Crois
ce
que
je crois ou meurs. —
L’Église Ponce Pilate. —
L’Église opportuniste. —
Plan de Louis XIV. — Patience de
Huguenot. — La parole du roi. —
Absence de sens moral. — Marchandage
des consciences. — Les mendiants de
la cour. — La curée. —
L’édit de révocation
jugé par
Saint-Simon.
|
Le jour où le huguenot Henri IV, faisant
le saut périlleux, était passé
du côté de la majorité
catholique, estimant que Paris valait bien une
messe, il avait imposé à cette
majorité une grande nouveauté, la
tolérance; par l’édit de
Nantes, déclaré perpétuel et irrévocable, un traité
solennel de paix avait été
passé entre les catholiques et les
protestants de France, sous la garantie de la
parole du roi. Cet édit, grande charte de la
liberté de conscience sous l’ancien
régime, donnait une existence légale à la religion
protestante, religion tolérée, en face du catholicisme, la
religion dominante du royaume :
Par cet édit, le pouvoir civil
s’élevait au-dessus des partis
religieux, posant des limites qu’il ne leur
était plus permis de franchir sans violer la
loi de l’État. C’était
là une grande nouveauté, puisque
depuis bien des siècles chacun des princes
catholiques de l’Europe disait à ses
sujets : crois ce que je crois, ou meurs,
massacrait, envoyait au gibet ou au bûcher
ceux que l’Église lui
dénonçait comme
hérétiques. Ces princes
n’étaient que les dociles
exécuteurs des hautes oeuvres de cette
Église intolérante, qui fait aux
princes chrétiens un devoir de fermer la
bouche à l’erreur, et, parlant des
hérétiques, dit, par l’organe du
doux Fénélon : il faut
écraser les loups ! Bossuet,
lui-même, affirme ainsi le droit des princes, à forcer leurs
sujets au vrai culte,
et à punir ceux qui résistent aux
moyens violents de conversion : « En quel
endroit des écritures, dit-il, les
schismatiques et les hérétiques
sont-ils exceptés du nombre de ces malfaiteurs, contre
lesquels saint Paul dit
que Dieu même a armé les
princes? Le prince doit employer son
autorité à détruire les
fausses religions; il est ministre de Dieu, ce
n’est pas en vain qu’il porte
l’épée.
Ce qu’il y a de plus étrange,
c’est que l’Église, après
l’extermination des Albigeois, les massacres
de la Saint-Barthélemy, les auto-da-fe de l’inquisition,etc.,
ose soutenir
qu’elle n’a jamais fait couler une goutte
de sang, abhorret ecclesia a sanguine.
Le pape, lors de la béatification de
saint Vincent de Paul, après avoir
loué ce saint de ne s’être point
lassé de réclamer du roi la
punition des hérétiques, ajoute:
« C’était le seul moyen
pour que la sévérité du
pouvoir suppléât à la
douceur religieuse, car l’Église
qui, satisfaite par un jugement canonique, se
refuse à une vengeance sanglante, tire
cependant un grand secours de la rigueur des
lois portées par les princes
chrétiens, lesquelles forcent souvent
à recourir aux secours spirituels ceux
qu’effraie le supplice corporel. »
L’abbé Courval, un des habiles
professeurs jésuites de nos écoles
libres, recourt à un semblable raisonnement
pour dégager l’Église de
la responsabilité des auto-da-fé, dans lesquels des centaines
de mille
d’hérétiques ont péri sur
le bûcher :
« Le tribunal de l’Inquisition,
dit-il, se contentait d’accabler les
hérétiques obstinés ou relaps,
sous le poids des censures de
l’Église : Jamais
l’Inquisition n’a condamné
à mort. Mais, comme les princes
d’alors voyaient dans
l’hérésie, le blasphème
et le sacrilège autant de crimes contre la
société, ils saisissaient le
coupable, à sa sortie de l’Inquisition, et souvent le
punissaient de
mort. »
Ainsi, c’est l’Église qui a
ordonné aux princes chrétiens de
frapper de supplices corporels les crimes
surnaturels de l’hérésie, du
sacrilège et du blasphème et de
traiter comme des malfaiteurs les
hérétiques contre lesquels, dit-elle,
Dieu les a armés; et quand, pour lui
obéir, ces princes ont fait périr des
milliers de victimes, comme Ponce Pilate, elle se
lave les mains et décline la
responsabilité du sang versé!
