JAROUSSEAU
LE PASTEUR DU
DÉSERT
CHAPITRE 1er
UNE RENCONTRE
Il y aura bientôt un siècle, au
temps de la guerre de l'Indépendance, un
homme allait, moitié à pied,
moitié à cheval, du bourg de
Méchez-sur-Gironde au village de
Saint-Georges-de-Didonne. Nous disons moitié
à pied, moitié, à cheval, car
bien qu'il fût à pied sur le moment,
sa monture le suivait pas à pas, la bride
sur le cou, pour lui permettre de varier un
exercice par l'autre; ce qui lui paraissait sans
doute une salutaire méthode
d'hygiène.
Cette monture était une
petite jument limousine, borgne, pommelée,
assez chétive d'apparence. Pantomime vivante
de son maître, elle répétait,
avec une ponctualité
télégraphique, chacun de ses
mouvements, faisant halte quand il faisait halte,
pressant le pas quand il le pressait ; accident
rare à la vérité, car il
méditait d'habitude en marchant, et sa
monture marquait derrière lui, d'un pas
rythmé comme un balancier, la mesure de sa
méditation.
C'était un homme encore vert,
mais blanchi avant l'âge par la fatigue du
corps ou de l'esprit, peut-être des deux
à la fois. Il portait le large chapeau rond
de Saintonge, une veste de camelot gris, une
culotte de même étoffe et une paire de
souliers ferrés. Sa figure paisible,
empreinte d'une bonhomie rustique, son regard
vague, plein de choses intérieures, son
front carré et sillonné du haut en
bas d'une longue ride perpendiculaire, trahissaient
en lui un caractère compliqué
d'énergie et de candeur, de
résolution et de rêverie.
Chemin faisant, il lisait un livre
enveloppé de velours, avec cette
espèce de recueillement ou plutôt de
somnambulisme particulier au prêtre
magnétisé par son bréviaire.
De temps à autre, il interrompait sa lecture
pour gesticuler et jeter au vent une phrase
entrecoupée, comme s'il composait une ode ou
un sermon, car il n'y a que le poète au
monde ou le prédicateur, pour rêver
tout haut, à travers champs et entrer en
conversation avec les arbres du chemin. Le temps,
d'ailleurs, portait à l'inspiration. Le
soleil était bas à
l'horizon, et un rideau mat de vapeurs semblait
assoupir l'atmosphère. On entendait au loin
comme le souffle intermittent d'une formidable
respiration : c'était le bruit de la mer au
repos.
Il était arrivé
à cette lisière indécise
où la route de Méchez entre dans la
dune et disparaît, à chaque coup de
vent d'ouest, lorsqu'au détour d'un
monticule appelé le Trier Têtu,
il aperçut un jeune cavalier en vedette, qui
semblait interroger, du haut de sa selle, la carte
passablement confuse de cette houle de sables
mouvants.
Ce jeune homme était
évidemment étranger à la
centrée. Son costume participait à la
fois du militaire et du courtisan. Il portait un
uniforme galonné d'argent sur la poitrine,
une paire de manchettes et une épée
ornée d'un noeud de rubans. Il avait le nez
au, vent de l'époque, car une époque
a son type particulier de figure, et la
lèvre, encore à sa première
pousse, légèrement recouverte d'une
ombre de moustache. La jeunesse en lui
commençait à pointer; il paraissait
décidé à lui faire
honneur:
- Vous arrivez à propos,
cria-t-il au rêveur campagnard, voici une
heure que je tourne dans cette maudite dune, sans
pouvoir parvenir à en retirer le plus
léger symptôme de chemin.
À cette brusque
interpellation, le lecteur ambulant lève,
lentement son austère figure cachée
sous son chapeau de quaker, et
arrêta sur son interlocuteur un regard
pénétrant.
- Vous allez à Saint-Georges
?
- Hélas! oui, si jamais un
Saint-Georges. quelconque a existé sur cette
taupinière.
- Chez le pasteur Jarousseau
?
- Vous l'avez dit; j'ai à lui
remettre certain billet de logement.
