LE
DÉLUGE
ou
MÉDITATIONS SUR LES
CHAPITRES VI ET VII DE LA
GENÈSE.
III
ABUS QUE LES HOMMES AVANT LE DÉLUGE
FIRENT DE. LA PATIENCE DE DIEU.
Depuis les premiers avertissements que Dieu
donna aux hommes du temps de Noé, sa
patience les attendit encore pendant cent et vingt
ans, mais elle les attendit inutilement.
L'Esprit saint nous dit qu'ils ne
pensèrent au déluge que lorsqu'il
vint et les emporta tous
(Matth. XXIV, 39), et Il nous
explique par l'apôtre Pierre d'où
vinrent leur insouciance et leur endurcissement, en
nous disant qu'ils furent incrédules
(littéralement : ils ne furent point
persuadés
(1) - Oui
l'incrédulité, voilà la cause
de notre endurcissement et de nos rebellions. Elle
est elle-même une
désobéissance, une révolte de
l'esprit et du coeur contre la volonté de
Dieu, et elle est la source de toute
désobéissance dans les
actions.
Les hommes du temps de Noé, au
lieu d'écouter les avertissements que Dieu
leur donnait par la prédication de ce juste,
et de craindre, comme lui, les choses qu'on ne
voyait point encore
(Hébr. XI, 7), ne furent point
persuadés qu'il disait vrai.
On croit difficilement ce qu'on craint,
ce qu'on n'a pas vu et ce qui est contre toutes les
apparences.
On peut le croire sur la Parole de Dieu
quand on a reçu dans son coeur, comme
Noé, le commencement de toute sagesse qui
est la crainte de l'Éternel. Mais le monde
d'alors était un monde d'impies, comme le
dit l'Esprit saint. Or, la révolte de leurs
coeurs en fermait l'entrée à la
Parole de Dieu. On pouvait leur appliquer cette
parole de Jésus-Christ aux Juifs :
« Ma parole ne trouve point
d'entrée en vous. Celui qui est de Dieu
écoute les paroles de Dieu, c'est pourquoi
vous ne les écoutez pas, parce que vous
n'êtes point de Dieu
»
(Jean VIII, 37 et
47). Semblables aux gendres de Lot,
« il leur semblait que Noé se moquait
» (Gen. XIX, 14), ou bien ils le regardaient
comme un, insensé qui
déraisonnait.
Dans leur sagesse humaine, qui n'est que
folie devant Dieu, ils faisaient, sans doute,
toutes sortes de raisonnements
très-concluants à leur gré,
sur l'improbabilité et même sur
l'impossibilité d'un déluge
universel.
Les plus savants dissertaient
peut-être pour prouver qu'on ne saurait
trouver une masse d'eau capable d'inonder toute la
terre. Probablement ils prétendaient que les
lois constantes de la nature s'opposaient à
la possibilité de cette inondation ; et ils
cherchaient à démontrer que Dieu
n'avait pas parlé, parce qu'Il ne pouvait
pas dire des choses absurdes, contraires à
l'expérience et à l'ordre
éternel qu'Il avait établi.
Sans doute aussi, la forme de l'arche
était pour eux un objet de critiques
nombreuses et qui avaient l'air d'être
très-fondées : sans quille, sans
mât, et chargée de tout ce qu'on
devait y mettre, comment pourrait-elle voguer sur
les eaux au milieu des orages, des tempêtes
et des secousses que devrait amener un
bouleversement aussi terrible. Il y avait là
certainement de quoi raisonner et argumenter contre
la prétendue révélation dont
Noé disait être le dépositaire.
Les philosophes essayaient sans doute de
prouver que Dieu était trop grand pour
s'inquiéter de ce qui se passe dans ce
monde, ou trop bon pour avoir créé
ses créatures, afin de les faire
périr par un déluge, trop sage,
enfin, pour détruire l'ouvrage de ses mains.