Entre le maître qui a ordonné
à son serviteur de commettre un meurtre et
le serviteur qui a commis ce crime, la conscience
publique hésitera-t-elle jamais à
faire retomber la plus large part de
responsabilité sur le
maître ?
L’Église aura donc beau se
frotter les mains comme lady Macbeth, pour faire
disparaître la tache
indélébile, ses mains resteront
teintes du sang qu’a fait couler son
impitoyable doctrine de
l’intolérance.
Les jésuites de robes courtes ou de
robes longues, ont toujours pratiqué
d’ailleurs ce système à la Ponce
Pilate de décliner pour
l’Église, la responsabilité des
mesures de rigueur qu’elle avait
provoquées. Ainsi, à
l’instigation de son clergé, Louis XIV
ayant décrété qu’on
enverrait aux galères tout huguenot qui
tenterait de sortir du royaume, assisterait
à une assemblée de prières,
ou, dans une maladie, déclarerait vouloir
mourir dans la religion réformée,
ainsi que le conte Marteilhe dans ses
mémoires, le supérieur des
missionnaires de Marseille s’efforce de
prouver aux forçats pour la foi que
l’Église n’est pour rien dans leur
malheur, qu’ils ne sont pas
persécutés pour cause de religion;
à celui qui a été mis aux
galères, pour avoir voulu sortir du royaume,
il répond « Le roi a défendu
à ses sujets de sortir du royaume sans sa
permission, on vous châtie pour avoir
contrevenu aux ordres du roi ; cela regarde la
police de l’État et non
l’Église et la religion
»:
À celui qui a
été arrêté dans une
assemblée, il dit :
« Autre contravention aux
ordres du roi, qui a défendu de
s’assembler pour prier Dieu, en aucun lieu que
dans les paroisses et autres églises du
royaume.
À celui qui a déclaré
Vouloir mourir protestant, il dit de même
Encore une contravention aux ordres du roi, qui veut que
tous ses sujets vivent
et
meurent dans la religion romaine. »
Et il conclut :
« Ainsi tous, tant que vous êtes, vous
avez contrevenu aux ordres du roi, l’Église n’a aucune part
à votre condamnation; elle n’a ni
assisté, ni procédé à
votre procès, tout s’est passé,
en un mot, hors d’elle et de sa connaissance.
»
Pour montrer à ce bon apôtre,
le sophisme de l’argumentation en vertu de
laquelle il voulait persuader aux galériens
huguenots qu’ils n’étaient
point persécutés pour cause de
religion, Marteilhe déclare qu’il
consent à se rendre sur ce point, mais
demande si on consentirait à le faire sortir
des galères de suite, en attendant que les
doutes qui lui restaient étant
éclaircis, il se décidât
d’abjurer. — Non assurément,
répond le missionnaire, vous ne sortirez
jamais des galères que vous n’ayez fait
votre abjuration dans toutes les formes. — Et
si je fais cette abjuration, puis-je espérer
d’en sortir bientôt ? — Quinze
jours après, foi de prêtre ! —
Pour lors, reprend Marteilhe, vous vous êtes
efforcé par tous vos raisonnements
sophistiques de nous prouver que nous
n’étions pas persécutés
pour cause de religion, et moi, sans aucune
philosophie ni rhétorique, par deux
simples et naïves demandes, je vous
fais avouer que c’est la religion qui me
tient en galères, car vous avez
décidé que, si nous faisons
abjuration dans les formes, nous en sortirons
d’abord; et au contraire qu’il n’y
aura jamais de liberté pour nous si nous
n’abjurons. » Les raisonnements
sophistiques de ce missionnaire valaient ceux des
jésuites qui déclinent pour
l’Église la responsabilité des
massacres et des supplices qu’elle a
provoqués ou ordonnés.
