À l'Image de Christ
XI
Christ pêcheur d'âmes.
Matthieu
I, 21;
IV, 18-22,
IX, 10;
13.
Luc IV, 43;
VII, 36-50;
XV,
XIX, 1-10,
41-42;
XXII, 39-43
Jean
II, 23;
III,
IV,
VII, 31,
37;
lX, 35-38;
X, 11;
XII, 21, 22.
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I
On raconte qu'une des mines de diamant de
l'Afrique du sud fut découverte de la
manière suivante :
Un voyageur, qui s'était
égaré un jour dans une vallée,
s'approcha de la demeure d'un colon. Devant la
porte, un jeune garçon s'amusait à
jeter des pierres. Une d'elles tomba aux pieds de
l'étranger qui la ramassa et
s'apprêtait à la relancer en riant,
quand un point brillant frappa ses yeux, retint
subitement sa main et fit battre son coeur.
C'était un diamant. L'enfant s'en
servait comme d'une pierre
vulgaire, le pied du paysan l'avait foulée,
les roues des chars avaient passé sur elle,
jusqu'au jour où vint un homme, qui la vit
et reconnut sa valeur.
Cette anecdote fait songer à
l'histoire de l'âme. Ne rencontrait-elle pas
même indifférence
générale quand Jésus vint au
monde et la découvrit? L'âme d'une
prostituée plongée dans la boue et la
corruption du vice! Jamais un Pharisien n'aurait
sali ses doigts pour la relever. L'âme d'un
enfant! Les scribes discutaient dans leurs
écoles la réalité de son
existence.
Aujourd'hui même, il n'est
rien de moins important que l'âme aux yeux de
la grande majorité. Elle est rejetée,
ignorée, foulée aux pieds comme le
fut le diamant inconnu. Une âme nouvelle,
sortie de l'éternité, fait son
entrée dans une demeure terrestre et la
famille continue à vivre dans le
péché, comme si aucun témoin
n'était survenu; la crainte d'une souillure
possible ne trouble la conscience d'aucun de ses
membres! Peu à peu surviennent les
influences multiples de la vie sociale; la pauvre
exilée, de plus en plus abandonnée,
se heurte à un mépris
absolu de sa haute origine et de
sa destinée immortelle. Le public ne
s'inquiète guère d'un arrêt
dans son développement ou même de sa
perte; son sort ne le préoccupe pas et il
oublie son existence.
Notre langage trahit cette ignorance
complète de l'âme! Quand les
employés sortent d'une fabrique à
l'heure du repas, ne disons-nous pas: « Quelle
quantité de mains! » comme si le corps
et sa faculté de travail étaient tout
ce qui fait l'homme! L'Église même
désigne la population de l'East End par le
terme de « masses » ; comme si elles
n'étaient pas divisibles en unités
dont chacune contient un atome de ce qui touche au
ciel et à l'enfer.
Quand nous observons la foule dans
une rue populeuse, que voyons-nous passer ? Est-ce
une succession de figures plus ou moins
intéressantes selon leurs traits ou leur
costume? ou des esprits, revêtus d'un corps,
qui viennent de Dieu et retournent à Dieu ?
Si nous avons le pouvoir d'évoquer cette
seconde vision, c'est de Christ que nous le tenons.
Il ramassa l'âme qui gisait dans la boue,
foulée aux pieds, et dit: « Voyez ce
diamant! Que servirait-il
à un homme de gagner le monde s'il perdait
son âme? »
L'humanité croyait cependant,
avant lui, à l'existence de l'âme chez
les grands hommes, manifestée par une force
ou une sagesse supérieures, elle admettait
l'âme d'un Socrate ou d'un César.
Jésus lui apprit à reconnaître
l'âme universelle, celle des enfants, des
femmes, des publicains ou des pécheurs;
c'est là son immortel enseignement. Dans
chaque enfant de la terre, il distingua le diamant.
Les haillons du mendiant, la peau colorée du
sauvage ou les crimes du malfaiteur ne pouvaient le
cacher à ses yeux. Bien que l'âme
fût profondément embourbée dans
l'ignorance et le mal, son désir de la
sauver et de lui rendre son éclat n'en fut
que plus ardent. Aux yeux du médecin, ce ne
sont pas les bien portants mais les malades qui
sont intéressants et, parmi eux, le cas le
plus désespéré est celui qui
demande le plus prompt secours. Il en est
hanté jour et nuit; cette pensée
l'obsède; il le visite plusieurs fois par
jour et, si le mal est vaincu, c'est le triomphe de
son art. C'est ainsi que Jésus expliquait sa
conduite et ses propres sentiments.
