HUDSON TAYLOR
QUATRIÈME PARTIE
SHANGHAI ET LES
PREMIERS VOYAGES
1854-1855
(de vingt-deux
à vingt-trois ans)
CHAPITRE 24
Déplacé encore
juin-août 1855
Pendant les mois d'été,
très chauds, Hudson Taylor vécut dans
la petite maison trop pleine de Ma-ka-k'üen.
Il était à peu près impossible
d'y dormir, faute d'air, et elle était, de
plus, infestée par les rats qui, dans leurs
sarabandes nocturnes, allaient jusqu'à
sauter sur les lits.
Chaque jour, en juillet et en
août, époque où il est
impossible de voyager, il fit un service dans le
dialecte de Shanghaï pour les professeurs, les
domestiques et tous ceux qui voulaient se joindre
à eux. Cette occasion d'instruire
régulièrement les mêmes
personnes fut pour lui une grande joie, surtout
lorsque des fruits se manifestèrent. Le
choléra ayant fait une victime dans le
voisinage, il profita de la circonstance pour
montrer à ses auditeurs combien il
était nécessaire d'être
sauvé du péché et de ses
conséquences éternelles. Quelques
jours après, faisant de nouveau allusion au
même fait, il demanda si l'un de ses
auditeurs avait reçu le pardon de Dieu par
la foi en Jésus-Christ. Il s'arrêta un
instant, et peut-être n'attendait-il pas de
réponse, lorsque à sa grande
reconnaissance Kuei-hua, leur jeune cuisinier,
répondit : « Moi »
(1).
Cette franche confession devant ses
camarades de travail avait une grande
valeur.
J'espère, écrivait
Hudson Taylor, qu'il est sous l'influence du.
Saint-Esprit. Bien qu'il ne soit pas sans
défauts, il y a un grand changement en lui.
Depuis quelques mois, nous n'avons relevé
chez lui aucun acte déshonnête, ce qui
a une grande signification.
L'école progressait aussi,
quoiqu'ils n'eussent comme pensionnaire que le
jeune garçon qu'ils avaient adopté.
Au début de juin, Hudson
Taylor put louer une maison dans la ville
indigène et y installer se classes qui,
grâce à un excellent instituteur,
eurent une bonne influence parmi la nombreuse
population de la Porte du Sud. Ce local servit
également de lieu de culte le dimanche et,
plusieurs fois par semaine, de dispensaire au Dr
Parker. Enfin, il continuait à parcourir les
environs et prêchait cinq ou six fois par
jour en plein air ; il ne se relâchait pas
non plus dans son étude du chinois. Aussi
ses lettres sont-elles beaucoup plus brèves
que celles de l'été
précédent. Cependant, le dimanche
soir, il trouvait du temps pour une correspondance
qui révèle sa vie
intérieure.
C'est ainsi qu'il écrivait, par
une chaude soirée d'août :
J'ai passé une heure
d'heureuse communion avec Celui dont la grâce
merveilleuse m'a appelé et m'a fait prendre
rang parmi Son peuple. Plus je me vois
moi-même et plus j'apprends à Le
connaître, et plus je suis
étonné qu'Il ait pu me donner une
place parmi Ses enfants. Ce n'est qu'au pied de la
croix que nous nous voyons nous-mêmes, le
monde et Dieu sous un vrai jour.
Et, un autre dimanche :
J'ai vraiment besoin de vos
prières. Travailler sans voir de
résultat demande beaucoup de foi, et la
mienne est si faible... Ce qu'il me faut, c'est
plus de foi, plus de communion intime avec Dieu...
Nous ne pouvons donner que ce que nous avons
d'abord reçu. Les disciples pouvaient faire
asseoir le peuple, mais Jésus devait
bénir le pain et le leur donner avant qu'ils
pussent le rompre pour la multitude. Oh !
puissions-nous vivre dans l'intimité de
Jésus, recevoir la force de nourrir beaucoup
d'âmes du pain de vie et enfin avoir une
riche entrée dans le séjour où
règne la sainteté éternelle
!
Mais tout en continuant ce travail
régulier à Shanghaï et dans les
environs, Hudson Taylor soupirait après un
champ beaucoup plus lointain. Seule la chaleur de
l'été, qui rend les voyages
dangereux, le retenait à Shanghaï, car
les découvertes faites au cours de ses
récentes tournées lui avaient
révélé des besoins beaucoup
plus grands encore.
