Oeuvres posthume de A.
Rochat
Ministre du
Saint Évangile
LETTRE C.
Février 1847
La Cène et les
ministères.
Quant à la dénomination de
dissident, je ne l'accepte nullement. Je reconnais
des chrétiens nationaux et des
chrétiens
séparés du culte du monde :
voilà tout.
Quant à la Cène, je ne la
donne ni ne la refuse, parce que je ne vois pas un
seul passage dans l'Écriture sainte qui
autorise à demander la Cène, à
la donner ou à la refuser. S'il y en a,
qu'on me les cite.
Dans quelque endroit que je fusse
appelé à aller, je déclare que
jamais je ne demanderais la Cène à
aucune congrégation. Je m'approcherais tout
simplement d'une assemblée de frères
en leur disant : Je viens à vous comme
frère, et comme ayant reçu
miséricorde de la part du Seigneur. Je
demande a être reçu par vous comme
tel, et à cheminer avec vous dans tous les
commandements et dans toutes les ordonnances du
Seigneur, qui nous seront connus, suivant une
même règle dans les choses auxquelles
nous sommes parvenus, et attendant pour le reste
que Dieu nous manifeste ce qui en est.
Si ces frères ne me connaissaient
pas, je leur laisserais la liberté et le
temps de faire ce qu'ils voudraient pour
vérifier ma qualité de frère.
Mais jamais je ne leur demanderais la Cène,
parce que dès que je suis reconnu comme
frère, et que je veux marcher dans les
ordonnances du Seigneur, à moi connues,
personne n'a le droit de m'éloigner de la
Cène, qui est le repas de la famille.
En conséquence, si quelqu'un
vient me demander la Cène, je lui
déclare que sa demande n'a point
d'antécédent dans la Parole, et que
je ne puis la lui accorder, ni la lui refuser, mais
que s'il est frère, et s'il veut marcher
avec la famille dans les ordonnances du Seigneur,
il a droit à tous les privilèges de
la famille. Dans les choses où nous
différerions, je chercherais à
l'instruire. Dans celles qu'aucun chrétien
ne peut méconnaître, telles que la
surveillance, les communications fraternelles
diverses, les secours temporels et spirituels, s'il
y manquait, je l'avertirais, je l'exhorterais, je
le reprendrais, et s'il n'écoutait pas, je
suivrais à son égard la même
marche qu'envers tout autre membre de l'Eglise.
S'il me disait : Je ne serais pas de l'Eglise,
je ne suis que communiant ;
je lui répondrais : Je n'admets pas
deux sortes de frères et de communiants ce
qui oblige les uns oblige les autres, et le
Seigneur a donné une même règle
à tous.
Quant aux passants, s'ils sont connus
pour frères, et s'ils demandent la
Cène, on ne s'y oppose point, pourvu qu'ils
déclarent qu'ils sont en paix avec l'Eglise
à laquelle ils appartiennent. C'est ainsi
que plus d'une fois des frères d'une autre
localité et de vues différentes des
miennes ont participé avec nous à la
Cène, ce qui prouvait que ceux-là
n'étaient pas schismatiques.
Si vous ne trouvez pas ma marche
biblique, veuillez me dire en quoi elle
pèche. Quant à moi, je vois de grands
inconvénients à introduire la marche
non biblique d'accorder ou de refuser la
Cène. C'est le vrai moyen d'introduire
toutes sortes d'idées fausses et
relâchées, en présentant les
chrétiens comme réunis autour de la
Cène, ce que l'Écriture n'a jamais
fait, au lieu de les représenter comme
étant réunis autour de
Jésus-Christ et de sa Parole, sous la
direction du saint-Esprit.
Voici, cher frère, par rapport au
ministère, quelques principes qui me
paraissent, je ne dirai pas incontestables, car un
conteste tout, mais certains d'après la
Parole.
1° Tout ministère suppose un
don de Dieu, qui précède la
reconnaissance ou l'établissement de ce
même ministère.
2° Il est des ministères,
tel que celui de prophète, supposant
l'inspiration, dont on juge, mais qu'on
n'établit pas, parce que personne ne peut
régler l'inspiration et établir un
homme pour prophétiser, à moins que
Dieu n'ait dit comme a Elie Tu oindras un tel pour
te remplacer.
3° Quant aux ministères qui
supposent non l'inspiration, mais des dons ou des
qualités, ils doivent être reconnus et
établis, soit par nomination de
l'église, soit par imposition des mains
d'autres ministères : témoin
l'élection d'un apôtre
Acte I, celle des diacres chap.