- Vous êtes sans doute
officier ?
- De dragons, mon ami. Il parait que
dans ce pays il faut subir un interrogatoire en
règle pour avoir un renseignement.
Voulez-vous aussi mon passeport?
- De dragons, murmura le campagnard,
sans faire autrement attention à la boutade
du jeune officier, et un nuage de tristesse
assombrit sa physionomie; mais rentrant
aussitôt dans son calme habituel, il ajouta
d'un ton d'indifférence :
- C'est bien, suivez-moi.
Il laissa retomber sa tête sur
son livre et il reprit l'allure paisible de sa
lecture.
À ce mot : Suivez-moi,
l'officier avait senti le sang lui monter au
visage. Il aurait volontiers déchargé
sur l'épaule du rustre un coup de plat
d'épée - suivez-moi
plutôt.
- Mais bah! pensa-t-il en
lui-même, puisque je vais faire à deux
mille lieues d'ici un cours d'égalité
pratique, autant vaut commencer de suite mon
éducation.
Il suivit donc d'abord d'un air
résigné son silencieux conducteur;
mais au bout d'un instant l'impatience le gagna,
d'autant plus que le jour commençait
à tomber.
- Mon ami, dit-il, veuillez
simplement m'indiquer ma direction; je saurai bien,
après cela, retrouver mon chemin.
- Quand je vous l'indiquerai vous
n'en seriez pas plus avancé.
- Pourquoi donc? croyez-vous que je
ne sache pas comprendre un renseignement
?
- Dieu m'en préserve, mais le
pasteur que vous cherchez, le voici. Jeune homme,
vous faites de bonne heure un vilain métier.
Je vous le dis sincèrement, parce que votre
figure me revient.
- Comment l'entendez-vous, monsieur
le pasteur ?
- Vous venez de le dire : vous
êtes officier de dragons.
- Colonel, ne vous déplaise :
officier était bon une première fois
; maintenant ce sera colonel. Il y a
déjà plus de trois mois que j'ai
acheté mon régiment.
- Eh bien, colonel, officier, peu
importe, un homme de votre profession ne peut
rechercher le pasteur Jarousseau que pour
l'arrêter.
- Vous arrêter ! reprit le
jeune homme, en partant d'un éclat de rire ;
me prenez-vous pour un recors ? Loin de là,
mon cher monsieur, je viens vous
demander le vivre et le couvert.
Je m'embarque demain incognito pour Boston. Je
devais remiser au château de Semussac ; le
comte de Senneterre, quelque peu mon cousin, avait
préparé, disait-il, ma chambre
à coucher. Mais il a épousé la
nièce du duc d'Uzès; son oncle est
venu lui demander l'hospitalité à
l'improviste; or le duc en sa qualité de
gouverneur de la province, doit ignorer mon
départ; le comte de Senneterre vous a
repassé d'office son droit de parenté
du reste voici ma lettre d'introduction.
Le pasteur prit la lettre du comte
et la mit dans sa poche sans l'ouvrir.
- Votre parole suffit, dit-il, tout
à l'heure j'ai porté un jugement
téméraire, je vous en demande pardon;
je serais heureux de vous recevoir au nom d'un
principe commun, car si je vous ai bien compris,
vous allez mettre votre épée au
service de l'Indépendance.
- Mon épée, oui. Que
voulez-vous ! la noblesse a servi assez longtemps
la royauté, elle peut bien, pour varier,
servir la république ; je suis gentilhomme,
monsieur, et marquis de Mauroy, pour vous obliger.
L'Europe, en ce moment, est insupportable : on n'y
trouve pas d'occupation. Il ne faut plus parler de
guerre; le grand Frédéric y a mis bon
ordre. Le monde est condamné au repos.
Voilà pourquoi je pars, si vous tenez
à le savoir.
- Vous avez raison de partir,
répondit le pasteur. La liberté vous
attend. Heureux qui aura servi la liberté!
celui-là, quoi qu'il arrive, aura bien
vécu.
