Le pasteur wesleyen de Nottingham, au
moment où William Booth débutait dans
la prédication, était le
révérend Samuel Dunn, un homme
instruit et lettré, mais un autocrate
inflexible. Le talent du jeune prédicateur
laïque et les fruits de sa prédication
attirèrent l'attention du savant
pasteur.
- Vous devez vous consacrer au
ministère et poser votre candidature au
pastorat, édicta-t-il.
William ne pensait nullement à
quitter son emploi. Sa mère et ses soeurs
avaient besoin de son aide ; comment les
secourir pendant les années d'étude
dans un collège théologique ? Le
jeune 'homme se récusa, alléguant sa
frêle santé. Le pasteur ne s'avoua pas
vaincu. Il conduisit son candidat forcé chez
un médecin. Après un rapide examen,
le docteur rendit son verdict :
- Il faut au pasteur la poitrine d'un
boxeur et une constitution de fer, et vous ne
possédez ni l'une ni l'autre. Vous
n'êtes aucunement qualifié pour les
fatigues de cette profession. Je ne vous donne pas
un an de pastorat pour vous conduire à la
tombe et devant le trône de Dieu, pour y
répondre de votre suicide.
Ce médecin parlait sans ambages,
mais son diagnostic ne se trouva pas aussi
sûr que sa parole, et dans ce cas, tout au
moins, il ne fut pas bon augure.
William, nullement
désappointé, s'en retourna à
son comptoir et à ses réunions de
village.
Il n'avait donc pas la vocation ?
Une telle question eût bien
étonné l'auteur des lignes
ci-dessous :
Comment peut-on, avec la moindre
clairvoyance spirituelle, déclarer :
« Je n'ai point la vocation ... tandis
que des multitudes autour de nous n'ont jamais
entendu parler de Dieu et ne sauront jamais rien de
lui si des prédicateurs ne se lèvent
pour leur imposer leur message, leur proclamer la
bonne nouvelle ? Qui peut rester l'âme
sereine avec cette vision sous les yeux, attendant
calmement de recevoir la vocation de
prédicateur ? Attendrait-il une
vocation spéciale pour arracher quelqu'un
des flammes de l'incendie, ou sauver un enfant qui
se noie ?
La croissance de la
grâce,
ou même le simple développement
intellectuel, ne comportent-ils pas ce sens
toujours plus profond des vérités
éternelles qui intensifie la conviction de
nos responsabilités envers un monde qui
périt ?
L'amour
désintéressé, l'amour qui va
au-devant des prodigues les moins aimables, pousse
les âmes vraiment charitables à
l'action immédiate, pour le salut des parias
que personne n'aime.
N'existe-t-il pas des
hommes, des
femmes qui se savent possesseurs de dons
particuliers : une santé robuste, une
éloquence naturelle, une voix puissante, qui
leur imposent le devoir de tenter quelque chose
pour le salut des âmes ?
Sans doute, je ne
l'oublie
nullement, en plus de tout cela, quelques
favorisés entendent un appel direct, qu'il
serait particulièrement dangereux de
négliger, qui fortifie et réjouit
quiconque lui obéit.
Cependant je crois que
bien des
saints, et des hommes éminents par les
services rendus, ne discernèrent jamais un
semblable appel ; cela n'interdit pas de prier
Dieu pour qu'il nous l'adresse, ni de le
bénir pour sa bonté quand nous
recevons cette vocation.
La vocation de William Booth lui vint
tout à la fois du Dieu qu'il adorait et des
foules qu'il aimait.
William, âgé de dix-neuf
ans, avait enfin achevé son long
apprentissage. Il désirait trouver un emploi
lui laissant plus de loisirs pour s'occuper de sa
propagande religieuse. En vain, pendant de longs
mois, chercha-t-il une occupation. Personne,
à Nottingham, ne se souciait, semblait-il,
de ses services. Il lui fallut quitter sa ville
natale pour aller tenter la fortune à
Londres.
