Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE LXX.
1844.
Ce qui est le plus facile, n'est pas
toujours ce qu'il y a de meilleur.
Mon cher frère,
Les temps où nous sommes sont des
temps difficiles. On ne peut cheminer d'une
manière qui concilie la vérité
avec la charité, qu'en balançant
continuellement le chemin de ses pieds, pour ne
tomber ni dans la faiblesse, ni dans la raideur. Ce
n'est qu'avec toutes sortes de ménagements
qu'on peut maintenir les principes sans les
présenter d'une manière qui blesse le
coeur d'autres frères et qui les repousse.
Ce n'est qu'avec des nuances de marche
très-délicates, dans certains cas,
qu'on peut repousser l'erreur qui se trouve chez
certains frères, et cependant leur rendre
témoignage comme à des frères,
et leur accorder tout ce qui doit leur être
accordé en cette qualité.
Je comprends qu'il est beaucoup plus
facile de dire : « C'est oui ou
c'est non ; ils se trompent ou ils ont
raison ; il faut les recevoir ou il faut les
rejeter ; que de chercher avec soins et
prières ces démarches
intermédiaires qui satisfont en même
temps la vérité et la
charité ; qui rendent témoignage
à ce qu'il y a de bon, tout en se
prononçant contre ce qu'il y a de mauvais.
Mais ce qui est le plus facile, n'est pas toujours
ce qu'il y a de meilleur. Ce sont ces nuances de
marche que je cherchais à vous faire saisir,
mais il paraît que je n'y ai pas
réussi.
Je trouve toujours que cette marche
précautionneuse où l'on cherche
à allier la charité avec la
vérité, est celle qui réussit
le mieux et qui donne le moins de prise à
l'adversaire. C'est celle-là que j'ai
cherché à vous conseiller, comme je
la conseille à tous en toute bonne
conscience.
Je crois aussi que, surtout dans les
temps où nous vivons, il faut bien prendre
garde d'insister également sur toutes les
portions de la Parole. Il est à craindre
qu'en cherchant à faire le contre-poids
à des frères qui n'insistent presque
que sur les promesses et qui quelquefois peuvent,
en parlant de la Grâce de Dieu, employer des
expressions dangereuses, on se jette un peu de
l'autre côté, et l'on insiste trop sur
les préceptes, de manière à
donner à la prédication une teinte un
peu légale.
Je crains que, vu la tournure de votre
caractère, ce ne soit un peu votre cas. Vous
êtes sincère ; vous craignez
qu'on abuse de la Grâce de Dieu et qu'on ne
se fasse des illusions ; et à cause de
cela, vous pesez fort sur la sanctification. Il y a
en cela quelque chose de louable. Toutefois,
souvenez-vous qu'un homme ne peut travailler que
selon les forces qu'il a, et que ce qui donne des
forces, ce sont les promesses de Dieu, la
considération de son amour et nos
privilèges en Christ.
Si l'on pousse trop fortement les
âmes à la sanctification pendant
qu'elles ont encore peu de foi, on les accable, ou
bien on les jette dans un travail propre qui ne
produit que des oeuvres forcées, sans
sève, et qui ne durent pas.
Le vrai moyen de lutter contre la
tendance des frères dont nous avons
parlé, n'est pas de faire ce qu'ils font
dans un sens opposé au leur, mais au
contraire de faire ce qu'ils ne font pas,
c'est-à-dire de mettre une exacte harmonie
entre les deux parties de l'Évangile, afin
de présenter la Grâce dans sa force et
dans sa pureté, et de tracer en même
temps les devoirs et le caractère du
chrétien, ou si l'on veut les fruits de
l'Esprit en lui, de manière à
prévenir les illusions. Celui qui tiendra le
milieu des sentiers de la droiture finira toujours
par triompher, parce qu'il a Dieu pour lui. Mais on
ne combat pas avec succès un système
en se jetant dans un autre système, parce
qu'une erreur ne guérit pas une erreur.
