Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE XXXI
1836.
Nous ne sommes jamais ni si haut, ni si
bas que nous croyons l'être
Je n'ai pas le temps de vous écrire
longuement, je me borne pour aujourd'hui à
vous exhorter à vous tenir en garde contre
votre imagination qui vous porte à croire
que vous êtes ou plus haut ou plus bas que
vous ne l'êtes réellement dans la vie
spirituelle.
En général, nous ne sommes
jamais ni si haut, ni si bas que nous croyons
l'être. Quand nous nous croyons bien haut,
nous ne sommes pourtant toujours que de pauvres
pécheurs sauvés par grâce,
soutenus moment par moment par la force d'en haut,
et qui avons encore en nous tout ce qu'il faudrait
pour retomber aussi bas que possible, si Dieu ne
nous soutenait. Et quand nous nous croyons bien
bas, nous ne sommes pourtant jamais plus bas que le
point où la grâce de Dieu est venue
nous chercher pour la première fois, et
où nous étions dignes d'être
haïs.
Nous ne sommes jamais assez bas pour que
la profondeur de l'amour de Dieu qui a fait
descendre Jésus dans les parties les plus
basses de la terre ne puisse pas nous atteindre.
On met de l'orgueil à se croire
haut, on en met à se croire bas ; et
dans le fond, il n'y a de haut et de bas
qu'à être en Christ, ou hors de
Christ ; c'est là seulement ce qui met
entre une âme et une autre un abîme de
distance. Il me semble aussi que vous avez dans le
caractère une certaine originalité
contre laquelle vous devez vous tenir en garde, et
qui pourrait nuire à l'édification
que les autres pourraient recevoir de vous. Le
chrétien doit tâcher d'être
simple, aimable, serein, de sens rassis,
égal autant que possible ; et
éviter ce qu'on appelle boutade dans le
caractère. Les uns ont plus à
combattre que les autres sous ce
rapport. Mais la force de Dieu peut s'accomplir
dans la plus grande faiblesse.
LETTRE XXXII
Novembre 1836.
Dès qu'on ne va pas en avant,
on recule
Mon cher frère,
Votre lettre nous a fait plaisir, et
j'espère qu'elle ranimera nos prières
pour vous.
Nous sommes bien réjouis
d'apprendre que vous êtes actif dans le
règne de Dieu, et que vos travaux sont
accompagnés de quelques
bénédictions. Que le Seigneur vous
donne de ne pas regarder avec complaisance ce que
vous avez déjà fait, mais
plutôt de dire avec l'apôtre :
« J'oublie les choses qui sont
derrière moi, et je m'avance vers celles qui
sont devant. » Dès qu'on ne va pas
en avant, on recule.
Il ne sera temps de s'arrêter que
lorsque nous aurons atteint le but de la vocation
céleste qui est en Jésus-Christ. Ce
ne fut que près de sa fin, que
l'apôtre Paul dit : « J'ai
combattu le bon combat, j'ai achevé ma
course, j'ai gardé la foi. » Mais
pendant que nous sommes dans la carrière, il
ne faut pas dire : J'ai combattu, mais :
Je combats. Il faut employer son temps beaucoup
moins à regarder et à raconter ce
qu'on a déjà fait, qu'à faire
chaque jour quelque chose de nouveau, afin
qu'à l'heure de notre mort, nous puissions
dire avec notre Sauveur, quoique dans un sens
infiniment inférieur : « J'ai
achevé l'oeuvre que tu m'avais donnée
à faire. » Ce serait une mauvaise
chose que de bien commencer et de
mal finir ; c'est pourquoi
il ne faut jamais se reposer sur ce qu'on a
déjà fait, de peur que la paresse et
l'orgueil ne nous jettent dans le
relâchement. J'espère que les
bénédictions du Seigneur, au lieu de
vous enfler, vous humilieront ; et que vous
direz toujours : « Qu'est-ce qui met
de la différence entre moi et un
autre ? Qu'ai-je que je ne l'aie
reçu ? Et si je l'ai reçu,
pourquoi m'en glorifierais-je, comme si je ne
l'avais pas reçu ? » Vous
savez que « l'orgueil va devant
l'écrasement ; » que
« Dieu démolit la maison des
orgueilleux ; » et que celui qui
s'enfle d'orgueil, risque de « tomber
dans la condamnation du diable. » Marchez
donc en toute humilité avec l'Éternel
votre Dieu.
