LE
PROPHÈTE JONAS
CHAPITRE IV
Déçu et mécontent.
Quel retentissement cette résolution de
l'Éternel d'épargner la grande
cité va-t-elle avoir dans l'âme de son
serviteur ? Va-t-il se réjouir
profondément et bénir le Dieu d'amour
de ce qu'il a t'ait grâce ? de ce que sa
prédication, à lui Jonas, a
amené un tel résultat, et de ce qu'il
a été, en même temps qu'un
prédicateur de la justice rigoureuse du Dieu
trois fois saint, un moyen de conversion, de pardon
et de délivrance ? C'est bien là
ce qui devrait être, ce que nous serions en
droit d'attendre d'un homme dont la chair, avec ses
passions et ses convoitises, a été
crucifiée, mais ce n'est point ce qui
s'offre à nous. Dans la vie de tous les
enfants de Dieu, entre ce qui doit exister et ce
qui s'y trouve en réalité, la
distance est parfois bien grande
et le contraste bien profond et bien douloureux.
Jonas est mécontent, irrité,
découragé. Comme Elie après
une victoire dont les suites ont été
autres que celles qu'il attendait, il demande
à quitter ce monde. Tout cela est bien
humain, profondément humain, trop humain.
Les serviteurs de Dieu dans la Bible
sont os de nos os, chair de notre chair. Ils sont
tout près de nous, par conséquent, et
leurs sentiments, leurs impressions, leurs
expériences sont pour nous de la plus grande
utilité. Jeter le manche après la
cognée, en avoir assez, se plaindre
amèrement et préférer mourir,
parce que le Seigneur du ciel et de la terre
à mis son programme à la place du
nôtre et a arrangé les choses à
sa façon au lieu de prendre conseil de notre
sagesse et de nos désirs, n'est-ce pas
là quelque chose d'éminemment
moderne, de toujours actuel ? N'est-ce pas
notre manière d'être habituelle, et ne
pouvons-nous pas juger par là, comme Jonas
put et dut le faire, de ce qui reste encore de
personnel et de charnel tout au fond de nos coeurs
et de notre service ?
Nous nous imaginons parfois avoir
totalement abdiqué entre les mains de notre
divin Maître et lui avoir
tout remis. Vienne une circonstance qui
déjoue notre secrète attente, et nous
voilà abattus, renversés,
voilà que tout est remis en question pour
nous ! Le but principal de l'éducation
de notre Père céleste à notre
égard est précisément de nous
faire toucher du doigt le fond même de notre
nature, et nous n'y arrivons que bien lentement et
à travers beaucoup de tribulations.
Misérables que nous sommes ! Qui nous
délivrera complètement et pour
toujours de ce moi qui, bien que crucifié
virtuellement et en gros, renaît si souvent
et se manifeste d'une manière si
fâcheuse pour nous et pour la gloire de Celui
que nous faisons profession de servir ? Un
seul peut le faire et le fera, le grand
Vainqueur ! « Grâces soient
rendues à Dieu qui nous a donné la
victoire par Jésus-Christ, notre
Seigneur. »
Jonas est doublement
froissé :
1° Dans son orgueilleux et
exclusif patriotisme juif. Qui sait s'il
n'avait pas délivré son message avec
d'autant plus de force et de conviction qu'il
s'agissait de la ruine d'une nation païenne,
riche et prospère, étrangère
aux privilèges du peuple élu et,
à son regard prévenu,
exclue à tout jamais de
ces privilèges ? Et voici que
l'Éternel retire sa condamnation, qu'il
pardonne, pour un temps, du moins ; voici
qu'il admet, sinon dans son alliance, du moins dans
sa bienveillance et dans sa faveur cette nation
idolâtre et rebelle. Il n'y comprend plus
rien ; toute sa conception du plan de Dieu et
de Dieu lui-même, toute sa théologie,
en un mot, s'obscurcit. Que de théologiens
modernes errent dans les ténèbres,
tâtonnant à l'aventure et de leurs
mains débiles et mal assurées
l'espace infini qui s'ouvre devant eux, et cela
pour des raisons toutes semblables ! Ils ont
pensé que Dieu devrait ou aurait dû
agir de telle ou telle façon, qui est la
leur, qu'est le fruit de leur sagesse, à la
fois terrestre, charnelle et diabolique !
Oh ! que la théologie et les
théologiens reviennent
« à la loi et au
témoignage » et se remettent
humblement à l'école de Dieu au lieu
de prétendre mettre Dieu à leur
école, et nous verrons la lumière
céleste éclairer de nouveau la
plupart des profondeurs prétendues
insondables !