La masse des hommes qui n'étaient
ni savants ni philosophes, mais auxquels, comme
toujours, l'incrédulité tenait lieu
de science et de philosophie, se partageait en
indifférents et en moqueurs. ils
répétaient, sans les comprendre,
quelques-uns des arguments des hommes plus
instruits qu'eux, et les traduisant en quelqu'une
de ces plaisanteries ou bouffonneries que la Parole
de Dieu défend (Ephés. v, 4), ils
jetaient du ridicule sur Noé et sur son
oeuvre, et fermaient ainsi leur
coeur à toute conviction
de péché. Au milieu de ce concert de
déclamations, les unes savantes, les autres
moqueuses, contre Noé et son arche, qui
aurait osé se déclarer pour lui et
porter tout le poids de son opprobre? Il eût
fallu pour cela avoir des convictions fortes et
données d'en haut, mais il paraît que
personne ne les avait.
Si quelques-uns
éprouvèrent des mouvemens de
conscience, s'ils soupçonnèrent, en
voyant l'intégrité, la foi et la
constance de Noé, qu'il pourrait bien avoir
raison; si les prédications de cet homme
juste les ébranlèrent ; toutefois ils
ne se décidèrent pas, et aucun d'eux
n'entra dans l'arche. Ils étaient du nombre
de ces gens qui croiraient, qui se sauveraient, si
tout le monde voulait croire et se sauver avec eux,
mais auxquels il paraît si difficile de
croire et de se sauver avec le petit nombre, qu'ils
aiment mieux risquer leur salut que de se
décider, à la vue de tous, à
suivre la vérité dont leur conscience
leur a rendu témoignage.
Ce qui confirmait probablement les
hommes de ce temps-là dans leur
incrédulité, c'est que le temps
s'écoulait sans rien amener qui
annonçât le déluge. La
prédication de Noé était une
voix que rien dans la nature ne semblait appuyer.
Le soleil et les astres continuaient leur cours
ordinaire, les saisons se succédaient
régulièrement, une
génération passait, une autre la
remplaçait pleine d'espérance. Elle
suivait les errements de celle qui l'avait
précédée, et, comme elle,
méprisait Noé et ses avertissements.
Plus le temps fixé pour la
punition approchait, plus la patience de Dieu et
ses délais endurcissaient les
pécheurs. Ils disaient probablement, comme
doivent le dire les moqueurs dés derniers
jours : « Où est la promesse de son
avènement? car depuis que nos pères
se sont endormis, toutes choses demeurent dans le
même état où elles
étaient au commencement de la
création »
(2 Pierre III, 4)! Ils disaient avec
les impies : « Qu'Il se hâte, et
fasse venir son oeuvre bientôt, afin que nous
la voyions et que le conseil du
Saint d'Israël s'avance et qu'il vienne, et
nous saurons ce que c'est »
(Esaïe V, 19).
En abusant ainsi de la patience de Dieu,
ils vérifiaient d'avance ces
déclarations de l'Écriture : «
Parce que la sentence contre les mauvaises
oeuvres ne s'exécute pas incontinent,
à cause de cela, le coeur des hommes est
rempli au-dedans d'eux d'envie de mal faire
»
(Ecclés. VIII, 11) ; «
Est-il fait grâce au méchant? il
n'en apprend point la justice, mais il agira
méchamment en la terre de la droiture, et il
ne regardera point à la majesté de
l'Éternel »
(Esaïe XXVI, 10).
Il paraît que ce qui contribua
encore à endormir les hommes de ce
temps-là, c'est qu'ils étaient
enfoncés dans les intérêts et
dans les jouissances de la terre. Le Seigneur nous
indique cette cause lorsqu'Il nous dit, que «
dans les jours avant le déluge, les
hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et
donnaient en mariage, jusqu'au jour où
Noé entra dans l'arche, et qu'ils ne
pensèrent au déluge que lorsqu'il
vint et, les emporta tous »
(Matth. XXIV, 37, 38).
Gagner sa vie, vendre, acheter, boire,
se marier et donner en mariage, sont des choses
innocentes en elles-mêmes, mais ce sont des
choses qui perdent l'homme quand il y met son coeur
et sa vie, quand il en fait son tout et qu'il se
laisse absorber par elles. Tel fut le cas des
hommes du temps de Noé; tel est dans tous
les temps, le cas des hommes de ce monde, qui
cherchent leur part en cette vie
(Ps. XVII, 14) ; tel sera encore le
cas des hommes qui vivront dans les derniers temps;
car, dit le Sauveur, « il en arrivera de
même au temps du Fils de l'homme,
c'est-à-dire a son avènement
»
(Luc XVII, 26, 27. -
Matth. XXIV, 39).