Une seule maison s'ouvrait au jeune
provincial fraîchement débarqué
dans la cité bourdonnante, celle de sa soeur
Anna Hélas ! le désenchantement
le guettait là aussi. Son beau-frère,
un matérialiste incrédule, lapidait
de ses quolibets tous les croyants, qu'il jugeait
faibles d'esprit et hypocrites ; mais
lui-même rendait un culte passionné
à la dive bouteille. Il avait
contaminé sa femme, elle souffrait de la
même incrédulité et du
même vice, qui devait amener la ruine et la
mort de ce ménage.
Dans ces circonstances, Londres ne
pouvait lui faire qu'une triste impression. Il
confesse ses sentiments à cette
époque dans cette page trouvée dans
ses papiers :
Le jeune provincial qui arrive
à Londres, pour y chercher du travail, est
désagréablement impressionné.
L'immensité de la ville le frappe d'une
manière particulière, lorsqu'il
parcourt les rues et les quais. La foule qui se
presse dans les grandes artères, surtout le
samedi soir, lui donne la sensation de contempler
un énorme fourmilière. La multitude
des gens minables, dans les rues populeuses,
émeut, et le langage des trop nombreux
ivrognes met, dans ce tableau, une teinte encore
plus sombre.
Cette agitation, cette
activité fébrile, oppressent
quiconque est accoutumé au calme provincial.
Le nombre des cabarets, des cafés-concerts,
des théâtres, affecte
péniblement un jeune chrétien
enthousiaste. La surabondance des colporteurs
pousse le spectacle à s'exagérer et
la pauvreté, et la cupidité des
citadins. Les Églises, à cette
époque, offraient à tous l'image
parfaite de la mort spirituelle ; elles
s'aveuglaient sur les conditions des hommes. La
plupart n'ouvraient leurs portes qu'un soir par
semaine. Pas d'Unions chrétiennes de jeunes
gens ou de jeunes filles, de cercles d'hommes, de
matinées récréatives, de
Fraternités ou de salles de missions, aucun
effort pour attirer l'attention des foules
irréligieuses ou indifférentes. Le
contraste entre l'agitation bruyante de la rue et
le service, morne et languissant, frappait le
visiteur assez hardi ou assez religieux pour entrer
dans un lieu de culte. Devant les portes
fermées des églises sans
réunions de semaine, un étranger
pouvait désespérer de rencontrer la
moindre société sympathique, ou la
plus humble distraction, et un Méthodiste,
assez ardent pour forcer l'entrée d'un
« cercle d'études », y
trouvait une poignée de braves gens qui
répugnaient à rendre
témoignage au pouvoir de
Dieu.
Autre cause de
désappointement : William n'avait
trouvé d'emploi que chez un prêteur
sur gages, et il détestait cette occupation.
Son nouveau patron, membre d'Église, fier de
sa religion formaliste, se proposait un seul
but : faire fortune. La misère morale
et matérielle de ses clients le laissait
indifférent. Il se consacrait de l'aube
à la nuit noire à ses affaires,
s'accordant à peine le temps de manger, et
il exigeait de son jeune employé le
même zèle et les mêmes longues
journées. William ne pouvait sortir qu'un
soir par semaine, liberté strictement
limitée à deux heures, et le dimanche
toute la journée. Encore devait-il rentrer
pour dix heures du soir, sinon la porte serait
verrouillée. Pas d'excuse, même les
dimanches où le jeune employé avait
été prêcher dans quelque salle
éloignée ; fatigué du.
trajet et de sa double prédication, William
devait cependant courir à perdre haleine,
pour ne point coucher à la belle
étoile.
Cependant, le jeune homme ne se
découragea point. Après sa mort, on
découvrit, dans ses papiers, un document
jauni et usé aux plis, acte de
consécration écrit de sa main le 6
décembre 1849:
MES RÉSOLUTIONS
Je promets, avec l'aide de
Dieu :
1° Je me lèverai
chaque matin assez tôt (au moins à
sept heures moins vingt) pour faire ma toilette et
consacrer quelques minutes, cinq au minimum,
à la prière.
2° J'éviterai le plus
possible les conversations oiseuses et le bavardage
auxquels je me suis coupablement abandonné
ces derniers temps.
