LES HEUREUX
IV
LES
DOUX
LES HÉRITIERS
DE LA TERRE
Après les pauvres en esprit,
c'est-à-dire les humbles, auxquels est
promis le royaume de Dieu, après les
affliges, c'est-à-dire ceux qui pleurent et
qui seront consolés, les doux, ou comme on
traduisait jadis les débonnaires, auxquels
la terre est promise. La série des paradoxes
continue, on dirait même qu'elle va
s'accentuant, car promettre la terre aux hommes
doux, nous n'y aurions certes pas pensé. La
terre, mais tout nous crie aujourd'hui et
aujourd'hui plus que jamais, qu'elle est aux forts,
aux violents, aux conquérants, à ceux
qui n'ont aucun scrupule d'écraser les
autres et de les dépouiller; la
promettre aux débonnaires,
c'est pure folie. À eux la paix
intérieure, la joie du coeur, le bonheur de
la communion avec Dieu, oui certes, la terre ?
jamais : tout plutôt que la terre !
Et pourtant c'est aux doux que la terre
est promise, et le mot employé ici dans le
texte primitif est des plus significatifs, il
s'agit bien de doux dans le sens littéral de
l'expression ; les doux, c'est-à-dire ceux
qui ne sont ni violents, ni conquérants, qui
sont même aux antipodes de ces derniers.
Pourquoi donc Jésus parle-t-il ainsi ?
Pourquoi se plaît-il à étonner,
j'allais presque dire à heurter ses
auditeurs? Est-ce mie simple manière de
parler, un pur paradoxe qu'il ne faut pas prendre
au sérieux ? Ou bien sommes-nous ici en face
d'un de ces innombrables traits de
l'Évangile qui montrent qu'il est utopique
et que l'homme moderne ne peut pas y conformer sa
vie ? Faut-il choisir entre le christianisme et
l'époque actuelle, et conclure avec beaucoup
de gens qu'on ne peut être à la fois
disciple du Christ et homme moderne ? Si
Jésus vivait à notre époque,
s'il assistait à l'effroyable catastrophe
actuelle, parlerait-il encore ainsi ? Le monde
entier tout haletant à la vue des horreurs
qui se passent est persuadé que la victoire
restera aux plus forts, aux plus
habiles et non pas aux plus doux ; les doux peuvent
être sûrs d'être
écrasés, les Belges, les
Arméniens, les Serbes, etc., n'en sont-ils
pas la preuve tristement vivante ?
Eh bien, malgré les apparences,
je suis persuadé que Jésus a eu
raison et qu'en fin de compte pour qui sait
attendre, pour qui ne vit pas uniquement dans
l'heure fugitive du moment, ce sont bien les doux
qui petit à petit conquerront, puis
hériteront la terre, autant du moins que
celle-ci est appelée à être
dans l'univers une province du royaume de
Dieu.
Il y a quelques années parut en
Angleterre un livre singulièrement
intéressant et qui lui aussi pouvait
paraître paradoxal, il démontrait la
vérité de la béatitude que
nous étudions aujourd'hui, non pas seulement
en ce qui concerne les hommes, mais tout autant
dans le monde des animaux. Les bêtes
féroces, les oiseaux de proie qui ont voulu
s'isoler ou plutôt que leur instinct isolait
de plus en plus des autres êtres ont disparu
ou disparaissent peu à peu de notre
planète. Je ne parle pas ici des animaux
antédiluviens, de ces monstres formidables
qui s'appellent l'iguanodon, l'ichthyosaure et tant
d'autres qui n'existent plus que dans l'empreinte
qu'ils ont laissée de leurs
formes étranges au fond
des antiques terrains. Je parle d'animaux bien plus
rapprochés de nous, j'ajouterai bien plus
beaux, bien plus harmonieux de formes, tels que les
lions, les panthères, les tigres, les
léopards, et dans le monde des oiseaux, les
aigles, les vautours, etc. ; petit à petit
leur race s'éteint, ils ne sont plus
représentés que par des
spécimens de plus en plus rares; à
mesure que les hommes et les animaux
conquièrent et couvrent la planète,
ils ont dû se retirer au fond des
déserts, dans les hautes montagnes sauvages
et perdues loin de tout, et l'heure approche
où, ayant peu à peu disparu, on ne
les trouvera plus que dans les ménageries ou
les jardins d'acclimatation, voire les parcs
nationaux et enfin les musées qui les
conserveront soigneusement empaillés pour
l'étude et l'étonnement des
générations futures.
