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 6. Traits de sa vie. En voyage

 

Nous avons déjà vu quelle affection cordiale Rappard avait pour Berne.

Lors d'une fête de la Société évangélique, lisons-nous dans une Feuille bernoise du dimanche de 1900, M. Rappard, inspecteur de Chrischona, fit la première allocution, et débuta ainsi : « Voici la première ligne de la première page de notre précieuse Bible : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » Que de choses dans ce petit mot et ! Le ciel et la terre. Le ciel n'est pas sans la terre ; ni la terre sans le ciel ; le ciel pour la terre, et la terre pour le ciel. Aussi lisons-nous à la fin de notre Bible : je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre.... Et maintenant, ajoutait-il bientôt, mon cher auditeur, tu as une place sur la terre, es-tu bien certain d'en avoir une aussi au ciel ? »

Parmi les nombreux assistants se trouvait un simple ouvrier de fabrique de Wangen, nommé S. Il écouta attentivement ce qui se dit, et l'inspecteur ne se doutait pas de la promptitude avec laquelle sa parole allait germer et croître dans le coeur de ce silencieux auditeur, qui tôt dans l'après-midi déjà rentrait chez lui fatigué, mais suprêmement heureux en son Dieu et Sauveur. « Tu ne peux pas te figurer », disait-il à sa fille, « Combien je suis heureux : je suis tout à fait sûr d'avoir ma place au ciel. » Et les jours suivants, presque chaque fois qu'il rentrait de la fabrique, il redisait : « Quel immense bonheur ! quelle joie, quelle paix m'inonde ! il m'a été fait grâce ! »

Environ huit jours après, S. se blessa la main en travaillant la blessure s'envenima, un empoisonnement général du sang se déclara; on transporta le blessé à l'hôpital, mais il n'y avait plus de remède : il s'en alla joyeux en son Sauveur.

N'est-il pas encourageant de voir comment Dieu sait avertir et réveiller le pécheur en dépit de sa trompeuse sécurité, et le préparer avec amour à une mort que rien cependant ne faisait prévoir comme prochaine ?

Au cours d'un voyage sur mer, un passager, remarquant que Rappard lisait souvent son Nouveau Testament, lui dit : « Quoi ! vous êtes encore de ces gens peu éclairés qui croient à ce vieux livre? Quant à moi, j'y crois tout juste comme à un roman. » L'inspecteur confessa ouvertement sa foi à la vérité révélée, ajoutant que seule cette foi lui fournissait une réponse aux problèmes autrement insolubles du temps et de l'éternité. Puis il parla du péché et de Celui qui l'efface. Son interlocuteur riait: «Je n'aurais que faire de tout cela. je suis un brave homme et je me tirerai bien d'affaire tout seul. » Mais Rappard, de toute son âme : « je n'en crois rien. » - « Qu'est-ce qui vous en fait douter? » demanda l'étranger. - « C'est que vous êtes fait de la même pâte que moi : je connais mon coeur, et je sais que sans un Sauveur le ne pourrais m'en tirer, - et vous non plus. »

Le lendemain, ce monsieur s'approcha de nouveau de Rappard : «Vous pourriez bien avoir raison, fit-il, je n'ai pas dormi de toute la nuit à cause de ce que vous m'avez dit.... »

 

M. et Mme Rappard étaient allés une fois avec leurs enfants en excursion sur le Blauen, belle montagne de la Forêt-Noire, en face de Chrischona. Ils remarquèrent aussitôt, parmi les hôtes de la pension, un beau vieillard aux longs cheveux d'un blanc de neige, et à l'aspect des plus vénérables. S'éparpillant dans les bois à la recherche des fleurs et des fraises, les enfants en revinrent avec un bouquet au parfum délicieux, qu'ils offrirent timidement à ce monsieur. Il y prit grand plaisir et demanda à ses nouveaux amis qui étaient leurs parents. Puis, se présentant à eux : « Il faut bien que je vous dise», avoua-t-il franchement, « que j'ai remis à la poste, il y a une demi-heure l'épreuve d'un article dans lequel je vous attaque vivement, vous et votre oeuvre. » Bientôt néanmoins les deux hommes s'entendaient fort bien et se sentaient d'accord quant aux bases profondes de leur foi. En prenant congé, le vieux pasteur dit avec chaleur : « Au revoir là-haut! Il y fera encore bien plus beau que sur le Blauen. »

En dépit de cet article belliqueux, que Rappard eut bientôt l'occasion de lire, il a conservé de cette rencontre un bon souvenir; et quand, au bout de peu de mois, il apprit par les journaux la mort de ce pasteur, le sentiment qu'il éprouva pourrait s'exprimer ainsi

 

On ne connaîtra plus cette souffrance extrême

De ne pouvoir s'entendre avec ceux que l'on aime.