VI, et l'établissement des
anciens par les apôtres
(Acte XIV, 23). Voyez aussi les
épîtres à
Timothée et à
Tite, et en particulier
1 Tim. IV, 14.
4° Je pense que les dons se
manifestent dans l'Eglise avant
l'établissement, et que c'est
précisément cette manifestation qui
détermine le choix et
l'établissement. Toutefois, je crois que le
ministère doit être reconnu et
régularisé par
l'établissement, et que l'imposition des
mains donne tout au moins le plein droit de porter
le titre de la part de Dieu, et je suis fort
porté à croire, d'après
2 Tim. I, 6, qu'elle augmente le
don.
Je crois qu'en effet on a abusé
des ministères dans l'Église
nationale, où l'on suppose. souvent que la
consécration donne les dons des
ministères au lieu de les reconnaître.
Si cette fausse doctrine n'est pas admise en
système, elle l'est au moins de fait par le
grand nombre. Outre cet abus, il y a encore celui
de croire qu'un homme ne peut pas cesser
d'être ministre, lors même que les dons
cesseraient. Puis il y a l'erreur de croire que les
ministres sont l'Eglise ; de leur donner une
autorité sans contrôle ou
à-peu-près, de la part des
frères ; et enfin d'en faire des
espèces de sacrificateurs qui s'interposent
entre Dieu et les âmes.
Mais en voulant redresser ces abus,
prenons garde de ne passer nulle part la borne de
l'autre côté. Serait-ce faire honneur
au saint-Esprit et rendre son action plus libre que
de décrier les ministères qu'Il a
établis, et par lesquels Il agit
(Rom. XII) ? Souvenons-nous que
l'orgueil de l'homme peut passer d'une
manifestation sous forme de ministère,
à une manifestation sous forme
d'anti-ministère.
Quand vous dites que le ministère
précède l'Eglise, je crois que vous
généralisez trop la chose. D'abord,
il est des cas où une Église se forme
par le réveil que Dieu opère par le
moyen d'un chrétien pieux, qui n'a aucun don
de ministère, et qui, lorsque l'Eglise est
formée, ne manifeste aucun don particulier.
Secondement, dans plusieurs cas, une Église
est formée par des ministères
déjà reconnus et
envoyés par des
Églises déjà formées.
Tel est le cas de la plupart des missionnaires. Si
les apôtres existaient avant les
Églises, ils avaient été
établis par Jésus-Christ ; et,
pour le dire en passant, je ne vois dans
l'Écriture que des ministères
établis ou par des Églises ou par des
ministères supérieurs.
Quant à l'assemblage des saints,
ce qu'il y a pour moi de certain, c'est que le
Seigneur le veut. Quand et jusqu'à quel
point l'accomplira-t-Il avant sa venue, c'est ce
que j'ignore. Mais sur quoi je n'ai aucun doute,
c'est que je dois y tendre, parce qu'en toute
chose, je dois tendre à ce que la
volonté de Dieu se fasse. Tout ce que je
puis faire, c'est de déclarer en toute
occasion que je crois que telle est la
volonté de Dieu ; ensuite de demander
à Dieu qu'Il accomplisse cette union quand
Il voudra et comme Il voudra ; enfin, de faire
dans ma position tout ce que je puis pour l'amener,
soit par un esprit de paix et de charité,
soit en posant et en maintenant les vrais principes
de l'union des saints. Il est vrai qu'il est
souvent difficile d'unir en ce point la
vérité avec la charité, mais
ici comme en toutes choses, il faut tendre à
la perfection, et profiter de ses chutes
mêmes pour se relever.
Dieu nous garde de tout système
qui conduit à faire de l'union en paroles et
du schisme en pratique !
Il faudrait, sans
arrière-pensée, s'accorder tous sur
ce principe, que tout ce qui est né de Dieu
doit s'unir en dehors du monde autour de Christ et
de sa Parole.
Que le Seigneur pose sa
bénédiction sur tout ce que je vous
ai dit de conforme a sa Parole. Qu'Il vous rassasie
de sa bonté chaque matin, et qu'Il dirige
l'oeuvre de vos mains !
LETTRE
CI
1847.
En parlant de commentaires sur
l'Apocalypse.