Par contre, ajoutait l'auteur, les
animaux doux tels que les boeufs, les vaches, les
moutons, etc., vont se multipliant à
l'infini, ils couvriront bientôt la terre ou
du moins toutes les parties de la terre où
ils peuvent habiter. Oh ! je sais qu'on me
répondra que c'est pour les manger ou du
moins pour s'en servir qu'on les a laissés
se multiplier ainsi. Sans doute, mais c'est
justement là la force de la thèse:
les bêtes féroces, les animaux de
proie qui n'ont pas voulu servir
ont dû disparaître, si formidablement
armés qu'ils aient été : les
animaux inoffensifs, plus ou moins
désarmés, vont se multipliant parce
qu'ils servent, c'est leur utilité qui
assure leur survivance. Ce n'est donc pas en
écrasant les autres qu'on hérite la
terre, c'est en les servant.
Dans le domaine de l'histoire il n'en
est pas autrement, tous les empires, tous les
royaumes, même les plus formidables, qui ont
été fondés par la force et par
la violence se sont écroulés et ont
disparu, les conquérants les plus puissants
n'ont rien créé de réellement
durable, à l'exception peut-être de
quelques monuments, tels que les pyramides. Pensez
aux Pharaons d'autrefois, au redoutable
Ramsès II, pensez à
Nébucatnetsar, à Alexandre le Grand,
à l'empereur Auguste, Charlemagne,
Charles-Quint, Napoléon le', et dites s'ils
ont vraiment hérité la terre; ils ont
été sur le point de la
posséder, ils l'ont du moins en partie et
momentanément tenue dans leurs mains, puis
tout leur a été ôté, et
parfois l'écroulement s'est produit de leur
vivant, tel Napoléon Ier l'un des
conquérants de génie les plus
indiscutables, qui dût assister,
navré, désespéré,
à l'écroulement de son
empire.
À côté d'eux, je
vois des peuples inoffensifs au
point de vue de la guerre, des peuples martyrs
comme, le, Juifs qui subsistent quand tous passent,
ils ont beau n'être qu'une poignée et
encore une poignée de gens
persécutés, méprisés,
vilipendés, ou a beau dans bien des pays les
traiter comme des parias et leur refuser des droits
qui sont accordés à tous, ils sont
toujours là et ce sont eux qui directement
ou indirectement, par leurs lois morales,
résumées dans le décalogue,
leurs idées religieuses et surtout leur plus
parfait représentant, Jésus-Christ,
hériteront la terre. Il n'y a qu'à
attendre et laisser les événements
s'écouler pour le constater.
Mais la chose devient plus frappante
encore quand on considère l'influence de
tels hommes de science essentiellement doux,
paisibles, n'ayant rien d'un conquérant, tel
le génial Pasteur ou l'entomologiste Fabre,
qui par leurs découvertes dues à
leurs travaux patients, persévérants,
ont assuré à l'humanité des
victoires, des progrès, des
délivrances autrement plus fécondes,
autrement plus réelles que toutes celles des
conquérants. L'humble savant dans son
laboratoire auquel la foule ne prend pas garde,
exercera dans cent ans, dans cinq cents ans, dans
mille ans d'ici, une influence bénie
absolument inconnue aux animaux de proie de
l'histoire.