Nous serons inondés de céleste clarté,

Tous unis en esprit, unis en vérité.

 

L'inspecteur se trouvait une autre fois en tournée dans le Jura bernois. Il y a là de grosses fermes isolées, entourées de grasses prairies verdoyantes, où paissent de beaux troupeaux. Les habitants, mennonites pour la plupart, sont de moeurs simples et patriarcales, et ont à coeur d'élever leurs enfants dans la crainte de Dieu.

Ils jouissent beaucoup de la visite d'un évangéliste, et de son côté Rappard aimait fort, quand l'occasion s'en présentait, à saluer au passage ces amis isolés. Il n'organisait pas alors de grandes réunions, mais faisait un simple culte de famille auquel assistait tout le personnel de la ferme.

Un matin qu'il priait ainsi dans une ferme, les mains jointes et les yeux fermés, il sentit un léger attouchement et, ouvrant les yeux, vit un enfant de deux ans environ qui s'était tout doucement traîné jusqu'à lui et avait mise sa petite tête bouclée sous les mains du serviteur de Dieu.

Il n'aurait pas su dire ce qui s'agitait dans son petit coeur, mais son geste était une sorte de prière : «Bénis-moi! » Et du coeur paternel de Rappard monta une fervente requête pour le cher petit.

Ce simple souvenir resta dans le coeur de l'inspecteur et des siens comme une leçon : Viens donc te placer comme un petit enfant sous les mains bénissantes de ton Sauveur....

Rappard rencontra dans une série de réunions une personne qui travaillait depuis longtemps dans la vigne du Seigneur, Des paroles prononcées au cours de ces journées l'avaient profondément troublée. « Ah! » disait-elle, «je suis toute misérable : on m'a tout pris, il ne me reste plus que Jésus! » - « Pourquoi dire plus que, répliqua Rappard, Jésus n'est-il pas suffisant? »

On le voyait toujours avec joie prendre part aux réunions diverses organisées ici et là pour l'approfondissement de la vie chrétienne, en Allemagne comme en Suisse, à Baden, à Rämismühle, à Chexbres, à Zurich. Le pasteur Christlieb écrivait à ce propos :

Je me rappellerai toujours comment, à une conférence de Zurich, à la chapelle de Béthel, je ne pouvais que me dire : A présent, on a assez parlé: si seulement on pouvait prier! Au même moment Rappard monta à la tribune et, au lieu de poursuivre la discussion, joignit les mains et plaça toute la question devant Dieu dans une fervente prière. Quel bien cela m'a fait! Cela a scellé en mon coeur la bénédiction de la conférence.

Un dernier trait, devenu maintenant particulièrement cher aux siens :

Sa vie de communion avec le Seigneur, écrit un évangéliste, et sa manière d'envisager sa rencontre avec Dieu m'ont fait une fois une impression profonde. C'était le jour de l'inauguration de notre maison. L'inspecteur avait lu au culte du matin l'Évangile du jour (Jean 2, 1-11) en ajoutant : «Le Seigneur crée quelque chose de neuf! » Puis se tournant vers ma femme déjà bien malade, et qui devait être bientôt retirée de ce monde : « A vous aussi, fit-il, il va vous créer quelque chose de neuf, un nouveau corps! » Voyant couler ses larmes, il continua : « Qu'y a-t-il de plus glorieux que de Le voir, Lui! Si le Seigneur venait me dire : je te rappellerai dans deux heures, je répondrais : je viens, Seigneur! » Puis, me saisissant la main, il poursuivit : « je dirais Frère, dis à ma femme et à mes enfants que j'ai gardé la foi que la séparation ne sera pas longue ! qu'ils doivent garder la foi, eux aussi, et qu'alors nous serons tous réunis auprès du Seigneur! »


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