Certes, un mystère plane sur
cette valeur absolue de l'âme. Se peut-il que
l'âme d'un voleur ou celle d'un clown soit
plus précieuse que tout l'or de la
Californie ou les diamants de Golconde ? Pour la
plupart des hommes, s'ils avouent leur
pensée intime, cette assertion n'a aucun
sens. Et cependant, elle fut faite par Celui qui
vivant ici-bas dans le fini, vivait
également dans l'éternité,
dont le regard pouvait embrasser l'avenir et y
suivre la destinée de l'âme, les
splendeurs qu'elle peut atteindre et l'abîme
où elle peut disparaître. Cette haute
estime de l'âme fut le secret de son oeuvre
de Sauveur; et cette foi qui embrase l'esprit et le
coeur, doit être celle de son disciple. Un
homme. n'a aucun droit d'aspirer à gagner
les âmes à Dieu, s'il n'est pas
animé pour elles d'un amour infini et si
leur salut ne lui est pas mille fois plus
précieux que toute ambition personnelle.
II
Le sentiment d'un appel divin est encore plus
essentiel; celui qui veut gagner les âmes
doit avoir conscience qu'il accomplit l'oeuvre de
Dieu et transmet aux hommes son message.
L'enthousiasme de l'humanité
est une noble passion qui illumine les premiers
efforts d'une vie de dévouement. Mais dans
les heures de découragement, les hommes nous
semblent à peine dignes d'un tel sacrifice;
ils sont si bas et ingrats, nous les changeons si
peu que la tentation est grande de renoncer
à cette tâche. Ceux auxquels nous nous
donnons acceptent comme un dû tout ce que
nous faisons pour eux; ils feignent de ne pas nous
voir s'ils nous rencontrent, ou se retournent et
nous traitent en ennemis. Pourquoi
continuerions-nous, à imposer nos bienfaits
à ceux qui n'en veulent pas? - Plus
douloureux encore est le triste sentiment de notre
insuffisance; peut-être avons-nous fait
erreur sur notre vocation; ce monde est
déséquilibré, mais est-ce bien
à nous de le redresser? C'est là
qu'un motif supérieur
à l'amour des hommes nous est
nécessaire; notre zèle affaibli
demande à être stimulé par
l'ordre de Dieu: c'est à son oeuvre que nous
travaillons; ces âmes sont siennes; il les a
confiées à nos soins et, au jour du
jugement, nous aurons à en rendre
compte.
Tous les prophètes et les
apôtres qui ont lutté pour la cause de
Dieu ont été poussés par une
force supérieure qui les a soutenus dans les
heures de faiblesse et rendus capables de faire
face à l'opposition du monde. La plupart
d'entre eux ont traversé une crise dans
laquelle ils ont entendu un appel qui a clairement
orienté leur vie. Moïse fut
entraîné hors du désert et
lancé dans la vie publique malgré sa
résistance; cette conviction lui aida
à supporter les épreuves sans nombre
de sa carrière future. Ésaïe
entendit cette voix impérieuse dans une
vision qui éclaira toute sa vie, et elle
produisit chez l'apôtre Paul une
révolution complète en moins d'une
heure. Jérémie sentit le divin
message pénétrer comme un glaive dans
sa chair et la brûler comme du feu
jusqu'à ce qu'il l'eût
délivré au peuple.
C'est là ce qui donna
à la vie de Christ son irrésistible
impulsion, qui le soutint en face de ses
adversaires, qui le sauva de l'heure sombre du
désespoir.
Jamais il ne se lassa d'affirmer que
son oeuvre était l'oeuvre de son Père
et non la sienne, que sa parole était la
parole même de Dieu. Chaque nouvelle
décision était un accomplissement de
la volonté divine. Mais sa vie ne fut pas
partagée par une crise morale dans laquelle
le devoir de vivre pour les autres s'imposa
subitement à lui. Cette vocation faisait
partie de son être tout entier; l'amour des
hommes lui était aussi naturel qu'à
Dieu même; son âme était
passionnément attachée à leur
salut; bien qu'il déclarât que ses
paroles et ses actions lui étaient
inspirées par Dieu, ses pensées
intimes s'identifiaient si bien avec les desseins
divins qu'il put dire: « Moi et mon
Père ne sommes qu'un. »
Les âmes doivent être
gagnées: cette oeuvre demande du tact, de
l'intelligence, une grande puissance de sympathie
et un don personnel d'attraction chez celui qui
l'entreprend.
Quand Jésus appela ses
disciples à y participer avec lui, il leur
dit: « Suivez-moi et je vous ferai
pêcheurs d'hommes. » - Tout
pêcheur à la ligne sait quelle
connaissance du temps et de l'eau, quel jugement,
quelle vue pénétrante et quelle
délicatesse de touche sont
nécessaires à cet art; et la
pêche au filet que Jésus
désignait plus particulièrement ne
demande pas moins d'expérience et de tact.
