Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE XL
3 Janvier 1838.
Nous sommes comme le buisson en feu qui ne
se consumait pas
Chère soeur,
Nous avons médité le jour de l'an
sur le commencement du 3e chap. de l'Exode ;
la vision du buisson en feu qui ne se consumait
pas. Ce buisson m'a paru non seulement un type
frappant de l'Église, mais de chaque
fidèle en particulier.
Nous sommes ce pauvre buisson ;
faibles de corps, faibles dans nos facultés
intellectuelles si vite dérangées ou
affaissées, faibles en notre coeur si vite
accablé par le chagrin ; faibles dans
notre nature spirituelle, qui n'est encore que dans
l'enfance.
Le buisson est au milieu du feu, au
milieu des épreuves communes à toute
l'humanité et de celles particulières
au peuple de Dieu, au milieu du feu infernal,
venant des tentations du dedans et de celles du
dehors, au milieu du feu de la colère de
Dieu qui se révèle contre toute
iniquité.
Fatigues de corps, fatigues d'esprit,
peines de coeur, combats de l'âme avec le
vieil homme, avec Satan, avec le monde, quelquefois
même avec les frères ; combats
même avec l'Éternel auquel il semble
que nous pouvons dire comme Job :
« Je suis consumé par la guerre
que tu me fais. »
Et cependant, au milieu de tout cela, le
pauvre buisson ne se consume point. Le corps est
soutenu dans sa faiblesse ; on a encore ses
facultés, le coeur n'est pas
abîmé dans la douleur ; le grain
de foi n'a pas péri au milieu des
flammes ; la colère de Dieu ne nous a
pas anéantis.
Et pourquoi ?
Parce que l'Éternel est au milieu
du buisson. Ce sont ses gratuités que nous
n'ayons pas été consumés. Il a
accompli sa promesse : « Quand tu
marcheras par le feu, tu ne seras point
brûlé, et la flamme ne t'embrasera
point. »
Conséquence d'humilité en
pensant que si nous subsistons encore, c'est par la
pure gratuité de Dieu.
Conséquence d'admiration,
envoyant comment sa force s'est accomplie dans
notre faiblesse, et comment il s'est servi du feu
pour nous purifier sans nous consumer.
Conséquence de reconnaissance
pour Celui qui étant hors de Christ un feu
consumant, est devenu en Christ notre gardien au
milieu du feu, et marche avec nous au milieu de la
fournaise pour nous garder comme il garda les trois
jeunes hommes, et pour nous en faire sortir
intacts, sans qu'un seul cheveu de notre tête
se soit perdu.
Conséquence de confiance pour
l'avenir ensuite des promesses semblables à
celle
d'Esaïe XLVI, 3 et 4, et du
Ps. XLVIII, 14 ;
1 Cor. X, 13.
Dire en conséquence, comme
David :
Ps. CXXXVIII, 8.
« L'Éternel achèvera ce qui
me concerne ), et comme Asaph. :
Ps. LXXIII, « Tu me
conduiras par ton conseil et puis tu me recevras
dans la gloire. »
J'ajoute à ma petite analyse, que
j'ai fait remarquer que nous devrions plus souvent,
pour notre consolation, nous détourner pour
regarder cette grande vision.
On cherche des choses frappantes et
miraculeuses au dehors, tandis qu'on ne fait pas
attention aux miracles continuels qui se passent
au-dedans.
J'ai fait remarquer aussi en finissant,
que cette vision se trouve placée dans
l'Écriture, d'un côté
après les cris que les Israélites
poussèrent vers Dieu à cause de leur
dure servitude, et de l'autre avant leur
délivrance. Ainsi nous trouvons-nous
placés sur cette terre, ayant d'un
côté la prière pour attirer
Dieu dans le buisson, et de l'autre, la perspective
de la délivrance pour nous soutenir au
milieu du feu de l'épreuve. C'est ainsi que
l'apôtre Paul place la
patience entre la prière et la joie de
l'espérance
(Rom. XII, 12).
J'ai demandé, et j'espère
qu'il me sera donné de demander encore pour
vous, d'abord le soulagement du corps, parce que je
crois que cela est permis ; et ensuite et par
dessus tout, le doux fruit de justice que toute
épreuve est destinée à
produire.
