DES RAYONS
ET DES OMBRES
CHAPITRE XI
La jeune malade
C'était un matin radieux. Nelly courait
gaîment le long de l'étroit chemin qui
serpentait entre les haies fleuries. Sa mère
l'avait chargée de porter un petit panier
rempli de bonnes choses à une pauvre vieille
femme qui habitait avec sa fille dans une
chaumière à la lisière des
bois. Oh ! comme la terre
semblait belle à Nelly en ce glorieux jour
d'été ! Elle se sentait
absolument heureuse. Il n'y avait plus un nuage
entre elle et le Seigneur ; elle cherchait
à vivre pour Lui et son coeur était
tranquille. La fillette sautait et gambadait et,
tout en chantant, elle observait toutes les
merveilles de la nature.
Les troènes fleurissaient la haie, la
clématite et le houblon mêlaient leurs
rameaux flexibles, formant de vrais arceaux de
verdure ; les fleurs des champs, scabieuses,
marguerites, trèfles roses et
légères esparcettes
s'épanouissaient de toutes parts. Sur une
haute branche un merle chantait et Nelly se glissa
tout près de lui ; c'était si
joli de le voir, gonflant sa poitrine et ouvrant
tout grand son petit bec d'où
s'échappaient trilles et roulades. Ensuite
l'enfant quitta le sentier ombragé pour
traverser un champ de luzerne ; elle franchit
une barrière et se trouva au bord d'un champ
de blé ; les lourds épis se
balançaient et ondulaient sous la brise
comme une mer dorée. Le grand soleil du mois
d'août inondait tout cela de ses rayons de
feu. Le coeur de la fillette battait plus vite,
agité d'une joie si pleine, si
complète qu'elle ne pouvait la comprendre.
Elle savait seulement que la campagne était
belle et qu'elle était si, si heureuse... A
cet instant, une alouette jaillit
du champ voisin et s'éleva dans l'azur, plus
haut, toujours plus haut, égrenant son chant
d'allégresse qui se perdait peu à peu
dans l'air bleu. Nelly s'arrêta, retenant son
souffle ; il lui semblait que le petit chantre
ailé disait tout le bonheur qu'elle ne
savait exprimer. Lorsqu'elle n'entendit plus rien
et que l'oiseau eut disparu dans l'azur, la petite
fille soupira ; puis, dans son coeur, elle
remercia Dieu qui a créé toutes
choses si belles pour que nous puissions en
jouir.
Nelly gagna bientôt la
chaumière où elle déposa le
contenu de son panier et remit le message de sa
mère. La vieille femme la combla de
remerciements et de bénédictions et,
toute contente, l'enfant reprenait le chemin de la
maison, lorsque, passant devant une maisonnette
voisine, elle crut entendre un gémissement.
Elle s'arrêta.
- De l'eau ! de l'eau ! disait
une voix plaintive. Oh ! qui m'apportera un
peu d'eau ?
Nelly s'arrêta, indécise.
Quelqu'un souffrait. Mais qui ? Mes petits
lecteurs comprendront son hésitation.
Pourtant, Nelly ne manquait pas de courage.
« J'irai voir ! »
pensa-t-elle. Un instant après, elle ouvrait
la porte branlante et quel spectacle s'offrit
à ses yeux ! Sur un misérable
lit, une fillette de son
âge était couchée,
évidemment très malade ; sa
figure était rouge et ses yeux
dilatés par la fièvre. Elle respirait
avec difficulté.
- Qu'as-tu donc ? demanda
Nelly.
- Oh ! donnez-moi de l'eau, je vous en
supplie, gémit la malade.
Nelly regarda autour d'elle. Rien
à boire nulle part. Au chevet de l'enfant,
un pot vide.
- Allez au puits, fit la malade d'une
voix rauque. Au fond du jardin.
Saisissant le pot, Nelly courut dans la
direction désignée et revint
bientôt apportant le précieux liquide.
La malade but à longs traits et parut
soulagée.
Nelly secoua son misérable
oreiller et chercha à tirer les draps et la
couverture trouée.
- Merci, mademoiselle, vous êtes
bien bonne pour moi. J'ai cru que je mourrais de
soif. Maman est au travail et ne rentrera
qu'à midi.
C'était la première fois
que Nelly se trouvait seule auprès d'une
malade. Elle sentait qu'elle devait lui parler de
Jésus mais, devant une
étrangère, cela lui paraissait bien
difficile. Très bas et très
timidement, elle hasarda :
- Sais-tu qui a dit :
« Celui qui boira de
l'eau que je lui donnerai, moi, n'aura plus soif
à jamais ? »
- Oui, sans doute, répondit la
fillette, j'ai appris ce verset à
l'école du dimanche.
- Alors tu aimes Celui qui a dit cela,
le Seigneur Jésus qui est mort pour toi et
qui te donne l'eau vive.
De grosses larmes s'amassèrent
dans les yeux de la malade.
- Je voudrais l'aimer, dit-elle, mais je
ne sais comment faire.
- Aimes-tu ta mère ?
- Oh ! oui.
- Alors, répartit Nelly avec
décision, tu dois aimer Jésus comme
tu aimes ta maman, seulement encore beaucoup
plus.
- Est-ce aussi facile que cela ?
demanda la malade d'un ton surpris.
- Oui, tout aussi facile. Si tu fermes
tes yeux et que tu dises :
« Seigneur Jésus, enseigne-moi
à t'aimer parce que tu es mort pour
moi », alors Lui te fera comprendre qu'Il
t'aime et qu'Il veut t'avoir près de
Lui.
- Alors, si je meurs, Il me prendra dans
son ciel ? demanda la malade
anxieusement.
- Sans doute, affirma Nelly, puisqu'Il a
dit que là où Il est, ceux qui lui
appartiennent seront avec Lui.
Une expression de vraie joie passa sur
le visage de la jeune fille. Elle joignit les mains
et Nelly vit que ses lèvres bougeaient. Elle
comprit qu'elle parlait à
Jésus ; alors, tout doucement, elle
quitta la chaumière, laissant la mourante
seule avec Lui.
Lorsque Nelly arriva à la maison,
elle passa par la cuisine reluisante de
propreté où la bonne était
occupée à faire des gâteaux. Le
bébé se prélassait sur une
grande couverture qu'on avait étendue
à son intention sur les carreaux. Il cria de
joie en apercevant sa soeur. Celle-ci le prit dans
ses bras :
- Mon chéri, mon trésor,
disait Nelly en embrassant son petit frère
qui riait en tirant ses longues tresses de cheveux
blonds.
- Et d'où venez-vous,
Nelly ? demanda la bonne.
- Oh ! Marie, dit Nelly,
soudainement grave, je suis entrée dans la
chaumière à côté de
celle de la vieille Mm' Jones et j'y ai vu une
pauvre fille qui est très, très
malade. Je suis allée lui chercher de l'eau
et...
Tout vestige de couleur avait
quitté les joues rubicondes de la bonne.
Elle arracha l'enfant des bras de Nelly.
- Oh ! qu'avez-vous fait ?
Cette fille est atteinte de la scarlatine !
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