À l'Image de Christ
XV
La vie du sentiment en Christ.
Matthieu
VIII, 17;
IX, 36;
XIV, 14;
XV, 32;
XX, 34.
Marc 1, 41;
IV, 33. Luc
VII, 11-15.
Matthieu
VIII, 10;
IX,
XI, 6;
XIII, 58;
XIV, 31;
XV, 28;
XXVI, 13,
38. Marc
VI, 5, 6;
VIII, 12. Luc
VII, 9;
XVII, 17.
Matthieu
XVI, 23;
XVII, 17;
XXVI, 50-55. Marc
I, 25;
III, 5;
XV, 3-5. Luc
IV, 35,
39-41. Jean
XI, 33-38.
Matthieu
XXVII, 34. Marc
X, 13-16,
21;
XII, 34. Luc
X, 21;
XIX, 41. Jean
VIII, 1-11;
XII, 27;
XIII, 21;
XX, 16-17.
Matthieu
VIII, 4;
IX, 30;
XII,
16; XIV, 22,
20;
XVII, 9. Marc
VII, 24,
36;
VIII, 26,
30. Jean
V, 13;
VI, 15.
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La vie de Christ a été, de nos
jours, si consciencieusement fouillée dans
tous ses détails que l'on se demande si
l'intelligence y découvrira encore quelque
chose de nouveau.
Un vaste champ serait cependant
ouvert dans l'étude de la profondeur de
sentiment qu'il posséda. Ce don était
chez lui aussi délicat que sa parole et son
action étaient puissantes; et les mobiles
secrets de sa conduite restent
incompréhensibles à ceux qui ne
partagent pas en quelque mesure sa rare
sensibilité. Depuis son apparition, une
foule toujours grandissante a appris de lui
à s'intéresser au sort de la
femme et de l'enfant, des
pauvres et des serviteurs, que le monde antique
considérait comme négligeables. Les
Évangiles citent des traits nombreux qui
trahissent les impressions produites sur lui dans
des circonstances diverses : un seul incident, - la
mort et la résurrection de la fille de
Jaïrus, - dans lequel les sentiments de son
coeur sont éclairés d'un jour
très remarquable, peut servir d'exemple
suffisant.
I
C'était le cas d'un homme dont la fille
unique était mourante et, - nous dit
l'Évangile de Marc, - il supplia
Jésus pour elle. Son coeur ne pouvait rester
sourd à cet appel et sa compassion fut
accrue par le fait que c'était une enfant
malade, « ma petite fille », l'appelait
son père. Toutes les scènes de la vie
du Christ dans lesquelles apparaît l'enfance
sont d'une beauté et d'une émotion
exquises, grâce au sentiment qu'il y
apportait. Il creusa dans le coeur de
l'humanité une source nouvelle d'amour.
Ruskin a remarqué qu'il
n'y a pas d'enfants dans l'art grec, mais qu'ils
abondent dans l'art chrétien, - preuve
irrécusable que le regard de Christ fut le
premier à discerner entièrement le
charme de l'enfance.
À la requête de
Jaïrus, il se hâtait vers sa demeure
quand, en chemin, survient un messager; il annonce
au père la mort de son enfant qui rend
inutile la présence du Maître. Sur
quoi, sans attendre une prière, Jésus
se tourne vers lui et lui dit: « Ne crains
pas; crois seulement. » Les sentiments de
doute ou de confiance qui se manifestaient dans son
entourage lui étaient profondément
sensibles. La foi de Jaïrus l'avait
réjoui et la crainte de la voir s'obscurcir
un instant, hâta sa réponse
réconfortante. Mainte expérience
contraire avait affligé son
ministère. S'il eut ici et là
à s'émerveiller de la grandeur de la
foi, plus souvent il dut souffrir de
l'incrédulité ; dans sa ville natale,
cette raison restreignit son oeuvre et sa puissance
miraculeuse fut comme diminuée par la
dépression de son coeur; d'autres fois,
c'est l'ingratitude qui répondit à
ses bienfaits; lors de la guérison des dix
lépreux, un seul vint lui
témoigner sa reconnaissance, ce qui lui fit
dire tristement: « Où sont donc les
neuf que j'ai guéris ? »
II
Quand ils arrivèrent, l'enfant avait
cessé de vivre et la demeure était
envahie par les entrepreneurs des
cérémonies funéraires. La
mort, qui est le plus solennel de tous les
événements, a revêtu dans
certains pays un caractère burlesque,
grâce aux coutumes auxquelles on l'a
associée; en Palestine, cet abus
était poussé à
l'extrême. Aussitôt que survenait un
deuil, la maison se remplissait de pleureurs
professionnels qui poussaient des lamentations
Sauvages, en s'accompagnant d'instruments de
musique. C'est au milieu de cette
cérémonie qu'apparut Jésus. Ce
bruit lui fut intolérable; il imposa le
silence, et comme il ne l'obtenait pas
aussitôt, il chassa de la maison ces
sinistres comédiens de la mort.