Pensez à vous, parlez de vous le
moins possible ; pensez à Jésus,
parlez de Jésus autant que vous le pourrez.
Je vous conseille, quand vous
méditez la Parole avec d'autres personnes,
de ne pas le faire longuement et de ne pas donner
trop d'explication des passages, de peur de tomber
dans de fausses interprétations.
J'espère, du reste, que vous êtes
enseigné de Dieu à faire plutôt
à la conscience des applications courtes,
simples et fortes de ce qu'il y a de plus clair
dans ce que vous lisez. J'espère aussi que
vous avez la précaution, quand vous
êtes dans une maison, ou quand vous parlez
à quelqu'un, ou quand vous tenez une
assemblée, de ne pas être trop
long ; car souvent en retenant trop long-temps
les mêmes personnes, on les dérange de
leurs affaires, et on met de mauvaise humeur les
gens du monde qui demeurent avec elles, et qui les
accusent de perdre leur temps.
Du reste, mon cher frère,
« je vous recommande à Dieu et
à la Parole de sa grâce ; lequel
est puissant pour achever de vous édifier,
et pour vous donner l'héritage avec tous les
saints. » Je vous souhaite son
« Esprit de charité, de force et
de prudence. » « Fortifiez-vous
dans le Seigneur et dans sa force
toute-puissante, » qui s'accomplit dans
l'infirmité. Ne craignez rien :
« Vous aurez de l'angoisse au monde,
mais Jésus a vaincu le
monde. Celui qui est avec vous est plus puissant
que ceux qui sont contre vous ; et il ne lui
est pas plus difficile d'aider avec peu, qu'avec
beaucoup de gens. Puissiez-vous, dans tous les
dangers, dire avec David : » Au jour
où je craindrai, je me confierai en Toi. Je
sais que Dieu est pour moi. » Du reste,
si vous souffrez pour la justice, vous êtes
bien heureux ; réjouissez-vous en ce
jour-là, tressaillez de joie, parce que
votre récompense sera grande dans les cieux.
« Ne craignez point l'opprobre des
hommes, » dit encore le Seigneur,
« et ne soyez point honteux de leurs
reproches, car la teigne les rongera comme un
vêtement, et le ver les dévorera comme
la laine. Mais ma justice demeurera à
toujours, et mon salut dans tous les
âges. »
Adieu, mon cher frère, je vous embrasse
de coeur et vous salue affectueusement en Celui en
qui nous ne sommes qu'un seul corps.
LETTRE XXXIII
1837.
Faute de prudence, les enfants de Dieu se
jettent dans de grandes difficultés
Maintenant, je passe à quelques remarques
qui sont plutôt pour notre frère que
pour vous, mes chères soeurs, mais que je
vous prie cependant de lire. Elles ont pour objet
la vue qu'il a que les missionnaires ou ceux qui
travaillent à l'oeuvre de Dieu sous sa
direction, doivent mettre tout en commun
et se dépouiller de tout
espèce d'esprit de propriété.