Cher frère,
Je vous ai adressé des questions
sur le commentaire de l'Apocalypse de ...., parce
que, quoique je sois défiant à
l'égard des divers systèmes
d'explication, dont aucun ne s'est encore
légitimé à moi comme vrai,
surtout dans les détails et dans la
manière de lever les difficultés
qu'offrent les apparentes contradictions ;
cependant je suis très-amateur de tout
travail sur ce sujet, quand il présente un
ton de modestie et de modération.
J'ai plus d'une fois
éprouvé, en lisant l'Apocalypse, une
espèce de chagrin de ne pouvoir
découvrir le vrai sens de ces
prophéties. Avec tout cela, j'aime mieux
porter les inconvénients de l'ignorance, que
ceux d'une interprétation
téméraire des Écritures.
Ce n'est pas peu de chose que de faire
dire à l'Esprit saint ce qu'il n'a pas dit,
et d'affirmer, comme sûr, ce qui n'est point
certain. J'ai lu la lettre de.... sur
l'enlèvement de l'Eglise, et en
vérité je ne voudrais pas
interpréter l'Écriture de cette
manière, bien que je croie pleinement ce que
la Parole dit de cet enlèvement ; et
surtout, je ne voudrais pas avoir le malheur de me
débarrasser du
chap. XXV de saint Matthieu quand il
gênerait mon système, en le renvoyant
en quelque sorte aux Juifs, et disant :
« Est-ce dans un Évangile
écrit pour les Juifs, qu'on doit aller
chercher les destinées de
l'Eglise ? »
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que
c'est dans cet Évangile juif que se trouve
deux fois le mot Église, la promesse de sa
permanence, la règle qu'elle doit suivre
envers ceux qui ne l'écoutent pas, et la
promesse que le Seigneur fait de ratifier dans le
ciel ses décisions. C'est
même au chap.
XVIII, verset 20, que les personnes
qui partagent les vues de l'auteur de la lettre,
trouvent le seul passage autour duquel,
disent-elles, les chrétiens puissent se
rassembler aujourd'hui. Que de fois ne l'ont-elles
pas mis en avant ! Puis, quand cela leur
convient, l'Évangile selon saint Matthieu,
se transforme tout-à-coup en un
Évangile juif où il n'est plus
question de l'Eglise.
Dieu veuille empêcher une pareille
exégèse de se répandre
davantage !
Quant à l'Apocalypse, je pense
comme vous, que les événements
l'éclairciront singulièrement ;
comme il n'y a rien qui harmonise autant les
doctrines chrétiennes que de les mettre en
pratique.
J'accepte tous vos bons voeux, d'autant
plus que je pense qu'ils viennent du Seigneur qui
vous les a mis au coeur.
Les miens, pour vous et pour les
vôtres, sont au moins sincères. Pour
les exprimer par une portion de la Parole, je vous
envoie les versets
20 et 21 du chap. XIII des
Hébreux.
Je viens d'achever la lecture de Jonas.
Il m'a fait grand plaisir. Jusqu'à la
méditation sur l'égoïsme, je le
trouvais bon ; mais, dès lors, tout est
allé en croissant pour le fond et pour la
forme, tellement qu'il m'a été
évident que Dieu a donné à
l'auteur, à mesure qu'il travaillait, selon
cette parole : « A celui qui a, il
sera donné, et il en aura
davantage. »
Outre les choses excellentes pour le
fond, et très-heureusement exprimées,
ce qui m'a fait un grand plaisir, c'est
l'équilibre des doctrines. La Grâce y
est annoncée avec largeur sans porter
aucunement atteinte aux exhortations sanctifiantes.
Le coeur est au large dans la Grâce, et
pourtant il n'est pas au large avec le
péché, et le tout y est
annoncé, non systématiquement, par
chapitres et par numéros, mais fondu
ensemble comme dans la Parole de Dieu. Cela fait
d'autant plus de plaisir, que cette manière
d'écrire n'est pas très-commune de
nos jours. J'avais eu moi-même une
fois l'intention d'écrire
sur cette portion des Écritures, mais en
lisant le Jonas du frère j'ai bien vu
pourquoi Dieu avait fait traiter ce sujet par un
autre. Le Seigneur fait toujours cultiver le champ
dans chacune de ses parties, par celui à qui
Il donne d'y trouver le plus de trésors en
fouillant.
LETTRE
CII
L'admission dans l'Église.
Cher frère en Christ,
Parlons aujourd'hui des admissions, et
en traitant ce sujet, permettez-moi de suivre pas
à pas ce que vous dites dans votre
lettre.