L'indignation, bien que proche
parente de la colère, est
une vertu qui révèle une nature
honorable et consciente de sa dignité.
l'âme qui rêve l'ordre, la justice et
la noblesse ne peut que se révolter devant
le désordre et la basse duplicité.
L'Évangile signale souvent l'indignation de
Jésus; tantôt elle est soulevée
comme ici par une confusion et un tapage
inconvenants, tantôt il réprime les
cris des possédés au moment où
il chasse les démons. Quand il apaise le
vent et les flots pendant l'orage, il nous est
représenté dans la même
attitude, comme s'il luttait en ce moment avec le
prince de la puissance des airs.
L'époque à laquelle il
vivait offrait à ce sentiment de nombreuses
occasions de se manifester. Ce fut le
caractère professionnel du deuil de la
maison de Jaïrus qui lui déplut. Mais
toute la société judaïque
n'était alors qu'une vaste hypocrisie; les
hommes investis de fonctions sacrées
étaient les premiers à l'encourager
par leur exemple, et le langage pieux servait le
plus souvent de manteau à l'injustice et
à l'impureté. Jésus
brûlait d'indignation à cette vue et
donnait un libre cours à ses sentiments dans
les philippiques
adressées aux partis et aux
individualités du temps; c'était la
flamme sainte de la vérité consumant
l'erreur, de la justice attaquant le mal, de
l'amour détruisant
l'égoïsme.
Trop souvent la croisade contre
l'hypocrisie a été inspirée
par un zèle impie. Des hommes au coeur faux
et de vie mauvaise se sont érigés en
censeurs et en satiriques, signalant la paille dans
l'oeil de leurs frères, tandis qu'une poutre
était dans le leur. Ils jouaient une simple
mascarade, mais le sérieux et la
pureté du caractère de Jésus
donnaient à ses manifestations
indignées une incomparable dignité :
« Êtes-vous venus chercher un voleur?
» demandait-il à ceux qui
étaient venus l'arrêter à
Géthsémané. « Judas
», dit-il au traître, « trahiras-tu
le Fils de l'Homme par un baiser? » Et devant
le grand-prêtre, Pilate et Hérode, son
silence fut plus éloquent que les plus
cinglantes paroles.
III
Après le départ des pleureurs de
profession, Jésus entra dans la chambre
où la petite fille morte était
couchée sur son lit; ses trois disciples
l'accompagnaient, ainsi que le père et la
mère, du droit que leur conférait
leur relation avec l'enfant. Il prit alors sa main
dans la sienne, avant de prononcer les paroles de
résurrection, car il craignait qu'elle ne
fût effrayée à son
réveil et voulait lui faire sentir l'appui
de sa présence; plus d'un parmi nous
connaît l'influence de la pression d'une main
ferme et de la vue d'un visage calme dans une heure
d'agitation maladive ou au retour d'un
évanouissement. Ainsi, le tact le plus
parfait guidait toutes ses actions, et cela sans
calcul, grâce à l'instinct
délicat qui lui inspirait toujours la seule
chose à faire. Il évitait cependant
toute recherche de raffinement, cet écueil
des natures émotives qui, si souvent
dépassent le but. Chez lui, la
sensibilité était saine et virile.