J'aime beaucoup cette vue en tant qu'on
n'obligerait personne à s'y soumettre, comme
une condition sans laquelle on ne pourrait
être admis. Cette charité volontaire
qui ferait que toutes choses seraient communes
comme du temps de la primitive Église de
Jérusalem, est sans doute fort à
désirer, surtout entre gens qui se
dévouent pour le règne de Dieu, et
elle mérite d'être excitée et
encouragée. Mais il faut toujours se
souvenir que cette mise en commun doit être
volontaire et non obligatoire, car c'est ainsi
qu'elle avait lieu dans l'Église de
Jérusalem : « Si tu eusses
gardé le champ, ne te demeurait-il
pas ? » disait Pierre à
Ananias, « et l'ayant vendu
n'était-il pas en ton pouvoir d'eu garder le
prix ? »
J'ai vu que, faute de prudence, les enfants de
Dieu se jettent dans de grandes difficultés,
même avec d'excellentes intentions ; et
que malgré tout le détachement qu'on
doit avoir pour les choses de ce monde, ce qui
regarde le temporel doit être
réglé avec beaucoup d'ordre et de
circonspection : « Ne soyez point
sans prudence, mais comprenez bien quelle est la
volonté du Seigneur : Soyez prudents
comme des serpents. » Lisez aussi avec
soin : 2 Cor. VIII, 9-21
Encore un mot sur le temporel. Si vous
êtes à la tête d'une maison, je
vous supplie de tenir vos comptes en règle
et dans le plus grand ordre ; et, autant que
possible de ne jamais faire de dettes, vous
souvenant qu'il est écrit, que
« celui qui ne gouverne pas sa maison par
ordre, aura le vent pour
héritage, » et même entre
chrétiens on doit être régulier
à tenir note des affaires temporelles qu'on
peut avoir ensemble. Paul avait un compte
réglé avec son disciple
Philémon, auquel il disait en
parlant d'Onésime : « S'il te
doit quelque chose, mets-le sur mon compte ;
c'est moi, Paul, qui t'écris ceci de ma
propre main, je te le rendrai. » Quoique
la primitive Église de Jérusalem,
fût très-bénie, une
négligence dans la distribution qui se
faisait chaque jour, occasionna un murmure des
Grecs contre les Hébreux, ce qui
força à choisir sept diacres pour
régulariser le service des tables.
Maintenant, mes chères soeurs,
que vous dirai-je en fait de directions pour vos
âmes ? Toujours la même chose,
parce qu'il n'y en a qu'une seule à dire et
à répéter, c'est de regarder
à Jésus, de vous attendre à
l'Éternel, et de demeurer tranquilles en
regardant à Lui ; car pas un de ceux
qui s'attendent à Lui ne sera confus.
Dans quelque détresse que vous
vous trouviez, souvenez-vous qu'il est écrit
que l'Éternel est notre force et notre
secours dans la détresse, et fort
aisé à trouver. Souvenez-vous que
« le Seigneur est riche pour tous ceux
qui l'invoquent ; » que
« la délivrance de
l'Éternel est près de ceux qui le
craignent ; » que « celui
qui craint Dieu sort de tout, » que Dieu
Lui-même a dit : « Je ne te
délaisserai point, je ne t'abandonnerai
point ; » ensorte que nous pouvons
dire : « Le Seigneur m'est en aide,
je ne craindrai point ce que l'homme me pourrait
faire. »
Souvenez-vous que l'Éternel n'a
pas besoin de notre force pour aider la sienne, et
que lorsqu'Il veut nous encourager, bien loin de
porter nos regards sur quelque force qui soit en
nous, Il nous abaisse profondément à
nos propres yeux, en nous appelant des
vermisseaux : « Ne crains rien,
vermisseau de Jacob, homme mortel
d'Israël ; je t'aiderai, dit
l'Éternel, ton défenseur, c'est le
saint d'Israël. » N'oubliez pas que
l'Éternel vous a choisies pour être
son plus précieux joyau ; que celui qui
vous touche, touche la prunelle de son oeil, et que
par la foi, vous êtes de ce peuple dont il
est dit : « Il n'a pas souffert
qu'aucun les opprimât. »
Il a même châtié des
rois pour l'amour d'eux, disant - « Ne
touchez point à mes oints, ne faites point
de mal à mes prophètes
. »
Dans quelque détresse que vous
vous trouviez, voyez par la foi Celui qui est
invisible, le Roi des rois, le Seigneur des
seigneurs, qui s'est fait notre Emmanuel, Dieu avec
nous, qui compatit à toutes vos
infirmités, qui sait de quoi vous êtes
faites, se souvenant que vous n'êtes que
poudre, et qui vous dit : « Je suis
l'Éternel ton Dieu, soutenant ta main
droite. »
Rappelez-Lui sa glorieuse
promesse : « Invoque-moi au jour
de ta détresse, et je t'en
délivrerai. » Rappelez-Lui
bien qu'il n'a pas dit : Peut-être que
je t'en délivrerai ; mais : Je
t'en délivrerai. Dites-Lui qu'il est votre
Dieu, et que vous croyez qu'il est puissant et
fidèle pour tenir ce qu'il vous a promis.