3° Je m'efforcerai, par
ma
conduite et mon maintien devant le monde, et
particulièrement devant mes compagnons de
travail, de vivre comme un humble, doux et fervent
disciple de l'Agneau. Par mes conseils et mes
conversations sérieuses, je tâcherai
de les amener à penser à leur
âme et à son sort
éternel.
4° Je lirai au moins
quatre
chapitres de la Bible
quotidiennement.
5° Je travaillerai à
resserrer ma communion avec Dieu ; je
rechercherai la sainteté et m'abandonnerai,
pour tous les événements de ma vie,
à la Providence divine.
6° Je lirai ces
résolutions chaque jour ou, pour le moins,
deux fois par semaine.
Que Dieu m'aide à
cultiver
en moi l'esprit d'abnégation et à
prendre, esclave volontaire, le joug du
Rédempteur du monde.
Amen, Amen.
WILLIAM BOOTH.
Je sens profondément ma faiblesse :
sans le secours divin, je ne saurais être
fidèle un seul jour à ces
engagements. Seigneur, aie pitié de mon
âme coupable. Je me place au
bénéfice du sacrifice expiatoire,
oui, oh ! oui, Jésus est mort pour
moi.
À cette époque, en 1850,
le mécontentement d'un grand nombre de
membres amena la division dans l'Eglise
fondée par Wesley. William Booth, tout en
refusant de prendre parti dans sa discussion qui
lançait les deux groupes dans de
perpétuels assauts, suivit les membres les
plus ardents et les plus zélés pour
l'évangélisation.
Parmi les Méthodistes
groupés autour de sa chaire de
prédicateur laïque se trouvait un
certain M. Rabbits, riche fabricant de chaussures.
Cet homme avait reconnu, dans le jeune
prédicateur, une force ; il
désirait la garder complètement au
service de l'Église.
- Vous devez abandonner les affaires et
vous consacrer entièrement à la
prédication de l'Évangile, dit-il un
jour à William.
- Impossible, répondit le jeune
homme. Il n'y a point de place pour moi. Personne
ne me veut.
- Si, les gens que vous avez
évangélisés ont besoin de
vous.
- Peut-être ; mais, trop
pauvres, ils ne sauraient me fournir ma
subsistance ; je ne puis vivre de l'air du
temps.
- Point de doute, votre réflexion
est juste. Mais combien vous faut-il pour
vivre ?
Un moment de silence et de profonds
calculs pour fixer son salaire minimum.
- Douze shillings par semaine, murmura
le jeune prédicateur.
- Vous êtes fou, interrompit
l'impatient interlocuteur ; vous ne pouvez
vivre avec moins de vingt shillings par semaine,
croyez-m'en.
- D'accord, mais ces vingt shillings ne
me tomberont pas des nues ; d'où
viendraient-ils ?
- Je m'en charge, je vous paierai votre
salaire, au moins le premier trimestre.
- Très bien, alors.
Et le jeune employé devint
évangéliste. Lorsqu'il avertit son
patron, celui-ci se mit fort en
colère :
- Vous voulez gagner davantage,
désir très naturel, mais qui ne vous
oblige nullement à me quitter. Je suis
prêt à augmenter votre
salaire.
Mais le brave homme resta
stupéfait, lorsque William lui
répondit :
- L'argent ne m'attire pas, je
désire une seule chose : trouver
l'occasion de consacrer ma vie et mes
facultés à annoncer au monde perdu un
Sauveur tout-puissant.
Le jeune prédicateur se fixa dans
Walworth, où il loua deux chambres dans la
maison d'une veuve pour cinq shillings par semaine,
y compris le service. Il acheta des chaises, un
lit, et quelques autres objets. Ainsi
installé, il se trouvait parfaitement
heureux.
Cette nouvelle orientation de sa vie
commença le jour du Vendredi Saint, un dix
avril, c'est-à-dire le jour de son
anniversaire. Un fait plus important encore, pour
l'avenir du jeune homme et aussi pour l'oeuvre
à laquelle Dieu l'appelait, date de ce
jour-là : il s'éprit de
Catherine Mumford, sa future épouse.