Son premier acte, après ces traits de
douceur exquise, fut d'ordonner
« qu'on lui donnât quelque chose
à manger ».
De même, après des
journées entières de guérison
et de prédication dans le désert,
pendant lesquels l'enthousiasme prophétique
avait soutenu ses forces, il proposa que de la
nourriture fût distribuée à la
foule avant qu'on ne la dispersât, « de
peur qu'ils n'eussent faim en route »,
idée qui ne serait jamais venue à
l'esprit de ses disciples, malgré leurs
préoccupations moins hautes.
Il les dépassait autant par
ses facultés pratiques et sa
considération des besoins matériels
de l'homme que par la délicatesse de ses
sentiments.
IV
Après cela, « il leur recommanda de
n'en parler à personne ». Cette
préoccupation se rencontre
fréquemment à la suite de ses
miracles. « N'en parle à personne,
» dit-il à un lépreux qu'il
avait nettoyé. « Que nul homme ne le
sache, » dit-il encore à deux aveugles
auxquels il avait rendu la vue.
Et, règle générale, il
défendait à ceux chez qui il avait
chassé les démons de le faire
connaître.
Des exemples pareils abondent dans
l'Évangile, et cependant il ne semble pas
que la véritable explication en ait jamais
été donnée. On a dit qu'il
défendit au malade de mentionner sa
guérison de peur qu'il ne fût
tenté d'exagérer; dans un autre cas,
parce que son témoignage ne pouvait avoir
aucune valeur ; ailleurs, parce que le temps
n'était pas encore venu pour lui de se faire
reconnaître comme le Messie, et ainsi de
suite. Ce sont des hommes instruits qui ont,
donné ces différentes explications,
et elles peuvent contenir chacune une parcelle de
vérité, mais elles sont trop
recherchées ou abstraites.
La raison la plus vraisemblable est
plus superficielle : c'est tout simplement parce
que ce grand travailleur n'aimait pas à
faire connaître ses bonnes actions. Matthieu
le dit si clairement qu'il est étrange que
cela n'ait pas été remarqué.
Après avoir cité une occasion
où à la suite de nombreux miracles,
il ordonne expressément aux malades
guéris de n'en rien dire,
l'évangéliste
ajoute que ce fut afin
d'accomplir cette prophétie: « Il ne
contestera point, il ne criera point et personne
n'entendra sa voix dans les rues. »
Matthieu XII, 19.
Une des souffrances du travail
public pour l'oeuvre de Dieu est le bruit qui se
fait autour de lui et le retentissement que lui
donnent les gens vulgaires. C'est un mal connu, de
nos jours où rien ne demeure caché et
où les moindres détails de la vie
d'un homme qui s'élève au-dessus de
la moyenne, sont exposés aux regards de
chacun; l'essence même de la bonté en
est menacée, le travailleur tenté par
là de rechercher la louange des hommes au
lieu d'agir humblement sous le regard de Dieu.
Jésus abhorrait cela; il eût voulu
rester caché, si cela avait
été possible, et ce fut pour lui une
lourde croix que l'empressement avec lequel ses
malades répandaient partout sa
réputation.
Telle fut, analysée dans une
simple circonstance, la profondeur de sentiment du
Christ; nous aurions pu accumuler les exemples et
élargir le sujet. Mais une fois saisi, le
fil peut être suivi dans l'Évangile,
où les traits relatifs aux
émotions de son coeur
sont beaucoup plus nombreux qu'on ne pourrait le
croire à première vue.
Il ne serait guère plus
difficile de retracer l'influence qu'il eut
à cet égard sur ses disciples et
comment il leur apprit graduellement à
sentir avec lui. À toute époque, la
religion pure a affiné les esprits; partout
où l'Évangile est fidèlement
prêché et accepté, l'empreinte
du Fils de l'Homme se grave sur les visages humains
et la vie en Christ engendre la douceur de
l'âme.
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