Oui, c'est dur, j'en conviens,
d'être impotente comme vous
l'êtes ; mais du fait même que
notre Dieu envoie des choses dures à la
chair, il faut conclure qu'elles étaient
absolument nécessaires, car Il est amour, et
ce n'est pas volontiers qu'Il afflige et contriste
les fils des hommes.
La charité bien entendue doit
être quelquefois sévère,
puisque Celui qui a eu le plus grand amour qu'on
puisse avoir pour nous, nous ordonne de couper le
bras, d'arracher l'oeil qui font broncher.
Comme nous avons envers nous-mêmes
une charité mal entendue, et qui ne veut pas
concourir à l'oeuvre de Dieu en nous, en
faisant les opérations douloureuses,
nécessaires pour le salut de
l'âme ; dans son amour notre Dieu est
obligé de prendre la chose en main, et de
faire Lui-même les opérations
auxquelles nous nous refusons. Ne croyez pas que je
veuille insinuer par là que vous ayez fait
un mauvais usage de vos jambes, et que c'est pour
cela que le Seigneur vous les a ôtées
momentanément. Je crois que ce sont les
jambes de votre volonté propre qu'Il a voulu
briser, comme dans son amour, Il cherche à
les briser en moi de toutes les manières.
Bien souvent quand nous disons à
Dieu « Que ta volonté se
fasse, » nous ne comprenons pas que cette
demande signifie : que la mienne ne se fasse
pas, ou qu'elle soit toujours d'accord avec la
tienne ; ensorte que soit que tu me veuilles
malade ou en santé, pauvre ou riche, assis
ou debout, estimé ou méprisé,
employé à ceci ou employé
à cela, je sache en toute chose dire :
Amen. Apprendre à être ainsi dans la
main de Dieu, non pas raide
comme une barre de fer, mais
flexible comme une branche pliante qui, sans
résistance, fait tous les mouvements et
prend toutes les formes qu'on veut lui donner, ce
n'est pas une petite affaire, ni un apprentissage
d'un jour. Nul ne peut l'apprendre qu'à
l'école des contrariétés
journalières, et à celle du
saint-Esprit qui nous en fait sentir la
nécessité, qui fléchit notre
volonté rebelle, et qui nous donne la
persuasion pratique que la volonté de Dieu
est bonne, agréable et parfaite.
L'apprentissage est long, et souvent
douloureux ; mais à mesure qu'on en
sent la nécessité, et lorsqu'on en
voit les fruits, on le trouve moins dur. D'ailleurs
si l'on s'approche du Sauveur, Il nous rend son
joug aisé ; Il appuie sa main sur notre
coeur pendant les opérations douloureuses,
ensorte qu'il y a en même temps douleur et
joie : A mesure que notre affliction abonde,
notre consolation aussi abonde par
Jésus-Christ.
Prenons courage, la promesse est
ferme : « Avec l'épreuve, Il
nous donnera l'issue, afin que nous la puissions
supporter. » Puis, si l'éducation
est un peu longue, nous en recueillerons les
heureux fruits pendant toute
l'éternité. Nous ne comprenons pas ce
mot éternité ; si nous le
comprenions, nous dirions avec
l'apôtre : « J'estime qu'il n'y a
point de proportion entre les souffrances du temps
présent et la gloire à venir qui doit
être révélée en
nous. »
Paix vous soit en Celui qui est le
Prince de la paix.
LETTRE XLI
1838.
Ne désespérons pas de nos
enfants
Cher frère,
Ne désespérons pas de nos
enfants. Les promesses faites aux pères sont
là. Si nous savons nous en prévaloir
et y joindre la discipline selon le Seigneur, ne
doutons pas qu'il n'ajoute
bénédiction sur nous et sur nos
enfants. Il ne les regarde certainement pas du
même oeil que ceux des étrangers.
Nous-mêmes, n'aimons-nous pas d'une
façon particulière les enfants de nos
amis, et le Seigneur ne nous appelle-t-Il pas ses
amis ? Et ne sait-Il pas que nos enfants sont
ce que nous avons de plus cher ?