LETTRE
LXXI
1844.
À mesure qu'on avance dans la
vie, on apprend à plus apprécier le
Seigneur que ses dons.
Ma chère soeur
Je ne suis point étonné
des moments de tristesse qui ont
succédé aux joies que vous aviez
éprouvées. Si nos joies spirituelles
étaient toujours pures, elles feraient notre
force, et Dieu ne serait jamais obligé de
nous les retirer. Mais
très-fréquemment elles sont un moyen
d'exciter l'orgueil de notre mauvaise nature, et
elles nous deviennent un piège.
Très-souvent j'ai vu des chrétiens
fort joyeux, s'appuyer sur leurs joies, en faire
parade, traiter sévèrement ceux qui
n'en avaient pas autant, et quelquefois tomber dans
de grandes illusions sur leur sanctification.
Alors, Dieu retire pour quelques moments un don
beau en Lui-même, mais dont on abuse ;
de peur qu'il ne nous arrive comme au roi de Tyr
dont Dieu dit dans Ezéchiel ch. XXVIII,
17 : « Ton coeur s'est
élevé à cause de ta
beauté, et tu as perdu ta sagesse à
cause de ton éclat. »
Heureusement, si les grandes joies s'en vont, le
Seigneur reste avec son salut ; et à
mesure qu'on avance dans la vie, on apprend
à plus apprécier le Seigneur que ses
dons, et par conséquent à recevoir
ses dons avec moins de danger, parce qu'on les
reçoit avec plus d'humilité. Alors,
on entre dans un état plus égal
où la joie est plus paisible, plus unie, et
où l'on ne l'entretient que par
l'humilité et par le regard habituel sur le
Seigneur. J'espère que Dieu vous y
amènera tout doucement.
Je souhaite, ma chère soeur, que
dans vos voyages et déplacements vous ne
vous laissiez pas trop distraire par la vue des
choses nouvelles. Je souhaite qu'au lieu
d'accoutumer vos yeux aux
tristes superstitions dans lesquelles sont
plongés ceux qui vous entourent, vous soyiez
comme Lot qui chaque jour affligeait son âme
juste au sujet de ce qu'il voyait ou entendait dire
des hommes corrompus dont il était
entouré. Je désire que vous soyiez
toujours extrêmement réservée
dans votre conduite à tous
égards : « Veillez et
priez, » nous a dit Celui qui nous
connaît et nous aime. Je vous souhaite un
christianisme toujours plus simple, toujours plus
vrai, où ce qui paraît au-dehors soit
l'expression de ce qui est au-dedans, et où
la parole n'aille pas au delà de la
pensée, ni la pensée au delà
de la parole. Je souhaite que vous usiez de peu de
paroles avec les hommes, et que vous parliez
souvent avec le Seigneur ; que vous soyiez
fidèle dans les petites choses, et que vous
vous absteniez de tout ce qui a quelque apparence
de mal.
Adieu, chère soeur, que le
Seigneur vous fortifie en toute manière par
sa force glorieuse !
LETTRE
LXXII
1844.
Il n'y a de repos et de bien-être
pour l'âme qu'en regardant plus haut que les
hommes.
Chère soeur,
Quand le coeur souffre, les
témoignages de sympathie font toujours
plaisir, surtout lorsqu'ils viennent de ceux qu'on
aime et qu'on estime. Je ne vous dirai pas grand
chose sur mon épreuve à laquelle le
Seigneur a permis que plusieurs circonstances
aggravantes se soient jointes. Lorsque je suis
tenté de m'aigrir contre ceux qui ont
usé de ruse dans cette affaire, ce passage
me revient souvent :
« Laisse-le faire,
Dieu lui a dit : Maudis David. »
-
Il n'y a de repos et de bien-être
pour l'âme qu'en regardant plus haut que les
hommes, et voyant la verge dans la main de Celui
qui châtie, précisément parce
qu'il est Père. En remontant
jusque-là, je sens que mon coeur peut dire,
je crois par l'Esprit de Dieu : « Ne
boirai-je pas la coupe que le Père m'a
donnée à boire ? » Le
passage qui est pour moi une précieuse
direction et une consolation dans cette triste
affaire, c'est celui-ci :
« Humiliez-vous sous la puissante main de
Dieu, afin qu'Il vous élève quand il
en sera temps »
(1 Pierre V, 6).
