LE
PROPHÈTE JONAS
AUX LECTEURS
Cette étude, préparée en
vue des cours bibliques de Morges de cette
année, y a été accueillie avec
beaucoup d'empressement et de reconnaissance.
Encouragé de divers côtés et
diverses façons, l'auteur la publie en
demandant à Dieu de l'accompagner de sa
bénédiction.
Octobre 1911.
INTRODUCTION
Ce que je me propose avant tout dans ces
leçons, c'est d'étudier avec vous,
chers lecteurs, la personnalité de ce
prophète, soit au point de vue
psychologique, soit au point de vue religieux, pour
en tirer, comme cela doit toujours se faire dans
des études bibliques telles que les
nôtres, et comme cela est conforme au but
constamment poursuivi par l'Écriture
elle-même, des applications pratiques
à notre temps, à nos circonstances et
à nos besoins.
Ce travail vise d'une manière
toute particulière les serviteurs de Dieu,
c'est-à-dire ceux de ses enfants qui lui
sont consacrés d'une manière toute
particulière et complète, puisque
Jonas était l'un d'entre eux. Il
l'était en qualité de
prophète. Nous le voyons dans 2 Rois,
XIV ; 25, qui est d'ailleurs le seul passage
qui nous le fasse connaître,
indépendamment du livre que
nous étudions. Nous y lisons que
Jéroboam II, roi d'Israël (810 à
769 av. J. C.) rétablit les
frontières d'Israël depuis
l'entrée de Hamath, jusqu'à la mer de
la plaine, selon la parole que l'Éternel, le
Dieu d'Israël avait prononcée par
son serviteur Jonas, fils d'Amittaï, qui
était de Gath-Epher. Cette
localité se trouvait dans la tribu de
Zabulon.
Dans le livre qui porte le nom de Jonas,
et qui est l'objet de notre étude, c'est
bien le même personnage qui nous est
présenté
ch. I, v. 1. Il était
prophète ; cela veut dire qu'il
parlait, non en son nom personnel, ni de sa propre
autorité, mais au nom de l'Éternel,
comme son messager et son porte-voix ; cela
veut dire aussi qu'il était un
prédicateur de la justice, un
dénonciateur énergique du
péché, un annonciateur du
châtiment de Dieu sur les coupables, un
réveilleur de consciences, en un mot. Et
c'est bien le rôle qu'il est appelé
à jouer dans les pages que nous avons sous
les yeux. Les prophètes devaient aussi
proclamer le pardon, la délivrance et le
salut, prochains ou lointains, accordés
à tous ceux qui se repentiraient et
s'humilieraient sincèrement. Jonas
paraît l'avoir compris et s'y être
refusé, prétextant sans doute qu'il
s'agissait dans le cas qui lui
était dévolu, de gentils, de
païens, soumis à la justice de Dieu
dans toute sa rigueur, mais indignes à tout
jamais de ses compassions et de sa grâce.
C'est là précisément la raison
pour laquelle il s'est enfui à Tarsis ;
c'est aussi pour cela qu'il fuit si
mécontent lorsque Dieu pardonna à la
ville. « N'est-ce pas là ce que
je disais quand j'étais encore dans mon
pays. C'est pourquoi je voulais prévenir la
chose en m'enfuyant à Tarsis. Car je savais
que tu es un Dieu miséricordieux,
etc. ». Ces paroles mettent à
nu ses véritables sentiments et les mobiles
secrets de sa conduite.
Qui est l'auteur du livre de
Jonas ? Il n'est nommé nulle part en
cette qualité. Comme dans tous les cas
analogues que présente la Bible, toutes les
suppositions sont permises et aucune ne peut
revêtir le caractère de la certitude
absolue. Pour ma part, je n'hésite pas
à penser que c'est Jonas lui-même et
que nous nous trouvons ici en présence d'une
sorte de confession faite à la
troisième personne. L'objection à
cette hypothèse, ainsi
formulée : « On comprendrait
difficilement, si Jonas était l'auteur du
livre, qu'il n'y eut pas, en terminant, quelques
expressions de repentir à
la suite de ses réponses presque insolentes
à l'Éternel » cette
objection, dis-je, ne me paraît pas probante,
d'abord parce que le récit, fait à la
troisième personne, et très objectif,
comme on dit aujourd'hui, ne comportait
guère des effusions, et surtout parce que
l'ensemble de la narration laisse largement
l'impression que Jonas a tort et que
l'Éternel a raison contre lui. La
manière de présenter les sujets est
souvent plus impressive que les explications en
paroles expresses, et cette manière est
presque toujours celle de la Bible, et en
particulier celle des Évangiles. Elle
suggère les sentiments plus qu'elle ne les
exprime.
Voici une autre considération qui
milite fortement en faveur de notre point de vue
sur l'auteur : les pensées, les
sentiments intimes, les paroles et les actes du
héros sont décrits avec une
sincérité et une exactitude
étonnantes. Ce caractère, cette
âme, sont si naturels, si vrais, si vivants
que tout lecteur quelque peu attentif du livre en
est saisi. Nous ne sommes point ici en
présence d'une psychologie artificielle et
factice, d'un fruit de l'imagination destiné
à justifier et à illustrer un point
de vue, une théorie, une
vérité importante,
telle, par exemple, que la vocation des
gentils ; en un mot, le livre de Jonas n'est
point un roman à thèse. Malgré
le miracle du grand poisson, qui a
étonné et offusqué tant de
commentateurs, nous voguons en pleine
réalité. Pour employer un langage
tout moderne, ce sont bien des « tranches
de vie » qui nous sont
présentées. Avec Rousseau parlant des
Évangiles, nous dirons volontiers du petit
livre de Jonas : « Ce n'est pas
ainsi qu'on invente ». Un
phénomène analogue se présente
d'ailleurs dans toute la Bible et peut servir
à la caractériser : des faits
prodigieux, déconcertants pour la raison
humaine et pour la critique rationaliste, d'une
part, et, de l'autre, un accent si simple et si
sincère, des individualités si
réelles, parlant et agissant comme on est en
droit de s'y attendre d'après leurs
caractères, leurs idées, leur
mentalité, et leurs circonstances, qu'on ne
peut faire autrement que de s'écrier :
Ils ont vécu !
