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  CHAPITRE IX

EN PLEIN TRAVAIL (1890-1902)

 

A la face du monde il est plein d'assurance,

Sa chant qu'à ses côtés est la Toute-puissance

Mais devant le Dieu saint il n'est rien, il n'a rien

La souveraine grâce est son unique bien.

 

1. Au cours des ans

 

Revenons à ce beau printemps ensoleillé de 1890 et à la nouvelle installation à Sainte-Chrischona de Rappard et de sa famille.

C'était une année importante pour la Pilgermission, qui se préparait à célébrer son jubilé cinquantenaire. On avait construit une vaste salle de deux mille places, qui devait s'inaugurer au commencement de juillet, à l'occasion de la fête. D'ici là il y avait encore beaucoup à faire. Il s'agissait de rédiger et d'imprimer la brochure de fête : Cinquante années de la Pilgermission. La salle, appelée Eben-Ezer, était en bonne partie un cadeau dé jubilé des anciens élèves de Chrischona. Il fallut toutefois, pour couvrir les frais occasionnés par les massives fondations de l'édifice, avec leurs vastes pièces, caves et autres locaux, puiser dans le fonds industriel. Cet immeuble a été tout entier des plus utiles à la colonie de Chrischona.

Les journées de fête, du 5 au 9 juillet, furent fort bienfaisantes, ayant été préparées par beaucoup de prières.

Nul n'a pu oublier la pénétrante prédication de M. Samuel Zeller sur ce texte, qui définit avec tant de précision la tâche de l'évangéliste : « Dites aux villes de Juda : Voici votre Dieu ! » (Es. 40, 9.) On en peut dire autant du rapport jubilaire présenté par l'inspecteur, qui rendait au Seigneur avec tant de simplicité et de sincérité toute la gloire pour ce qui avait pu être accompli sur la colline solitaire au cours de ces cinquante années. Inoubliable aussi la salutation de M. le pasteur Gerber disant de la part de la Société évangélique de Berne : « Tu es notre soeur : puisses-tu devenir des millions de myriades, et que ta postérité possède la porte de ses ennemis! » (Gen. 24, 60 ainsi que le mot du lieutenant-colonel de Knobelsdorff: « Autant j'étais fier jadis de lire mon nom dans la liste des officiers de mon empereur, autant je me sens rempli aujourd'hui d'une joie bien plus élevée encore en découvrant mon nom dans la liste des « frères» de Chrischona enrôlés au service du Seigneur! »

Il y avait là environ deux cents amis et « frères », venus d'un peu partout : d'Amérique, de Russie, de Serbie, d'Espagne, des régions les plus diverses de l'Allemagne et de la Suisse. C'était magnifique ! Mais le plus beau, c'était la présence sensible du Seigneur, qui donnait de la puissance à la parole de ses serviteurs et manifestait sa vertu dans les coeurs et les consciences de beaucoup.

Renvoyant à un chapitre subséquent les événements de famille, nous voudrions grouper ici année par année les faits plus ou moins marquants de l'activité de l'inspecteur. Tous, même les plus humbles, ont leur importance parce que Rappard faisait toute chose avec la plus scrupuleuse fidélité. Ajoutons qu'il était secondé par des collaborateurs fidèles, qui le soulageaient d'une partie de sa grande tâche et lui permettaient de vouer tous ses soins et toute son attention à l'enseignement et à l'évangélisation.

 

En 1891 survint le départ pour la patrie céleste de l'inspecteur Reinhard Zeller de Beuggen, le vieil ami si fidèle et paternel d'Henri Rappard, déjà du temps de sa jeunesse.

Vingt-sept années durant, il avait souffert d'un douloureux rhumatisme chronique, sans pour autant négliger ses devoirs d'éducateur dévoué à Beuggen.

Le cercle se rétrécit de plus en plus pour moi, disait-il lors d'une de nos dernières visites ; je ne puis plus mouvoir un seul membre ; je suis tout à fait aveugle à présent. L'an dernier, je distinguais encore les contours des objets, et l'éclat du ciel parvenait encore à mon regard qui s'éteignait. Maintenant c'est fini : je n'aperçois plus rien, et mon ouïe commence à baisser. Oui, le cercle se rétrécit de plus en plus. Mais du côté d'en haut - et il levait ses yeux éteints - il s'agrandit de plus en plus. Le ciel déjà s'entr'ouvre!... Et c'est toujours plus clair, plus lumineux, plus vaste, plus beau, jusqu'à ce que le jour soit dans sa perfection.

