À l'Image de Christ
PRÉFACE
« Je vous ai donné un exemple,
disait Jésus aux siens, afin que vous
fassiez comme je vous ai fait, » et
l'apôtre reprend: « Soyez mes imitateurs
comme je le suis moi-même de Christ. »
Une partie de la vie chrétienne - une partie
seulement, celle qui procède de la
rédemption - consiste donc dans l'imitation
de Jésus-Christ.
Mais pour s'inspirer d'un tel
modèle ou pour suivre un tel exemple, il est
nécessaire de le bien connaître, tant
au point de vue moral et religieux, qu'à
celui de l'histoire. C'est ce double aspect que met
eu lumière l'ouvrage de M. Stalker. Il
s'éloigne sensiblement par là de
l'immortel chef-d'oeuvre de Thomas à Kempis.
En comparant l'une à l'autre ces deux «
Imitations, » on mesurera d'emblée la
distance qui sépare le moyen-âge
catholique, dans ses meilleures aspirations, du
protestantisme moderne, dans ce
qu'il offre de plus sérieux. Leur but commun
est de conduire à « la vie
cachée avec Christ en Dieu; » mais
tandis que le premier n'entrevoit guère
cette vie que dans la solitude ascétique
dît cloître et la contemplation d'un
Christ tout mystique - celui du sacrement et du
crucifix; - le second la cherche essentiellement
dans les devoirs quotidiens de l'existence
laïque et la vision précise de ce que
fut, au plein air de l'Évangile,
Jésus de Nazareth. Rien n'est plus
significatif que cette différence et ne fait
saillir plus nettement, avec l'esprit même de
la Réforme, la connaissance et la
compréhension de la personne du Sauveur,
dont nous sommes redevables à la possession
du Nouveau Testament, vivifié par les
études théologiques
contemporaines.
Sans doute, «A l'image de
Christ» n'a pas l'intimité
pénétrante et la profondeur
religieuse que révèle, par endroits,
l'Imitation ; il n'en a pas non plus les
écarts malsains, les longueurs et les
redites. Il vise à réveiller les
énergies de l'action plus qu'à
produire les ravissements de l'extase, et, s'il
porte, moins au recueillement intérieur de
l'âme, il éclaire et guide davantage
la conscience.
Il le fait de deux manières.
Il relève l'attitude du Maître, le
sens de ses actes et de ses paroles en des
occasions et des relations concrètes qui
sont aussi les nôtres; il dégage les
principes directeurs
généraux qui
découlent à chaque fois de sa
conduite et que nous pouvons encore appliquer
aujourd'hui. La tâche était difficile
et délicate. L'auteur nous semble l'avoir
remarquablement bien remplie. Désireux
d'être accessible à tous, il a mis au
service d'une pensée très sobre, un
langage très simple. Cette
sobriété pourtant n'a rien de banal.
Riche d'idées justes et d'aperçus
originaux, elle témoigne d'une étude
approfondie de l'histoire évangélique
et du caractère de Jésus. Elle
respire une piété forte et paisible,
et n'instruit que pour édifier.
À l'image de Christ a obtenu
dans les pays de langue anglaise un succès
considérable et mérité. La
traductrice, après s'être rendu compte
par expérience de l'action bienfaisante que
pouvait exercer ce livre, l'offre maintenant au
public français sous une forme qui a toutes
les qualités de l'original. Sous l'en
remercions vivement pour notre part, et nous
souhaitons que son travail contribue à
graver en beaucoup de disciples cette « image
de Christ » vers laquelle, comme vers sa
suprême consommation, doit tendre le saint
effort de toute vie chrétienne.
GASTON FROMMEL.
.
I
Christ dans la vie de famille
Matthieu VIII, 14, 15; IX, 18-26; XVII, 18; XVIII, 1-6; XIX, 13-15. Marc V, 18,19, XII, 18-25. Luc VII, 11-15; XI, 27, 28. Jean VIII, 1, 2; XIX, 25-27.