Vous dites : « Hé
bien ! oui, si j'étais appelé
à rassembler une Église, je
demanderais à ceux qui voudraient en faire
partie, une profession de foi au Sauveur et de
conversion. Mais je me contenterais de cette
profession non démentie par la
conduite. » - Ici, plein accord avec
vous. Ainsi, passons outre.
Vous dites : « Je ne
m'exagérerais pas ma responsabilité,
quant à ces admissions, sachant que Dieu
seul connaît les coeurs, et que Lui seul
aussi connaît ceux qui sont
siens. » -
Je pense comme vous, que même en
demandant la profession de conversion non
démentie par la conduite, on doit s'attendre
à la possibilité d'introduire
quelquefois dans l'Église des hypocrites ou
des gens qui se trompent eux-mêmes. J'admets
qu'en pareil cas l'on n'est pas responsable du fait
par là même qu'on n'a pas reçu
le don de sonder les coeurs. J'admets que pour
recevoir une personne dans
l'Eglise, il n'est nullement nécessaire
d'avoir une pleine certitude de sa
conversion ; car Dieu ne nous appelle à
juger de l'arbre que par son fruit.
Ici encore, je pense que l'accord est
entier entre nous ; tout comme dans ce que
vous ajoutez que « quelque
précaution que prennent les chrétiens
ils seront toujours exposés à avoir
de faux frères parmi eux. »
Je ferai seulement observer en passant,
que nous ne serions responsables de l'introduction
des faux frères, que dans le cas où
nous n'aurions pas pris les précautions
voulues par la Parole qui nous ordonne
« d'éprouver les
esprits, » de « ne pas croire
à tout esprit, » de
« juger de l'arbre par son fruit, etc.,
etc. »
Vous dites : « J'aimerais
infiniment mieux tenir la porte un peu trop
ouverte, que de risquer de la fermer à
quelque enfant de Dieu, que je n'ai pas le droit
d'exclure. »
Ici encore, j'exprime ma satisfaction de
ce que nous sommes d'accord ; et je puis vous
dire qu'en général, il y a dans les
Églises bien plus de penchant a à
recevoir trop facilement, qu'à être
trop sévère. Cela se conçoit
aisément, comme étant l'effet de ce
désir naturel qu'a toute
société d'augmenter ses membres. Au
surplus, quand un refus d'admission se ferait par
erreur, il serait facile de réparer cette
erreur dès qu'elle serait reconnue.
Vous dites : « Je
n'admets ni ne comprends vos quinze jours d'attente
avant l'admission. Vous qui, à l'ordinaire,
appuyez sur la Parole tous les détails
d'organisation d'Église, ici vous ne faites
plus que raisonner, tirer des inductions,
présenter des considérations de
convenance et d'utilité.
En effet, non seulement la Parole ne
prête pas à cette manière
d'agir, mais elle y est directement contraire.
Fit-on attendre 15 jours aux 3000, aux 5000, au
geôlier, à Lydie, à l'eunuque,
etc., etc. ? Sous le point de vue de la
convenance, je comprendrais encore cette marche
relativement à des étrangers,
à des inconnus, arrivant
au milieu de vous et vous demandant l'entrée
de l'Eglise. Mais elle est plus qu'étrange
à l'égard de frères que vous
traitez depuis long-temps comme tels, dont vous ne
mettez point en doute la foi et la conversion, et
qui, en demandant l'entrée, ne font que
réclamer un droit qu'ils tiennent du
Seigneur. »
Ici, mon cher frère, nous ne
sommes pas complètement d'accord. C'est
pourquoi, permettez-moi de vous présenter
les observations suivantes, que je vous prierai de
peser avec attention.
1° Quant à moi, je n'aurais
pas la moindre opposition à ce qu'un
frère connu et traité comme
frère par toute l'Eglise, fût
reçu à l'instant même où
il présente sa demande. Je pense même
que dans un cas pareil, il serait
tout-à-fait déraisonnable de le faire
attendre un seul jour. Mais permettez-moi de vous
faire observer que le cas où un homme
présenté, est connu et traité
comme frère par toute l'Église, n'est
pas si commun que vous le pensez. J'ai vu plus
d'une fois arriver que des membres d'Église,
soit faute de discernement, soit par suite
d'affections particulières, traitaient comme
frères oui soeurs des personnes contre la
conversion desquelles d'autres membres de l'Eglise
avaient des objections fondées sur des faits
qui n'étaient connus que d'eux et qui leur
faisaient mettre des oppositions momentanées
à une réception, que les autres, dans
l'ignorance de ces mêmes faits, auraient
probablement consenti à faire le même
jour.