Nous te louons, Agneau immolé! Tu nous as rachetés par ton sang. Attire-nous tous, tous à toi ! Fais que nous tous qui ce soir nous tenons ensemble à tes pieds, nous nous retrouvions un jour debout autour de ton trône, au bord de la mer de cristal, pour demeurer avec toi éternellement. Délivre-nous de tout ce qui n'est pas de ton royaume. Attire-nous et fais-nous parvenir jusqu'à toi!

L'heure de la délivrance sonna le 5 juillet pour ce fidèle serviteur. Son frère cadet, Samuel, bien connu sous le nom de M. Zeller de Männedorf, est désormais le chef de la famille. Il fut, lui aussi, un ami fidèle pour son neveu Henri Rappard, neveu à peine moins âgé que lui.

Le 29 août 1893, Rappard achevait sa vingt-cinquième année de service comme inspecteur. Il ne fut pas question d'une fête proprement dite. Mais on fit tous ensemble une belle promenade dans les splendides forêts, chantant des cantiques, lisant des psaumes, et jouissant des paroles cordiales prononcées par un ami, le pasteur Schollmayer, rencontré à l'improviste sous le grand dôme vert des bois. Au retour, le chemin ombreux retentissait des sons mélodieux d'une flûte, jouée avec art et sentiment par un des élèves, qui termina par un cantique favori des « frères »

 

Jérusalem, sainte cité,

Oh ! merveilleuse est ta clarté

A mon front brille une couronne,

Je suis debout devant le trône,

Et ta douce félicité

Est à moi pour l'éternité

 

Désormais ce cantique est resté dans nos coeurs inséparable des souvenirs de cette soirée unique.

Dans son rapport sur l'année 1893, Rappard jette un regard d'ensemble sur ces vingt-cinq années :

Quelqu'un eut un jour l'idée de grouper et de publier en un volume à part toutes les promesses de Dieu éparses dans la Bible. L'ouvrage eut du succès et la première édition en fut bientôt écoulée. Un chrétien âgé ayant vu annoncer ce livre : Les promesses de Dieu, en commanda un exemplaire ; mais l'éditeur lui répondit laconiquement : « Les promesses de Dieu sont épuisées. » Prenant alors sa Bible, le vieillard y relut Esaïe 54, 10 : « Quand les montagnes s'éloigneraient, mon amour ne s'éloignera point de toi, » puis, joignant les mains : « Dieu soit béni, » dit-il, « cette promesse n'est pas épuisée ! »

 

L'auteur de ces lignes éprouva un sentiment analogue en prenant la plume pour rédiger ce rapport. Lorsqu'en 1868 il rédigea son premier rapport d'inspecteur, cette admirable promesse remplissait son coeur. Aujourd'hui, au bout de vingt-cinq ans, il peut avec tous les siens déclarer avec gratitude que l'amour de l'Éternel ne s'est point éloigné de nous et que son alliance de paix n'a point chancelé. Sans doute, cela n'a pas été sans bien des combats et des souffrances. C'est par les ténèbres que le Seigneur nous a conduits à la lumière ; par la mort à la vie. Nous le sentons plus vivement et plus profondément qu'il y a vingt-cinq ans: notre Dieu est le même hier et aujourd'hui et éternellement, et son serviteur ne peut rien souhaiter de plus glorieux que de travailler dans sa maison et dans son royaume.

Le nom de Louis Jaeger, le fidèle trésorier de la Pilgermission, a déjà paru plus d'une fois dans ces pages. Il convient de faire aussi mention de sa mort, survenue le 13 mars 1897

Peu de jours avant, le 4 mars, il était encore monté à Chrischona pour fêter, comme disait en souriant ce vieux célibataire, ses noces d'or avec Sainte-Chrischona. Il y était en effet entré comme élève le 4 mars 1847, mais pour dix jours seulement, Spittler l'ayant instamment prié de venir l'aider « provisoirement » au Fälkli dans ses multiples oeuvres religieuses ; occupation provisoire devenue l'oeuvre richement bénie de cinquante années....

Cette dernière visite du paternel ami à sa vieille Chrischona bien-aimée avait été bien douce, quoiqu'un peu mélancolique. On voyait bien que pour le vieux pèlerin la fin approchait rapidement.... Nous ne pouvons qu'indiquer ici tout ce qu'il a été pour la Pilgermission et pour la ville qu'il habitait, en le résumant d'un mot: Il a été une bénédiction.