Matthieu XII, 46-50. Luc IX, 57-62. Matthieu I; II. Luc I, 25-56; II; III, 23-38.
Matthieu XIII, 55-58. Luc IV, 16, 22. Jean VI, 42.
Marc III, 21. Jean VII, 3-9.
|
I
L'institution de la famille nous offre une image
frappante des deux facteurs de déterminisme
et de liberté que renferme la vie
humaine.
En effet, chacun de nous est
né dans une famille particulière qui
a son histoire et son caractère propres,
formés avant qu'il vît le jour. Cette
relation indépendante de son choix
influencera toute la vie future d'un
homme.
Peut-être sera-t-il
l'héritier de souvenirs glorieux et
d'habitudes raffinées ou
peut-être aura-t-il
à porter le douloureux fardeau des tares
physiques ou morales.
Nul ne choisit son père ou sa
mère, ses frères ou ses soeurs et
cependant, de ces liens que nous ne pouvons
dénouer, dépendent en grande partie
le bonheur ou le malheur d'une vie :
Un coup de sonnette retentit dans la
nuit; vous sortez et voilà, sur le seuil de
la porte est un étranger qui vient d'un pays
lointain. Vous ne le connaissez pas; il est en
dehors du cercle de vos intérêts; il
est à dix mille lieues de votre esprit. Mais
s'il vous dit : « Ne me reconnais-tu pas ? Je
suis ton frère ! » Il se rapproche
soudain, dix mille lieues d'un seul pas! Vous et
lui êtes unis par un lien indissoluble que
l'avenir peut transformer en un collier de pierres
précieuses ou en un collier de fer
brûlant qui rongera votre chair.
Jésus ne pouvait toucher
à l'humanité sans être saisi
dans ces chaînes du déterminisme; il
pénétra dans ce cercle
mystérieux quand il naquit d'une femme; il
devint membre d'une famille qui avait ses
traditions et son rang social, il eut des
frères et des soeurs. Ces circonstances
jouèrent leur rôle
dans sa vie terrestre et sa mère.
exerça sans doute une grande influence sur
le développement de son esprit.
Il est vrai qu'il est difficile de
le prouver en détail puisque nous
connaissons peu de traits de sa première
enfance. Mais nous pouvons, noter un fait
significatif : le cantique de Marie, le Magnificat
dans lequel à sa rencontre avec Elisabeth,
elle exprima les sentiments qui remplissaient son
coeur, renferme des pensées dont nous
trouvons maintes fois l'écho dans la
prédication de Jésus. Cette
inspiration nous révèle en elle une
haute individualité morale et des dons
naturels rares, développés par la
Parole de Dieu à tel point que le langage
des prophètes, et des saintes femmes
d'autrefois était devenu le sien. Nous ne
devons pas accorder une importance
exagérée à sa personne ou
à celle de son mari, mais il est certain que
l'enfance de Jésus. se passa dans une
famille de grande piété dont il garda
l'empreinte dans la suite de sa
carrière.
À côté de cette
influence directe, il possédait une longue
généalogie. Il était de la
race de David et le récit
évangélique prend la peine de
nous retracer sa descendance du
tronc royal, procédé qui n'est
peut-être que l'écho de ses propres
sentiments.
« Noblesse oblige! » Une
noble lignée est un stimulant aux grandes
actions. Milton n'a pas dépassé les
bornes permises à la déduction,
quand, dans le Paradis retrouvé, il
représente l'esprit du jeune Sauveur
agité d'une noble ambition par la
mémoire de ses ancêtres :
- Victorius deeds
- Flamed in my heart, heroic acts - one
while
- To rescue Israel from the Roman yoke;
- Then to subdue and quell o'er all the
earth
- Brute violence and proud tyrannic power
- Till truth was freed and equity
restored.
(Mon coeur brûlait d'accomplir des actions
victorieuses, des traits héroïques; -
De délivrer Israël du joug des Romains
: - Puis de subjuguer et d'étouffer sur la
terre entière - La violence brutale et la
puissance orgueilleuse des tyrans - Afin de
libérer la vérité et de
restaurer la justice.)