Du reste, je sens que dans cette
circonstance j'ai besoin de faire peu de paroles et
beaucoup de prières. Que le Seigneur me le
donne.
Je remercie tous les amis de votre
maison qui prennent part à ma souffrance et
qui prient pour moi. J'ai déjà
été aidé en plusieurs
occasions par les prières d'enfants de Dieu,
et j'en ai toujours reçu une
bénédiction particulière qui
confirme les promesses faites à ceux qui
s'accordent sur la terre pour demander quelque
chose au nom de Celui qui est tout puissant
auprès du Père. Si vous étiez
rapprochée de mon domicile, il me serait
bien agréable d'aller vous visiter
quelquefois ; mais en tout temps et surtout
à présent, les courses un peu
distantes et qui ne sont pas un devoir absolu, me
répugnent. Il me semble que j'ai besoin de
rester auprès des miens et dans mon petit
coin, écoutant les instructions que le
Seigneur veut me donner, et Lui demandant qu'Il
m'enseigne à profiter.
Adieu, chère soeur, paix vous
soit en notre Seigneur !
LETTRE
LXXIII
1844.
L'Esprit saint n'a jamais dit de ceux qui
retombent, qu'ils ont été
convertis.
J'ai commencé la lecture de la petite
brochure de ...... Elle ne manque pas d'un certain
talent, et renferme de bonnes choses. Toutefois,
elle en renferme aussi que je ne crois pas justes,
et un point de vue que je crois tout-à-fait
faux c'est celui de croire que ceux qui retombent
ont eu tous les caractères des élus
et des brebis du Seigneur. Dans sa
préoccupation, il est arrivé à
l'auteur ce que j'ai déjà vu arriver
plusieurs fois en pareil cas, c'est de voir les
passages sous un point de vue tout humain, qui y
fait voir ce qui ne s'y trouve pas.
En effet, il a été
jusqu'à ajouter deux fois les mots
« convertis à Dieu, pour le
servir, » au passage
d'Hébreux VI, 4, et de
2 Pierre II, 20, qu'il rapproche
l'un de l'autre, et c'est précisément
ce qui ne se trouve pas dans ces passages.
Ce n'est pas pour rien que l'Esprit
saint n'a jamais dit de ceux qui retombent, qu'ils
ont été convertis, qu'ils sont
nés de nouveau, et que surtout il n'a jamais
dit qu'ils ont aimé. « Celui qui
aime est né de Dieu, et celui qui n'aime pas
n'est pas né de Dieu. » Donc ces
gens n'étaient pas nés de Dieu,
puisqu'il n'est pas dit d'eux qu'ils ont
aimé. Selon l'Esprit saint,
« trois choses demeurent : la foi,
l'espérance et l'amour. » Si
quelqu'un a ces trois choses qui demeurent, il ne
peut périr.
Il faut que la cause du Seigneur soit
bien forte. puisque non seulement Il permet qu'elle
soit attaquée par les ennemis, mais encore
compromise par des amis.
Cher frère, que le Seigneur vous
soit en aide et que ses mains vous suffisent en
tout temps.
LETTRE
LXXIV
1844.
Il est permis de pleurer, la nature le
demande... mais il faut pleurer en cachant sa
tête dans le sein du Seigneur.
Chère soeur,
Celui qui a fait la plaie, peut seul la
bander. Aussi ce que vos amis peuvent faire de
mieux pour vous et ce qu'ils font, c'est de
demander au Seigneur que si l'affliction a
abondé, la consolation abonde aussi par
Jésus-Christ.