On connaît l'admirable
chapitre 7 du livre de Daniel qui
nous montre les bêtes féroces de plus
en plus monstrueuses, sortant de la mer pour
exercer leurs ravages parmi les hommes
jusqu'à ce qu'enfin elles soient
remplacées par le Fils de l'homme qui,
paisiblement, descend du ciel, et, sans
écraser personne, sans faire de mal à
qui que ce soit, reçoit la «
domination, la gloire et le règne ; tous les
peuples, ajoute le texte sacré, les nations
et les hommes de toutes langues le serviront. Sa
domination est une domination éternelle qui
ne passera point, et son règne ne sera
jamais détruit »
(13 et 14).
Ah ! qu'il est bon aujourd'hui, à
l'heure troublée et troublante que nous
traversons, de croire que cela est vrai et de ne
plus nous laisser impressionner par les apparences
contraires. Nous pouvons être tout à
fait tranquilles : tout empire, tout royaume, toute
démocratie qui est le résultat de la
force et de la violence passera, et je dirais
passera d'autant plus sûrement qu'il est
davantage le produit de cette force et de cette
violence, car il renferme en lui-même le
principe destructeur qui va sûrement le mener
à la ruine, tandis qu'au contraire ce que la
justice, le bon droit, le respect des
individualités a réussi à
créer subsistera à travers tout,
même si
momentanément nous voyons le contraire. Non
décidément, Jésus n'avait pas
tort de proclamer bienheureux les doux puisqu'ils
hériteront la terre. Cela est vrai dans tous
les domaines, même dans le domaine politique
: à combien plus forte raison dans le
domaine spirituel et moral. Et pourquoi donc? C'est
ce qui nous reste à examiner.
Tout d'abord parce qu'en
réalité les doux ce sont les vrais
forts. En effet, qui dit doux ne dit pas mou,
lâche, négligent, mais au contraire
viril, énergique, persévérant.
Il y a dans la douceur une conquête et une
maîtrise de soi qui implique une très
grande force. J'ai souvent remarqué que les
hommes vraiment forts sont plus doux que les autres
et que ceux qui manquent de douceur sont bien plus
faibles qu'ils ne le semblent au premier abord. Il
en est ici un peu comme des gros chiens, les chiens
du Saint-Bernard par exemple, qui sont des types de
douceur; ils se laissent faire, taquiner,
même tourmenter par des enfants ou par de
plus petits chiens parce que, étant forts,
ils dédaignent d'employer leurs forces
contre de plus faibles qu'eux, ils savent le mal
qu'ils pourraient faire d'un coup de patte ou d'un
coup de dent: aussi ne le feront-ils pas sans
nécessité. Tandis
que les petits roquets sont
parfois très désagréables, ils
aiment à vous mordre les jambes, ils aboient
constamment et pour un rien. Pourquoi donc ? Parce
qu'ils sentent leur faiblesse et que souvent ils
ont peur, ils doivent donc se donner du courage en
faisant du bruit, ce qui les rend parfois fort
désagréables. C'est une
manière de se donner la force qu'ils n'ont
pas.
Il en est de même, très
souvent du moins, avec les hommes : quand ils sont
vraiment forts ils savent tenir leurs nerfs,
adoucir leur ton et calmer leur sang, ils ne
jugeront pas nécessaire de tirer parti de
leur force pour écraser les autres, à
quoi bon ? Mais qu'une occasion digne d'eux se
montre, on verra bien alors ce qu'il y a de
puissance concentrée derrière cette
apparence de douceur.
Or rien n'est important pour exercer de
l'influence sur les autres comme d'être en
pleine possession de soi-même ; la
première conquête à faire c'est
la conquête de soi, quand elle est faite il
n'est pas difficile de l'étendre autour de
soi : « Celui qui est lent à la
colère, dit le livre des Proverbes, vaut
mieux qu'un héros et celui qui est
maître de lui-même que celui qui prend
des villes »
(XVI, 32). On a souvent
raconté de Napoléon 1er, si fort sur
les champs de bataille, qu'il se
laissait souvent désarçonner chez lui
par les contrariétés de la vie
ordinaire.