Sûrement, sa filiation royale
fut pour le Messie l'indication de l'oeuvre qu'il
devait accomplir.
Il ressentit cependant
l'étreinte douloureuse des liens du sang. On
lui reprocha sa naissance vulgaire, car bien que
ses ancêtres fussent nobles, ses parents
immédiats étaient pauvres et quand il
apparut sur la scène de la vie publique, des
voix moqueuses demandèrent
« N'est-ce pas là le
fils du charpentier? »
Sa vie est une condamnation
définitive de ce respect que le monde
accorde à la personne; elle sera toujours
pour les méprisés et les obscurs une
preuve que la valeur du caractère et des
services rendus à Dieu et aux hommes
suffisent à conquérir une place dans
l'amour et la considération de nos
semblables.
L'élément de
liberté qui fait partie de la vie humaine
apparaît avec autant d'évidence dans
la famille que l'élément de
déterminisme et il est aussi
mystérieux.
De son propre choix, un homme entre
dans la vie conjugale; par cet acte de sa
volonté, il crée le cercle qui dans
la génération suivante enfermera
d'autres êtres dans le milieu qui fut le
sien.
Il est vrai que les circonstances
empêchèrent
Jésus de fonder une
famille; cette lacune a été
signalée et on a exprimé le regret
que les plus saintes affections du coeur soient
restées en dehors de son expérience.
Cette objection parait avoir quelque force et
cependant, les apôtres ont tiré
directement de sa doctrine et de son exemple les
plus grands préceptes concernant les
relations conjugales. La parole la plus profonde
qui fat prononcée au sujet du mariage est
celle-ci:
« Maris, aimez vos femmes comme
Christ a aimé l'Église et s'est
livré lui-même pour elle, afin de la
sanctifier par la parole, après l'avoir
purifiée par le baptême d'eau, afin de
la faire paraître devant lui glorieuse, sans
tache ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et
irrépréhensible. »
(Eph. V, 25-28.)
II
Jésus a honoré l'institution de la
famille pendant toute sa vie.
De son temps régnait en
Palestine un honteux relâchement des liens
domestiques. Le divorce
était fréquent et si facilement
obtenu que la moindre bagatelle en devenait le
prétexte. Le système du Corban
autorisait les enfants à compenser par une
somme payée au Temple, l'abandon de leurs
parents.
Jésus dénonça
ces abus sans ménagement; il ne sanctionna
pour les âges à venir que la loi du
mariage contracté avec réflexion qui
lie une fois pour toutes les plus profondes
affections du coeur.
Son amour des enfants et les paroles
divines qu'ils lui inspirèrent n'ont pas,
sans doute, créé l'amour paternel,
mais elles l'ont considérablement
élargi et affiné. L'amour des parents
païens pour leur rejeton est un grossier
penchant animal si on le compare à l'amour
des enfants tel qu'il est compris dans nos familles
chrétiennes. Si le bruit des pieds mignons
qui trottent dans la maison et le son des voix
argentines sont aujourd'hui une musique à
nos oreilles, si la pression des petits doigts et
la caresse des lèvres enfantines nous font
tressaillir de reconnaissance, c'est à
Christ que nous devons ce rayon de soleil dans nos
vies.
En disant : « Laissez venir
à moi les petits enfants » il a
transformé le foyer en une église
dont les parents sont les prêtres ;
peut-être a-t-il gagné par là
à son nom autant de disciples que par
l'institution même de l'Église.
Peut-être les leçons des mères
parlant de Jésus et l'exemple des
pères chrétiens ont-ils autant
contribué au succès du christianisme
que les sermons des plus éloquents
prédicateurs et l'adoration des
congrégations réunies. En tous cas,
plus d'une fois, la religion de Christ
chassée de l'Église et
dénaturée par des ministres sans foi
et des disciples indignes, s'est
réfugiée au foyer domestique et il y
a peu de grands chrétiens qui ne retrouvent
à l'origine de leurs convictions des
souvenirs de leur première
enfance.