Toutes ces qualités sont requises pour
attirer les âmes. Jésus fut là
encore le modèle parfait et le meilleur
guide pour qui veut le suivre.
1° Il employa les miracles
comme des jalons pour atteindre les âmes.
Tous les actes de bonté et de
miséricorde décrits dans le chapitre
précédent furent des introductions au
but spirituel plus élevé qui
remplissait son esprit. Ce ne fut
pas sans doute leur but unique,
car les miracles eurent beaucoup de sens
différents, mais souvent, ils ouvrirent la
porte à une action spirituelle qui n'aurait
pu se produire sans eux et qui, en dehors du malade
guéri, se répercutait sur la famille
entière. La bonté ouvre les coeurs et
par la porte ouverte, le salut peut
entrer.
Cependant, il y a là deux
sources de danger: d'un côté la
charité peut être
dépouillée de toute humanité
par le zèle du prosélyte; de l'autre,
l'assisté peut se revêtir d'une
apparence hypocrite de piété qu'il
offre en paiement de l'aumône reçue.
Tout en cherchant à éviter ces
dangers, il faut reconnaître que le principe
lui-même est basé sur la plus haute
autorité et reçoit actuellement de
très heureuses applications dans l'oeuvre
chrétienne. Le zèle pour les
âmes éveille souvent
l'intérêt le plus
éclairé pour les souffrances du corps
et donne naissance à des oeuvres
philanthropiques de haute valeur.
2° La prédication fut un
des moyens les plus puissants dont se servit le
Christ pour ramener les âmes
égarées: jamais on n'entendit de
parole plus attrayante et imagée que la
sienne; il revêtit la
vérité de tout le charme de la
parabole, bien que cette aimable parure ne lui soit
pas habituelle ; elle se présente en effet
à ses adeptes simple et dépourvue
d'ornements, et ceux qui l'aiment l'acceptent
ainsi; mais Jésus avait affaire à un
public indifférent; c'est pourquoi il lui
décrivit la vérité sous la
forme qu'il était capable de comprendre,
sachant qu'une fois. gagné il
l'accueillerait pour elle-même.
La prédication est encore
aujourd'hui un moyen si puissant d'attirer les
hommes à Dieu, que le désir de
prêcher naît souvent du désir de
sauver les âmes, mais il est étrange
que les prédicateurs s'exercent aussi peu
à présenter leur message comme
Jésus le fit, d'une manière
esthétique et séduisante.
3° Il n'est donné
qu'à un petit nombre de. chrétiens de
prêcher, mais Jésus usa d'une autre
méthode plus accessible à tous, - la
conversation. Nous avons dans ses entretiens avec
Nicodème et la Samaritaine un modèle
de ce moyen familier d'attraction. Si nous
comparons les deux cas, nous verrons avec quel tact
parfait il entrait dans les circonstances de ses
interlocuteurs et avec quelle
aisance il dirigeait la conversation sur le sujet
voulu, s'adressant toujours directement à la
conscience.
Ceci est un art difficile; car la
conversation religieuse, pour être naturelle,
doit jaillir du coeur, ou elle est plus qu'inutile.
Cependant, comme elle peut prendre une valeur
inestimable, rien ne doit être
négligé pour l'acquérir. Nous
avons plus besoin encore d'hommes capables de
parler religion que de prédicateurs. Les
auditeurs d'un sermon appliquent sa morale à
leurs voisins et se gardent de se l'adresser; mais
la conversation va droit au but. Si elle est
appuyée par un caractère
conséquent et revêtu
d'autorité, celui qui sait s'en servir porte
partout avec lui une bénédiction ;
dans les demeures qu'il a visitées, son
souvenir est vénéré, - car la
religion y est apparue comme une
réalité, - et son passage en ce monde
a laissé derrière lui un sillon
lumineux.
Dans beaucoup de cas, les
interlocuteurs de Jésus introduisirent
d'eux-mêmes le sujet des destinées de
l'âme. Les personnes soucieuses de ces
questions recherchaient sa présence et
sentaient qu'il avait
pénétré le grand
mystère. Jésus passait à
travers le pays comme un aimant sur un sol couvert
de fragments de fer; il attirait à lui les
âmes qui avaient quelque affinité pour
la vie divine.
Dans toutes les communautés
chrétiennes se rencontrent quelques
personnalités semblables, de près ou
de loin. On sait qu'elles possèdent le
secret de la vie; ceux qui traversent les crises
profondes de l'âme ont la certitude
d'être compris par elles; les consciences
chargées croient à leur
sympathie.
C'est là le précieux
privilège du disciple de Christ; jamais il
ne cherche plus véritablement les âmes
que lorsque les âmes viennent à lui.
