d'être vraie : « Comme le
Père m'a envoyé, moi aussi je vous
envoie » ? Oh ! si j'avais mille langues pour
proclamer dans chaque pays les richesses de la
grâce de Dieu ! Seigneur, suscite des
ouvriers, et pousse-les dans Ta moisson
!
Mais, malgré toutes les
choses intéressantes à
découvrir, le voyage commençait
à paraître monotone. Il arrivait que
certains jours le loch
(4) marquait une
avance de dix kilomètres en vingt-quatre
heures. C'était non seulement ennuyeux, mais
parfois dangereux.
Jamais, consigne Hudson Taylor
dans son journal, un bateau à voiles n'est
plus en détresse que lorsque, par calme
plat, il est poussé par un fort courant
sous-marin dans la direction d'une côte
dangereuse. Dans une tempête, le bateau peut
jusqu'à un certain point être
dirigé, mais quand il n'y a pas de vent, on
ne peut rien faire. Le Seigneur doit tout
faire...
C'est ce qu'il arriva à
proximité de la côte nord de la
Nouvelle Guinée. Le samedi soir, le bateau
était à cinquante kilomètres
environ de la terre, mais, pendant le service du
dimanche matin, le capitaine paraissait inquiet. En
effet, un courant assez fort entraînait le
Dumfries vers des récifs cachés sous
l'eau. Tous les efforts pour détourner le
bateau ayant été inutiles, le
capitaine déclara : Nous avons fait ce que
nous pouvions; il ne reste qu'à attendre les
événements.
Une pensée me vint
à l'esprit et je répondis
:
- Non, il y a une chose que nous
n'avons pas encore faite.
- Laquelle ?
demanda-t-il.
- Nous sommes quatre
chrétiens à bord. Retirons-nous dans
notre cabine et, d'un commun accord, demandons au
Seigneur de nous donner du vent. Il peut nous le
donner aussi facilement maintenant qu'au coucher du
soleil.
Le capitaine fut d'accord. je
parlai aux deux autres chrétiens et nous
nous retirâmes pour
intercéder.
J'eus un moment de prière
très court et je me sentis heureux, avec
l'assurance de voir notre
requête exaucée, au point que je ne
pus pas continuer de demander et revins très
vite sur le pont. Le premier officier, qui ne
croyait pas en Dieu, était de quart. je
m'approchai et lui demandai de faire descendre la
grande voile que l'on avait
carguée.
- À quoi bon ! me
répondit-il durement.
Je lui dis que nous avions
prié Dieu de nous accorder du vent, qu'il
allait souffler, et qu'étant si près
de l'écueil il n'y avait pas une minute
à perdre.
Avec un juron et un air de
dédain, il me répondit qu'il aimerait
mieux sentir le vent que d'en entendre
parler.
Mais tandis qu'il bougonnait,
j'observais son regard qui se dirigeait vers le
cacatois; sans aucun doute, le sommet de la plus
haute voile commençait à frissonner
sous la brise.
- Ne voyez-vous pas que le vent
arrive? Regardez le cacatois !
m'écriai-je.
- Ce n'est qu'un coup de vent !
répliqua-t-il.
- Coup de vent ou non, repris-je,
je vous en prie, faites descendre la voile et
profitons-en !
Il ne se fit plus prier.
L'instant d'après, la lourde manoeuvre des
hommes sur le pont fit sortir le capitaine de sa
cabine. La brise était venue. Quelques
instants plus tard, nous fendions l'eau à
dix ou douze kilomètres à
l'heure.
C'est ainsi qu'avant mon
arrivée en Chine, Dieu m'encouragea à
Lui présenter par la prière mes
besoins les plus variés et à croire
qu'Il ferait honneur au nom du Seigneur
Jésus et donnerait chaque fois le secours
que demanderaient les circonstances.
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