Un voyage, il est vrai, avait
été tenté au début de
juin. Bien qu'il eût été
interrompu par la maladie, il devait jouer un grand
rôle pour l'avenir, tant d'Hudson Taylor que
du Dr Parker. Accompagnés par M. Burdon, ils
étaient partis pour une tournée
d'évangélisation
qui devait comprendre une visite à Ningpo.
Ils comptaient se reposer quelque peu dans cette
ville et avoir là un changement bienfaisant.
Car, dans ce centre important, des missionnaires se
rattachant à plusieurs
sociétés étaient à
l'oeuvre, et la bénédiction de Dieu
reposait visiblement sur leurs travaux. Hudson
Taylor et son collègue escomptaient ainsi un
grand profit de cette visite, bien qu'ils eussent
été loin de réaliser tout ce
qu'elle allait leur apporter.
Septième Voyage (11-25 juin
1855)
Sur la route de Ningpo, ils visitèrent
plusieurs villes et villages. À
soixante-cinq kilomètres de Shanghaï,
ils atteignirent la côte à Chelin. Les
pirates pullulaient dans le voisinage et les gens,
fuyant le bord de la mer, s'étaient
réfugiés à l'intérieur.
Le jour suivant, Hudson Taylor quitta ses
compagnons pour parcourir à pied une
région qu'ils ne pouvaient atteindre en
bateau. Il gravit les monts Chapu et, dans la ville
du même nom, prêcha dans le temple de
la Mère du ciel, divinité des marins,
et distribua le reste de ses livres.
Mais il eut une soirée
désagréable, car il manqua ses amis
et ne put retourner au bateau. N'ayant pas de
bagages, il aurait vainement cherché une
hôtellerie et aurait dû passer la nuit
dans la rue avec son domestique si une vieille
femme n'avait eu pitié d'eux. Elle les
recueillit assez tard dans sa maison, la
première maison chinoise qui fût
hospitalière au jeune missionnaire, et il
fut bien heureux de ce qu'elle pouvait leur offrir
: du riz et un lit de paille.
Le lendemain, il retrouva, non sans
peine, ses compagnons de route. Le jour suivant,
ils arrivèrent à Ningpo.
Ils furent les hôtes de M. et Mme
Cobbold et passèrent là quelques
journées pleines d'intérêt. Ils
furent reçus avec beaucoup de bonté
dans une communauté missionnaire
particulièrement unie. Onze étrangers
représentaient plusieurs
sociétés anglaises et
américaines. De plus, il y avait une
excellente école tenue par une Anglaise,
Mlle Aldersey, qui s'était établie
à Ningpoen 1843. Elle était
aidée par deux orphelines, les filles du
Révérend Samuel Dyer. Celui-ci avait
été l'un des premiers missionnaires
en terre chinoise et ses filles,
âgées de dix-huit et vingt ans,
parlaient couramment le chinois et étaient
très utiles dans l'oeuvre à laquelle
elles avaient consacré leur vie.
Une seule chose manquait au
développement harmonieux de l'oeuvre
à Ningpo : il n'y avait pas d'hôpital.
Les missionnaires sentaient cette lacune. Quand ils
apprirent à connaître le Dr Parker, un
espoir nouveau naquit en eux. Le résultat
fut une invitation unanime adressée au
médecin écossais de se joindre
à eux.
Le voyage de retour devait donner
l'occasion aux trois missionnaires
d'évangéliser en cours de route. Mais
ils avaient à peine quitté Ningpo
qu'un messager venait leur annoncer que l'unique
enfant de M. Burdon était gravement malade.
Il n'y avait pas un an que la jeune mère
était morte, et de penser que le cher petit
être souffrait et peut-être mourrait en
son absence, était trop pour le coeur du
père. Il sentit qu'il devait rentrer en
toute hâte, et ses amis
décidèrent de l'accompagner, avec
raison d'ailleurs, car Hudson Taylor, qui
n'était déjà pas bien à
Ningpo, tomba malade dès son arrivée
à Shanghaï, montrant ainsi qu'il
n'était pas en état de voyager
pendant la saison des chaleurs.
Les deux mois suivants furent
passés pour cette raison dans la concession
étrangère et dans les environs. Mais,
bien que ce travail provisoire fût
encourageant et plein de promesses, il fut
accompagné d'un exercice d'âme en
rapport avec leur position et leurs projets. Il
devenait clair que la Société
n'était pas disposée à
bâtir à Shanghaï ou dans un autre
port ouvert par le Traité, bien que ses
représentants ne pussent vraisemblablement
trouver un logement d'une autre manière.