Il faut avoir pitié d'eux. Satan
les attaque sûrement plus fortement que les
autres, parce qu'il voit plus de chances à
ce qu'ils lui échappent, et parce qu'il
cherche tout ce qui peut nous faire de la peine.
Quand Jéosuah se tenait devant
l'Éternel, Satan se tenait à sa
droite pour le contrarier. Mais c'est
égal ; tous ceux que l'Éternel a
décidé de retirer du feu comme des
tisons, échapperont à la malice de
Satan qui peut les contrarier, mais non pas
anéantir les desseins de Dieu à leur
égard.
Quant à ma santé,
quoiqu'un peu meilleure que pendant les crises que
j'ai eues cet été, elle est toujours
bien languissante. Sans grande souffrance, je vais
de fatigue en fatigue, et d'angoisse en angoisse,
recevant ordinairement la force au moment
convenable, puis la perdant quand elle ne m'est
plus nécessaire.
Quant a l'âme, si c'est avancer
que de reconnaître toujours plus qu'on n'est
rien et que Christ est tout, alors je puis dire que
j'avance, mais non pas autrement. Je suis souvent
fatigué du combat avec moi
même, avec le monde,
parfois avec les frères, et tenté de
dire avec Elie. « C'est assez, ô
Éternel, prends maintenant mon
âme. » Toutefois, je sens bien que
ce n'est pas là le vrai désir de
déloger, et je demande au Seigneur
d'éprouver ce qu'éprouvait son
apôtre, lorsqu'il disait qu'il était
tiré de deux côtés ;
tiré en haut par l'amour du Seigneur, et
retenu en bas par l'amour pour ses enfants. Ma
consolation est toujours la promesse :
« Demandez et vous recevrez, afin que
votre joie soit accomplie. »
Adieu, frère bien-aimé du
Seigneur, puissiez-vous toujours vous
réjouir en Lui !
LETTRE XLII
1838.
Ne pas fermer les yeux à la
véritable cause des châtiments qui
tombent sur nous
Mon frère,
Que le Seigneur ait pitié de toi
et te bénisse, et qu'Il lève sur toi
la clarté de sa face !
Une chose qui m'a effrayé à ton
égard plus que toutes les autres, c'est que
tu attribues à ton union aux Églises
les maladies qui ont été le
châtiment évident de tes
infidélités. C'est une des marques
les plus tristes d'aveuglement chez un
pêcheur, quand on le voit fermer les yeux
à la véritable cause des
châtiments qui tombent sur lui. Tu me parais
être à cet égard à peu
près dans le même état
où étaient ces pauvres Juifs dont il
est parlé dans le
44e
deJérémie, qui
ayant été repris par le
prophète au sujet de l'adoration des faux
dieux, lui répondirent :
« Nous ferons assurément tout ce
qui est sorti de notre bouche en faisant des
encensements à la reine des cieux et en lui
faisant des aspersions, comme nous et nos
pères, nos rois, et les principaux d'entre
nous avons fait dans les villes de Juda et dans les
rues de Jérusalem ; et nous avons eu
alors abondamment de pain ; nous avons
été à notre aise, et nous
n'avons point vu de mal. Mais depuis le temps que
nous avons cessé de faire des encensements
à la reine des cieux, et de lui faire des
aspersions, nous avons eu faute de tout, et nous
avons été consumés par
l'épée et par la famine. »
(Jérém. XLIV, 17 et
18).
Ces pauvres Juifs aveuglés ne
comprenaient pas que les punitions qui
étaient tombées sur eux
étaient la suite de leur idolâtrie, et
non pas la suite de ce qu'ils avaient cessé
leur idolâtrie. Ils ne comprenaient pas que
dans les pays où Dieu les avait
chassés, ils auraient dû se repentir
et retourner à Dieu qui les aurait
ramenés dans leur pays. Aussi, l'Esprit de
Dieu leur répondit par
Jérémie :
« L'Éternel ne s'est-Il pas
souvenu des encensements que vous avez faits dans
les villes de Juda et son coeur n'en a-t-Il pas
été touché, ensorte que
l'Éternel ne l'a pu supporter
davantage ? »
Ces sages représentations de
Jérémie n'ayant produit aucun effet
sur les Juifs qui
persévérèrent à croire
qu'ils prospéreraient comme autrefois
pendant qu'ils se livraient à
l'idolâtrie, l'Éternel leur fit
annoncer par le prophète qu'ils seraient
consumés par l'épée et par la
famine dans le pays où ils s'étaient
retirés, ce qui leur arriva, en effet, peu
de temps après.