Permettez-moi de vous faire observer
encore, que pour s'assurer si un membre est
regardé comme frère par toute
l'Église il faut que sa présentation
ait pu être connue de tous. Or, dans une
Église tant soit peu nombreuse, et dont une
partie des membres habite hors du lieu de
l'assemblée. il faut bien au moins quinze
jours pour qu'on puisse s'assurer que la
présentation a été connue de
tous, et que tous ont eu le temps de faire leurs
oppositions, on de montrer par leur silence qu'ils
n'en avaient point à faire.
À supposer
même que toute
l'Église fût réunie le dimanche
où l'on présente la demande d'un
frère, je verrais quelque
inconvénient à exiger que ceux qui
auraient des oppositions, les présentassent
à l'instant même ou se levassent pour
dire qu'ils en ont. On a quelquefois besoin d'un
temps de réflexion, afin de décider
si ce que l'on connaît sur une personne est
suffisant ou non pour faire opposition à son
entrée. De plus, il est certains cas
où, par timidité ou par crainte des
hommes, tel membre de l'Eglise n'oserait pas se
lever pour mettre opposition à
l'entrée de quelqu'un qui est
généralement en faveur près du
reste de l'Église.
Enfin, il est des cas où l'on
serait bien aise de s'éclairer sur certaines
choses avec une personne présentée,
et où cependant on hésiterait
à se lever devant tout le monde pour faire
opposition.
Je crois qu'un délai de quinze
jours, qui ne fait aucun mal à la personne
présentée, pare à ces
inconvénients et met tout le monde à
l'aise.
2° Ma seconde observation
générale porte sur ce que vous me
reprochez de ne pas m'appuyer sur la Parole, quant
aux admissions, et de ne pas me conformer à
l'exemple des temps apostoliques, où l'on ne
faisait point attendre ceux qui se
convertissaient.
À cela, j'ai à
répondre que personne plus que moi ne
respecte l'exemple, des temps apostoliques. Je
crois même qu'il fait règle, lorsqu'il
est uniforme et constant.
Mais il est une précaution
à prendre dans l'imitation, c'est de bien
s'assurer en répétant exactement une
action, qu'on fait la même chose que ceux que
l'on veut imiter. Car il pourrait arriver que la
même manière d'agir étant
employée dans des circonstances
tout-à-fait différentes, loin
d'être une imitation ne serait qu'une
espèce de contre-façon. On serait
copie exacte quant à la lettre, et imitation
fort inexacte quant à l'esprit. On serait
copiste et non pas imitateur. On saisirait les
traits, mais non pas la physionomie. On serait
comme ces traducteurs qui pour
vous traduire plus fidèlement, vous
traduisent mot à mot, et laissent de
côté l'esprit de vos phrases, et par
conséquent votre véritable
pensée.
Appliquant ce principe au sujet qui nous
occupe, je crois que ce serait être copiste
et non imitateur de l'exemple apostolique, que de
vouloir, à des circonstances toutes
différentes, appliquer la facilité de
réception qu'on voit chez les apôtres.
Ils recevaient à l'instant des personnes qui
passaient incontinent des ténèbres du
paganisme ou des superstitions judaïsme a la
profession de la foi chrétienne,
c'est-à-dire des personnes qui, d'ennemies,
se déclaraient publiquement amies, et cela
en face de la persécution, ou du moins d'un
opprobre tel que même ceux qui donnaient de
grandes louanges aux disciples, n'osaient pas se
joindre à eux
(Acte V, 13).
Si je me trouvais en pays païen ou
dans un temps de persécution, et que je
visse des ennemis déclarés de
l'Évangile demander de passer
immédiatement et publiquement dans les rangs
des chrétiens, en général, et
à moins que je n'eusse contre quelqu'un
d'eux des raisons valables de défiance, je
les recevrais à l'instant.
Mais lorsque des personnes qui depuis
long-temps ont connu de tête une partie des
vérités évangéliques,
qui peuvent avoir certains motifs pour entrer dans
une Église, qui ne souffrent pour cela ni
opprobres ni persécutions, viennent à
se présenter pour être reçues,
je crois qu'imiter exactement la manière de
faire des apôtres, dans un cas aussi
dissemblable, ce serait être copiste servile,
et faire réellement une chose
différente de celle qu'ils ont faite
eux-mêmes.
La même chose n'a pas la
même valeur dans tous les temps. Ce serait
donc faire erreur que de taxer à la
même valeur ces deux cas différents de
profession de foi, et d'en tirer les mêmes
conséquences.