On ne devrait jamais être surpris,
et pourtant je l'ai été
singulièrement de cette nouvelle si triste
par rapport à ceux qui restent, et j'ai un
peu compris, chère soeur, de quel coup votre
coeur a dû être frappé.
Toutefois, je ne doute pas que le Seigneur, en
frappant, ne se soit souvenu d'avoir compassion, et
que s'Il a frappé d'une main, Il a de
l'autre appuyé votre faiblesse, ensorte que
sa force se sera accomplie dans votre
infirmité.
Quant à notre frère qui a
été retiré, il est vraiment
bien heureux. Il a dépouillé le
mortel et le corruptible ; il est dans le
repos ; il ne voit plus les choses qu'en Dieu,
et il est loin de toutes les petitesses et les
misères affligeantes qui souillent ici-bas
le corps de Christ. Quelle heureuse transformation
ne doit-on pas éprouver lorsqu'en sortant de
ce monde, toutes les infirmités de vues et
de sanctification tombent à la fois, tous
les obstacles à l'amour disparaissent,
toutes les robes particulières se
dépouillent, et il ne reste plus que la robe
teinte dans le sang de l'Agneau, et l'amour sans
mélange pour Christ et pour
tous ses rachetés.
Oh ! vraiment, bienheureux dès à
présent les morts qui meurent au
Seigneur !
Quant à vous, chère soeur,
tout en pleurant, vous ne pleurez sûrement
pas comme ceux qui sont sans espérance. Vous
n'oubliez pas que vous avez un immense sujet de
reconnaissance envers Dieu, de ce que ce
bienheureux frère avait une foi qui
n'était pas douteuse, mais bien affermie et
bien manifestée.
Les années que vous avez
passées ensemble sont un sujet d'actions de
grâces envers le Seigneur. Elles ont eu de
bien douces heures et n'ont été
perdues spirituellement ; ni pour lui, ni pour
vous. Puis, n'avez-vous pas encore en perspective
une éternité à passer
ensemble, où vous serez toujours avec le
Seigneur ? Ceci est une réalité
dont vous avez déjà les gages et les
arrhes dans votre coeur, et la Parole de Dieu pour
garant.
Qu'il nous soit donc donné au
milieu de nos larmes des paroles d'actions de
grâces. Il est permis de pleurer, la nature
le demande, c'est un soulagement, c'est
peut-être même un moyen de
sanctification dans la main de Dieu. Mais il faut
pleurer en cachant sa tête dans le sein du
Seigneur, et en Lui disant avec cette femme du
missionnaire morave qui avait vu son mari
massacré par les indiens, et qui tombait
elle-même dans les flammes d'une maison
embrasée : « Cher Seigneur,
tout est bien ! » - Oh ! que la
puissance de l'Esprit s'exerce sur nous pour nous
faire proférer une telle
parole !
Quant aux chers enfants, ils font une
grande perte. Le Seigneur est pourtant puissant
pour la réparer, car Il est le
Réparateur des brèches et le
Père des orphelins. Les prières et la
foi du défunt leur ont laissé une
bénédiction, qui ne se révoque
point. La mémoire du juste est en
bénédiction et sa
postérité sera bénie.
J'espère que ces chers enfants
auront senti qu'un coup qui vient de les frapper de
si près doit les rendre sérieux, et
qu'ils comprendront qu'il y a
autre chose à faire dans
la vie que de jouer. J'espère que les
instructions qu'ils ont reçues de.... et qui
ont été appuyées de son
exemple, leur reviendront en mémoire, et
qu'ils sentiront qu'une grande
responsabilité pèserait sur eux,
s'ils n'en profitaient pas. Saluez-les
affectueusement de ma part, en leur donnant ce
passage, « Que ferez-vous quand la fin
viendra ? »
Adieu, chère soeur, que le
Seigneur se tienne près de vous, et qu'Il
dirige nos coeurs à l'amour de Dieu et
à l'attente de Christ
LETTRE
LXXV
22 mai 1844.