Mais le veto opposé par elle au plan
mûrement étudié qui lui avait
été présenté par les
deux missionnaires ne fut pas donné en une
fois. Entre temps, Hudson Taylor et le Dr Parker,
au loin, n'étaient pas oubliés de
Celui qui, depuis le commencement, voit la fin de
toutes choses.
Le projet de Shanghaï
n'était sans doute pas ce qu'il fallait.
Mais pour eux, la question était
embarrassante. Le Dr Parker n'avait pas encore
reçu l'invitation de Ningpo, et Hudson
Taylor, tout avide qu'il fût d'avancer dans
l'intérieur, connaissait trop le
sérieux d'une semblable entreprise et le
besoin d'une bonne base pour s'y engager sans
réfléchir.
Il est pénible d'être
toujours en suspens, écrivait-il à sa
soeur en rentrant de Ningpo le 28 juin 1855, et de
n'avoir aucune résidence fixe. Je commence
à songer à l'acquisition de
vêtements chinois et à me demander
comment je pourrais les mettre. Si je puis trouver
un endroit dans l'intérieur, peut-être
pourrais-je m'y installer et y être utile.
Dans l'état actuel des choses, nous ne
pouvons compter voir beaucoup de fruits car nous
n'avons ni station, ni chapelle, ni hôpital,
ni même une maison à
nous.
L'avenir est entre les mains de
Dieu; c'est là que nous devons le laisser.
Prie pour moi, car je suis très faible et
indigne, et je fus très
éprouvé
dernièrement.
Cela n'est pas surprenant si l'on se
souvient des circonstances dans lesquelles ils
vivaient et de la chaleur débilitante de
l'été. Mais un point mérite
d'être relevé soigneusement : c'est le
changement d'attitude de celui qui écrit,
quand on se reporte à la dernière
lettre qu'il avait envoyée, trois mois
auparavant, sur ce même sujet, et qui se
résumait ainsi : « Nos plans sont
exposés à la Société.
Et si elle ne. fait rien, nous essaierons de les
exécuter nous-mêmes. Si elle s'y
oppose, la question sera de savoir si nous nous
passerons d'elle ou si nous les abandonnerons.
» Maintenant il envisageait : un
vêtement chinois, une maison n'importe
où dans l'intérieur et, par-dessus
tout, l'avenir abandonné à Dieu.
Quelle transformation! Le Seigneur avait agi. Comme
toujours, dans Sa providence, la puissance qui nous
façonne ne vient pas seulement des
circonstances extérieures, mais du
développement de Sa vie dans notre
coeur.
N'est-il pas bon de rappeler,
aujourd'hui surtout, le danger de l'impatience au
service du Seigneur et de vouloir par trop se
diriger soi-même? Si nous nous attendons
vraiment à Dieu et faisons Sa
volonté, les obstacles qui ne sont pas
enlevés nous empêchent de suivre une
fausse route et amènent une
préparation d'esprit nécessaire pour
que l'idéal qu'Il a en vue puisse être
réalisé.
Cela n'apparaît pas toujours
ainsi. Hudson Taylor n'imaginait pas que,
même avant que la réponse à ses
lettres de janvier eût pu arriver, ses
projets seraient bouleversés à tel
point qu'il ne souhaiterait plus ce qu'il avait cru
être indispensable. Le Dr Parker
prévoyait-il qu'avant la fin de
l'été, il serait appelé
à une tâche plus importante et
correspondant mieux à ses capacités?
Et comme nous connaissons peu tout ce dont nous
sommes délivrés
précisément par nos limitations!
Comme nous voyons difficilement le ministère
plus étendu vers lequel le Seigneur nous
conduit par des chemins qui confondent notre
entendement! Aussi, remercions notre Dieu de tout
notre coeur des entraves qui ne sont pas
enlevées, bien qu'elles Lui soient
apportées dans une prière de foi, et
louons-Le pour les réponses qui tardent
à venir, sachant que le retard est
nécessaire pour nous rendre capables de les
recevoir.
Ainsi Hudson Taylor et son
collègue étaient réellement
conduits par Dieu, bien que le mois d'août
semblât surtout amener leurs
difficultés au point le plus aigu. Mais
quelle était la direction divine dans tout
cela? C'était là le
problème.
Bien des raisons me font
désirer d'aller à Ningpo avec les
Parker, écrivait-il à ses parents le
24 juillet 1855, mais il, y a aussi de nombreux
motifs qui s'y opposent. Là-bas, il y a
déjà quatorze missionnaires qui font
un bon travail, dans la paix et l'unité.