Il est un personnage dans l'ancienne
alliance qui paraît un modèle à
cet égard, c'est le grand Moïse, cet
homme qui exerça une influence
considérable sur ses contemporains, sur son
peuple en particulier, qui le façonna, le
pétrit à sa manière, en vue de
sa glorieuse destinée. Or Moïse
était par nature un homme colère :
dans sa jeunesse, il avait tué
l'Égyptien ; plus tard, alors qu'il avait
quatre-vingts ans, il avait brisé les tables
de la loi en voyant les Israélites danser
autour du veau d'or. Puis il était
arrivé à une telle victoire sur son
tempérament que le texte du livre des
Nombres dit de lui « qu'il était le
plus doux des hommes sur la face de la terre »
(XII, 3), et cela au moment où
certes il aurait eu de quoi se mettre en
colère puisque sa soeur Marie et son
frère Aaron lui contestaient publiquement
son autorité. On peut dire certainement que
cette pleine possession de lui-même, acquise
par Moïse à force de volonté et
de persévérance, l'aida à
exercer sur les autres l'extraordinaire ascendant
que l'on sait.
J'ajoute que la douceur dont parle
Jésus est en général une vertu
acquise, elle ne nous est pas naturelle, et c'est
ce qui prouve qu'elle est un signe de grande
énergie. Aussi la trouvons
nous très souvent
recommandée dans les épîtres :
« Revêtez-vous de douceur et de patience
(Colossiens III,12). Que votre
douceur soit connue de tous les hommes
(Philippiens IV, 5). Marchez en toute
humilité et douceur, avec patience, vous
supportant les uns les autres avec charité,
vous efforçant de conserver l'unité
de l'esprit par le lien de la paix
(Éphésiens IV, 2 et 3).
Les fruits de l'esprit sont l'amour, la joie, la
paix, la patience, la douceur, la
tempérance, c'est-à-dire la
maîtrise de soi »
(Galates V, 22 et 23).
Et si l'on objecte la parole du Sauveur
: « Le royaume des cieux est forcé et
ce sont les violents qui s'en emparent »
(Matthieu XI, 12), nous
répondrons qu'il s'agit là d'hommes
qui mettent toute leur énergie, toute leur
ardeur à entrer dans le royaume sans
être pour cela des hommes
emportés.
Si les doux hériteront la terre,
c'est qu'en outre ils n'excitent pas comme les
violents la jalousie et la haine; on est en
général bien mieux disposé
à leur égard qu'à
l'égard des autres. Rappelons-nous nos
animaux de proie : rien n'isole comme la violence
et la cruauté, et quand un peuple a pris
pour devise : Régner par la terreur et non
pas par l'amour, se faire
craindre plutôt que se
faire aimer, on peut être sûr qu'il
marche à sa ruine, non pas tout de suite
peut-être, au premier abord ce système
pourra lui réussir, mais plus tard il se
retournera sûrement contre lui.
L'amour est le plus puissant des
ciments, le seul qui lie ensemble et pour toujours
les pierres de l'édifice ; là
où il manque rien n'est solide, c'est la
ruine à plus ou moins brève
échéance, et si cette haine va
grandissant, si des hommes toujours plus nombreux
se liguent contre vous, si le monde entier se
soulève et prend la résolution de
vous faire disparaître, il n'y aura pas de
canon qui tienne, il n'y aura pas d'armée
capable de résister, l'écroulement
devient inévitable et il sera d'autant plus
terrible qu'il se sera fait davantage attendre.
« Que servirait-il à un homme de gagner
tout le monde s'il venait à perdre son
âme »
(Matthieu XVI, 26) ? On pourrait dire
tout aussi bien : « Que servirait-il à
un homme de gagner tout le monde, s'il soulevait
contre lui le monde entier ?» Absolument
à rien qu'à hâter sa
défaite en la rendant d'autant plus
complète que le triomphe aura
été un instant plus
éclatant.