2° C'est aussi et surtout
l'amour-propre personnel de Jonas qui est
froissé. L'Éternel vient de donner un
flagrant démenti à son
message. Pour qui va-t-il passer
aux yeux des Ninivites ? Il va devenir pour
eux un objet de risée ; ils vont le
couvrir de leurs sarcasmes ; ou bien, ce qui
est pire encore, l'aborder avec un sourire de
pitié et de triomphe sur lui ! C'est
là une humiliation impossible à
accepter. Tout son être proteste et s'indigne
et il en arrive à des paroles qui frisent le
blasphème. Il reproche à Dieu sa
miséricorde, cette miséricorde dont
tout récemment encore il était si
heureux et si reconnaissant de profiter. Quelle
injustice et quelle folie ! Toutefois, que
celui d'entre nous qui se sent indemne lui jette la
pierre ! Que celui ou celle que l'amour de
soi, mordu et entamé par les dispensations,
souvent mystérieuses, de la providence
divine, n'a pas rendu malheureux et plaignant, le
condamne comme un être d'exception, comme une
sorte de monstre ! Ce ne sera pas nous, car
alors nous prononcerions sur nous-mêmes.
Jouir pour son propre compte et sans se lasser des
compassions infinies et inépuisables du
Seigneur, et s'étonner ou s'attrister de ce
qu'il les dispense si libéralement à
d'autres que nous en croyons indignes, qu'en
pensez-vous ? Sommes-nous tout à fait
étrangers à un tel
sentiment ? Je ne le pense pas. Comme notre
égoïsme est habile à trouver des
ruses et des prétextes !
Une chose plus surprenante encore que
l'irritation de Jonas, c'est la longanimité
et la mansuétude de l'Éternel qui
s'exercent en sa faveur au moment même
où il vient de les lui reprocher. Quelle
infinie bonté dans cette simple question
deux fois répétée :
« Fais-tu bien de
t'irriter ? » Et en même
temps, quelle tristesse ne respire-t-elle
pas ? Le Seigneur, lui, a vraiment le droit de
se plaindre et de s'affliger, et il le fait de
telle sorte que la conscience du coupable soit
vivement touchée. Il semble qu'on entend la
voix de Jéhovah dans le jardin d'Eden :
« Où es-tu Adam ? As-tu
mangé de l'arbre dont je l'avais
défendu de manger ? » Si
Jonas a été déçu dans
son attente, et cela parce qu'il n'est pas
entré dans la pensée de Celui auquel
il appartenait et en la présence duquel il
n'aurait pas dû cesser de se tenir ; si,
par conséquent, c'est par sa faute
uniquement qu'il a été
déçu ; l'Éternel, de son
côté, a été
trompé une seconde fois dans ce qu'il
pouvait légitimement attendre du
prophète après la mort et la
résurrection par lesquelles il l'avait
fait passer.
Jonas, en sortant du grand poisson, n'en
avait-il pas fini pour toujours avec sa
volonté propre ? Eh bien non ! le
vieil homme reparaît plus égoïste
et plus agressif que jamais, semble-t-il. Et
malgré cela, Dieu se montre plein de
compassion, attentif aux souffrances, aux fatigues
et aux besoins de son serviteur, aux détails
de ses sentiments et de sa situation. Il se rend
parfaitement compte de son état d'âme.
Jonas s'est laissé surprendre par l'Ennemi.
Il y a en lui de la mauvaise humeur, de l'amertume.
Les tendresses divines ne paraissent pas
l'émouvoir.
Le kikajon (1)
le réjouit pour quelques
heures, mais d'une manière toute charnelle.
De même qu'il n'aurait pas voulu que
l'Éternel lui donnât un démenti
vis-à-vis des Ninivites, de même aussi
il refuse obstinément de se donner un
démenti à lui-même en
s'humiliant de nouveau comme il l'avait fait
précédemment. Il s'entête, mais
Dieu sait très bien qu'au fond Jonas est
meilleur qu'à l'apparence, que son attitude
et son langage dépassent en
réalité sa
pensée et ses sentiments vrais ; que
c'est parce que sa conscience l'accuse qu'il montre
tant de raideur. S'il était aussi sûr
d'avoir raison qu'il veut bien le dire, il ne se
montrerait pas aussi passionné et aussi
insolent.
Ce qui montre le fond même de son
âme, c'est le fait qu'il a écrit cette
confession, qui nous laisse sous l'impression
très nette que Dieu a le dernier mot, parce
qu'il est resté en fin de compte le
Maître de Jonas et que le prophète
n'avait plus rien à répliquer. Et le
fait que Dieu condescend à justifier sa
ligne de conduite, à argumenter avec son
serviteur montre bien qu'il ne considère pas
son cas comme désespéré.