Pour en revenir à l’édit
de Nantes; faisant de la tolérance une loi
obligatoire pour les partis religieux, on comprend
que cet édit ne pouvait être
accepté sans protestation par
l’Église catholique qui professe la doctrine de l’intolérance.
Dès 1635,l’assemblée,
générale du clergé formulait
ainsi son blâme :
« Entre toutes les
calamités, il n’en est pas de plus
grande, ni qui ait dû tant avertir et faire
connaître 1’ire de Dieu, que cette
liberté de conscience et permission à
un chacun de croire ce que bon lui semblerait sans
être inquiété ni
recherché. »
Et l’assemblée
générale de 1651 exprimait en ces
termes, son regret de ne pouvoir plus fermer
violemment la bouche à l’erreur :
« Où sont les lois qui
bannissent les hérétiques du commerce
des hommes? où sont les constitutions des
empereurs Valentinien et Théodose qui
déclarent l’hérésie un
crime contre la république? »
Mais si l’Église est invariable
dans sa doctrine d’intolérance, elle se
résigne quand il le faut à accepter
la tolérance, comme une
nécessité de circonstance, et
modifiant son langage suivant les exigences du
milieu dans lequel elle est appelée à
vivre, elle dit, comme la chauve-souris de
la fable :
Tantôt : je suis oiseau, voyez mes
ailes !
Tantôt : je suis souris, vivent les rats
!
Voici, en effet, la règle de conduite opportuniste que
l’évêque
de Ségur trace à l’Église
:
« L’Église, dit-il,
peut se trouver face à face, soit avec des
pouvoirs ennemis, soit avec des pouvoirs
indifférents, soit avec des pouvoirs
amis.
—Elle dit aux premiers : Pourquoi me
frappez-vous? J’ai le droit de vivre, de
parler, de remplir ma mission qui est toute de
bienfaisance.
—Elle dit aux seconds ; Celui qui
n’est point avec moi, est contre moi. Pourquoi
traitez-vous le mensonge comme la
vérité, le mal comme le bien ?
—Elle dit aux troisièmes :
Aidez-moi à faire disparaître tout ce qui est contraire à la
très sainte volonté de Dieu.
Or, ce qui est contraire à cette
très sainte volonté, c’est,
ainsi que le proclamait l’orateur du
clergé en 1635, la liberté de
conscience, c’est, ainsi que le
disait le pape en 1877, la tolérance,
à côté de l’enseignement
catholique, d’autres enseignements,
l’existence de temples protestants à
côté des temples catholiques.
« Vous voyez ici la capitale du
monde catholique, disait-il aux pèlerins
bretons qu’il recevait au Vatican,
où on a placé l’arche du
nouveau-testament, mais elle est entourée de
beaucoup de Dagons; d’un côté,
l’on voit l’enseignement protestant,
incrédule, impie, de l’autre des
temples protestants de toutes les sectes. Que
faire pour renverser tous ces Dagons? Nous devons
prier et espérer que l’arche sainte du
nouveau testament sera bientôt libre, et
débarrassée de toutes ces idoles qui
font honte à la capitale du monde
catholique. »
Quand l’Église n’a pas
à sa disposition, des princes assez
chrétiens pour fermer la bouche à
l’erreur et détruire les fausses
religions, elle déclare attendre d’une
intervention d’en haut la réalisation
de ses désirs, et sa patiente attente dure
jusqu’à ce qu’elle trouve dans la
puissance temporelle un secours
efficace.
Entre temps elle ne laisse pas
échapper une occasion de se rapprocher peu
à peu de son but, en limitant habilement ses
exigences apparentes, et en les mettant au niveau
des possibilités du moment. C’est ainsi
que le clergé de France se comporta
vis-à-vis de l’édit de Nantes
et, le détruisant pièce par
pièce, finit par obtenir sa
révocation ; en sorte qu’Élie
Benoît a pu résumer ainsi
l’histoire de ce mémorable édit.
Elle embrasse le règne de trois rois, dont
le premier a donné aux
réformés un édit et des
sûretés, le second leur ôta les
sûretés, et le troisième a
cassé l’édit.