Au reste les doux, parce qu'ils sont
doux, non seulement attirent à eux, gagnent
des sympathies et se renforcent des sympathies
d'autrui, mais encore ils en
sentent le besoin, ils ne veulent pas et ils ne
peuvent pas rester seuls, car ils devinent qu'ils
seraient bientôt vaincus, il leur faut
l'entr'aide, ils veulent la coopération et
ils feront tout pour se l'assurer. Le splendide
isolement dont se vantait jadis la puissante
Angleterre dans une crise d'orgueil, les effraie,
ce qu'ils trouvent splendide c'est de ne pas
être isolés. Solidaires, oui,
solitaires jamais. On peut regretter que l'esprit
moutonnier se soit emparé de tant d'hommes
qu'il a trop souvent annihilés, mais il y a
pourtant quelque chose de vrai et
d'intéressant dans ce besoin d'imiter les
autres ou du moins de se rapprocher d'eux, de faire
comme eux pour les avoir avec soi. Or il est de
plus en plus certain que l'avenir n'est pas
à la concurrence mais à
l'association, non pas à la lutte de
classes, de races et en général
d'homme à homme, mais à la
coopération, et pour entrer dans cette voie,
il faut en finir avec l'esprit des violents et le
remplacer par l'esprit de ceux qui sont doux. Homo
homini lupus peut être une devise vraie pour
les peuples barbares, elle ne le sera plus quand la
barbarie aura disparu.
Enfin Jésus peut dire : Heureux
les doux car ils hériteront la terre! par la
bonne raison, et c'est selon nous
la principale, qu'étant doux ils voudront
à tout prix laisser Dieu agir et agir
d'autant plus qu'ils sont plus doux et donc plus
inoffensifs. On peut remarquer que dans les
béatitudes que nous avons
étudiées, c'est toujours parce que
l'homme sent le besoin de Dieu qu'il peut
être heureux - les pauvres en esprit, les
humbles sont trop faibles à leurs propres
yeux pour pouvoir se passer de lui ; ceux qui
pleurent, ceux qui sont dans le deuil soupirent
après un consolateur, les doux à leur
tour ne se sentent pas capables de tenir tête
aux violents ; aussi se sentent-ils poussés
avec force à chercher en Dieu ce qu'ils ne
trouvent pas en eux-mêmes, un point d'appui
suffisamment fort pour les soutenir dans leurs
difficultés. Or associer Dieu à ce
que l'on fait, c'est s'associer à lui, le
vainqueur, c'est avoir le vainqueur pour
allié, et comme un jour il triomphera de
tous ses ennemis et conquerra la terre, c'est la
conquérir avec lui. Au contraire, se
séparer de lui, chercher à se tirer
d'affaires sans lui, lutter avec ses propres
forces, c'est aller au-devant d'un échec
certain, c'est s'empêcher soi-même
d'hériter la terre. Saint Paul ne disait-il
pas: « Que personne ne mette sa gloire dans
des hommes ; car tout est à vous, soit Paul,
soit Apollos, soit Céphas, soit le monde,
soit la vie, soit la mort, soit
les choses présentes, soit les choses
à venir, tout est à vous ; et vous
êtes à Christ et Christ est à
Dieu »
(I Corinthiens III, 21-23). Pour
hériter la terre il nous faut donc
être doux, puisque la terre est à Dieu
et que seule la douceur nous assure la
présence et le secours de Dieu.
Si nous avions encore des doutes au
sujet de ce que nous venons de dire, il suffirait
de nous rappeler l'exemple de Jésus-Christ
lui-même et de son plus puissant disciple,
l'apôtre Paul, pour que ces doutes
disparaissent. Tant que le pharisien Saul de Tarse
s'est montré l'homme violent, respirant la
fureur et la rage que l'on sait, il n'a conquis
personne, il s'est bien plutôt
aliéné ceux qu'il aurait dû
gagner. Quand au contraire, vaincu par
Jésus-Christ sur le chemin de Damas, il
s'est laissé conduire comme un enfant, puis
bénir par l'humble Ananias, alors il est
devenu l'admirable apôtre Paul, et par sa
maîtrise de soi et par son ardent amour fait
de délicatesse et d'infinie tendresse, il a
tout simplement conquis le monde et laissé
dans l'histoire le souvenir du plus grand des
conquérants, c'est bien lui qui par sa
pensée a hérité la
terre.