IV
Ces pages traitant de l'imitation du Christ,
nous nous bornons aux traits de son
caractère et de son oeuvre où notre
faiblesse nous permet de le suivre, mais il est
essentiel de se rappeler à quelle hauteur il
est au-dessus de nous et combien incertains et
chancelants sont nos pas!
À quelques égards nous
pouvons, comme lui, nous efforcer de gagner les
âmes à Dieu; ne perdons pas de vue
cependant que, dans ce domaine, il eut une action
personnelle à laquelle aucun de nous ne peut
prétendre, car il était venu non
seulement pour chercher, mais pour sauver ce qui
était perdu. Il se comparait lui-même
au berger qui abandonne tout pour retrouver sa
brebis égarée et la ramène
triomphant au bercail. Voilà qui serait de
notre ressort! Mais il poussa la comparaison plus
loin: « Le bon berger donne sa vie pour ses
brebis! » Après avoir suivi les
pécheurs dans leurs retraites terrestres, il
pénétra dans une région
surnaturelle où il remporta la victoire pour
nous, expia notre péché et nous
ouvrit les portes de
l'éternité.
Nous ne pouvons que vaguement
percevoir le mystère de cette oeuvre. Mais
nous nous inclinons à Golgotha devant la
manifestation extérieure et le symbole du
plus grand amour qui ait été
donné aux hommes. Ici, nous nous contentons
d'adorer et tout rêve d'imitation
disparaît.
Il nous reste une leçon
à en tirer: nul ne peut
avoir de puissance sur les
hommes, s'il ne possède tout d'abord une
grande puissance d'intercession auprès de
Dieu pour les hommes; c'est la condition
indispensable de la victoire. Christ traversa
l'agonie et la mort pour nous assurer le salut et
nul n'aidera à sauver une âme sans
douleur et sacrifice. Saint Paul disait qu'il
achevait dans son corps ce qui manquait aux
souffrances de Christ pour l'Église, et
chaque disciple, désireux de participer aux
joies de la rédemption, doit
premièrement partager les souffrances du
Maître.
V
Un peintre de portraits distingué tombait
régulièrement dans un
véritable paroxysme d'excitation, quand le
moment était venu de constater s'il n'avait
produit qu'une ressemblance banale ou si
l'âme et le caractère de son
modèle vivaient sur la toile; le
succès une fois obtenu, son triomphe se
traduisait par une nouvelle crise d'extravagance.
Ce doit être en effet une sensation
étrange que de créer une image de
beauté qui graduellement
se spiritualise, jusqu'à ce qu'elle ait
atteint la perfection. Mais quelle beauté
peut se comparer à celle d'une âme qui
sortie de la mort, entre dans la Vie, secouant de
ses ailes la hideuse chrysalide de sa condition
naturelle, pour s'envoler vers le soleil
d'immortalité ?
Dans les merveilleuses paraboles du
XVe chapitre de Saint-Lue, nous avons un
aperçu des impressions que Jésus
ressentait à cette vue: «
Réjouissez-vous, s'écrie le berger en
réunissant ses amis, » car ma brebis
était perdue et je l'ai retrouvée.
» Et le père du fils prodigue: «
Mangeons, buvons et réjouissons-nous. »
Lui-même nous explique le sens de ces
réjouissances: « En
vérité, je vous le dis, il y a de la
joie au ciel parmi les anges pour un seul
pécheur qui se repent. Et la joie des anges
reflète celle du Seigneur dont ils voient
toujours la face!
Dans la vie terrestre de Christ, une
occasion nous révèle cette ardente
préoccupation de son coeur. Quand il eut
amené à Dieu la Samaritaine, ses
disciples arrivèrent de la ville avec des
provisions et le pressèrent de manger. Mais
lui, absorbé dans une
vision intérieure, leur dit. « J'ai
à manger une nourriture que vous ne
connaissez pas, » puis, regardant dans la
direction de la ville où la femme
était allée chercher d'autres
âmes à sauver, il continua dans le
même élan extatique: « Ne
dites-vous pas qu'il y a quatre mois encore avant
la moisson? Voici, je vous dis, levez les yeux et
regardez les campagnes; elles sont blanches pour la
moisson. »
(Jean IV, 35.)
Dans une autre crise de la
même profondeur, il pleura sur la cité
qu'il avait en vain tenté de sauver et
où tant d'âmes
périssaient.
Il n'y a pas d'émotion plus
noble et plus directement inspirée du Ciel;
le plus humble ouvrier chrétien qui souffre
réellement du péché des hommes
et se réjouit de leur salut, partage le
sentiment d'amour qui soutint le Christ à
travers ses souffrances et qui anime
éternellement Dieu pour l'humanité.
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