Catherine avait entendu le jeune
prédicateur, au verbe ardent, un dimanche,
dans une chapelle de Clapham. Elle avait fort
goûté son sermon. Elle confia son
admiration à M. Rabbits, et celui-ci
présenta le jeune homme à la famille
de son admiratrice.
Catherine Mumford était l'unique
fille de cette famille de cinq enfants. Très
intelligente et instruite, elle offrait un exemple
parfait de l'éducation puritaine. Elle
n'aimait aucun roman, mais se passionnait pour
l'histoire et se délectait dans les
études sérieuses. Pourtant sa nature
féminine n'était pas
étouffée sous la chape rigide et
glaciale du puritanisme. Elle aimait les animaux,
et elle ne pouvait supporter qu'on leur
infligeât d'inutiles souffrances. Elle
s'interposait, sans souci des risques personnels,
entre le charretier brutal et ses chevaux.
Mon coeur d'enfant,
raconte-t-elle,
se réjouissait en lisant les théories
de Wesley et de Butler sur la possibilité
d'une vie à venir pour les animaux,
où Dieu compenserait les souffrances et les
misères qui leur furent infligés
ici-bas ...
Cet amour des animaux ne diminua
jamais ; plus tard, mère de famille,
partageant avec le Général les soucis
d'une oeuvre qui englobait le monde entier, elle
trouvait encore le temps de s'intéresser au
sort des ânes. Plus d'une fois, les passants
amusés purent la voir arrêtée
avec un petit ânier, sur les plages à
la mode où elle venait
conférencer :
- Si j'étais à votre
place, lui disait-elle, je voudrais, le soir,
m'endormir avec la certitude d'avoir fait tout mon
possible pour assurer le bonheur de mon baudet.
J'aimerais pouvoir me dire : j'ai
été doux avec lui, je lui ai fourni
la meilleure nourriture possible, et il a
été aussi heureux qu'un âne
peut l'être. En un mot, je l'ai traité
comme je voudrais qu'il me traite, si
j'étais l'âne et lui le
maître.
Pour donner plus de poids à sa
leçon et dorer ainsi la pilule, elle
glissait une douzaine de sous dans la poche du
gamin.
L'amie des ânes était
parfois un rude adversaire pour les doctes
personnes. Un pasteur, ayant prêché
sur l'infériorité de la femme,
infériorité physique, morale et
intellectuelle, apprit à ses dépens
que, même parmi ses auditrices, certaines
femmes, par l'intelligence et le courage, valaient
des hommes, même des pasteurs
instruits.
Les deux jeunes gens promettaient le
couple idéal, se complétant l'un
l'autre : elle, l'aînée de
quelques mois et plus instruite que William ;
lui, plus riche d'expériences
chrétiennes. Elle lui apporta la culture
intellectuelle qui manquait à l'ardent
prédicateur, il lui fournit la passion des
âmes, cet esprit de renoncement et de
sacrifice qui firent de lui un sauveteur, pour ne
pas emprunter le titre de son divin Maître,
le Sauveur des âmes et des corps.
Tandis que la joie d'un jeune amour
flambait dans le coeur de William Booth, sa
situation matérielle s'assombrissait. Il la
décrira plus tard à ses
officiers :
Les gens du quartier ne voulaient
rien avoir à faire avec moi. Ils
« n'avaient pas besoin de
curé ». Ils se regardaient tous
comme autant de curés ; aussi, à
la fin de mes trois mois, mon salaire hebdomadaire
cessa-t-il complètement. D'ailleurs, je
n'aurais à aucun prix renouvelé mon
engagement. Une seule voie s'ouvrait devant moi:
vendre mes meubles et vivre du produit de la vente.
Cette ressource ne me durerait pas longtemps. Je
vous l'avoue, je ne savais trop comment cela
tournerait.