Prends garde qu'il ne t'en arrive
autant. Rien n'est terrible comme de rejeter sur
l'obéissance à la Loi de Dieu les
punitions qui sont le fruit de nos
désobéissances. C'est vraiment
appeler le mal bien, et le bien mal ; la
lumière ténèbres, et les
ténèbres lumière ; et
l'Esprit saint dit par Esaïe :
« Malheur à
ceux qui font ainsi. »
Je t'en supplie, ne ferme pas les yeux
à l'évidence. Si tu les as encore
entre les mains, relis les deux lettres que je t'ai
écrites cet été, et dans
lesquelles je cherchais à te faire saisir le
rapport frappant qui me paraissait exister entre
les péchés que tu avais commis depuis
ton entrée dans l'Église, et les
punitions qui étaient tombées sur
toi. Tu semblas, dans la réponse que tu me
fis, reconnaître la vérité de
mes remarques, mais il paraît que cela n'alla
pas jusqu'à ton coeur.
Au lieu de t'humilier devant Dieu et de
retourner à Lui sincèrement, il
paraît que tu te laissas de plus en plus
dominer par les goûts du monde. Voilà,
sans doute, pourquoi l'épreuve s'est
prolongée sur toi, et pourquoi,
malgré nos prières, nous n'avons pu
obtenir pour toi une place telle que tu la
désirais. Il fallait, sans doute, dans les
vues de Dieu. que ta position servit à
manifester et à toi-même et à
nous, ce qui était dans ton coeur. Qu'il Lui
plaise que ce soit pour ton bien, pour ton
humiliation, et pour ton
relèvement !
Je te regarde, mon pauvre ami, comme
étant sur le bord d'un abîme; je te
supplie de ne pas repousser, tandis qu'il en est
encore temps, la main secourable de tes
frères, qui, de la part de Dieu, cherchent
à le retenir, et te conjurent de ne pas
abandonner la droite voie, car ce serait ta
perdition.
Pense que c'est une chose terrible que
de tomber entre les mains du Dieu vivant ;
pense qu'il est dit de ceux qui ont
été illuminés, qui ont
goûté le don de Dieu, et qui
retournent en arrière, qu'il est impossible
qu'ils soient renouvelés par la repentance.
Veux-tu être « profane
comme Ésaü, qui, pour un mets, vendit
son droit d'aînesse, » et, qui
ensuite voulant hériter la
bénédiction, ne put trouver de lieu
à la repentance, quoiqu'il la demandât
avec larme ; ?
Veux-tu affliger le coeur de ce bon
Berger qui a donné sa vie pour toi, et qui
court après toi à travers les
montagnes pour te
chercher ? Seras-tu heureux loin de Lui ?
Es-tu heureux dans l'état où tu es
maintenant ? Pourrais-tu mourir en paix ?
Souviens-toi de l'accident où tu
as risqué de périr. Le Seigneur t'a
épargné alors ; « ne
pèche plus désormais de peur que pis
ne t'arrive ; » tu
n'échapperas pas à son bras vengeur,
si tu ne retournes promptement à Lui. Sans
accident, la mort peut t'amener dans un moment
devant son tribunal par une maladie violente. Si tu
es trouvé avec une lampe sans huile, quand
le Seigneur viendra, la porte se fermera
peut-être pendant que tu chercheras à
te préparer, et quand tu heurteras, il te
sera répondu : « En
vérité, je ne te connais point, et je
ne sais d'où tu es. »
Tu as sans doute trouvé que
c'était un terrible moment que celui
où tu étais presque enseveli ;
mais combien ne serait pas plus terrible le moment
où tu paraîtrais devant le Seigneur,
après avoir fait naufrage quant à la
foi, où, tu crierais inutilement aux coteaux
Couvrez-moi, et aux montagnes : Tombez sur
moi !