Remarquez, enfin, que même du
temps des apôtres, les chrétiens ont
fait quelques difficultés de croire à
la conversion d'un ennemi de
l'Évangile. C'était à celle de
Saul de Tarse. Ananias faisait difficulté
d'aller auprès de lui, et le Seigneur fut
obligé de lui affirmer la conversion de Paul
(Acte IX, 13-15). Bien plus, lorsque
Saul arrivé à Jérusalem
voulait se joindre aux disciples, tous le
craignaient, ne croyant pas qu'il fût
disciple ; et ils ne le reçurent comme
tel que lorsque Barnabas eut raconté sa
conversion, prouvée par le fait de sa
confession courageuse du nom de Christ
(v. 26 et 27).
Il suffit de cette seule exception pour
m'autoriser à avoir dans certains cas
quelque défiance, et à employer de
certaines précautions.
3° Enfin, vous me reprochez de
« raisonner, de tirer des inductions, de
présenter des raisons de convenance et
d'utilité, etc., etc. »
À cela, je vous réponds
que, comme je vous l'ai fait remarquer dans ma
précédente lettre, vous-même
vous établissez certaines choses par
méthode d'induction et de raisonnement.
comme par exemple que la Cène appartient
à tout ce qui est né de Dieu.
Pourvu que les inductions qu'on tire des
passages de la Parole soient légitimes et ne
heurtent aucun autre passage, je crois qu'elles
sont très-valables.
Remarquez que ce n'est que par induction
que vous pouvez dire que certaines choses sont
défendues par la Parole de Dieu. Le suicide,
le spectacle, la danse, une quantité de
détails sur le luxe, et bien d'autres
choses, ne sont point formellement défendues
dans la Parole, et ce n'est que par induction que
vous pouvez les condamner. Néanmoins, vous
les condamnez avec pleine certitude de foi.
Quant aux raisons de convenance et
d'utilité, j'avoue que je ne crois pas
qu'elles doivent être avancées, quand
il y a des préceptes positifs. Alors, il n'y
a autre chose à faire qu'à
obéir. Mais quand il s'agit d'un
modèle dont on cherche à saisir
l'esprit, je crois qu'alors les raisons de
convenance sont de quelque
poids, du moins si l'on entend par convenance ce
qui s'accorde avec la prudence et la
charité. Car il est impossible de croire
qu'on entre dans l'esprit véritable
d'imitation, lorsqu'on manque à l'une ou
à l'autre.
Enfin, vous-même, mon cher
frère, vous ne mettez pas tout-à-fait
de côté les raisons de convenance,
puisque vous dites dans votre lettre :
« Sous le point de vue de convenance, je
comprendrais encore votre marche relativement
à des étrangers, à des
inconnus, etc., etc. »
Voilà, mon cher frère, ce
que j'avais à vous dire sur les
admissions.
C'est bien fraternellement que je vous
salue en Celui qui est notre commune
espérance.
LETTRE
CIII
1847.
Si l'on voit le mal, il faut aussi voir le
bien.
Mon cher frère,
Le temps court vite. Il ne me semblait
pas que quatre mois se fussent
écoulés depuis ma dernière
lettre. Mais, quand on a beaucoup à
écrire, il se trouve souvent que quelqu'un
reste en arrière, et ordinairement ce sont
les meilleurs amis qui sont négligés,
parce qu'on pense qu'ils sont indulgents.
La décadence de .... est sans
doute une chose fort triste, mais nous savons par
la Parole que « la foi n'est pas de
tous, » et qu'il faut qu'il soit
prouvé par de tristes expériences que
« tous ne sont pas des
nôtres. » Ceci doit sans doute nous
crier : « Que celui qui se croit
debout prenne garde qu'il ne
tombe », et nous engager à
« garder la foi avec une bonne
conscience, » mais ne doit nullement
ébranler nos espérances.
Si le diable renverse la foi de quelques-uns, si
quelque Démas abandonne Christ, aimant le
présent siècle ;
« toutefois le fondement de Dieu demeure
ferme, ayant ce sceau : « Le
Seigneur connaît ceux qui sont siens, et
quiconque invoque le nom de Christ, qu'il se retire
de l'iniquité. »
Je pense que ceux qui se retirent, n'ont
jamais en un témoignage de droiture au
dedans d'eux, ou plutôt que jamais ils ne se
sont bien examinés sur leur droiture, ni ne
se sont défiés de leurs voies ;
que jamais ils n'ont recherché la droiture
et dit à Dieu : « Rends-moi
intègre dans la voie de tes commandements,
afin que je ne rougisse point de
honte ; » ou s'ils l'ont dit,
c'était par forme et non sincèrement.