Le clergé se borne d’abord
à mettre dans la bouche de Henri IV ce voeu
timide et discret en faveur du retour du royaume
à l’unité religieuse : «
maintenant qu’il plaît à Dieu,
commencer à nous faire jouir de quelque
meilleur repos, nous avons estimé ne le
pouvoir mieux employer qu’à
vaquer,à ce qui peut concerner la gloire de
son saint nom, et à pourvoir à ce
qu’il puisse être adoré et
prié par tous nos sujets, et, s’il ne
lui a plu que ce fut encore dans la même
forme, que ce soit au moins dans une même
intention.
Quant à Louis XIII, pour se mettre
à l’abri des reproches que lui
adressaient des catholiques fanatiques à
l’occasion du serment qu’il avait
prêté lors de son sacre, d’exterminer les hérétiques, il
trouvait ce singulier subterfuge de
défendre par un édit de qualifier d’hérétiques ses sujets
protestants; ceci ne rappelle-t-il pas
l’habileté gasconne de frère
Gorenflot, baptisant carpe, le poulet qu’il
veut manger un vendredi, sans commettre de
péché.
Après avoir privé les
protestants de leurs places de sûreté,
Louis XIII ne dissimule pas son désir de les
voir revenir au culte catholique, mais comme le
pape en 1877, il déclare ne compter que sur
l’intervention d’en haut pour faire disparaître l’enseignement
et
les temples protestants. « Nous ne pouvons,
dit-il, que nous ne désirions la conversion
de
ceux
de nos sujets qui font profession de la
religion prétendue réformée...
nous les exhortons à se dépouiller de toute passion pour
être plus capables de recevoir la
lumière du ciel, et revenir au giron de
l’Église. »
S’il déclare qu’il se borne
à attendre cette conversion de la
bonté de Dieu, c’est «parce
qu’il est trop persuadé, dit-il, par
l’exemple du passé, que les
remèdes qui ont eu de la violence, n’ont servi que
d’accroître le
nombre de ceux qui sont sortis de
l’Église ».
Louis XIII avait raison, car, ainsi que le
rappelle en 1189 le maréchal de Vauban
« après les massacres de la
Saint-Barthélemy (un remède qui
avait eu de la violence), un nouveau
dénombrement des huguenots prouva que leur
nombre s’était accru de cent dix mille
».
Louis XIV était loin, même
dès le début de son règne, de
croire à l’inefficacité de la
violence en pareille matière, ainsi
qu’en témoigne ce passage des
mémoires du duc de Bourgogne :
« Il arriva un jour que les habitants
d’un village de la Saintonge, tous
catholiques, mirent le feu à la
maison d’un huguenot qu’ils
n’avaient pu empêcher de
s’établir parmi eux. Le roi (Louis
XIV), en condamnant les habitants du lieu à
dédommager le propriétaire de la
maison, ne put s’empêcher de dire que
ses prédécesseurs auraient
épargné bien du sang à la
France, s’ils s’étaient conduits
par la politique prévoyante de ces
villageois, dont l’action ne lui paraissait
vicieuse que par le défaut
d’autorité. »
Quoiqu’il en fût des sentiments secrets de Louis XIV, il
affirma tout
d’abord qu’il ne voulait pas obtenir la
conversion de ses sujets huguenots par aucune
rigueur nouvelle, et pendant la première
partie de son règne, il s’appliqua
assez exactement à suivre la règle de
conduite que l’évêque de
Comminges lui avait tracée, en lui
transmettant les voeux de l’assemblée,
générale du clergé
«Nous ne demandons pas à Votre
Majesté, disait ce prélat opportuniste, qu’elle bannisse dès
à présent cette malheureuse
liberté de conscience, qui détruit la
véritable liberté des enfants de
Dieu, parce que nous ne croyons pas que
l’exécution en soit facile; mais
nous souhaiterions au moins que le mal ne fit point
de progrès; et que, si votre autorité ne le peut étouffer tout
d’un coup, ou le rendit languissant, et le fit
périr peu à peu, par le retranchement
et la diminution de ses forces. »
En effet, dans les mémoires
qu’il faisait rédiger pour
l’instruction de son fils, mémoires qui
ne s’étendent qu’aux dix
premières années de son règne,
Louis XIV expose ainsi son plan de conduite envers
les huguenots
J’ai cru que le meilleur moyen; pour
réduire peu à peu les huguenots de
mon royaume, était de ne les point
presser du tout par aucune rigueur nouvelle; de
faire observer ce qu’ils avaient obtenu sous
les règnes précédents, mais
aussi de ne leur accorder rien de plus et d’en
renfermer l’exécution dans les plus
étroites bornes que la justice et la
bienséance le pourraient permettre.