Après t'avoir averti du danger
que tu cours, je puis bien te dire le coeur
serré de douleur : Il me reste encore,
pour avoir accompli mon devoir, à remplir
à ton égard un dernier office. Comme
il est écrit : « Ne donnez
pis de lieu au diable ; » comme
l'Esprit saint veut qu'on s'accompagne de ceux qui
craignent l'Éternel, et qui gardent ses
commandements ; comme-il nous est
ordonné d'avoir l'oeil les uns, sur les
autres, afin que si l'un tombe, l'autre
relève son compagnon ; et vu que ces
préceptes ne peuvent pas être
accomplis envers toi pendant que tu es
éloigné de tes frères ;
je charge le cher frère .... de te trouver
de l'ouvrage à quel prix que ce soit, en te
promettant que, pourvu que tu te mettes sous sa
surveillance et que tu suives toutes ses
directions, nous te fournirons tout ce que tu ne
pourrais pas gagner par ton travail, et qui serait
nécessaire a ton
entretien, en vivant avec ordre
et économie, selon ta condition ; ce
dont le frère serait appelé à
juger.
Mon cher frère, notre bouche
s'est ouverte pour toi devant le Seigneur, notre
coeur s'est élargi, et tu n'es point
à l'étroit, au-dedans de nous ;
mais je crains que tes entrailles ne se soient
rétrécies pour nous, que tu ne
comprennes plus, comme tu paraissais le comprendre
une fois, ce qu'est la communion d'Esprit, et les
cordiales affections.
Oh ! que Dieu élargisse de
nouveau ton coeur ; qu'Il te rappelle ce que
tu peux avoir éprouvé de consolation
en Christ, et de soulagement dans la
charité, lorsque dans tes maux tu
étais entouré de l'affection, des
prières et des soins de tes frères et
de tes soeurs !
Nous sommes toujours les mêmes
pour toi ; redeviens le même pour nous.
Si l'on tombe, ne se relèvera-t-on
point ? Si l'on se détourne du chemin,
n'y reviendra-t-on point ? Ton Dieu et tes
frères te tendent leurs bras ; tout
sera oublié lorsqu'on te verra revenir avec
un coeur sincère et humilié, ou du
moins désireux de l'être.
Je t'en prie, laisse-toi toucher ;
ne raidis pas ton cou ; écoute la voix
de Celui qui te crie : « Reviens
à moi, car j'ai droit de mari sur
toi. » Dis avec l'épouse
infidèle : « Je retournerai
à mon premier mari, car alors j'étais
mieux que je ne suis à présent.
S'il m'est permis de parler de moi,
après avoir parlé du Seigneur, je te
dirai avec l'apôtre : « Oui,
mon fils, que je reçoive de toi ce plaisir
en notre Seigneur. » Sois soumis à
ce que je te demande au nom du Seigneur, afin que
ce que je fais, je le fasse avec joie, et non en
gémissant ; car cela ne te serait pas
avantageux. Si je ne puis pas te dire avec
l'apôtre :
« Que personne ne me fasse de
la peine, car je porte en mon corps les
flétrissures de Christ ; » je
puis du moins te dire : Ne me fais pas de la
peine, car la faiblesse de mon corps me rend
doublement pénibles les épreuves que
je reçois de la part de ceux que je suis
appelé à conduire. Ce
sont des épées qui
me transpercent l'âme, et un chagrin qui me
dessèche les os. Réjouis-moi donc,
oui réjouis-moi, et n'aie pas à te
reprocher devant Dieu d'avoir contribué
à abreuver d'amertumes celui qui n'a jamais
cherché qu'à te faire du bien.
Voudrais-tu donc me rendre le mal pour le
bien ? Non, j'espère encore de toi de
meilleures choses, et que tu ne me forceras pas
à pleurer sur toi jusqu'au jour de ma mort,
comme Samuel pleura sur Saül.
Quoi qu'il en soit, je ne cesserai, tant
qu'il y aura une lueur d'espérance, de
t'enseigner le bon et le droit chemin, et
d'employer à ton égard tous les
moyens que la Parole de Dieu met à notre
portée pour le relèvement des
âmes.
Adieu, mon cher.... que le Seigneur soit
ta délivrance.
Je te remets entre ses mains, car Il est
puissant pour t'édifier encore, et te donner
l'héritage avec tous les saints.
