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 CHAPITRE X

DANS LA FAMILLE

 

Que ma maison

A mon Maître soumise,

soit dans la grande,

une petite Eglise!

 

1. Du mariage

 

Henri Rappard fondait tout son bonheur familial sur la Parole de Dieu, de la même façon que sa vie spirituelle personnelle et son ministère. Il prenait pour règle de conduite cette parole apostolique : je veux que vous sachiez que Christ est le chef de tout homme, que l'homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Christ. (I Cor. I 1, 3). « Voilà, disait-il, la vraie situation et l'ordre établi, et seul l'homme dont Christ est le chef est capable d'être à son tour le chef de la femme dans le vrai sens du mot. »

Déjà comme fiancé, il affectionnait le beau passage des Ephésiens 5, 22-33. Bien souvent, plus tard, il l'avait relu avec sa femme en présence de Dieu, puisant chaque fois à cette source divine une eau rafraîchissante et vivifiante.

D'une part, remarquait-il, l'amour de Christ pour son Église et la consécration de celle-ci à son Sauveur sont présentés comme le type de l'amour chrétien. D'autre part, l'amour conjugal est employé comme une image capable de faire mieux comprendre à notre faiblesse de quel amour Christ nous chérit, nous son Épouse, et dans quel esprit de dépendance et de consécration nous devons nous attacher à Lui. Symboles combien précieux !

 

Faisant allusion aux divers passages des épîtres qui mentionnent les devoirs de la vie de famille, il demandait un jour plaisamment:

D'où vient que ce n'est jamais aux femmes qu'il est ordonné d'aimer leurs maris, toujours aux maris d'aimer leurs femmes ? ... C'est d'abord, lui fut-il répondu, que l'amour est plus naturel aux femmes, et puis qu'elles ne réclament rien d'autre de leurs maris que leur amour.... hélas ! ajoutait-il plus sérieusement, qu'il est rare, même chez les croyants, cet amour vrai ! Et pourtant il est de fait que tous les devoirs des maris chrétiens se trouvent parfaitement résumés dans ces simples mots : Maris, aimez vos femmes !

Déjà comme fiancé il avait écrit une fois: « Tu as désormais le droit, de par la Parole de Dieu, de me dire: Tu dois m'aimer! »

S'il apprenait qu'ici ou là au lieu de l'amour régnaient l'égoïsme et la dureté de coeur, il disait: « Qu'on n'appelle pas cela un malheur ou 1 une particularité de caractère ! C'est un péché, c'est de la désobéissance à la Parole de Dieu. Que le Saint-Esprit remplisse les coeurs, et tout s'arrangera : le mari deviendra un époux plus tendre, et la femme une épouse plus soumise. »

 

A propos de la soumission réclamée de la femme comme son devoir principal, il soulignait volontiers les trois petits mots qui en marquent la dignité: « Soumises dans le Seigneur, ou comme au Seigneur. » La voilà ennoblie et sanctifiée, l'obéissance que commande la Parole divine.

On comprend qu'il soit impossible de raconter en détail comment ces grands principes trouvaient leur application dans la vie ordinaire. Il suffira de tout résumer dans ce témoignage reconnaissant de celle qui trace ces lignes:

« Nous étions réellement un. »

Ajoutons seulement à ce propos quelques traits caractéristiques.

Comme tous les hommes au caractère élevé, Rappard avait le respect chevaleresque de la femme, et ce sentiment naturel était renforcé en lui par le fait qu'il entrait en plein dans la manière de voir de l'Évangile quant à la position de la femme. Nul n'en peut parler mieux que celle qui a eu le grand privilège de vivre quarante-deux ans à ses côtés, aimée, dirigée, élevée par lui. Mais ces mêmes sentiments se manifestaient en toute occasion. Ses lettres de jeunesse attestent de quel tendre amour et de quel respectueux attachement il a entouré sa mère et ses soeurs. Le besoin de se faire le défenseur de la faiblesse était profondément ancré dans ce caractère fort - il voulait en retour qu'on entrât dans ses vues avec une confiance implicite.

Sans en parler beaucoup, il communiquait ce même esprit à ses élèves. Il était nettement hostile aux vues admises dans certains milieux, où l'on considère la femme comme une sorte de bonne supérieure, qu'on n'épouse que pour se décharger sur elle des soins du ménage, et qui doit être satisfaite d'avoir un intérieur convenable et de quoi vivre. C'était à ses yeux chose infiniment sacrée et délicate que cette inclination innée qui rapproche l'homme de la femme. Il savait d'autre part priser bien haut l'esprit de consécration au Seigneur ou d'obéissance aux directions de sa Providence de ceux et de celles qui déposent aux pieds de leur divin Maître le joyau d'un amour terrestre pour Lui appartenir sans partage, à l'exemple de Paul. Et il savait aussi combien souvent ce qu'on appelle amour n'est qu'une passion impuissante à satisfaire le coeur, parce qu'elle le détourne de Celui qui est l'unique source du bonheur.