Le chrétien le plus éminent,
c'est peut-être... un chrétien dont
personne ne parle.
Monsieur et cher frère en notre
Seigneur,
Je me suis réjoui en voyant
paraître votre traduction de Leighton... La
lire, ou plutôt me la faire lire, est un
plaisir que je me réserve pour un de ces
moments où le Seigneur nous dit comme
à ses apôtres : Venez ici
à l'écart, et prenez un peu de repos.
- Mais faut-il que je vous le dise, mon cher
frère ? le plaisir que m'a
procuré votre travail, en paraissant au
jour, a été un peu gâté
par quelques jugements beaucoup trop favorables sur
mon christianisme, qui se trouvent dans votre
préface. Une personne qui est mon amie
véritable, et à qui j'avais fait
cadeau d'un exemplaire de votre traduction, sans en
avoir lu un seul mot, est revenue, avec le
même sentiment que j'ai éprouvé
moi-même en le lisant ensuite, m'apprendre
que vous faisiez dans votre préface
l'éloge de ma piété.
Mon cher frère, veuillez ne pas
prendre à mal ce que je vous dirai, et qui
est le fruit d'une assez longue expérience.
-
L'orgueil est le plus grand de tous nos
maux. C'est de tous nos ennemis celui qui meurt le
plus lentement et le plus difficilement. Les gens
du monde eux-mêmes l'ont reconnu. Mme de
Staël disait dans son lit de mort :
« Savez-vous ce qui meurt le dernier chez
l'homme ? c'est l'amour-propre. » -
L'orgueil est la chose que Dieu hait par dessus
tout, parce qu'il donne à l'homme la place
qui appartient à Celui qui seul est haut
élevé. L'orgueil est ce qui rompt la
communion avec Dieu et attire ses
châtiments ; car « Dieu
résiste aux orgueilleux ; Il
démolit la maison des orgueilleux ; Il
rabaisse la fierté de
l'homme ; » et Il dit
« qu'Il y a un jour assigné contre
tout homme hautain et
orgueilleux. »
Tels étant les faits, vous
comprenez, cher frère, qu'on ne peut pas
faire plus de mal a quelqu'un qu'en lui donnant des
louanges qui peuvent nourrir son orgueil.
« Celui qui flatte son prochain
étend le filet devant ses pas ; la
langue qui flatte fait tomber. »
De plus, mon cher frère, croyez
que nous sommes de trop courte vue pour juger du
degré de piété de nos
frères. Il faudrait, pour peser leur
degré de christianisme, les balances du
sanctuaire que nous n'avons pas, et qui sont entre
les mains de Celui qui pèse les coeurs. Ne
jugeons donc rien avant le temps, jusqu'à ce
que le Seigneur vienne, qui « manifestera
les desseins des coeurs, et qui rendra à
chacun sa louange. » En attendant, ne
portons nos jugements sur nos frères qu'avec
beaucoup de modération, soit en bien, soit
en mal, et souvenons-nous que le jugement le plus
sûr et le meilleur à porter toujours,
c'est celui qui se rapporte à nous, et par
lequel nous « estimons dans
l'humilité les autres plus excellents que
nous-mêmes. »
Si je vous demandais, cher frère,
comment vous savez que je suis « l'un des
hommes les plus avancés dans les
voies de la vie
chrétienne ; » que je suis
« un serviteur de Dieu
éminent, » vous seriez sans doute
fort embarrassé de me répondre.
Me citeriez-vous mes ouvrages ?
Mais vous, qui faites aussi des sermons
édifiants, ne savez-vous pas, par
expérience, que les yeux voient plus loin
que les pieds ne vont, et que malheureusement nous
ne sommes pas toujours et en toutes choses les
hommes de nos discours ? Nous portons ce
trésor dans des vases de terre, afin que
l'excellence de sa force soit attribuée
à Dieu et non à nous.