Ma petite provision d'argent était
épuisée. Je me rappelle avoir
donné mes derniers douze sous à une
pauvre femme dont la fille se mourait ; mais,
la même semaine, je reçus une lettre
m'offrant un poste de pasteur méthodiste
dans le Lincolnshire. Mes difficultés,
à partir de ce moment, prirent un aspect
moins angoissant.
Les gens de Spalding,
où
je devais m'établir, m'accueillirent comme
si j'étais un ange du ciel ; ils
fournirent à tous mes besoins terrestres
selon leur pouvoir, et ils se proposaient de me
garder toujours. Ils voulaient que je me marie
immédiatement, s'offrant à me meubler
une maison, à me fournir un cheval pour que
je puisse visiter plus facilement les
différents lieux de réunions,
s'ingéniant à découvrir tout
ce qu'ils pensaient m'être agréable.
J'ai passé là, au milieu d'eux, les
dix-huit mois les plus heureux de ma vie
...
Je n'avais que
vingt-trois ans,
et le Lincolnshire était un comté
favorisé. Depuis plus de cinquante ans, les
prédicateurs les plus éloquents du
Méthodisme s'étaient
succédé dans cette
région ; moi-même, à
Spalding, je remplaçais un pasteur d'un
certain renom. Dieu m'aida à m'y faire
place, et je devins une autorité pour mes
gens.
Cependant, je me sentis
un peu
troublé le premier dimanche de novembre,
lorsque je me vis en, face d'un si nombreux
auditoire accouru pour m'accueillir. Le matin, je
ne jouis pas de ma liberté d'esprit
habituelle ; je fis tout de même du
bien, je l'ai appris plus tard.
L'après-midi, je présidai une
réunion de prières ou seconde
réunion ; une jeune femme pleura
amèrement. Je l'incitai à venir le
soir auprès de la table de communion ;
elle m'écouta, et le Seigneur la sauva ce
soir-là. Plus tard, elle m'écrivit
une lettre pour me remercier de l'avoir
poussée à accomplir ce geste. Le
soir, je retrouvai ma liberté d'esprit, et
quatorze personnes, hommes et femmes,
s'avancèrent aussi pour s'agenouiller
à la table de communion. Ils
professèrent avoir trouvé le
Sauveur.
Et le jeune pasteur
énumère les réunions des
semaines suivantes, toutes marquées par de
nombreuses conversions.
Certaines personnes s'étonnent,
et prennent des airs scandalisés au sujet de
la pratique salutiste du banc des pénitents,
dont nous trouvons le germe dans ces
agenouillements devant tout l'auditoire,
près de la table de communion. Elles
accusent l'Armée du Salut de jouer des
émotions ; chants, appels, courtes
prières entrecoupées
d'alléluias et d'amen, mettent les auditeurs
dans un état de demi hypnose dont le
prédicateur profite pour agir sur les
esprits troublés. Combien de gens qui, sous
le coup d'une forte émotion, vinrent
s'agenouiller au banc des pénitents ;
puis, l'émotion évanouie, se
retrouvèrent dans leur ancienne situation,
sinon un peu plus défiants à
l'égard des expériences
religieuses ! Combien d'autres, par amour de
la parade, ou pour un motif moins noble encore,
singèrent la repentance ! Le fondateur
de l'Armée du Salut connaissait toutes ces
objections. Pourtant, un peu de psychologie
pratique lui avait démontré
l'utilité du geste qui signale au dehors
l'oeuvre intérieure. Pascal avait
remarqué la valeur de l'acte physique et son
action sur l'âme. Une main levée,
quelques pas en avant, cela suffit parfois pour
déclencher un mouvement spirituel qui, par
la repentance, aboutit à la conversion.
Même les moins enclins à des pratiques
jugées, à tort ou à raison,
théâtrales, sentent le besoin de
recourir à un geste enregistreur des
réactions spirituelles. Dans son livre sur
L'indifférence religieuse de notre temps, M.