 

Un an et demi plus tard, c'était le tour de son associé, M. Paul Kober-Gobat, beau-frère de Rappard. Sa mort fut un coup douloureux pour ce dernier. Kober était, avec sa femme, en route pour Jérusalem, où l'empereur Guillaume allait inaugurer l'église du Rédempteur, lorsqu'il fut terrassé par la maladie, à bord du Soleil de minuit, et s'endormit doucement du dernier sommeil. Sa dépouille mortelle fut inhumée à Alexandrie, dans cette terre d'Orient qu'il avait tant aimée.

En cette même année 1898, la Conférence internationale des Unions chrétiennes de jeunes gens siégea à Bâle, et ce fut pour Rappard une grande joie d'en accueillir, sur la colline de Chrischona, les délégués et leurs amis, au nombre d'environ deux mille. L'inspecteur et M. Adolphe Vischer, alors président du comité de la Pilgermission, leur souhaitèrent la bienvenue dans la grande salle d'Eben-Ezer, toute décorée de branches de sapin ; et à leur tour plusieurs délégués, Sir George Williams entre autres, prononcèrent de brèves et pénétrantes paroles, Les blanches cimes des Alpes étaient voilées, mais le territoire bâlois et la Forêt-Noire s'auréolaient de gloire et de magnificence, tandis qu'au signal donné par les trompettes ces visiteurs amis redescendaient les pentes de la colline.

C'est dans le rapport de 1899 que se trouve la première mention d'un nouveau bâtiment, l'École biblique et Maison de repos, appelée « Zu den Bergen » (Vers les montagnes, d'après Ps. 121).

Rappard en avait dirigé la construction et les installations avec le soin le plus minutieux et avec autant de sens pratique que d'amour, si bien qu'on peut presque considérer cette maison comme un souvenir de lui.

Au reste, elle a été pour lui, pendant les dix dernières années de sa vie, la source d'une joie profonde, à mesure qu'il a pu la voir prospérer sous la direction de ses enfants, M. et Mme Veiel, et rendre d'inappréciables services, tant pour les cours bibliques d'hiver que pour les séjours de repos ou de convalescence.

Citons encore les paroles d'avertissement adressées par l'inspecteur à ses frères à l'occasion de la fin du XlXe siècle:

Je ne saurais mieux résumer en une parole brève mes sentiments et mes voeux à propos de l'oeuvre qui nous est confiée que par le passage bien connu (Zach. 4, 6): « Ce n'est ni par la puissance, ni par la force, mais c'est par mon Esprit, dit l'Éternel des armées, que ceci se fera. » Apprenons à travailler dans la foi à notre Sauveur Jésus-Christ, qui a reçu tout pouvoir dans les cieux et sur la terre. Le bruit qu'on fait, le faste qu'on déploie, comme aussi les règlements de tout genre venant compliquer le travail d'évangélisation, l'effort humain dans les réunions, ne sont-ce pas là tout autant de symptômes révélant l'absence de la vraie puissance, paisible et cachée, de l'Esprit ?

Il est utile de relire de temps à autre une bonne histoire de l'Église; on y voit l'illustration de la parole du Seigneur : « Hors de moi vous ne pouvez rien faire. »

Il faut absolument nous en tenir aux vérités clairement exprimées dans la Parole de Dieu et reconnues et admises par l'Église de tous les temps. A Chrischona, nous enseignons toujours la dogmatique et nous vénérons les confessions de foi de l'Église pour autant qu'elles sont conformes à la doctrine biblique.

Ne nous laissons pas égarer par la recherche de l'extraordinaire et du nouveau. Nous aimons les routes antiques et éprouvées sur lesquelles ont cheminé notre Seigneur et ses apôtres, et nous voulons prendre pour type de notre activité pour le règne de Dieu la pratique décrite dans le Nouveau-Testament.

Les « frères » jeunes et zélés courent le danger d'être séduits par les innovations qui semblent heureuses pour la conquête des âmes. Quiconque reconnaît ce danger sera reconnaissant d'avoir auprès de lui des aînés pour le conseiller.

On ne devait pas tarder à voir dans les cercles mêmes des « Gemeinschaften » l'à-propos et la nécessité de ces exhortations.


Table des matières

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