Mais ce qu'il était, il le devait
à Jésus-Christ, qui
disait de lui-même qu'il était «
doux et humble de coeur »
(Matthieu XI, 29), celui qui, des
siècles avant sa naissance, était
salué déjà parle
prophète par ces mots touchants : «
Voici mon serviteur que je soutiendrai, mon
élu en qui mon âme prend plaisir; il
ne criera point, il n'élèvera point
la voix et ne la fera point entendre dans les rues.
Ill ne brisera point le roseau cassé, il
n'éteindra point le lumignon qui fume encore
; il annoncera la justice selon la
vérité, il ne découragera
point et ne se relâchera point,
jusqu'à ce qu'il ait établi la
justice sur la terre et que les îles
espèrent en sa loi »
(Ésaïe XLII, 1-4). Le
prophète Élie l'avait salué
d'avance quand, dans sa vision de Dieu, il l'avait
contemplé non pas dans le grand vent, le
tremblement de terre ou le feu, mais dans le
murmure doux et léger du printemps. En
effet, ce n'est pas la tempête de l'hiver qui
ressuscite la nature, elle ne fait que retarder le
printemps, on dirait vraiment que tout ce qui vit
sur la terre se cache, se contracte et
résiste quand le vent de tempête fait
rage. Mais quand, en mars ou en avril, le vent
s'adoucit, quand il n'est plus qu'une haleine
chaude et parfumée, alors plus rien ne
résiste, les oiseaux sortent de leurs
cachettes et se mettent à chanter, les
arbres se couvrent de feuilles, les prairies
deviennent des parterres de
fleurs, c'est la vie qui renaît, c'est la
fête du printemps qui recommence. La douceur
a triomphé sans peine là où la
violence avait échoué.
- Patience et longueur de temps
- Font plus que force ni que rage.
Lorsque dans l'Apocalypse nous voyons le ciel
ouvert et que retentit le cantique des anges, celui
dont les armées célestes chantent les
louanges, c'est l'agneau immolé, type de
douceur, d'innocence et d'amour. « Ils
chantaient un cantique nouveau en disant : Tu es
digne de prendre le livre et d'en ouvrir les sceaux
; car tu as été immolé et tu
as racheté pour Dieu par ton sang des hommes
de toute tribu, de toute langue, de tout peuple et
de toute nation ; tu as fait d'eux un royaume et
des prêtres pour notre Dieu et ils
régneront sur la terre » (
V, 9 et 10).
Voulons-nous à notre tour
régner aux siècles des
siècles, hériter la terre, et, ce qui
vaut mieux, en faire un paradis de bonheur et
d'amour ? Soyons doux comme l'agneau immolé
en mettant de côté la bête
féroce qui se trouve cachée au fond
de chacun de nous. Ce n'est pas « le lion qui
rôde autour de nous pour savoir qui
il dévorera »
(1 Pierre, V, 8) qui règnera
sur la terre, c'est l'agneau immolé, celui
« qui n'a pas considéré comme
une proie l'égalité avec Dieu, mais
qui s'est laissé vider lui-même en
prenant une forme de serviteur »
(Philippiens II, 6 et 7).
- Oh! qu'il est doux d'aimer Dieu comme un
Père,
- D'aller à lui sans détour,
sans frayeur,
- De parcourir sa terrestre carrière
- Toujours conduit par l'esprit du Seigneur.
-
- Oh ! qu'il est doux de penser à ta
grâce,
- Dans ma faiblesse et toutes mes langueurs,
- Et de me dire : « Il s'est mis à
ma place
- Comme un agneau pour porter mes douleurs
»
-
- Dans nos concerts, joints aux concerts des
anges,
- Nous chanterons le cantique nouveau :
- Nos harpes d'or, nos voix et nos louanges
- Rendront la gloire et l'honneur à
l'Agneau.
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