- Je vous arrête; vous me
faites trop d'honneur. Je passe de l'autre
côté, pour entendre une musique mieux
nourrie que celle de l'Opéra. La
liberté n'est pas tout à fait une
personne de ma famille. Si j'étais né
autrement, je ne dis pas non, alors peut-être
je ferais raison à ma naissance. Vous verrez
que nous commettrons la folie de prendre la
Rochelle, disait autrefois la noblesse. La noblesse
prit en effet la Rochelle, et depuis ce temps, la
tête d'un gentilhomme ne pesa pas plus dans
la main du pouvoir que la tête d'un Traitant.
Nous sommes là une troupe
d'écervelés, la fleur du royaume, qui
allons candidement, in partibus infidelium,
travailler pour le compte de la démocratie.
Lafayette est parti le premier, Broglie doit le
suivre, ainsi que Lametth, Ségur, Fleury.
Lauzun, je n'en doute pas, voudra être du
voyage, et l'émigration continuera, vous
verrez, aussi longtemps du moins qu'elle sera la
mode à Versailles. La jeunesse de la cour,
à commencer par la plus belle moitié,
a la tête pleine du vent qu'on appelle
l'esprit nouveau. Tenez, moi qui vous parle, je
devais épouser une héritière
de bonne maison. Mais mademoiselle a lu la
Nouvelle Héloïse, et au premier
mot de mariage elle
répondit en vraie Romaine qui a mis une
mouche le matin :
- Quand monsieur le marquis aura
gagné son grade de général
dans l'armée de
l'Indépendance.
Et pour gage de sa promesse, elle a
voulu attache à la poignée de mon
épée le noeud de ruban que voici.
Pour peu que cela dure, nous vivrons bientôt
sous la monarchie du roman.
- Si par roman vous entendez le
coeur, je vous avoue que je verrai sans regret ce
changement de règne, et à ce compte,
je vous remercie de m'avoir montré le noeud
attaché à votre épée.
Voilà le premier ru. ban qui aura
mérité mon estime.
- Vous aimez la politique
sentimentale, monsieur le pasteur; vous pouvez
alors remercier votre bonne étoile, car
partout, aujourd'hui, l'humanité tourne au
sentiment; on ne parle que de pastorale, de
musette, de pain économique et de
philanthropie. On n'est plus aujourd'hui marquis ou
marquise, on est berger ou bergère.
L'époque appelle cela être plus
près de la nature. La reine elle-même
a voulu être bergère à sa
façon, c'est-à-dire laitière,
et sitôt qu'elle peut dérober une
matinée à la monarchie, elle court,
déguisée en Perrette, le jupon court
et le tablier relevé, pétrir de sa
main royale le beurre et le fromage. Mais au milieu
de cette bergerie, la révolution marche
à pas de loup, et personne ne l'entend ou ne
veut l'entendre venir. Elle vient
cependant inconnue à elle-même, et
pleine de pensées cachées; elle fera
maison nette du passé, et alors le vent qui
soufflera, soufflera si fort, qu'il faudra
être trois fois ferme sur soi-même pour
rester debout.
.
CHAPITRE Il
UN PRESBYTÈRE
Ce mot de révolution,
apporté, pour la première fois, dans
ce coin ignoré, par un messager de
l'aristocratie, étonna le pasteur et
entr'ouvrit tout à coup un monde à
son esprit. Et cependant le scepticisme de ce jeune
militaire qui allait verser son sang uniquement par
mode, pour une cause qu'il n'aimait pas, lui
paraissait en ce moment une sorte de
blasphème, et comme il ne savait pas
déguiser sa pensée :
- Jeune homme, dit-il, c'est un
mauvais signe du temps, quand le doute est dans le
coeur de la jeunesse.
Le marquis de Mauroy garda le
silence; sa pensée flottait ailleurs : il
regardait en ce moment la poignée de son
épée. Le vent frais de la, mer le
tira de sa rêverie. Il était
arrivé sur la plage de Saint-Georges
, et il pouvait
voir enfin, aux derniers reflets du
crépuscule, ce poétique village
jeté en désordre sur la dune, au
hasard de l'inspiration, au milieu des touffes
d'ormeaux et des bouquets de tamaris. Une longue
colonne de fumée montait çà et
là dans l'air immobile, à travers la
verdure.
