La maladie de « la mère de
l'Armée » projetait ses
premières ombres sur l'Armée du
Salut. Notre Fondateur et le Chef
d'État-Major vinrent habiter le tranquille
faubourg de Hadley Wood, où Miriam passa la
plus grande partie de sa vie. Unies si
étroitement par l'affection et
l'intérêt, Miriam et ses soeurs
aînées, Catherine et Marie, restent
inséparables, même dans la
pensée de leurs parents, lorsqu'ils se
reportent à ces années d'enfance. Le
premier souvenir d'une action personnelle de Miriam
a trait à sa conversion.
Les influences de son foyer, où
Dieu tenait la première place, expliquent
les aspirations religieuses de sa
tendre enfance. À l'âge de cinq ans,
le sentiment du péché provoqua en
elle une profonde détresse et, nous
raconte-t-elle plus tard, elle pleurait pendant la
nuit, tellement elle se sentait indigne d'aller au
ciel.
En 1894, à l'occasion du grand
Congrès International, une grande
manifestation eut lieu au Crystal Palace. Mme Booth
ne jugeait pas sage de laisser de jeunes enfants
assister à toutes les réunions. Elle
permit aux trois fillettes de choisir l'une ou
l'autre de ces grandes assemblées. Catherine
et Marie se décidèrent pour le
festival de musique, mais Miriam
préféra la grande réunion
solennelle. Elle essaya sérieusement de
suivre le discours du vieux Général,
et lorsque celui-ci invita à s'approcher
quiconque désirait le salut, elle fut la
première à répondre; elle
s'avança résolument et s'agenouilla
près de la chaise de son grand-père.
Notre bien-aimé Fondateur se courba et dans
un langage simple, à la portée d'une
intelligence enfantine, il amena à
Jésus la toute petite. À partir de ce
jour, Miriam chercha à plaire à Dieu.
Ce but, offert de bonne heure à sa vie,
régla sa volonté, en canalisa les
énergies dans une voie heureuse et
sûre.
La vie au foyer était pour « Mim
chérie », comme on l'appelait en
famille, pleine de joyeuse simplicité. Avec
six frères et soeurs débordants de
vie, bons camarades, faisant leurs délices
des cadeaux de la Nature bien plus que des jouets
manufacturés, elle ne désirait aucune
autre compagnie, aucun autre amusement.
Les parents encourageaient chez leurs
enfants l'amour des bêtes, et a Hadley Wood
le jardin ressemblait à un jardin zoologique
avec ses lapins, ses cobayes, ses rats, ses souris,
ses tortues, ses chats et ses chiens. Chacun des
enfants avait ses favoris et il devait en prendre
soin. Miriam raconte comment, un soir, elle
entendit le gravier de l'allée grincer sous
les pas de son père. À ce bruit, elle
se souvint qu'elle avait oublié de donner
leur repas à ses cobayes. Elle
s'échappa bien vite pour réparer cet
oubli, de peur de rencontrer le regard
réprobateur de papa.
Tout petits, les enfants aimaient
à jouer à l'Armée, et ce jeu
les intéressa jusqu'au moment où ils
passèrent de la fiction a la
réalité. Un jour que Miriam
était chez des amis, son hôtesse la
trouva dans la serre, organisant une réunion avec
sa petite soeur et ses
poupées. Elle finit par les faire tous
s'avancer au « banc des pénitents
» pour les rendre sages.
Au « Homestead » (1)
c'est le nom
de leur maison, la journée commençait
par la prière en famille. On chantait un
beau cantique accompagné au piano, puis le
Chef lisait une portion de l'Écriture dans
le Guide du Soldat, et il le commentait par
quelques mots appropriés aux âges des
enfants. La prière qui suivait
n'était pas une vaine
répétition de mots, mais une simple
et respectueuse conversation avec Dieu, pour le
louer, le remercier, le supplier. À l'autel
familial, Miriam apprit le véritable esprit
de prière.
Aucune femme de sa
génération n'a fait autant que Mme
Bramwell Booth pour ses soeurs souffrantes et
pécheresses. Mais avant de servir dans cette
grande oeuvre sociale, elle nous apparaît
comme une véritable mère. Mme Booth
n'est jamais aussi heureuse que parmi ses enfants.
Dans leur tendre enfance, rien n'était
laisse aux soins du hasard ou des étrangers. Elle
s'occupait
elle-même de tout ce qui concernait leur
bien-être ou leur bonheur : nourriture,
vêtements, dont elle confectionnait de ses
propres mains la majeure partie, éducation
et culture de leur âme.