Un grand égard pour les
affections naturelles semble avoir inspiré
plusieurs des miracles du Christ. Quand il
guérit la fille de la Cananéenne,
rendit la fille de Jaïrus à sa
mère, ressuscita le fils de la veuve
à la porte de Naïn ou rappela Lazare
d'entre les morts pour reconstituer le cercle de
famille de Béthanie,
peut-on douter de la joie que
ressentit le Sauveur? Il montra dans la parabole de
l'enfant prodigue combien il estimait
l'intensité et la profondeur de ces
sentiments.
Mais sa conduite au milieu des siens
prouve mieux encore le respect qu'il avait de cette
institution et quoique les détails de sa vie
dans la maison de Marie nous soient inconnus, tout
indique qu'il fut un fils parfait.
Aucune joie n'est comparable
à celle des parents qui voient naître
et se développer la vie spirituelle de leur
enfant et il nous est dit que Jésus
croissait en stature et en grâce devant Dieu
et devant les hommes. S'il eut conscience à
ce moment déjà de la grande
carrière ouverte devant lui, il ne se crut
pas dispensé de l'obéissance car,
à l'âge de douze ans, nous le voyons
« il leur était soumis
».
On suppose
généralement que peu après ce
voyage à Jérusalem, Joseph mourut et
que la charge de la famille retomba sur
Jésus, le fils aîné. Ce n'est
pas certain, mais le terme de sa
vie est marqué par un acte
qui jette une grande lumière sur les
années dont aucun souvenir ne nous est
parvenu, et révèle combien son
affection pour sa mère fut profonde
jusqu'à la fin. Tandis qu'il était
suspendu à la croix, il la vit et lui parla.
Il souffrait à ce moment une terrible
agonie, tous ses nerfs tendus par
d'intolérables douleurs et, aux approches de
la mort, l'esprit anxieux de se détourner de
toutes les choses terrestres pour être avec
Dieu seul; il portait le péché du
monde dont le poids écrasait son coeur; et
cependant, au milieu de ses angoisses, il songea
à l'avenir de sa mère; il y pourvut
pour elle en demandant à l'un de ses
disciples de la prendre avec lui et de lui servir
de fils. Ce disciple était le plus aimable
d'entre eux, Jean, le plus capable de causer
affectueusement avec elle du seul sujet qui les
absorbât tous les deux et celui que sa
position sociale mettait à même de
soutenir Marie sans éveiller en elle un
sentiment de pénible dépendance.
III
Si légitime que soit le droit des parents
à l'obéissance de l'enfant, il a un
terme. Leur devoir est de le former pour
l'indépendance. Comme le but de
l'instituteur est d'élever ses
élèves à un niveau qui leur
permette d'entreprendre une carrière sans
son secours, de même les parents doivent
reconnaître qu'il est un moment où
leur autorité cesse et où l'enfant
choisit et agit par lui-même. L'amour ne
diminuera pas ; le respect ne devrait pas
disparaître, mais l'autorité prend
fin.
Il est difficile de
déterminer l'heure exacte où cette
crise mémorable survient dans la vie de
l'enfant. Malheur à celui qui saisit trop
tôt la liberté! Il marche au-devant de
sa ruine et, parmi les traits de notre vie
contemporaine, il n'en est pas de plus
fâcheux que la disposition si répandue
dans la jeunesse d'échapper
prématurément au joug et de ne
reconnaître d'autre loi que sa propre
volonté. Mais les parents exercent
quelquefois trop longtemps leur
autorité. Un père
peut chercher à retenir son fils sous son
toit quand il vaudrait mieux pour lui se marier
à son tour et fonder une famille; une
mère peut s'ingérer dans le
ménage de sa fille mariée qui,
livrée à sa propre initiative, serait
peut-être une meilleure
épouse.