Luttez avec Lui comme Jacob, Lui disant que
décidément vous ne voulez pas le
laisser aller qu'il ne vous ait bénies.
Du reste, ne vous effrayez jamais
d'avoir des moments d'abattement et même de
découragement passager. Ils ont
été le partage des plus chers amis de
Dieu, comme nous le voyons dans les aveux que David
et Paul nous ont faits de l'état de leur
âme en plusieurs occasions. Nous ne pourrons
jamais rien dire de plus fort sur nous-mêmes,
que ce qu'ils ont dit en parlant de leurs angoisses
spirituelles. Cependant, quoiqu'ils aient
été affligés excessivement et
au-dessus de leurs forces, ils n'ont jamais
succombé. L'Éternel les a
délivrés de toute angoisse, et Celui
qui console les abattus a accompli à leur
égard cette promesse du
Ps. LXVIII : « Tu
as répandu une riche pluie sur ton
héritage, et quand il était las, tu
l'as rétabli. »
L'essentiel est de ne jamais perdre la
protection de Dieu en s'écartant de la route
du devoir, comme s'Il ne pouvait pas nous soutenir
dans des choses qui peuvent nous attirer des maux
temporels, lorsque nous demeurons fermes. Tout
finit toujours bien pour celui qui attend
l'Éternel. dans le sentier de ses
jugements ; car il est écrit :
« A celui qui prend
garde à sa voie, je montrerai la
délivrance de Dieu. » Je ne crains
rien pour vous, pourvu que vous demeuriez
fidèles, car « Dieu se montre
puissant envers ceux qui se montrent d'un coeur
droit envers Lui. » Et je suis sûr
que vous serez délivrées de tous les
pièges de l'ennemi, si vous pouvez dire avec
David « Mes yeux sont continuellement sur
l'Éternel ; c'est Lui qui tirera mes
pieds du filet. »
Adieu, paix vous soit en Celui qui est
le prince de la paix.
LETTRE XXXIV
1837.
Présider, quand il est
appliqué aux anciens ou pasteurs
Mon cher frère,
Voici ma réponse à la
lettre que vous m'adressez sur le sens dit mot
présider, quand il est appliqué aux
anciens ou pasteurs.
D'après l'examen nouveau que j'ai
fait de tous les passages où se trouve le
mot grec du chap.
V, 17 de la première à
Timothée, et qu'on a rendu tantôt par
présider, tantôt par gouverner,
tantôt par s'appliquer à une chose, il
me paraît évident, en consultant
surtout
1 Tim. III, 4, 5, qu'il
désigne l'exercice d'une autorité
analogue à celle d'un père au milieu
de sa famille. Dans
Tite III, il me paraît
signifier être en tête d'une
chose ; je crois qu'on aurait dû
traduire - Être à la tête, ou en
tête des bonnes oeuvres.
Je dis que l'autorité d'un
pasteur est analogue à celle d'un
père au milieu de sa famille, mais non pas
exactement la même ; car un père
s'adressant souvent à des enfants qui ne
sont point en état de comprendre la justice
des ordres qu'il leur donne,
doit souvent exiger une obéissance
implicite, sans permettre qu'on lui demande de dire
sur quoi il se fonde pour commander telle ou telle
chose. Mais il n'en est pas ainsi du Pasteur. Comme
il parle à des personnes qui sont toutes
enseignées de Dieu, il doit raisonner avec
elles, pour tâcher de leur faire sentir que
ce qu'il leur prescrit ou ce qu'il leur conseille
est ordonné ou conseillé par la
lettre de la Parole, ou du moins est dans l'Esprit
de la Parole. Il doit leur dire avec
l'apôtre : « Je vous parle
comme à des personnes intelligentes ;
jugez vous-mêmes de ce que je
dis. » Il doit reprendre, censurer,
exhorter avec toute douceur et en instruisant
(2 Tim. IV. 2).
Il ne doit pas paître le troupeau
de Christ comme ayant domination sur lui, mais
comme se rendant le modèle du
troupeau ; montrant ainsi qu'il ne communique
pas des ordres pour commander, mais qu'en les
communiquant aux autres, il obéit
lui-même le premier.