Je ne veux pas vous dire ce que je pense
de moi. Je m'y rechercherais probablement, et
peut-être en me recherchant pourrais-je
paraître humble, ce que je ne suis pas.
J'aime mieux vous dire ce que le Seigneur pense de
moi. Ce glorieux Maître qui « sonde
les coeurs » qui parle « en
Vérité, » qui est
« l'Amen, le Témoin fidèle
et véritable, » m'a souvent
parlé dans le secret de mon coeur ;
grâces Lui en soient rendues ! Mais je
puis déclarer que jamais Il ne m'a dit que
je fusse un chrétien éminent et
avancé dans les voies de la
vérité. Au contraire, Il me dit
très-clairement que si je savais me mettre
à ma place, je devrais m'appeler :
« Le premier des pécheurs et le
moindre d'entre les saints. » - Vous me
permettrez, mon cher frère, d'en appeler de
votre jugement à celui du Seigneur.
Je puis dire que lorsqu'on me loue,
j'éprouve deux choses ; l'une que mon
orgueil voudrait encore trouver là sa
pâture ; l'autre que ma conscience, et
même quelque chose de plus, je
l'espère, qui est en moi un commencement du
nouvel homme, se déplaît dans ces
éloges, en rougit, et même les ressent
comme une espèce de reproche de
paraître au-delà de ce que je
suis.
Le chrétien le plus
éminent, c'est peut-être, je dirai
même probablement, un chrétien dont
personne ne parle, un pauvre ouvrier, une pauvre
servante dont Jésus est toute
la joie, et qui fait toutes
choses entre elle et le Seigneur. « Les
premiers seront les derniers. »
Croyez-moi, mon cher frère,
louons le Seigneur, Lui seul est digne d'être
loué, révéré et
adoré. Jamais l'on n'a assez
célébré sa bonté.
À cela il n'y a point de danger. Le cantique
des bienheureux ne loue que Celui qui les a
« rachetés par son
sang. » Il ne renferme pas un mot
d'éloge pour aucun d'eux ; pas un mot
qui les classe en éminents et non
éminents. Tous se confondent dans le titre
commun de rachetés, qui fait leur gloire et
leur bonheur. Tâchons, mon cher frère,
de mettre nos coeurs en harmonie avec ce cantique
auquel nous espérons de joindre un jour nos
faibles voix. Ce sera notre bonheur dès
ici-bas, et cela contribuera à la gloire de
Dieu, qui souffre des éloges continuels que
les chrétiens se donnent entre eux. Nous ne
pouvons pas avoir deux bouches : l'une pour
louer le Seigneur, l'autre pour louer l'homme.
Puissions-nous faire dès à
présent comme les Séraphins qui, de
deux de leurs ailes, couvraient leur face en signe
de confusion ; de deux autres couvraient leurs
pieds, comme cachant leurs démarches
à eux et aux autres ; et de deux
volaient pour exécuter la volonté de
Dieu, en criant l'un à l'autre :
« Saint, saint. saint est
l'Éternel des armées ; tout ce
qui est dans toute la terre est sa
gloire ! »
Veuillez, cher frère, prendre en
bonne part cette petite parole d'exhortation qui,
se confondant peu à peu avec votre
expérience, vous sera tôt ou tard
utile, j'en ai l'espérance.
Je saisis avec plaisir cette occasion de
me rappeler à votre souvenir, de me
recommander à vos prières, de vous
envoyer mes salutations fraternelles en Celui qui
est notre espérance, et d'invoquer les
bénédictions du Seigneur sur vous et
sur vos travaux.
Veuillez, cher frère, si vous
faites une seconde édition, comme je
l'espère, retrancher" entièrement les
deux phrases que je vous ai signalées, et
me désigner tout
simplement comme un frère ministre du
Seigneur. Ces titres sont déjà assez
beaux par eux-mêmes, sans y rien ajouter.
Votre frère.
LETTRE
LXXVI
1844.