L'homme droit ne peut pas tomber, parce
que l'intégrité et la droiture le
gardent, et que se dévoilant à Dieu
tel qu'il est, il éprouve l'effet de cette
promesse : « Si nous Lui confessons
nos péchés, Il est fidèle et
juste pour nous les pardonner, et pour nous
purifier de toute iniquité »
(1 Jean I, 9). Il est dit que
« celui qui marche en
intégrité, marche en assurance ;
mais que celui qui pervertit ses voies, sera
connu. » Il est dit :
« Prends garde à l'homme
intègre et considère l'homme droit,
parce que la fin d'un tel homme est la
paix. »
Ne nous fions pas à
nous-mêmes. Demandons à Dieu de nous
faire marcher par le milieu des sentiers de la
droiture. Il le fera, car il est écrit au
Ps. XXV : « Il fera
marcher dans la droiture les débonnaires, et
Il leur enseignera sa voie. »
Le genre d'épreuve où vous
passez, quoique fort triste, ne
m'ébranlerait nullement. Les primitives
Églises, quoique fondées par les
apôtres, ont vu des choses pires que tout
cela. Paul témoignait avoir beaucoup
à souffrir de ce côté
là. Voyez en particulier
2 Cor. XI, 28, 29, où il faut
traduire : affaibli au lieu de affligé.
Voyez aussi le chapitre suivant, versets
15 et 20. - On fait
quelquefois une espèce de
roman sur les Églises primitives, roman
contredit par l'examen attentif des
épîtres, et dont le mauvais effet est
de décourager, et de faire dire :
« Nous ne sommes plus des Églises,
l'Esprit de Dieu n'agit plus au milieu de
nous, »
Si l'on voit le mal, il faut aussi voir
le bien, et bénir Dieu quand il n'y a pas
des schismes et des hérésies, et
quand une Église ne tolère pas les
scandales et ne souffre pas les méchants
(Apoc. II, 2). Il faut qu'un corps
ait encore quelque force de constitution quand il
peut se débarrasser des humeurs qui le
surchargent, et que son estomac peut rejeter les
aliments malsains et qui ne peuvent s'incorporer
avec la substance du corps. Un corps
délabré n'a plus la force d'avoir des
crises favorables. Au milieu de tous nos chagrins,
nous avons toujours plus lieu de nous convaincre de
la sagesse et de la beauté des règles
données aux Églises dans la Parole,
et plus d'une fois nous avons été
amenés à voir que le Seigneur
était an milieu de celles qui se tiennent
à ses ordonnances.
Comme vous, j'ai été plus
d'une fois confus par la comparaison entre ma vie
et celle d'un Paul ou d'autres serviteurs de Dieu,
d'un dévouement pareil. Je crois que si nous
demandions ce plein dévouement, nous le
recevrions, car d'un côté nous ne
pouvons pas nous le donner, et de l'autre, je ne
puis croire que Dieu le refuse à celui qui
le demande. Je crains que nos désirs
n'aillent beaucoup moins loin que nous ne le
pensons, et que nous ne manquions encore beaucoup
de faim et de soif de la justice, car il est dit,
que ceux qui l'ont, seront rassasiés, Que
faire donc ? S'humilier, et demander le
désir à Celui qui produit en nous la
volonté et l'exécution selon son bon
plaisir.
Voulez-vous que je vous dise une chose
que j'admire encore plus en Paul que son
zèle et que son dévouement ?
C'est son humilité et sa charité. Il
est si rare de trouver des gens zélés
qui ne s'enflent pas d'orgueil, qui ne
méprisent point les
autres, qui n'écrasent pas les faibles, qui
n'aient pas l'esprit de parti, qui reprennent avec
bonté et charité en même temps
qu'avec fermeté.
Quant à Paul, il pouvait dire
avec vérité qu'il n'avait
cherché nulle part la gloire qui vient des
hommes ; qu'il ne se glorifiait qu'en la croix
de Christ ; qu'il lui importait peu
d'être jugé par aucun jugement
d'homme. Il se plaisait à s'appeler le
moindre des saints, le premier des pécheurs.