Aux yeux des enfants, aucun portrait de
Madone ne pouvait soutenir la comparaison avec le
visage aimable de leur mère; la description
des plus belles reines ne pouvait rivaliser de
charmes avec cette mère si douce et si
jolie. Heureuse mère! qui savait si
simplement redevenir enfant avec ses enfants, tout
en guidant leurs premiers pas dans le chemin de la
vie. Lorsque la rougeole s'abattit sur la petite
famille, Mme Booth en fut elle-même atteinte
et s'installa dans leur chambre, à leur
grande joie, Et, tous ensemble, ils
passèrent le temps de leur maladie le plus
agréablement du monde,
Quelques années après son
mariage, Mme Booth fut aidée dans son
travail par Mlle Marianne Asdell. Mlle Asdell se
préparait à devenir infirmière
quand, par hasard, semble-t-il, elle fut
invitée par une amie à une
réunion de sanctification de l'Armée
du Salut. Dès le début, elle fut
captivée par cette idée que
l'entière sanctification est possible pour
ceux qui se soumettent entièrement à
la volonté de Dieu et mettent leur confiance
dans le sang de Jésus. Les
témoignages de gens tirés de profonds
abîmes du péché la
décidèrent tout à coup de
s'offrir pour tout travail que l'Armée
voudrait bien lui confier. Elle fut acceptée
pour des fonctions dans le service social de
l'Armée parmi les femmes. Elle aida Mme
Booth dans son Oeuvre de Relèvement. Entre
temps, elle venait soulager la jeune mère
dans sa lourde tâche. Peu à peu, elle
devint le guide, le professeur, l'amie
bien-aimée du petit troupeau de Mme Booth.
Ils lui trouvèrent vite un petit nom
d'amitié « Zazzie ». Avec les
soins de Zazzie. leur mère savait que tout
était bien, car Mlle Asdell aimait les
enfants et s'intéressait à tout ce
qui les concernait, autant que Mme Booth
elle-même. À la Brigadière
Asdell (2)
nous
sommes redevables des détails sur l'enfance
de Miriam.
Comme « la mère de
l'Armée », Mme Booth pensait que
l'école commune n'est pas
un bon terrain d'entraînement pour des
enfants appelés à consacrer leur vie
au salut des âmes. Institutrice née,
elle entreprit elle-même l'instruction de ses
enfants. Tout de suite, Miriam montra un esprit
studieux. La difficulté n'était pas
de la pousser à l'étude, mais de l'en
faire quitter. Une promenade quotidienne, d'une
certaine longueur, leur était prescrite.
Miriam et ses soeurs couraient souvent sur tout le
parcours, afin de retourner plus tôt a leurs
livres.
- Je crois inutile d'ennuyer Miriam avec
la musique, confia un jour Mme Booth à Mlle
Asdell, elle semble n'avoir aucune disposition, ses
doigts sont si maladroits.
Mais Miriam avait d'autres idées
sur ce sujet. Elle irait peut-être lentement,
mais elle voulait apprendre. Elle travailla et
devint une bonne et utile pianiste, capable
d'accompagner les chants, solos et choeurs, avec ou
sans l'aide de recueil de musique.
La couture était une
véritable épreuve pour Miriam. Sa
nature énergique et impétueuse
trouvait ce travail lent et ennuyeux, mais son
grand amour pour sa mère l'aida à
vaincre cette aversion. Aux approches d'un anniversaire,
on tenait
d'importants conciliabules pour décider de
ce que Miriam préparerait. jamais on ne
choisit un objet acheté tout fait, mais
plutôt quelque chose à faire, quelque
chose qui, même sans élégance,
prouverait de la persévérance et du
soin.
Une fois Miriam fit une taie d'oreiller;
une autre fois, elle aida Catherine et Marie dans
la confection d'une chemise pour leur père.
Un jour mémorable, Mlle Asdell dit :
- Mim chérie, je crois savoir ce
que maman aimerait beaucoup, mais je ne sais trop
si vous vous soucieriez de le faire.
- Qu'est-ce que c'est, Zazzie?
- Arranger un drap en réunissant
les deux côtés par un surjet pour en
faire le milieu.
- Pensez-vous que maman aimerait
réellement cela? demanda Miriam d'une voix
triste.
- J'en suis absolument
sûre.
Et Miriam se mit résolument
à cet ennuyeux surjet de plusieurs
mètres.
La préparation d'un anniversaire
était pleine d'attraits, car on la tenait
secrète, mais justement, cette
fois-là, Mme Booth entra inopinément
dans la salle d'études. Miriam ramassa bien vite
son drap
dans
son tablier et s'exclama effrayée :
- Oh ! maman, vous avez vu !
- Non, ma chérie, vraiment, je
n'ai rien vu qu'un vieux drap!
Un vieux drap ! La mortification de
Miriam était complète. Pour une fois,
Zazzie s'était trompée. Pleurant
à chaudes larmes, elle déclara
:
- Cette vieillerie ne plaira pas
à maman!