- J'accepte avec bonheur l'augure de
cette fumée, dit le gentilhomme voyageur; je
vous avoue que j'ai marché sans
débrider de Blaye ici, et qu'après
une pareille étape, on professe une certaine
admiration pour le souper.
Saint-Georges-de-Didonne est un
petit port de mer, assis à l'embouchure de
la Gironde, au fond d'une anse fermée au
nord par le promontoire de Valière, et au
midi par la falaise de Suzac, qui avancent dans la
mer comme les deux pointes d'un croissant. Les
maisons, presque toutes bâties sur le
même échantillon, humbles, basses,
écrasées sous leur toit de tuiles,
badigeonnées au lait de chaux et
décorées d'une treille de muscat
plantée sur quatre béquilles,
semblent errer à l'aventure, dans les replis
de la dune, sans la moindre préoccupation de
voirie : on dirait les tentes éparses d'un
campement.
Une population tourmentée est
venue sans doute en masse et à la même
date chercher sur ce coin de terre un refuge contre
la persécution. Le plateau de Valière
devait être boisé au commencement du
siècle dernier, à
en juger par les cépées d'yeuses
oubliées à la lisière des
vignobles. Saint-Georges, enveloppé de tous
côtés par les bois de Valière
et du Coqua, les forêts de Chenaumoine et de
Suzac, échappait en quelque sorte au regard.
Aussi, après la révocation de
l'édit de Nantes, le protestantisme, ou pour
parler la langue du temps, le troupeau
dispersé d'Israël, sans cesse
refoulé de la pleine terre par la mission
bottée, fit halte là, comptant jouir
en paix de son Dieu, sur cette grève
cachée derrière un rempart de
verdure.
C'était un site doux et
triste, fait pour prier et pour gémir. La
dune, fleurie du printemps à l'automne et
embrasée par le soleil du midi, exhalait
à la brise un religieux encens d'absinthes
et d'immortelles, tandis qu'au loin le choeur
éploré des lames roulait dans
l'espace, comme un dernier sanglot de l'antique
chant de captivité sur le fleuve de
Babylone.
Le soleil était
couché, depuis un instant, quand le pasteur
frappa trois coups à la porte d'une petite
maison isolée, ensevelie derrière la
dune, à la lisière d'une garenne.
À cette interpellation mystérieuse du
dehors, un bruit de sabots, régulier comme
le pas d'une existence exacte, retentit à
l'intérieur sur la dalle d'une cour
pavée. La porte roula discrètement
sur ses gonds muets, et le marquis vit
apparaître sur le seuil une vieille petite
femme, bossue et boiteuse, qui portait une lanterne
à la main. à la vue
d'un habit galonné, elle laissa tomber sa
lumière et poussa un cri de
frayeur.
- Madeleine, dit le pasteur,
monsieur est un ami inconnu, venu de Paris pour
faire honneur à notre foyer. Conduis son
cheval à l'écurie ; après
cela, tu mettras une javelle au feu et tu
prépareras le souper. Entrez, monsieur. le
marquis, et en attendant l'heure de boire ensemble
à votre première victoire,
permettez-moi de vous présenter ma
famille.
Le pasteur débrida sa monture
et lui laissa la liberté de bivouaquer dans
la cour, la selle sur le dos, comme une estafette
équipée d'avance à tout
événement. Il introduisit ensuite le
marquis dans une salle du rez-de-chaussée,
pièce solennelle de la maison, où une
humble ménagère, la figure à
moitié cachée sous les longues barbes
de la coiffe traditionnelle du pays, filait
tranquillement sa quenouille, au milieu d'une
pléiade de petites filles
mélangées d'un garçon pour la
variété, écolières
disciplinées de bonne heure au travail,
immobiles et droites dans leur chaise, leur tricot
à la main et leur peloton de laine sur leurs
genoux.
- Femme, dit le pasteur en entrant,
bénis le Seigneur : un hôte nous est
arrivé ! Lève-toi et souhaite-lui la
bienvenue.