Quant aux grâces qui
dépendaient de moi seul, je résolus,
et j’ai assez ponctuellement observé
depuis, de n’en faire aucune à ceux de
cette religion, et cela par bonté, non par aigreur, pour les
obliger par là
à considérer de temps en temps
d’eux-mêmes, et sans violence, si
c’était par quelque bonne raison
qu’ils se privaient volontairement des
avantages qui pouvaient leur être communs
avec mes autres sujets; je résolus aussi
d’attirer par des récompenses ceux qui
se rendraient dociles mais il s’en faut
encore beaucoup que je n’aie employé
tous les moyens que j’ai dans l’esprit,
pour ramener ceux que la naissance,
l’éducation, et le plus souvent un
grand zèle sans connaissance, tiennent de
bonne foi, dans ces pernicieuses
erreurs. »
Nous verrons dans les chapitres de la
liberté du culte et de la liberté de
conscience ce que Louis XIV fit des droits
religieux des protestants, sous prétexte de
renfermer l’exécution des édits dans les plus, étroites bornes.
Il ne respecta pas davantage leurs droits civils, et
finit par leur fermer
l’accès de toutes les fonctions
publiques et d’un grand nombre de professions,
au mépris de la disposition de
l’édit de Nantes qui stipulait
l’égalité des droits, pour les
protestants et pour les catholiques.
Voici, par exemple, comment il
en
arrive à exclure peu à peu les
huguenots de toute charge de judicature. Il
commence par interdire aux huguenots conseillers au
parlement de connaître de toute affaire dans
laquelle sont intéressés des
ecclésiastiques ou des nouveaux convertis;
puis il prononce la même interdiction contre
les conseillers catholiques, mariés
à des huguenotes, attendu que les
réformés trouvaient accès
auprès de ces officiers de justice, par
le moyen de leurs femmes, aux prières et
aux sollicitations desquelles, ces officiers se
laissaient souvent persuader; enfin il
décide que les conseillers huguenots doivent
tous donner leur démission, attendu
qu’ils ne peuvent rester constitués
en dignité, et donner un mauvais
exemple à ses sujets par leur
opiniâtreté, au lieu de les exciter
à quitter leurs erreurs pour rentrer dans le
giron de l’Eglise. Il défend aux
huguenots de se faire nommer opinants ou
assesseurs ce qui leur permettrait de se
rendre maîtres des affaires ainsi
qu’auparavant; il leur interdit même
d’accepter les fonctions d’experts, parce que « les juges
étant
obligés de se conformer aux rapports des
experts, lorsque ces experts sont
réformés, les catholiques sont
exposés aux jugements de ces
réformés. »
Enfin, il assimile les fonctions
d’avocat aux charges de la judicature, et
défend aux huguenots d’exercer ces
fonctions, considérant « que les
avocats ont beaucoup de part dans la poursuite
des procès, en donnant aux parties leurs
avis sur la conduite qu’elles ont à y
tenir. »
À la veille de la
révocation, sous les prétextes les
plus vains et les plus fantaisistes, les huguenots
se trouvaient légalement exclus des
fonctions et professions de :
« Secrétaires du roi,
conseillers au parlement, procureurs du roi, juges,
assesseurs, greffiers, notaires, procureurs,
recors, sergents, Clercs, experts, avocats,
docteurs ès lois dans les
universités, monnayeurs, adjudicataires ou
employés dans les fermes royales;
employés dans les finances, fermiers des
biens ecclésiastiques, revendeurs de
consignations, commissaires aux saisies,
lieutenants de louveterie, officiers de la