Enfin, dernier argument : nous ne
pouvons supposer, qu'un auteur anonyme, lui aussi
serviteur de Dieu, si l'on en juge par la valeur
spirituelle du livre, que nous nous efforcerons de
faire ressortir dans cette étude, se serait
plu à raconter les expériences
à la fois humiliantes et
douloureuses de Jonas. Nous aimons mieux croire que
nous les devons à Jonas lui-même. Nul
n'était mieux qualifié que lui pour
nous les donner, afin qu'elles servent
d'avertissement et d'instruction à ses
successeurs dans le service du Maître
divin.
Jésus a sanctionné la
réalité du récit de Jonas dans
des paroles qui vous sont familières depuis
longtemps. Dans
Luc XI, 30, le Seigneur dit que
Jonas fut un signe, c'est-à-dire un miracle,
pour les Ninivites. Dans Matthieu XII, 38-40, nous
lisons : « Une race
méchante et adultère demande un
miracle, mais il ne lui en sera accordé
aucun autre que celui du prophète
Jonas. » Puis il cite
précisément les deux faits essentiels
et caractéristiques du livre : les
trois jours et trois nuits dans le ventre du grand
poisson et la conversion des Ninivites à la
voix de Jonas. Aux yeux de quiconque a appris
à peser la valeur des expressions, il n'y a
pas à hésiter : Jésus
considère ces faits, non comme de simples
images, mais bien comme des vérités
historiques connues et admises de tous ses
auditeurs. Nous n'en voulons d'autre preuve, car
celle-là suffit, que cette
réflexion : « Les
Ninivites s'élèveront au jour
du jugement avec cette
génération et la condamneront parce
qu'ils se repentirent à la
prédication de Jonas ; et voici, il y a
ici plus que Jonas. »
Devant une telle autorité et
devant une telle déclaration, nous nous
inclinons. Si l'on nous dit que Jésus a tout
simplement accepté les idées, voire
les préjugés de son temps tels qu'ils
existaient, sans les contrôler, nous
répondrons qu'il ne l'a manifestement pas
toujours fait, puisqu'il s'est élevé,
à plus d'une reprise, contre les vues et les
interprétations des pharisiens et des
docteurs de la loi. Puis, nous demanderons à
ceux qui parlent ainsi de nous dire enfin
clairement et une bonne fois pour toutes, comment
ils comprennent la personne de Jésus. Il y
aurait un immense avantage pour l'Eglise de
Jésus-Christ à ce que la
théologie évangélique
moderne dise sans ambages de quelle
manière elle se représente l'auteur
de notre salut, le Ressuscité, Celui que
Paul appelle « Dieu manifesté
en chair. » Il est grand temps que
les malentendus et les équivoques cessent.
Lorsqu'enfin le règne de l'équivoque
aura pris fin, la théologie et le
règne de Dieu, qui y tient de près,
quoi qu'on en dise, auront fait
un pas de géant. Ce qui manque le plus
à l'heure actuelle dans le monde
théologique c'est l'entière
sincérité. Quant à nous, nous
n'hésitons pas à croire que Celui
qui, dans le passage même que nous venons de
citer, prophétise sa mort et sa
résurrection, possédait des
lumières suffisantes pour savoir si
l'histoire de Jonas était une fiction ou une
réalité. Quand on a le pouvoir de
lire dans l'avenir comme dans un livre ouvert, il
nous semble qu'on possède aussi celui de
lire dans le passé.
Quand un critique moderne vient nous
dire, se mettant ainsi en contradiction flagrante
avec Celui qu'il appelle son Sauveur et son
Maître : « La conversion des
Ninivites, qui est le trait capital du
récit, est d'une invraisemblance
décisive, » nous protestons. Il
est vrai qu'un autre critique, moins moderne
chronologiquement et autrement, le rédacteur
de la Bible annotée, dit de son
côté : « Le fait de
l'envoi du prophète à Ninive est
conforme à ce que nous savons des relations
du peuple d'Israël avec l'Assyrie à ce
moment-là. » Et il conclut ainsi
ses investigations : « Nous ne
pouvons nous empêcher d'admettre la
réalité de l'histoire
de Jonas, lors même que
l'auteur du récit a pu, dans les
détails, se servir très librement du
thème que lui fournissait l'histoire
(1). »
« Il nous paraît
même beaucoup plus compréhensible que
le tableau du caractère de Jonas ait
été tracé comme un tableau
pris sur le fait que de ce qu'il ait
été arbitrairement
inventé. » Nous souscrivons
pleinement à ce jugement, sauf en ce qui
regarde la liberté de l'auteur concernant
les détails, qui nous paraissent être
l'un des signes essentiels de la
réalité de tout récit, de
celui-ci en particulier.
Comme nous avons raison, n'est-il pas
vrai, d'inviter les critiques à se mettre
d'accord, avant de prétendre nous imposer
les résultats auxquels ils sont parvenus
comme des résultats acquis pour
toujours ! Continuons à nous nourrir
paisiblement de notre précieuse et sainte
Bible, qui demeure, sans nous laisser arrêter
et troubler par une science qui passe.
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