Puis donc que nous sommes avertis,
tenons-nous sur nos gardes. Craignons
l'incrédulité qui rend sourd aux
avertissements de Dieu. Souvenons-nous que si la
génération qui sortit d'Égypte
fut exclue du pays de la promesse, ce fut à
cause de son incrédulité
(Hébr. III, 19),
Souvenons-nous qu'on raisonne
toujours mal quand on raisonne contre ce que Dieu a
dit.
Souvenons-nous que souvent nous nous
séduisons à notre perte par de faux
raisonnements qui ne nous paraissent bons, que
parce qu'ils favorisent nos convoitises charnelles.
Souvenons-nous que les
impiétés et les moqueries ne changent
rien au décret de Dieu, et ne font de
mal qu'à nous-mêmes, en nous
endurcissant et en nous empêchant de profiter
des avertissements de Dieu et de sa patience.
Mettons-nous hardiment du coté de
Celui qui « se moque des moqueurs
»
(Prov. III, 34) ; croyons à
ceux qui parlent de sa part, lors même qu'ils
seraient en petit nombre, lors même qu'un
seul homme, comme Noé, serait pour Lui et
que tous seraient contre Lui. Il vaut mieux porter
l'opprobre des hommes en ce inonde, que l'opprobre
éternel dans l'autre.
Tenons-nous aussi en garde contre cette
mauvaise hardiesse qu'on puise dans les
délais que Dieu accorde aux pécheurs.
Ne « méprisons pas les richesses de
sa bonté, de sa patience et de son long
support, ne considérant pas que la
bonté de Dieu nous convie à la
repentance »
(Rom. II, 4). Tenons-nous en garde
contre cette fatale idée : Dieu ne punit
pas, Il n'a pas encore puni, donc Il ne punira pas;
Il tarde à venir, donc Il ne viendra pas.
C'est le contraire qu'il faudrait dire.
Comme Dieu ne peut mentir, plus Il
tarde, plus Il est près de venir, plus aussi
ses châtiments approchent si on l'irrite en
abusant des délais que nous accorde sa
patience. Voici, est-il dit en parlant de ceux qui
en agissent ainsi: « La condamnation qui
leur est destinée depuis long-temps ne tarde
point, et leur perdition ne sommeille point
»
(2 Pierre II, 3).
Craignons, enfin, de nous laisser
endormir par le bruit monotone du monde, et
absorber par les occupations nécessaires et
les engagements légitimes de cette terre.
C'est là le piège où un grand
nombre se laissent prendre. Il faut bien
que je m'occupe, il faut bien que
je gagne ma vie. Est-il défendu d'acheter,
de vendre, de se marier? Je te prie de m'excuser
répond l'un à Celui qui nous convie
au festin des noces de l'Agneau; j'ai acheté
une terre, et il me faut nécessairement
partir pour aller la voir. Un autre dit : J'ai
acheté cinq couples de boeufs, et je m'en
vais les essayer; je te prie de m'excuser. Un autre
dit : J'ai épousé une femme, ainsi je
ne puis y aller
(Luc XIV, 16-20).
Voici ce que répond la Parole :
« Aucun de ceux qui avaient
été conviés, ne goûtera
de mon souper »
(v 24).
« Voici donc ce que je dis,
frères, c'est que le temps est court
désormais. Que ceux qui ont une femme soient
comme s'ils n'en avaient point; ceux qui pleurent,
comme s'ils ne pleuraient pas; ceux qui sont dans
la joie, comme s'ils n'étaient point dans la
joie ; ceux qui achètent comme s'ils ne
possédaient rien; et ceux qui usent de ce
monde, comme s'ils n'en usaient point ; car la
figure de ce monde passe »
(1 Cor. VII, 20-31).
« Ne regardons point aux choses
visibles, mais aux invisibles; car les choses
visibles ne sont que pour un temps, mais les
invisibles sont éternelles»
(2 Cor. IV, 18).