La femme du pasteur se leva
lentement de son fauteuil, s'inclina devant
l'étranger avec la gravité et,
pourquoi ne pas le dire ? avec la gaucherie
assurément bien
pardonnable de la femme forte de la Bible,
instruite uniquement à travailler ou
à prier, et, la politesse faite, elle se
retira sans prononcer une parole pour aller porter
à la cuisine le concours de son
expérience.
- Voici maintenant mes
bâtards, dit le pasteur.
- Comment, vos bâtards ? Je
croyais au contraire que dans votre
religion...
- Oui, mes bâtards, et qui
plus est bâtards par ordonnance, car
défense expresse aux époux
protestants d'avoir des enfants légitimes.
Allons, petits, debout' venez saluer monsieur le
marquis. Jarousseau, tu es l'aîné, tu
vas donner l'exemple.
Il est d'usage dans l'Ouest qu'on
appelle l'aîné des enfants par le nom
de son père plutôt que par son
prénom. Jarousseau était un petit
garçon de quatorze à quinze ans,
blond, vigoureux, l'oeil bleu, l'air entreprenant,
comme s'il comprenait d'avance qu'il était
de cette énergique génération
destinée à lutter plus tard contre
l'Europe.
Il arriva le front haut et le regard
ferme devant le marquis, inclina la tête et
enfila rapidement la porte du corridor.
- À toi maintenant,
Élisabeth.
Une petite fille, rose comme une
fleur de pêcher, sous son béguin de
toile écrue et sérieuse comme une
première communion, mit tranquillement son
tricot dans sa poche de tablier,
traversa la chambre les yeux baissés, fit
une révérence en passant et disparut
à son tour.
Le marquis inclina
légèrement la tête en la voyant
passer.
- Allons, Adélaïde,
reprit le pasteur, dis bonjour à monsieur le
marquis : le bonjour d'un enfant porte
bonheur.
Adélaïde planta son
aiguille dans son peloton et fila rapidement devant
le marquis en tournant la tête de
côté.
Le marquis lui répondit par
un profond salut.
- À ton tour, Sophie,
continua le pasteur : tu aurais dû suivre
Adélaïde.
Sophie plia le genou devant le
marquis et disparut aussitôt dans la
coulisse.
Le marquis lui répondit par
un salut encore plus profond.
Une petite fille de trois ans,
pâle de je ne sais quelle pâleur
native, comme si elle avait apporté toute la
douleur d'une race dans son berceau, restait assise
sur un tabouret à regarder de son grand oeil
extatique l'uniforme de l'étranger; puis
saisie d'un tremblement nerveux à la vue
d'un habit galonné, elle se leva de sa place
avec un mouvement de frayeur et se sauva en
criant.
- Celle-ci est Bénigne, dit
le pasteur d'un ton ému, la dernière
bénédiction envoyée à
mon foyer. La pauvre enfant est
venue au monde dans une heure d'angoisse. Le jour
de sa naissance, les dragons de la côte
vinrent pour m'arrêter à domicile, sur
un ordre parti de l'intendant de la Rochelle. J'eus
à peine le temps de mettre mon corps en
sûreté. Ils trouvèrent ma femme
dans les douleurs de l'enfantement.
La malheureuse accoucha d'une fille
pâle comme une morte, qui depuis lors n'a pu
encore retrouver les couleurs de la vie, ni
prononcer une parole. Il faut lui pardonner,
monsieur le marquis, une impolitesse qui n'est
qu'une frayeur; mais pourquoi avez-vous
salué ses trois soeurs avec tant de
cérémonie?
- Parce que je saluais en elles les
princesses de la famille royale. Vous avez
donné leurs noms à vos filles
monsieur Jarousseau.
- Par affection pour notre
père commun, qui est le roi, répondit
le pasteur, afin de désarmer sa
colère à force de l'aimer.
Un quart d'heure après cette
conversation, tous les enfants dormaient et on
eût entendu une fourmi trot. ter sur le
plancher de la maison.
|