maréchaussée, officiers ou
domestiques de la maison du roi, de la reine ou des
princes de la maison royale, marchands
privilégies suivant la cour, messagers
publics, loueurs de chevaux, hôteliers,
cabaretiers, cordonniers, orfèvres,
marchandes lingères, apothicaires,
épiciers, instituteurs, libraires,
imprimeurs, maîtres d’équitation,
chirurgiens, médecins, accoucheurs ou
sages-femmes... »
Un certain nombre de ces interdictions
étaient basées, contrairement
à une disposition formelle de
l’édit de Nantes, sur la clause de
catholicité; c’est ainsi, par
exemple, que la déclaration qui ferme aux
filles ou femmes protestantes l’accès
de la communauté des lingères,
invoque les statuts de cette antique
communauté, établie par saint Louis,
lesquels portent : « qu’aucune fille ou
femme ne pourra être reçue
lingère, qu’elle ne fasse profession de
la religion catholique. »
Le motif le plus fréquemment
invoqué à l’appui des
interdictions prononcées, c’est le crédit que l’exercice de
la
fonction ou de la profession peut donner pour
empêcher les conversions: ainsi un
édit ordonne aux médecins et apothicaires huguenots de cesser
l’exercice de leur art afin
d’empêcher les mauvais effets que
produit la facilité que leur profession leur
donne d’aller fréquemment dans toutes
les maisons, sous prétexte de visiter les
malades, « et d’empêcher par
là les autres religionnaires de se convertir
à la religion catholique. »
Un Purgon huguenot, obligé de cesser
l’exercice de son art parce que, allant
dans toutes les maisons, armé de son chassepot, il pourrait
par là
empêcher les Pourceaugnac ses
coreligionnaires de se convertir à la
religion catholique, n’est-ce-pas un comble?
À l’appui de l’interdiction faite
aux médecins huguenots de continuer
l’exercice de leur profession, le roi
invoquait cet autre motif, qu’il jugeait
nécessaire que ses sujets huguenots pussent, pour leur salut, déclarer
dans quelle
religion ils voulaient mourir, et qu’ils ne
pouvaient faire cette déclaration quand ils
étaient soignés par un docteur de
leur religion, lequel n’avertissait pas le
curé en temps utile.
C’est par une préoccupation de salut semblable, qu’en
1877 le
directeur de l’Assistance publique à
Paris, avait prescrit d’apposer sur chaque lit
d’hôpital un écriteau indiquant
dans quelle religion voulait mourir le malade
couché dans ce lit.
Louis XIV pour poursuivre l’application
de son plan de restriction aux édits, ou
plutôt de destruction des édits,
trouva la plus grande facilité dans
l’esprit d’intolérance qui animait
tous les corps constitués du royaume, les
parlements, l’université, les
communautés de marchands et d’ouvriers,
etc.
« Dès qu’on
pouvait, dit Rulhières, enfreindre
l’édit de Nantes dans quelques cas
particuliers, abattre un temple, restreindre un
exercice, ôter un emploi à un
protestant, on croyait avoir remporté une
victoire sur l’hérésie.
À défaut d’une loi
à invoquer, on recourait à
l’arbitraire administratif pour molester les
protestants et les priver de leur droits. Un
exemple entre mille
Un menuisier huguenot est admis à
faire chef-d’oeuvre, Colbert
écrit à l’intendant Machault
d’ordonner au prévôt de Clermont
d’apporter de telles difficultés à la réception de ce
menuisier,
qu’il ne soit point admis à la
maîtrise.
Plus tard, on n’eut même plus
recours à ces habiles subterfuges, pour
interdire la maîtrise aux huguenots.