« Prenez donc garde à
vous-mêmes, de peur que vos coeurs ne soient
appesantis par la gourmandise, par les excès
du vin et par les inquiétudes de cette vie,
et que ce jour-là ne vous surprenne
subitement. Car il surprendra comme un filet tous
ceux qui habitent sur la surface de la terre.
Veillez donc, et priez en tout temps, afin que vous
soyez trouvés dignes d'éviter toutes
ces choses qui doivent arriver, et de subsister
devant le Fils de l'homme»
(Luc XXI, 34-36).
Si vous n'écoutez pas aujourd'hui
ces sérieux avertissements que vous donne la
Parole de Dieu, vous vous accoutumerez à
les entendre sans en profiter, comme le firent
les hommes du temps de Noé, et plus tard
vous les écouterez encore moins. L'on
s'accoutume à tout, et surtout à
laisser perdre le temps de la patience de Dieu; on
en vient à ce point
d'endurcissement et de sommeil que rien n'est
capable de nous réveiller. Les hommes du
temps de Noé ne furent pas même
réveillés par son entrée dans
l'arche, sept jours avant le déluge; ils
avaient perdu cent vingt ans de la patience de Dieu
; ils perdirent encore cette dernière
semaine.
Après avoir perdu les jours, on
perd les mois, après les mois, les
années.
Une année perdue prépare
à en perdre une autre, et l'on arrive ainsi
de mois en mois et d'année en année
au ferme fatal où il est trop tard, parce
que Dieu a déclaré qu'il n'y aurait
plus de temps. - Craignons donc les délais
et le sommeil qu'ils engendrent,
réveillons-nous aujourd'hui, de peur de ne
nous réveiller qu'au son de la
dernière trompette, quand le temps de la
miséricorde sera fini : « C'est ici
l'heure de nous réveiller de notre sommeil
»
(Rom. XIII, 11) : « La fin de
toutes choses est proche, soyez donc sobres et
vigilants dans les prières »
(1 Pierre IV, 7). Profitons du temps
pendant lequel « la patience de Dieu attend
pour la dernière fois» (1 Pierre III,
20).
Ne quittons pas ce sujet, sans faire
remarquer que Noé ne cessa pas d'avertir
pendant cent et vingt ans les hommes que
menaçait le déluge, quoiqu'ils ne
profitassent pas de ses avertissements.
En cela il donna gloire à Dieu,
et justifia pleinement la
sévérité de ses jugements sur
un monde qui avait méprisé sa
patience. Si sa fidélité fut inutile
aux autres, elle ne lui fut pas inutile à
lui-même. Il en eut la récompense dans
le témoignage de sa conscience, et dans
celui que Dieu lui rendit d'avoir été
un fidèle prédicateur de la justice.
Lorsqu'il vit ses contemporains périr
misérablement dans les eaux du
déluge, il put du moins, en menant deuil sur
eux et en déplorant les suites de leur
endurcissement, avoir la consolation de penser
qu'il était net du sang d'eux tous, n'ayant
point évité de leur annoncer tout le
conseil de Dieu, et pouvant en quelque sorte dire
ce que Paul disait aux pasteurs
d'Éphèse en les quittant : «
Je ne vous ai rien
caché de ce qui pouvait
vous être utile, et je n'ai cessé jour
et nuit d'avertir chacun de vous avec larmes
»
(Actes XX, 20,
27,
31).
Prêchons, prêchons
toujours, quel que soit le peu de succès de
nos avertissements. Ce qui est exigé d'un
dispensateur, c'est qu'il soit trouvé
fidèle. Christ Lui-même a tous les
jours étendu les mains vers un peuple
rebelle et contredisant. Quel que soit le
résultat de nos travaux, s'ils ont
été poursuivis dans la
fidélité, nous pourrons dire avec le
prophète : « Quoi qu'il en soit, mon
droit est par devers l'Éternel, et mon
oeuvre par devers mon Dieu » (Esaïe XLIX,
4). C'est quelque chose, c'est beaucoup d'avoir le
témoignage d'une bonne conscience, d'avoir
glorifié Dieu devant la
génération tortue et perverse, et de
pouvoir se dire que si le méchant
périt, son sang ne sera pas redemandé
de notre main.
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