En considérant les termes qui
sont employés dans le grec
(Hébr. XIII, 17), on voit que
l'obéissance qui est prescrite aux troupeaux
envers leurs conducteurs est une obéissance
de persuasion et une obéissance de
déférence. On obéit, parce
qu'on est persuadé par la Parole de
Dieu ; on obéit, parce que, par
humilité de coeur, on est disposé
à estimer le conseil des anciens comme
préférable à sa propre
opinion, tant qu'on ne le trouve pas en opposition
avec la Parole.
Il est bon de remarquer que les mots
employés ici et qu'on a traduits par :
obéir et être soumis, ne sont point du
tout parallèles du mot employé
Ephés. VI, 1, lorsqu'il est
dit : « Enfants, obéissez
à vos pères et à vos
mères selon le
Seigneur ; » mot qui
désigne l'obéissance sans aucune
nuance de persuasion on de
déférence.
Je crois que ce que je viens de dire
suffit pour caractériser la teinte que la
Parole de Dieu me paraît avoir voulu donner
à l'autorité des pasteurs, savoir une
teinte d'autorité
paternelle, d'autorité de persuasion,
d'autorité. de confiance ; toutes
choses opposées à une autorité
de domination qui exigerait une obéissance
implicite aux ordres qu'elle donne.
Maintenant, après avoir
posé ces limites, je crois pouvoir dire que
ceux-là seraient dans l'erreur qui
voudraient restreindre l'autorité du pasteur
dans les étroites limites de fonctions de
président d'assemblée et encore moins
dans celles de président d'assemblées
administratives.
D'après
Hébr. XIII, 17, on doit
céder et déférer à ses
conducteurs. Pourquoi ? Parce qu'ils veillent
sur les âmes comme devant rendre compte,
C'est donc évidemment dans toute l'oeuvre
qui appartient à la surveillance des
âmes, qu'on doit céder aux
conducteurs, et par conséquent, c'est dans
toute cette oeuvre qu'ils président ;
ou plutôt, pour rendre le vrai sens du mot,
qu'ils sont en tête, qu'ils dirigent, et non
pas seulement dans les assemblées
d'Église qui sont certainement la moindre
partie des détails de leur surveillance.
Comme le pasteur l'est dans toutes les
circonstances, à toutes les heures du jour,
et qu'à aucune de ces heures il ne
dépose sa qualité de surveillant, il
pense être aussi tout le jour revêtu de
l'autorité exprimée par le mot
présider et renfermée dans les
limites que j'ai tracées d'après la
Parole. S'il rencontre un membre du troupeau dans
la rue et qu'il lui donne un conseil ; s'il
entre dans une maison où il aperçoive
quelque chose qui nécessite un
avertissement ; s'il assiste à une
réunion de travail ; s'il se rencontre
au milieu d'une réunion de prières on
de méditation de la Parole, fortuite ;
partout il est l'homme qui préside, parce
que partout il est l'homme qui surveille, et que
partout les membres de l'Église doivent se
laisser persuader, et déférer (car
c'est le sens des mots grecs), à ceux qui
veillent sur eux.
Après tout, on est forcé
de convenir que la Parole de Dieu n'a pas
tracé les limites de l'autorité du
pasteur avec la même
exactitude que les lois humaines tracent les
limites de l'autorité d'un juge de paix ou
d'un président de corps. En cela, comme en
beaucoup d'autres choses, elle établit des
principes généraux dans l'esprit
desquels il faut entrer par l'Esprit de Dieu. Quand
on veut froidement et mathématiquement
établir des limites que l'on ne peut saisir
que par un tact spirituel, on n'arrive jamais
à un résultat clair et
satisfaisant ; jamais on ne s'entend ;
jamais on n'est d'accord.
L'Esprit de Dieu répandu dans le
coeur du pasteur et du troupeau, y produit l'effet
que les lois de la pesanteur produisent sur l'eau,
qui prend toujours son niveau lorsqu'on la verse
dans plusieurs cavités qui communiquent les
unes avec les autres. Chaque cavité prend,
selon sa contenance et selon sa profondeur,
justement tout autant d'eau qu'il en faut pour
qu'elle soit de niveau dans tous les tubes. Mais si
les lois naturelles ont atteint du premier coup le
point de la perfection, il n'en est pas de
même de la Loi de l'Esprit de vie dans nos
âmes. Il n'est donc pas étonnant que
dans les choses qui ne sont pas exactement
précisées, on marche un peu dans les
tâtonnements. Mais c'est déjà
quelque chose que d'avoir saisi les principes
généraux, et de chercher avec
humilité et bonne foi à les
appliquer.