LETTRE XLIII
10 mars 1838.
La débonnaireté et un esprit
de prière habituel
Chère soeur,
Nous avons été
réjouis d'apprendre par votre lettre que
vous êtes bien de corps et d'âme. Nous
espérons que Celui qui vous a secourue
jusqu'en ce lieu-ci vous soutiendra jusqu'à
la fin, car « la gratuité du Dieu
fort dure tous les jours. » Il
n'abandonne point l'oeuvre de ses mains.
Chère soeur, je vous souhaite deux
choses, entre toutes les autres,
qui contribueront essentiellement à votre
bonheur et a votre succès. L'une, c'est de
devenir toujours plus humble et plus
débonnaire ; l'autre, d'être
toujours plus intérieurement une maison de
prières. - « Dieu fait grâce
aux humbles. » « Les
débonnaires hériteront la terre, et
jouiront à leur aise d'une grande
prospérité : »
« L'Éternel habite dans le lieu
haut et saint avec celui qui a le coeur
brisé, et qui est humble d'esprit, afin de
vivifier l'esprit des humbles. »
« Les débonnaires auront joie sur
joie en l'Éternel : »
« L'Éternel fera marcher dans la
justice les débonnaires et Il leur
enseignera sa voie. »
Voila de belles promesses, chère
soeur ; que Dieu nous donne d'en
désirer l'accomplissement, et de rechercher
cette débonnaireté à laquelle
l'Éternel attache une si grande
récompense.
Cette débonnaireté qui
nous fait devenir les imitateurs de notre Roi qui
est venu à nous, abject et
débonnaire.
Cette débonnaireté sans
laquelle il n'y aura jamais pour nous ni vraie
paix, ni vrai repos.
Cette débonnaireté qui
nous fait être toujours contents de la place
que Dieu nous donne, parce que nous croyons que
toutes les places sont trop bonnes pour nous.
Cette débonnaireté qui est
une partie de la charité qui espère
tout, croit tout, supporte tout.
Cette débonnaireté qui
attire habituellement sur nous les regards de
Jésus, lequel s'approche de l'âme
à mesure que l'âme se sent
pauvre ; qui l'élève à
mesure qu'elle s'abaisse qui l'honore à
mesure qu'elle cherche moins l'honneur et la
distinction parmi les hommes, et qui la
défend contre toutes les injustices à
mesure qu'elle est plus disposée à
supporter. C'est le caractère qui est le
plus propre à captiver ceux qui ne sont pas
encore dans la vérité et à
leur montrer qu'il y a dans la vie une impression
divine. C'est celui qui est le plus propre à
entretenir la paix entre les enfants de Dieu. C'est
celui qui assure le plus notre paix
intérieure, car il ne peut y avoir de paix
quand ou est, ou tourmenté par l'orgueil et
la susceptibilité, ou
mécontent des autres et de la part qui nous
est faite.
Je souhaite, ma chère soeur, que
Dieu, vous épargne tous les cribles par
lesquels j'ai passé pendant ma vie, pour
avoir manqué de ce caractère. Je
serai heureux non pas quand on me dira que vous
faites des choses dont les hommes parlent beaucoup,
mais quand vous me direz que vous pouvez consentir
à vivre inaperçue et que vous vous
estimez la plus petite entre tous : alors je
croirai que Dieu veut faire de grandes choses par
votre moyen.
La seconde chose que je souhaite pour
vous, c'est un esprit de prière habituel.
S'il est vrai, d'un côté, qu'à
proportion qu'on vit, on prie, selon qu'il est
écrit : « Rends-nous la vie
et nous invoquerons ton nom ; » il
est vrai, d'un autre côté, qu'à
proportion qu'on prie, on vit, puisqu'il est dit
que « l'Éternel est près de
ceux qui l'invoquent, » qu'
« Il délivre le pauvre et le
misérable criant à
Lui ; » et encore que
« celui qui demande
reçoit. »
Une vérité dont
l'expérience de chaque jour doit nous
pénétrer toujours davantage, c'est
que nul ne peut rien recevoir, s'il ne lui est
donné d'en haut.