Shanghaï n'est pas, il s'en faut, si bien
desservi, quoique les missionnaires y soient deux
fois plus nombreux. Le dialecte de Ningpo, je
l'avoue, ne m'attire pas du tout bien que, si je
l'apprenais, il me créerait de nouvelles
occasions d'être utile. C'est un peu de
paresse, mais je sens que c'est un obstacle pour
aller dans un nouveau district...
Mes perspectives d'avenir sont
aussi incertaines que lorsque je suis arrivé
en Chine, écrivait-il encore à sa
mère. je m'en remets au Seigneur pour qu'Il
me guide. Quoi qu'il en soit', j'ai l'intention de
rester à Shanghaï si possible, en tous
cas pour le moment. Il me semble que mon oeuvre ici
n'est pas terminée. Mais il se peut que
j'aille à Ningpo, si mes efforts pour
m'établir dans l'intérieur ne
réussissent pas dans cette région.
J'ai le sentiment que je ne serai jamais
établi à poste fixe, je soupire
après un compagnon qui m'aiderait, me
conseillerait, avec lequel j'aurais une
réelle communion de pensées et de
sentiments et je voudrais être fixé
quelque part dans une oeuvre bonne et
régulière.
Le 6 août, Hudson Taylor et son
collègue reçurent enfin la
notification attendue : la maison qu'ils occupaient
devait être mise à disposition pour la
fin, de septembre. Deux missionnaires
étaient en route et en auraient
besoin.
Et alors, chose étrange, de
nouvelles lettres du Comité mirent un veto
définitif aux plans de faire de
Shanghaï une base permanente. Non, il ne
fallait pas construire, bien que le Dr Parker
eût reçu l'autorisation de louer des
chambres pour en faire un dispensaire. Mais
où et comment les missionnaires devaient-ils
vivre ? Le Comité,
n'ayant apparemment aucune proposition à
faire, laissait cette question dans le vague. Il
était heureux que le Seigneur, Lui,
n'eût pas perdu de vue ce point important, et
s'occupât de Ses serviteurs aussi bien que
des meilleurs intérêts de Son
oeuvre
Une autre lettre, reçue au
début d'août, en donnait une preuve
éloquente. Plusieurs semaines auparavant,
l'invitation unanime des missionnaires de Ningpo
était parvenue au Dr Parker, lui demandant
instamment de venir s'établir parmi eux. Il
avait répondu qu'il ne se sentait pas libre
de le faire à moins que cela ne lui ouvrit
un champ d'activité plus vaste. Un foyer et
une clientèle, bien que cela fût chose
attrayante pour lui, ne lui feraient pas sacrifier
l'oeuvre missionnaire. Mais si, dans cet ordre
d'idées, il pouvait envisager de s'occuper
d'un hôpital pour les Chinois, entreprise qui
coûterait au moins huit cents dollars par an,
le problème serait différent. Et
maintenant la réponse arrivait. Juste au
moment où il était prêt pour
cela, huit mois passés en Chine l'ayant
familiarisé avec la langue et le peuple, le
chemin qui devait décider de sa vie
s'ouvrait devant lui.
Il écrivait au Comité le
22 août :
Vous serez heureux d'apprendre, je
suis sûr, que les amis de Ningpo prennent la
responsabilité des fonds nécessaires
et se réjouissent à la perspective
d'avoir un hôpital là-bas - le seul
port ouvert par le Traité qui n'en ait
pas.
Cela, naturellement, m'engage
à prendre cette décision, sous peine
de ne tenir aucun compte des claires indications de
la Providence. Et comme je crois que c'est la
volonté de Dieu, j'ai résolu d'y
aller sans retard.
Cette décision, survenue si
opportunément, fixait la voie pour le Dr
Parker et sa famille. Mais elle laissait Hudson
Taylor plus dépendant de Dieu. Maintenant,
plus encore, il allait être seul,
privé de compagnie et de foyer. Sentant
d'une manière précise que son travail
à Shanghaï n'était pas encore
achevé, il se mit à chercher
immédiatement un logement où
transporter ses effets. Mais, comme
précédemment, ses recherches furent
vaines. Il ne pouvait rien obtenir à un prix
abordable.