Je termine, cher frère, en vous
faisant part d'un fruit de l'expérience qui
correspond au précepte de l'apôtre
(1 Pier. V, 1-3). Je suis
persuadé que pour qu'un pasteur soit ce
qu'il doit être au milieu d'un troupeau, il
faut que par goût, par choix, par affection,
il se plaise avec les membres de l'Église
plus que partout ailleurs ; qu'il soit
beaucoup avec eux, beaucoup au milieu d'eux ;
qu'il sache, en quelque sorte, se multiplier pour
être partout. Ici, pour donner un
coup-d'oeil, presque sans en avoir l'air, et voir
si tout est dans l'ordre ; là, pour
donner une marque d'approbation par sa
présence et un témoignage
d'affection ; dans un troisième
endroit, pour exciter une oeuvre qui commence,
et qu'il veut encourager. Il ne
doit rester dans chaque lieu
précisément que le temps
nécessaire, afin de pouvoir aussi se
transporter ailleurs, et de ne pas engendrer par
des communications où il ne se
présente plus comme pasteur, une
familiarité qui dépasserait les
bornes. Il faut qu'il ne se donne pas exclusivement
à une partie du troupeau, qu'il soit l'homme
de tous et l'homme de personne en particulier. Il
faut qu'il ne se charge point d'occupations qui
l'éloignent trop souvent du troupeau ou qui
le renferment trop dans son cabinet, tellement
qu'on craigne de le déranger en allant chez
lui.
En un mot, pour qu'on se trouve bien
dans l'Église, il faut qu'il en soit comme
de la famille, où les enfants ne se trouvent
bien dans la maison paternelle qu'autant qu'ils y
rencontrent habituellement leurs parents, pour
être réjouis par leur présence
et leur direction, et dirigés par leurs
conseils. Le pasteur est, après le
Saint-Esprit, et par les dons de ce même
Esprit, le lien qui unit les membres de
l'Église les uns aux autres. Il doit
continuellement, par son exemple et par ses
discours, leur crier. Rapprochez-vous, serrez les
rangs, formez le corps de Christ bien ajusté
et serré ensemble par toutes les jointures
du fournissement
(Ephés. IV, 16).
L'on s'attachera cordialement à
une Église où les pasteurs et le
troupeau mèneront ensemble cette vie de
famille, qui pourrait être
réalisée dans un grand troupeau comme
dans un petit, moyennant la multiplication
proportionnée des dons pastoraux ;
preuve en soit ce qui est dit de l'Église de
Jérusalem à la fin du premier
chapitre des Actes. Si les Églises ne sont
que des lieux de prédication, elles
tomberont bientôt, à côté
d'autres établissements qui offrent tout
autant de moyens d'enseignements en fait de
prédication. Et comme la surveillance a
toujours un côté gênant et qui
déplaît à la chair, elle
repoussera bien des âmes au lieu de les
attirer, si elle n'est pas exercée dans un
esprit d'amour, et si ce qu'elle a de
gênant n'est pas
compensé par les douceurs de l'affection
pastorale et de la vie de famille. Quant à
moi, je vois cette vie de famille partout dans les
Actes et dans les Épîtres ; et je
crois qu'elle a été
généralement trop méconnue
parmi nous, ou qu'après l'avoir connue dans
les commencements, on a pris trop peu de soin pour
la maintenir.
Fatigué de tête et
pressé par le temps, je finis par deux
réflexions, l'une relative à vous,
qui est de bien mesurer les conséquences des
démarches que vous ferez, et de ne pas vous
engager dans une voie où vous ne pourriez
pas aller jusqu'au bout avec pleine
conviction ; l'autre relative à moi,
qui est de demander à Dieu que son Esprit me
prêche la conclusion de la parabole du
Samaritain : « Va, et fais la
même chose. »
Je vous embrasse d'une bonne affection
en Christ.
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