Et elle y avait consacré tous ses
instants de loisir depuis des semaines. Il fallut
bien des paroles d'encouragement pour persuader
Miriam de continuer sa tâche. Pourtant le
travail fut fini à temps, et les louanges de
sa mère compensèrent largement les
piqûres aux doigts et les crampes dans les
mains. Ainsi elle devint habile à manier
l'aiguille, et ses textes brodés et autres
petits souvenirs constituent aujourd'hui des
trésors conservés dans bien des coins
du monde.
Le courage n'était pas une
qualité naturelle chez Miriam : elle
craignait le tonnerre et l'obscurité. Elle
partageait la chambre de ses soeurs et, pourtant,
elle aimait en laisser la porte ouverte pour
entendre les bruits de la maison
jusqu'à ce qu'elle s'endorme. Mais elle
cultiva le sentiment du devoir jusqu'à ce
qu'il devînt plus fort que la crainte, et
ainsi elle surmonta sa timidité. Elle
persévéra si bien, que plus tard son
courage devint proverbial.
Certaines personnes se consoleront
peut-être en apprenant que « la bosse de
l'ordre » faisait totalement défaut
à Miriam dans sa jeunesse, non pas qu'elle
s'accommodât de choses malpropres, mais elle
ne pensait pas à ranger ses affaires. Sur ce
point elle était une épreuve pour sa
mère. Enfin, elle s'en rendit compte: ce
désordre était un véritable
obstacle au service fidèle du Seigneur. Elle
prit la ferme résolution de changer, elle
s'imposa d'accomplir soigneusement même les
taches ennuyeuses, au temps voulu, jusqu'à
ce qu'elle devînt l'ordre personnifié.
Quand Dieu l'appela, son bureau, son classeur, son
tiroir à papier, son carnet de notes
contenant la liste de ses correspondants, ses
comptes, son tricot et sa couture, tout
était dans l'ordre le plus parfait, comme si
elle attendait l'inspection de son
Maître.
Dans les alentours de la maison
familiale se trouvaient plusieurs lieux
historiques, d'accès facile et capables
d'enflammer l'imagination d'un
enfant impressionnable. Miriam aimait l'histoire.
À quelques milles du « Homestead »
une colonne marquait l'endroit de la bataille de
Barnet, un peu plus loin c'était Whetstone (3)
où
l'on aiguisait les épées des
armées du roi. Le chêne de Latimer, a
l'ombre duquel le grand réformateur
répandait son âme sur le peuple, se
trouve à la lisière de Hadley Wood.
La vieille église de Hadley date de
plusieurs centaines d'années, et porte
encore les traces des jours où on permettait
aux lépreux de venir écouter le
sermon et de recevoir les sacrements à
travers une petite ouverture connue sous le nom du
« regard du lépreux ». Les
différents musées de Londres
étaient pour les enfants.
d'inépuisables sources de plaisirs dans les
grandes occasions, telles que les
anniversaires.
Après les heures d'études,
les enfants du Homestead avaient la permission de
faire de longues randonnées dans la
campagne, à la seule condition qu'ils
nettoient eux-mêmes leurs chaussures et leurs
vêtements salis par la boue. En hiver, ils
s'ébattaient dans la neige ou dans l'air
vivifiant d'une claire journée de gel;
l'été, ils
partaient à la recherche de baies ou de
fleurs sauvages; ils étudiaient les moeurs
des oiseaux ou des insectes de chaque saison; ils
jouaient et couraient, s'en donnant à coeur
joie, glissant le long des talus, sautant les
fossés, jouant à « Robinson
Crusoë ». Ils laissaient libre
carrière à leur imagination. Miss
Asdell se souvient d'un jour où les enfants
trouvèrent un talus parfait pour la
glissade. Ils volaient jusqu'en bas, assis sur une
planche ou une plaque de tôle ou, si plaque
et planche ne glissaient pas à souhait, sur
leur fond de culotte ! Un examen des
vêtements, à la fin du jour, amena la
défense de glisser encore.
- Oh! Zazzie, c'est si délicieux!
supplia Miriam.
Plus tard, Mlle Asdell, après
réflexion, pensa que les plaisirs des
enfants étaient bien innocents, en
vérité, et elle leur fit à
chacun une sorte de caleçon dans un morceau
de toile à matelas. Les jupes des fillettes,
bien ramassées là-dedans, elles
purent glisser tout à leur aise. Pendant
quelque temps, les enfants furent
accompagnés dans leurs randonnées par
une enfant riche, mais sans mère et
élevée par des domestiques. Elle
aimait beaucoup jouer avec Miriam
et les autres, mais ses gardiens cherchaient
plutôt à s'épargner de la peine
qu'à procurer à l'enfant un
réel bonheur. Une fois ou deux, la fillette
rentra chez elle quelque peu
ébouriffée ou la robe
chiffonnée; on ne lui permit plus de
rejoindre ses petits camarades. Miriam eut
pitié de cette petite amie dont les
vêtements élégants et les
jouets de prix étaient loin de valoir la
joie saine que procure la vie à la
campagne.