Marie, la mère de
Jésus, tomba dans cette erreur. Plusieurs
fois elle tenta d'intervenir indûment dans
son ministère; son orgueil maternel la fit
agir ainsi aux noces de Cana et, dans d'autres
occasions, ce furent ses inquiétudes au
sujet de sa santé. Elle ne fut pas la seule
qui chercha à contrecarrer son action; mais
Jésus répondit toujours par des
paroles indignées à ces interventions
maladroites. « Arrière de moi, Satan!
» dit-il à Pierre. L'intensité
de son amour pour ses parents et amis faisait de
leurs désirs et de leurs appels des
tentations dangereuses pour lui, car il aurait
aimé à les satisfaire.
Mais s'il eût obéi, il
se serait détourné de la tâche
à laquelle il était consacré;
c'est pourquoi il devait s'armer pour repousser la
tentation.
Sa conduite eut un jour une
apparence singulièrement
dure. Sa mère et ses frères
étaient venus au milieu de sa
prédication demander à lui parler et
il répondit à leur message: «
Qui est ma mère et qui sont mes
frères? » Puis, regardant les disciples
assis autour de lui, Il ajouta: « Voici ma
mère et voici mes frères! Car celui
qui fait la volonté de Dieu sera ma
mère, mon frère et ma soeur.
»
On ne peut nier
l'étrangeté de cette parole. Mais il
est probable qu'elle doit être
rattachée à ce qui la
précède dans l'Évangile de
saint Marc où nous voyons que ses amis
firent un effort pour s'emparer de lui, disant:
« Il est hors de sens. » - Jésus
était à cette époque si
absorbé dans son oeuvre qu'il
négligeait de prendre aucune nourriture; la
sainte passion du salut des hommes l'avait si
complètement saisi que, pour ses parents, il
semblait atteint de folie; aussi croyaient-ils de
leur devoir de s'emparer de lui et de
modérer son ardeur. Si Marie fut complice de
ce procédé impie, rien
d'étonnant qu'un blâme
sévère l'ait frappée. Il est
évident en tous cas qu'elle vint à
lui dans la pensée qu'il devait
aussitôt tout abandonner pour lui parler.
Mais elle avait à
apprendre qu'il y a des droits plus
légitimes encore que ceux de la famille; au
service de Dieu, Jésus ne pouvait
reconnaître d'autre autorité que celle
de Dieu.
Il y a une sphère dans
laquelle les parents eux-mêmes ne sont pas
autorisés à pénétrer, -
c'est celle de la conscience. Jésus non
seulement la considéra comme sacrée
pour lui-même, mais il invita ceux qui le
suivaient à l'imiter. Il prévit
combien dans le cours des âges ce devoir
séparerait souvent les membres d'une famille
et cette perspective dut lui être
douloureuse:
« Ne croyez pas, dit-il, que je
sois venu apporter la paix sur la terre, non, vous
dis-je, mais un glaive. Car je suis venu pour
diviser un homme contre son père, une fille
contre sa mère et une belle-fille contre sa
belle-mère. Et les ennemis d'un homme seront
ceux de sa propre maison. »
« Celui qui aime son
père ou sa mère plus que moi n'est
pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa
fille plus que moi n'est pas digne de moi.
»
Ce glaive fait encore aujourd'hui de
profondes blessures. Dans les
pays païens où le christianisme est
nouvellement introduit et surtout dans les pays
comme l'Inde où l'institution de la famille
est particulièrement
développée, la principale
difficulté que rencontre la confession
chrétienne est dans la rupture des relations
de parenté qui ne peut se faire sans de
longues et douloureuses luttes morales. Dans les
pays chrétiens eux-mêmes, l'opposition
de parents mondains à la vocation religieuse
de leurs enfants est souvent très forte et
cause de grandes souffrances à ceux qui ont
à porter cette croix. C'est toujours un cas
délicat, qui demande de la patience et une
grande sagesse chrétienne; mais une fois les
conséquences claires à l'esprit et
à la conscience, il n'y a pas à
hésiter quant à la volonté de
Christ; nous devons obéir à Dieu
plutôt qu'aux hommes.
Heureux ceux dont l'entière
soumission à Christ et une franche
confession de leur foi sera pour leur famille une
joie sans mélange.