Sujol parle de la
« nécessité de former et de
mettre à part un certain nombre de
missionnaires conférenciers, doués de
quelques-unes des qualités des plus
célèbres revivalistes (conviction
ardente, don d'éveiller la sympathie et de
persuader), et qui, sans négliger de
s'adresser à l'intelligence de leurs
auditeurs, s'efforceraient surtout de parler
à leur conscience et tâcheraient
d'obtenir - ceci est très important - que
les émotions, les sentiments
éveillés, s'expriment,
s'extériorisent de quelque façon par
des attitudes et des actes ».
Le banc des pénitents remplit
cette mission, tout en offrant aux croyants une
occasion de guider et d'éclairer les
âmes anxieuses.
Nous ne suivrons pas William Booth dans
ses déplacements à travers les bourgs
et les villages qui composaient sa paroisse de
Spalding. Partout sa prédication est
bénie. Ce prédicateur, consumé
par la passion des âmes, se déclare
peu satisfait des résultats lorsque la
semaine n'apporte que deux ou trois
conversions.
Sur la fin de son séjour dans le
Lincolnshire, William rencontra un collègue
qui semble avoir exercé une grande influence
sur sa carrière. Une lettre de cette
époque, adressée à sa
fiancée, Catherine Mumford, en
témoigne :
Ma chère Kate,
Je n'ai pas écrit hier,
parce que j'étais assombri par les soucis et
par mille inquiétudes. Je ne suis pas
beaucoup mieux aujourd'hui, je
l'avoue.
M. Poole, le
prédicateur
du réveil, est parmi nous. Je l'aime
beaucoup. Son style de prédication
m'apparaît plutôt lourd et un tantinet
obscur, mais il secoue la torpeur des gens, il m'a
réveillé moi-même. N'est-ce pas
ce qui nous est nécessaire ? Sur ce
sujet, je ne m'inquiète guère de ce
que les gens peuvent dire des
« prédicateurs sonneurs
d'alarmes ». Dieu a béni mes
relations avec ce pasteur ; cela m'a fait du
bien de l'entendre parler du Salut. Je vis
près du Trône de Grâce.
Aidez-moi à veiller et à prier.
Ensemble recherchons la sanctification
immédiate et complète.
M. Poole n'est pas
content de
l'état de choses actuel, il songe à
se rendre en Amérique pour se joindre
à l'Église Méthodiste
épiscopale. Je me sens parfois enclin
à l'y accompagner. Il m'a dépeint
sous des couleurs bien sombres la Nouvelle
Association méthodiste, morte et formaliste.
Il se déciderait à y entrer comme
pasteur, si elle lui assurait son salaire
complet : il est marié et père
de cinq enfants. C'est un homme de valeur, bien
qualifié pour réveiller les
Églises assoupies. Malgré tout, je
pense demander mon entrée dans la Nouvelle
Association. Dois-je' le faire maintenant ou
attendre quelques mois ? S'ils sont faibles et
chétifs, et cependant justes, il nous faut
aller essayer de les fortifier. J'espère que
Poole entrera dans cette Association. C'est un
homme vraiment béni de Dieu, mais j'attribue
ses succès plus à une habilité
particulière et à la flamme de ses
paroles qu'à une sanctification
spéciale ; quelle différence
entre lui et Caughey. Il a prié hier soir
à la réunion, à
l'école, d'une façon magnifique et
avec une puissance extraordinaire.
À propos des moments de tristesse
et d'abattement que signale la correspondance de
William Booth, rappelons qu'il souffrit toute sa
vie d'une dyspepsie aiguë, si forte qu'il
devait veiller sur sa nourriture, ne se permettant
pas une bouchée d'un aliment interdit. Sur
ses dernières années, il devint
végétarien, et se contentait le soir
d'un bol de lait et d'une tartine beurrée.
L'origine de cette maladie, nous devons la
chercher, pendant ses années
d'activité, dans le surmenage du jeune
prédicateur des carrefours, qui ne
s'accordait nul répit et oubliait l'heure
des repas, ou mangeait à la hâte des
aliments mal préparés. Au
début de son ministère dans l'Eglise
Méthodiste, les crises de dyspepsie
devinrent si aiguës qu'il lui fallut un
courage surhumain pour travailler malgré ses
souffrances.
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