Que de fois on donne ou on reçoit
des impressions qui n'amènent à
rien.
J'aime les scrupules, mais non pas ceux qui ne
reposent que sur des mots. De nos jours plus que
jamais, il faut se tenir en garde contre ces
distinctions subtiles, au moyen desquelles on veut
faire avec un rien de grandes choses, avec une
paille une poutre. On a souvent besoin de se
rappeler cette exhortation de l'Esprit saint :
« Protestant devant le Seigneur que l'on
ne dispute point de mots, ce qui ne sert de rien,
et ne fait que pervertir les auditeurs »
(2 Tim. II, 14 et 15).
Je bénis Dieu des réveils
qu'Il opère dans les différents lieux
que vous visitez. Je suis sûr que la foi des
nouveaux convertis retrempe souvent la vôtre.
On a quelquefois honte d'évangéliser
des âmes qu'on sent être plus vivantes
que soi-même. Mais tout cela est bon pour
humilier et pour rappeler que « le
Seigneur met son trésor dans des vases de
terre, afin que l'excellence de sa force soit
attribuée à Dieu et non aux
hommes. »
J'ai bien aimé vos
réflexions sur l'abus des choses permises,
mais il faut aller à la pratique et dire
avec Paul : « Toutes choses me sont
permises, mais je ne me rendrai
esclave de rien. » -
Bien comprendre une chose, n'est pas la pratiquer.
En toutes choses nous devrions chercher plus encore
que la connaissance, cette puissance de l'Esprit
par laquelle Christ est vivant au milieu des siens.
Sans cela on émeut ou on est
ému ; on persuade ou on est
persuadé ; on dévoile le coeur
des autres ou le nôtre nous est
dévoilé ; on montre ce qu'on
devrait être ou ou le sent ; mais on en
reste là, parce qu'il manque la puissance de
l'Esprit qui est créatrice et qui seule
donne la vie, et par conséquent
l'exécution. Que d'illusions à cet
égard ! que de fois on donne ou on
reçoit des impressions qui n'amènent
à rien, parce qu'elles ne sont pas l'effet
de la puissance de l'Esprit ; et pourtant on
s'en sait gré, ou s'en contente, on s'endort
là-dessus, et on se passe de la vie, pourvu
qu'on ait des ébranlements qui y
ressemblent. Aussi la chair qui y trouve son compte
se met en chemin pour donner ces
ébranlements ou pour les recevoir ;
mais tout cela n'est qu'une tromperie qui
'n'amène qu'à se contenter d'une
lampe sans huile.
LETTRE
LXXVII
Juillet 1844.
« Telle est ma foi j'en reste
là, Dieu me soit en
aide ! »
Si le sort des Églises tenait
à une pauvre créature comme moi ou
à un titre pris ou laissé, il
tiendrait à bien peu de chose. Mais,
grâces a Dieu, ma foi est autre que
celle-là, et tout en reconnaissant la
faiblesse et les infirmités des
Églises, je les reconnais par la foi , comme
des chandeliers d'or, ainsi que
le Seigneur reconnaissait encore pour telles deux
ou trois des Églises d'Asie, où il y
avait tant de mal, de tiédeur et de mort,
avec l'orgueil par dessus.
Si nous nous faisons châtier par
le Seigneur, c'est notre faute ; mais toujours
est-il vrai qu'il y a des Églises, des
chandeliers d'or, au milieu desquels le Seigneur se
promène ; aussi je regarde comme une
opposition à la volonté du Seigneur
l'idée d'abolir les Églises.
J'y ai foi, encore que je les verrais
toutes périr sous mes yeux, tout comme j'ai
foi à la conversion et à
l'élection, quand même je verrais tous
ceux qui paraissent enfants de Dieu, retourner en
arrière. Je puis dire avec Luther terminant
la lecture de sa confession de foi à la
diète de Worms : « Telle est
ma foi j'en reste là, Dieu me soit en
aide ! »
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