Jour après jour, ce furent des
courses épuisantes d'un bout de la ville
à l'autre. Après trois semaines
d'explorations, l'espoir de
trouver un logis convenable
semblait plus lointain que jamais. Que de
pensées se pressèrent dans son esprit
à ce moment-là! On peut le relever
dans la lettre qu'il écrivait le 19
août à sa soeur :
Le Dr Parker a accepté l'appel
de Ningpo et ira là-bas dans quelques jours
préparer le logement de sa famille. J'ai
passé presque toute la semaine
dernière à chercher une maison
où m'établir moi-même, mais
n'en ai pas trouvé. Ils veulent tous de gros
acomptes que je ne peux donner. C'est une
occupation très fatigante, et si je ne
réussis pas bientôt, j'adopterai le
costume chinois et chercherai une habitation dans
l'intérieur... Ces changements ne sont pas
faciles. Prie pour moi.
Le costume chinois et une maison quelque
part dans l'intérieur : cette pensée
lui devenait familière. Mais c'était
alors quelque chose d'inouï. Il pouvait
arriver qu'un missionnaire revêtit le costume
indigène par mesure de précaution au
cours d'une tournée, et le Dr Medhurst lui
avait lui-même suggéré que cela
pourrait lui être utile. Mais, au retour, il
était déposé, et il aurait
fallu se soucier bien peu de l'opinion publique
pour le porter constamment jusque dans la ville
européenne.
C'était à cela pourtant
que songeait le jeune missionnaire, poussé
à la fois par son désir de
s'identifier avec ce peuple et par la pression des
circonstances extérieures. S'il ne trouvait
pas de logement à Shanghaï, il devait
aller dans l'intérieur. Pourquoi dès
lors ajouter à ses difficultés et
entraver son oeuvre en mettant en évidence
sa qualité d'étranger?
Une semaine se passa encore à
chercher sans relâche une maison. Puis le
moment arriva où le Dr Parker dut partir
pour Ningpo. Hudson Taylor lui avait promis de
l'accompagner jusqu'à la baie de Hangchow,
la partie la plus difficile du voyage. Ils devaient
s'embarquer le vendredi matin 24 août, et
jusqu'au jeudi après-midi, les recherches
d'un logement étaient demeurées
vaines.
Le devoir d'Hudson Taylor lui
apparaissait de plus en plus clair : il devait
s'identifier de mieux en mieux avec le peuple,
porter sans cesse le costume chinois, s'adapter
à la vie chinoise, manger de la nourriture
chinoise avec des bâtonnets! Comme cela
simplifierait les voyages dans l'intérieur!
Il avait acheté déjà des
vêtements indigènes. Si, après
toutes ses prières, il ne pouvait se loger
à Shanghaï, c'était, lui
semblait-il, que le Seigneur
avait d'autres desseins. Il enverrait le peu qu'il
possédait à Ningpo, chez le De
Parker, et partirait sur son bateau pour
évangéliser, jusqu'au jour où
une route s'ouvrirait devant lui dans
l'intérieur du pays.
Le jeudi soir arriva. Le Dr Parker
devait partir le lendemain matin. Il était
inutile de poursuivre les recherches plus
longtemps. Hudson Taylor sortit alors pour louer la
jonque qui devait les conduire jusqu'à la
baie de Hangchow avec tous leurs effets. Son
costume chinois était prêt : le
lendemain il comptait commencer une vraie vie de
pèlerin.
C'était jusque-là qu'il
devait être amené. Il avait suivi le
Seigneur fidèlement. C'était assez.
Maintenant pouvait être donné
l'exaucement des prières de tant de semaines
et de mois. Alors qu'il était en route pour
les derniers arrangements du voyage, un homme
l'accosta et offrit de lui louer une maison dans la
ville chinoise, près de la Porte du Sud. Le
prix et les conditions étaient raisonnables.
Il alla la visiter : deux pièces en haut et
deux en bas parfaitement propres, une
cinquième de l'autre côté de la
cour pour les domestiques ; juste ce qu'il lui
fallait ! Le Seigneur avait travaillé pour
lui, ses prières étaient entendues,
Dieu le guidait.
Le même soir, il prit la
décision au sujet de laquelle il avait si
longtemps prié : il fit venir un coiffeur,
et son extérieur fut bientôt si
changé que sa propre mère eût
eu de la peine à le reconnaître.
Porter le costume chinois sans se faire raser la
tête est chose relativement facile. Mais
Hudson Taylor alla jusqu'au bout et ne laissa de
ses beaux cheveux bouclés qu'une touffe
destinée à devenir une queue à
la mode chinoise. Il avait préparé
d'ailleurs une teinture pour la rendre aussi noire
que la longue tresse qu'il avait achetée.
Enfin, le matin suivant, il revêtit de son
mieux ces vêtements flottants auxquels il
n'était pas accoutumé et parut pour
la première fois vêtu de la robe et
des souliers de satin que porte la classe
enseignante.
|