On sait que, sous Louis XIV, le gouvernement
battait monnaie en vendant des anoblissements et
des privilèges de noblesse à beaux deniers comptants,
anoblissements qu’on
annulait, de temps en temps, par un édit, de
manière à faire payer aux anoblis une
deuxième et troisième fois les
privilèges de noblesse qu’on leur avait
vendus. D’un autre côté, au cours
des guerres de religion, beaucoup de vrais nobles avaient vu
leurs titres perdus ou
brûlés, en sorte qu’ils
étaient dans l’impossibilité de
pouvoir établir légalement la
réalité et l’antiquité de
leur noblesse. Dans de telles conditions une
vérification des titres était une
menace pour tous, anoblis et vrais nobles. Pour
faire fléchir les gentilshommes huguenots
obstinés, on imagina de faire de la
vérification des titres un moyen de
conversion. À ce propos, Louvois
écrit à l’intendant Foucault
Le roi a fort approuvé l’expédiant que vous proposez
pour porter quelques familles des gentilshommes du
Bas Poitou à se convertir. Je
vous adresserai incessamment
l’arrêt nécessaire pour ordonner de vérifier les abus qu’il
y a eu dans la dernière recherche qui a
été faite de la noblesse, lequel
sera général et ne portera point de
distinction de religion; duquel
néanmoins l’intention de Sa
Majesté est que vous ne vous serviez qu’a l’égard de ceux de la
religion prétendue réformée, ne jugeant pas à propos que vous
fassiez
aucune recherche contre les gentilshommes
catholiques. »
Louvois, après avoir prescrit
Foucault de laisser en paix les faux nobles catholiques du
Poitou, ajoute, en ce qui
concerne les gentilshommes huguenots :
« Que, pour ceux dont la noblesse est indiscutable, il
ne doit pas être
difficile, en entrant dans le détail de leur
conduite, de leur faire appréhender une
recherche de leur vie, pour les porter à prendre le parti
de se convertir pour
l’éviter. »
Des instructions sont données au duc
de Noailles pour procéder avec la même impartialité, à la
vérification des titres des gentilshommes du
Béarn, et Louvois, a soin d’ajouter, en
ce qui concerne les huguenots, « à l’égard de ceux dont la
noblesse est bien établie, il faut
s’appliquer à voir ceux qui ont des
démêlés avec eux dans les
environs de leurs terres, ou à qui ils ont
fait quelque violence, et, qu’en appuyant les
uns contre eux, et, en faisant informer de tout ce
qu’ils auront fait aux autres, on les portera
mieux que de toute autre manière, à
penser à eux. En un mot, Sa Majesté
désire que l’on essaie, par tous les
moyens, de leur persuader qu’ils ne doivent
attendre aucun repos, ni douceur chez eux tant
qu’ils demeureront dans une religion qui
déplaît à Sa Majesté. » — Les protestants, en
présence de l’animosité des
juges, de la malveillance active ou passive de
l’administration qui les laissait
exposés à toutes les violences et
à tous les outrages, en étaient venus
à tout supporter sans protestation ni
résistance, si bien que le peuple avait
donné le nom de
Patience de huguenot à une
patience que rien ne pouvait lasser.
Quelles garanties avaient d’ailleurs
les protestants pour leurs droits?
Était-ce tel ou tel texte de loi
?
Mais que valait la loi, sous un régime qui
avait pour base de jurisprudence si veut le roi,
si veut la loi?
Quand il plut à Louis XIV de
décréter que tout protestant qui
tenterait de sortir du royaume sans permission
serait condamné aux galères et aurait
ses biens confisqués, il se trouva en
face de cette difficulté légale que la peine de la
confiscation
n’était pas admise dans plusieurs
provinces. Le roi ne fut pas embarrassé pour
si peu, il décréta qu’il entendait que les biens des fugitifs
fussent
acquis; même dans les pays où, par
les lois et les coutumes, la confiscation
n’avait pas lieu.
Quand, par l’édit de
révocation, il interdit, tout exercice public du culte
protestant, il inséra
dans cet édit une clause portant que les
réformés pourraient demeurer dans les
villes et lieux qu’ils habitaient, y continuer
leur commerce et jouir de leurs biens, sans
pouvoir être troublés ni
empêchés sous prétexte de
religion.
Néanmoins il ne craignit pas quelques
années plus tard de rendre un édit
par lequel il déclara passible des terribles
peines portées contre les relaps (c’est-à-dire contre les
protestants qui après avoir abjuré
étaient revenus à leur foi
première), tout réformé qui, ayant abjuré ou non, aurait,
étant malade, refusé de se laisser
administrer les sacrements.