On a beau sa maison bâtir, si le
Seigneur n'y met la main. C'est en vain que celui
qui fait le guet garde la ville, si
l'Éternel ne la garde. C'est en vain qu'on
se lève matin, qu'on se couche tard, qu'on
mange le pain de tourment ; c'est Dieu qui
donne du repos à celui qu'il aime.
Il me semble qu'il n'y a point de
vérité qui me soit rendue plus
frappante que celle-ci, c'est que la source de la
vie est par-devers Dieu, que la force Lui
appartient, et que « de nous-mêmes,
nous ne sommes pas capables d'une seule bonne
pensée. » Il me semble que
l'expérience de chaque jour censure notre
activité propre, qu'elle nous crie d'une
voix puissante : « La
délivrance qu'on attend de l'homme n'est que
vanité ! » On sent ce que
c'est que la vie, on sent que l'on en manque; on
voudrait pouvoir l'augmenter et en soi-même
et chez les autres, et toutefois on sent
profondément qu'on est
là en face d'une chose qu'on ne peut ni
saisir, ni communiquer aux autres. On peut
s'agiter, se lamenter. s'impatienter, agir de
toutes manières sur les autres, sans que
pour cela il y ait encore vie.
Les os secs se
rapprochèrent ; il se fit du bruit et
du mouvement ; les nerfs furent étendus
dessus ; il reçut de la peau et des
chairs ; et toutefois ce n'était pas
encore la vie.
Pourquoi ?
« Parce que l'Esprit
n'était pas encore en eux. »
(Ezéchiel. XXXVII.)
Que faire au milieu de cette
impuissance ? Que faire quand on a fait tout
ce qu'on pouvait, et qu'on n'a encore produit qu'un
mouvement extérieur ? Il faut faire ce
que dit l'Éternel au prophète :
« Fils d'homme, »
prophétise à l'Esprit, et dit :
« Esprit souffle des quatre
vents ! »
Quand on se voit en face de masses
plongées dans la mort spirituelle,
absorbées par les choses de la terre,
aveuglées par le prince de ce monde,
lesquelles ont les yeux plâtrés, les
oreilles bouchées, le coeur
engraissé. Quand on sent que ce qui devrait
être le levain pour faire lever toute cette
pâte, a si peu de vigueur ; ne
tomberait-on pas dans le découragement, si
l'on ne pouvait demander la vie à Celui qui
en est la source, qui ressuscite les morts, qui
fait fleurir le désert comme la rose, qui
change le désert en étangs d'eaux, et
qui fait habiter en famille ceux qui étaient
seuls ?
Oui, il ne faut pas moins que la
toute-puissance de Dieu pour ne pas se
décourager en présence des obstacles
intérieurs et extérieurs ; mais
cette toute-puissance, il faut la mettre en
mouvement par la prière, car nous ne
recevons qu'à proportion que nous demandons.
Dieu donne le saint-Esprit à ceux
qui le lui demandent. « Vous n'obtenez
pas, parce que vous ne demandez pas. » -
Certainement, si Dieu donnait à un de ses
enfants un esprit de prière habituel, s'Il
lui donnait de passer des nuits en prières
comme le fit le Seigneur, de se retirer souvent
comme Lui à l'écart pour prier ;
cet enfant de Dieu, tout chétif qu'il
fût, selon le monde,
ferait de grandes choses ; ou sentirait en lui
une puissance dont beaucoup de gens ne
soupçonneraient pas le secret, mais qui
aurait quelque chose d'irrésistible.
C'est la prière qui fait passer
de notre coeur dans notre bouche cette onction,
cette manne cachée, que rien ne remplace.
Quand il y aura des missions et des
missionnaires qui seront autant des
sociétés de prières et des
gens de prières que des
sociétés et des gens qui envoient ou
qui parlent ; alors on verra s'opérer
de grandes choses.
Hélas ! faut-il être
réduit à ne parler de ces choses
presque que par un sentiment de privation !
Toutefois, si pourtant l'on a déjà un
petit désir, il ne faut pas le
mépriser, car il vient de Dieu, et il est
peut-être comme cette petite nuée,
grosse comme la paume de la main, que vit le
serviteur du prophète, et qui
annonçait un son bruyant de pluie.
Adieu, chère soeur, que
l'Éternel soit votre force.
Votre
affectionné.
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