Au cours de leur promenade, par une
froide après-midi d'hiver, la compassion des
enfants fut excitée à la vue d'un
pauvre cheval trop chargé. Tourmenté
par un charretier coléreux, il se raidissait
en vain pour traîner en haut de la colline un
lourd tombereau de navets. Les enfants ne purent
garder le silence
- Oh ! nous vous en prions, ne battez
plus votre cheval! demandèrent-ils. Si vous
voulez décharger quelques kilos de navets,
nous les transporterons là-haut et il
traînera le reste.
D'abord le charretier leur
répondit rudement d'avoir à se
mêler de leurs affaires, mais les fillettes
tinrent bon, parlementèrent,
raisonnèrent jusqu'à ce que l'homme
accédât à
leur désir. Elles trouvèrent leur
tâche longue et ennuyeuse, mais lorsque la
dernière brassée de navets eut
été fidèlement
déposée dans le tombereau qui
attendait au' sommet de la colline, le visage de
l'homme s'était adouci et reflétait
la bonne volonté de ses jeunes
aides.
Les fillettes, devenues trop grandes
pour la nursery, furent transférées
à la salle d'études; ce fut alors une
grande joie pour elles de prendre leur repas du
soir entre elles. Pourvu qu'elles nettoient et
rangent tout, elles avaient la liberté de
faire ce qu'elles voulaient. Leur grand-père
leur avait rapporté du continent un petit
fourneau à pétrole, elles avaient
grand plaisir à s'en servir pour
préparer le thé. Il leur était
défendu de mettre du beurre et de la
confiture sur la même tartine; Mais, afin de
goûter quand même à ce luxe,
elles mangeaient quelquefois une tranche de pain
sec. Les seules soirées permises se
passaient en famille. Les enfants prenaient grand
plaisir à organiser une soirée
musicale où père et mère
étaient invités a leur retour d'une
tournée de réunions de
l'Armée.
De toutes les heures du jour, la
meilleure, pour Miriam,
était l'heure de maman. Mme Booth rentrait
le soir, souvent très fatiguée, mais
aucune considération personnelle ne la fit
négliger la nursery. C'était son
repos, ce moment où, assise sur une chaise
basse, son bébé sur les genoux., les
autres petits autour d'elle, elle causait ou
écoutait leur babillage pendant que l'on
mettait au lit les plus jeunes. Ensuite elle aidait
les aînés occupés à
peindre, à dessiner ou à quelque
autre travail. Que de fois ils s'asseyaient sur des
coussins à ses pieds et, tandis que sa main
caressait légèrement leurs cheveux,
elle leur faisait la lecture. Sa voix douce et
mélodieuse charmait leur attention. Ils
puisèrent dans les trésors de la
meilleure littérature, grâce à
la sagesse qu'elle mettait dans
l'interprétation du sujet, et dans la mise
en valeur des points importants du
récit.
Les Paraboles de la Nature, de Mme
Gatty, les Contes d'Andersen et autres belles
histoires, que Mme Booth leur racontait comme des
allégories, étaient parmi les
préférées des jeunes enfants.
Puis vinrent l'histoire, les voyages, les
biographies, les découvertes et inventions,
l'histoire naturelle. Tant que Miriam ne fut pas
assez âgée pour assister aux
réunions publiques du
dimanche soir à l'Armée, ce fut pour
elle une joie spéciale que d'avoir maman
à la maison. Dans ces heures bénies
trouva place la lecture du Voyage du
Chrétien, de Bunyan; de la Guerre sainte et
d'autres livres pieux, coupée parfois de
libres discussions.
En ses premières années,
lorsque sa mère lisait, il arrivait à
Miriam de remuer jusqu'à ce qu'elle soit
allongée sur le plancher,
généralement à plat ventre.
Lorsque le sujet était pathétique ou
émouvant, la société
était surprise par un profond sanglot de la
fillette, dont la nature sympathique prenait part
aisément aux tristesses et aux souffrances
de toute créature vivante.
Mme Booth pensait que la vie est un
dépôt sacré duquel nous sommes
responsables devant Dieu, elle employait ces heures
du soir à éveiller et
développer chez ses enfants les
qualités dont ils auraient besoin pour
être fidèles à leur devoir dans
le service des souffrants et le sacrifice à
leur cause. Toute l'Armée sait à quel
point eue réussit.
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