Et voici comment il motiva cette
monstruosité légale frappant comme relaps des gens qui
n’avaient jamais
changé de religion :
« Le séjour que ceux qui ont
été de la religion prétendue
réformée, ou qui sont nés de
parents religionnaires, ont fait dans notre
royaume; depuis que nous avons aboli tout exercice (public!) de
ladite religion, est
une
preuve plus que suffisante qu’ils ont
embrassé la religion catholique, sans quoi
ils n’y auraient pas été
tolérés ni soufferts. »
Si les droits reconnus aux protestants par
l’édit de Nantes ne pouvaient, comme on
le voit, être assurés par un texte de
loi sous ce régime du bon plaisir, on aurait
pu penser du moins, qu’ils étaient
garantis par la parole du roi solennellement
engagée à plusieurs reprises.
Mais cette parole valait moins encore
qu’un texte de loi et l’intendant de Metz
pouvait cyniquement répondre aux
protestations des réformés, invoquant
en faveur de leur liberté religieuse la
parole du roi engagée lors de la
réunion de Metz à la France : le
roi est maître de sa parole et de sa
volonté...
Louis XIV, en effet, donna bien des exemples
de sa prétention malhonnête de
rester maître de sa parole après
l’avoir solennellement
engagée.
En 1665, la guerre ayant été
déclarée entre l’Angleterre et
la Hollande, celle-ci invoquant les traités,
réclame le secours des Français ses
alliés.
Le comte d’Estrades écrit au
roi : « C’est à Votre
Majesté de voir si ses intérêts
se rencontrent avec ceux de ces gens-ci, et
s’il lui convient de les trouver
occupés d’une guerre comme celle
d’Angleterre, lorsqu’elle aura des
prétentions à disputer dans leur
voisinage. En ce cas, elle peut trouver les moyens
de laisser aller le cours des affaires et paraître pourtant faire
ce à quoi
l’oblige la foi des derniers
traités.». Sur quoi, le roi, digne
élève des jésuites,
répond qu’avant de remplir ses
obligations, il veut attendre que les Hollandais
aient éprouvé quelque revers, car ils
ne sont pas encore assez pressés pour
entendre aux conditions qu’il entend mettre
à l’octroi de secours qu’il leur
doit.
Malgré les engagements formels
qu’il avait pris envers l’Espagne par le
traité des Pyrénées, Louis XIV
envoie au secours du Portugal Schomberg avec un
corps d’armée; et quand l’Espagne
se plaint de cette infraction aux traités,
il oppose à ses réclamations cette
assertion mensongère, que Schomberg
est un libre condottiere dont les actes ne peuvent
engager la responsabilité du roi de
France.
Ce qui est plus curieux en cette affaire,
c’est la justification de sa déloyale
conduite qu’il présente ainsi dans ses
mémoires :
« Les deux couronnes de France et
d’Espagne sont dans un état de
rivalité et d’inimitié
permanentes que les traités peuvent couvrir
mais ne sauraient jamais éteindre, quelques
clauses spécieuses qu’on y
mette, d’union, d’amitié, de se
procurer respectivement toutes sortes
d’avantages.
Le véritable sens que chacun entend
fort bien de son côté, par
l’expérience de tous les
siècles, est qu’on s’abstiendra au dehors, de toute sorte
d’hostilités et de toutes
démonstrations publiques de mauvaise
volonté; car, pour les infractions secrètes qui n’éclatent
point, l’un les
attend toujours de l’autre, et, ne promet le
contraire qu’au même sens qu’on
le lui promet. »
Quand, en 1666, Louis XIV affirmait à
l’électeur de Brandebourg qu’il
avait maintenu et maintiendrait ses sujets
réformés dans tous les droits que
leur avaient accordé les édits, il
disait, pour donner plus de poids à son
assertion et à sa promesse également inexactes
« C’est la règle que je me
suis prescrite à moi-même, tant pour
observer la justice, que pour leur témoigner
la satisfaction que j’ai de leur
obéissance et de leur zèle pour mon
service depuis la dernière pacification de
1660.
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