« Si ton coeur s'émeut, lui
dit-il, de la mort d'une plante fragile, dans
l'existence et dans la disparition de laquelle tu
n'es pour rien, mon coeur à moi ne sera-t-il
pas infiniment plus touché par la situation
d'une cité colossale, dont les innombrables
habitants sont mes créatures immortelles, et
où les innocents se trouvaient
déjà en grand nombre, malgré
sa corruption, avant qu'elle prît le sac et
la cendre ? »
Les innocents, ce sont ces cent vingt
mille hommes qui ne savent pas distinguer leur
droite de leur gauche, de tout
jeunes enfants, selon les
apparences les plus plausibles.
Toutes ces choses ont été
écrites pour nous servir d'instruction et
d'avertissement. Ne pensons pas, nous qui faisons
profession d'avoir été
engendrés à la vie nouvelle, que nous
en ayons pour toujours fini avec la vieille nature
pécheresse et que plus jamais il ne se
produira aucun retour offensif de son influence.
Gare aux surprises ! « Que celui
qui se croit debout prenne garde qu'il ne
tombe ! » -
« Veillons et prions, car l'esprit est
bien disposé, mais la chair est
faible. » Bénissons le
Seigneur pour son pardon et son support envers nous
qui les méritons si peu ! Mais
n'abusons pas de cette bonté. Ne disons pas,
ne pensons pas que la grâce nous autorise en
quelque sorte dans nos mécontentements, dans
nos murmures et dans nos révoltes.
Si, dans son amour, le Seigneur fait
croître un kikajon pour abriter et
rafraîchir nos coeurs brûlés par
les ardeurs de l'épreuve, ne mettons pas nos
coeurs dans le kikajon, mais dans Celui qui nous le
donne et qui peut nous le retirer quand bon lui
semblera :
- Laisse agir la Toute-Sagesse
- En ton Sauveur assure-toi.
- S'il semble oublier ta détresse
- Il ne veut qu'éprouver ta foi.
- Attends, demeure-lui fidèle,
- Sache souffrir sans murmurer ;
- Car déjà sa main paternelle
- Est là qui va te
délivrer.
Et ne veuille pas la gouverner, cette main, au
gré de ta fantaisie d'un moment. Enfin,
écoute en silence les questions qu'il pose
à ta conscience, ne réplique pas sans
cesse à ses arguments, laisse-le se
justifier devant toi et laisse-lui le dernier mot.
À lui la gloire, à toi la confusion
de face ! Car Il s'est toujours montré
fidèle, et toi, tu ne l'as pas
été.
CONCLUSION
Voici un livre biblique qui, au premier abord et
pour un regard superficiel ou prévenu,
parait aussi éloigné que possible de
nos circonstances et de nos préoccupations.
Tout y est extraordinaire dans les faits, tout y
renverse les notions scientifiques, philosophiques
ou théologiques qui prévalent
aujourd'hui. Si bien qu'il est traité par
beaucoup avec un grand dédain. Et cependant
tout y est d'une intensité, d'une
réalité de vie, d'une
vérité psychologique et religieuse
qui confondent tous nos partis pris et tout notre
esprit critique. Il y a là une richesse de
vues fécondes, une plénitude
d'expériences utiles, d'enseignements
pratiques qui nous obligent à nous
écrier : Cet écrit est à
la fois humain et divin au plus haut degré.
Nous nous inclinons avec respect et reconnaissance
devant cette oeuvre et devant Celui de qui nous la
tenons. Ainsi en est-il, à
des degrés divers, de toute la Bible,
incompréhensible, énigmatique, pour
l'homme charnel, pleine de problèmes
insolubles pour le chrétien qui
l'étudie avec sa seule intelligence ;
mais lumineuse, riche, vivante et vivifiante pour
l'homme qui a faim et soif de justice, de
vérité, de salut et de
sanctification. C'est pour cela que, sans accepter
aucune théorie tendant à rendre
compte du mode de son inspiration, mais croyant
fermement qu'elle est inspirée, nous ne
voudrions en retrancher ni une ligne ni un mot. Ce
serait, à nos yeux une véritable
amputation, une opération chirurgicale qui
pourrait porter préjudice à tout
l'organisme.
La clef des Écritures, c'est
l'Esprit qui leur à donné naissance
et qui est accordé à quiconque a
résolu de sortir de sa vie propre pour vivre
la vie de Dieu. Emparons-nous de la clef, et le
trésor est à nous tout entier !
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