IV
On dit que « chaque maison contient un
squelette caché dans le buffet »; si
grande que soit sa prospérité et si
parfaite l'apparence d'harmonie qu'elle
présente aux yeux du monde, il y a toujours
à l'intérieur quelque frottement,
quelque inquiétude ou quelque secret qui
assombrit l'horizon.
Ce proverbe peut n'être pas
plus vrai que tant d'autres
généralités valables seulement
par la quantité de leurs exceptions.
Cependant, on ne peut nier que chaque famille a ses
joies et ses tristesses et que l'intimité
des rapports des membres d'une famille entre eux
donne à chacun la chance de blesser tous les
autres. Sous le manteau de la parenté, peut
être appliquée avec impunité
une torture que l'on n'oserait infliger à un
étranger.
Jésus souffrit en cela; il
eut sa croix domestique personnelle. Ses
frères ne crurent pas en lui; ils ne
pouvaient se résoudre à
reconnaître que celui qui avait
été élevé avec eux,
comme l'un d'eux, fût
infiniment plus grand qu'eux tous. Ils
considéraient avec envie sa
réputation croissante. Chaque fois que nous
les voyons intervenir dans sa vie, c'est d'une
façon inopportune.
La profondeur de cette
épreuve sera mieux comprise de ceux qui ont
souffert personnellement dans le même sens.
Beaucoup d'hommes de Dieu ont dû se lever et
témoigner seuls au milieu d'une famille
incroyante ou mondaine; beaucoup ont
été dans ces circonstances les
victimes d'un mesquin martyre journalier plus dur
à supporter que la persécution
publique. Mais ils savent du moins qu'ils ont la
sympathie de Celui qui fit allusion à sa
propre expérience par ces mots
pathétiques: « Un prophète n'est
méprisé que dans sa patrie, parmi ses
parents et dans sa maison. »
Nous ne savons comment il agit
vis-à-vis de l'incrédulité de
ses frères, s'il les raisonna et discuta
avec eux ou s'il garda le silence et s'en tint au
témoignage de sa vie. Mais nous pouvons
être certains qu'il pria sans cesse pour eux
et nous connaissons heureusement la réponse
finale qu'obtinrent ses prières.
Ses frères, parait-il,
restèrent incrédules jusqu'à
sa mort. Mais aussitôt après, dans le
premier chapitre du livre des Actes, nous les
trouvons assemblés avec les apôtres du
Christ. Ceci est extraordinaire; car à ce
moment-là, sa cause était aussi bas
que possible. Les événements
semblaient avoir prouvé l'erreur de sa
prétention d'être le Messie;
cependant, ceux qui l'avaient renié à
l'apogée de sa réputation se trouvent
parmi les croyants à l'heure où son
oeuvre est en apparence réduite à
néant.
Comment expliquer cela?
Dans un passage de la
première épître aux Corinthiens
où saint Paul énumère les
apparitions de Notre Seigneur à
différentes Personnes, il nous dit qu'il
apparut à Jacques. Celui-ci était
probablement le frère de Jésus et, si
cela est vrai, n'y a-t-il pas quelque chose de
merveilleux dans le fait que l'un des premiers
actes du Sauveur ressuscité fut d'apporter
à son frère incrédule
l'évidence qui devait le conquérir
à la foi? - Jacques, nous pouvons le croire,
aurait communiqué cette expérience
aux autres membres de la famille de Marie et le
résultat à nous connu,
fut que deux d'entre eux, Jacques
et Jude, vécurent pour être les
auteurs de deux épîtres du Nouveau
Testament.
La présence des frères
de Jésus parmi sus disciples dans une
pareille crise peut être
considérée aujourd'hui encore comme
une des preuves les plus frappantes de la
réalité de la résurrection.
C'est en même temps un trait de la
persévérance infatigable avec
laquelle Jésus travailla au salut des siens
et un exemple de l'esprit de prière,
d'espérance et d'activité qui doit
nous animer pour ceux des nôtres qui ne sont
pas encore à Christ.
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