S'il est obligé de parler de ses travaux, il
ajoute tout de suite : « Non pas
moi, toutefois, mais la Grâce de Dieu qui est
avec moi. » Il se réjouit de ce
que Christ est prêché, même par
des gens qui croient lui faire de la peine et
ajouter un surcroît d'affliction ses liens.
Il est doux au milieu des Églises, comme une
nourrice qui nourrit tendrement ses chers enfants.
Il est prêt à donner Sa vie pour ses
frères, quoique en les aimant davantage, il
en soit moins aimé. Il se réjouit de
servir d'aspersion sur le sacrifice et l'offrande
de leur foi. Il se justifie avec une patience
incroyable auprès de l'Eglise de Corinthe
qu'il a fondée, et qui a permis qu'on
dénigrât au milieu d'elle son
apostolat. Il lui parle avec une tendresse
étonnante.
« 0 Corinthiens ! notre
bouche s'est ouverte pour vous, notre coeur s'est
élargi ; vous n'êtes point
à l'étroit au dedans de nous, mais
nous sommes à l'étroit dans vos
entrailles. Nous parlons, très-chers, devant
Dieu et pour votre édification. Nous avons
de la joie lorsque nous sommes dans la faiblesse,
pourvu que vous soyez forts ; et ce que nous
demandons à Dieu, c'est votre parfait,
affermissement. »
Est-il obligé, pour justifier son
apostolat, de parler des grâces qu'il a
reçues ? Il se hâte
d'ajouter : « Je parle en
imprudent, » Est-il obligé de
censurer l'Eglise ? Il écrit avec
beaucoup de tristesse de coeur et avec beaucoup de
larmes, et il a un repentir momentané de les
avoir attristés. Mais ensuite il se
réjouit, non de leur tristesse, mais de leur
repentance. Il déteste les schismes et les
divisions. Il a horreur de la
pensée qu'on nomme de son nom, et Il
s'écrie : « Paul a-t-il
été crucifié pour vous ?
Avez-vous été baptisés au nom
de Paul ?
Il recommande sans cesse de rester unis
dans un même sentiment en Christ, de suivre
une même règle dans les choses
auxquelles on est parvenu, de conserver
l'unité de l'Esprit par le lien de la
paix ; d'être un même amour, un
même coeur, une même âme,
consentant, tous a une même chose. Il
s'afflige des divisions et les attribue à un
esprit charnel, et recommande de prendre garde
à ceux qui les causent et de s'en
éloigner.
Il recommande de former le corps de
Christ bien joint par la liaison de toutes ses
parties qui communiquent les unes avec les autres.
Il recommande de supporter les
infirmités des faibles, d'être d'un
esprit patient envers tous, de se faire grâce
les uns aux autres, comme Dieu nous a fait
grâce par Jésus-Christ, et il dit
« Vivez en paix, et le Dieu de
charité et de paix sera avec
vous. »
Avec cela, il sait être ferme et
sévère quand il le faut. Il ordonne
de livrer à Satan, de ne point se
mêler avec ceux qui déshonorent le nom
de frère, d'ôter le méchant, de
s'éloigner des antinomiens, des
hérétiques, des schismatiques, des
sensuels, etc. Il dit que s'il le faut absolument,
il ira avec la verge et n'épargnera
personne.
Il ordonne de sortir du milieu des
infidèles et de s'en séparer. Il
reprend Pierre en face, et il ne cède pas
même un seul moment a ceux qui veulent
altérer en quoi que ce soit la doctrine de
la Grâce.
N'est-il pas vrai, mon cher
frère, que cet ensemble est admirable, et
porte une empreinte inimitable de l'Esprit de
force, de charité et de prudence ?
Combien sont pâles a côté de
cela toutes ces charités sans zèle
pour la vérité, toute ces
charités étroites qui n'embrassent
que ceux qui embrassent nos vues ; ou bien
tous ces zèles apparents et
accompagnés d'âpreté et
d'orgueil, qui n'ont que trop souvent
infesté l'Eglise de Dieu ! Il me semble
quelquefois qu'il faudrait que Dieu
renvoyât un Paul au milieu
des chrétiens, pour leur redonner le ton,
comme un habile musicien vient remettre dans le ton
des gens qui en sont sortis et qui ne savent le
retrouver.
Mais Celui qui avait fait Paul, vaut
encore mieux que Paul, et son Esprit saura bien
nous redonner le ton s'il nous donne de
l'écouter. En contemplant Christ, nous
serons transformés à la même
image, de gloire en gloire, comme par l'Esprit du
Seigneur.
Paix vous soit à vous et à
tous les frères
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