Mais tout cela ne l'empêchait point de reconnaître la grande grâce que Dieu accorde à un homme quand il le fait jouir de cet amour conjugal qui unit deux êtres dans la communion la plus étroite, grâce qui doit être, comme toute autre, entièrement soumise au Seigneur et sanctifiée par Lui, pour qu'elle n'éloigne pas le coeur de son Créateur, mais qu'au contraire elle l'attache plus fortement à Lui. C'est ici avant tout qu'est de rigueur la règle : « Seulement que ce soit dans le Seigneur! »

 

Cet homme à la pensée nourrie de la Bible affectionnait les expressions bibliques ; aussi ne trouvait-il pas de nom plus beau à donner à sa femme que celui d'aide. Et ce n'était pas un simple titre décoratif, c'était une réalité, et cette aide lui est restée profondément reconnaissante de lui avoir permis de s'associer à son oeuvre, non seulement dans les choses terrestres et passagères, mais aussi dans les grands intérêts du règne de Dieu. Toutefois, cette position d'aide demande à être respectée. La femme peut aider, jusque dans le service du sanctuaire, mais qu'elle ne prétende jamais dominer. A notre époque féministe, il est peut-être bon de relever ce point.

Déjà dans les premiers temps de leur vie à deux, Henri Rappard disait à sa jeune femme:

Plus notre amour sera spirituel, plus il sera éternel. Tout ce qui n'est que terrestre, psychique, disparaîtra avec la terre ; seul, ce qui est spirituel demeurera éternellement.

Dans sa grâce et sa patiente bonté, le Seigneur a répondu à la bonne volonté sincère de ses enfants et a fait leur éducation commune et mutuelle, si bien qu'ils se sont aidés l'un l'autre à marcher vers le but dépeint par le poète:

 

Le jour luira du revoir merveilleux,

Où, transformés, n'étant plus homme et femme,

Nous ne serons plus qu'un ; où tous les deux,

D'un même amour, d'une seule et même âme,

Nous chanterons avec les bienheureux

Le Rédempteur dont la foi se réclame.

 

Les fréquentes séparations amenées par les voyages de l'inspecteur étaient plus pénibles pour ceux qui restaient que pour le voyageur lui-même; elles ne le laissaient toutefois pas indifférent. Se trouvant à l'étranger pour le Nouvel-an, il écrivait:

 

Mes bien-aimés,

Vous me manquez beaucoup, mais je prêche aujourd'hui sur I Cor. 7, 29-31 : « Le temps est court ; que désormais ceux qui ont des femmes soient comme n'en ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, et ceux qui usent du monde comme n'en usant pas, car la figure de ce monde passe. » Nous n'aurons une félicité éternelle et une communion sans fin que lorsque la course sera à son terme. Pour le moment, il s'agit de travailler encore pour le Seigneur.

 

Il savait parsemer ses lettres à sa femme de précieux encouragements:

Rappelle-toi que tu es une brebis de Jésus-Christ et ne permets pas aux soucis de troubler la sérénité de ton âme.

Prie toujours avec confiance. Bannis l'anxiété.

N'est-ce pas que nous sommes décidés à faire toujours la volonté de Dieu, dans les grandes et dans les petites choses?

Pour un anniversaire de leur mariage:

Aujourd'hui je pense à toi avec une grande tendresse. Le 28 novembre 1867 a été pour nous une journée bénie, et elle le sera jusqu'à l'avènement du Roi, et dans la nouvelle Jérusalem où nous jouirons, grâce à la rédemption, de l'éternelle félicité, avec tous nos enfants.

Jje penserai beaucoup à toi en prière. Que le Seigneur te bénisse dans ton oeuvre parmi les femmes du Wiesenthal, et moi-même dans ma prédication dans la vallée de la Thur! Si cette journée nous trouve séparés l'un de l'autre, mais tous deux au travail pour le Seigneur, cela en rehausse la valeur.

Même date, quelques années plus tard:

Nous sommes encore plus heureux aujourd'hui qu'il y a trente ans, en tout cas plus près du ciel ! Pourvu que nous restions fermes dans la foi, le Seigneur nous portera bien encore jusqu'à l'éternel revoir.

Comme dédicace d'un superbe harmonium, il écrivait:

Joue et chante avec tes fils et tes filles, à la gloire de ton Seigneur, tu seras en bénédiction à ton mari.

 

Cet homme éminent, souvent un peu distrait au milieu du cercle de famille et absorbé par ses préoccupations, était cependant plein de délicatesse et savait trouver des mots charmants pour exprimer son affection. Il disait par exemple, un jour, au retour d'un voyage d'inspection de longue haleine qu'il avait fait par exception en compagnie de sa femme: « Cette fois, pendant ces quatre semaines, j'ai été tout le temps à la maison. »

Chacun savait qu'il était le maître chez lui, et la vérité nous oblige à dire que parfois l'obéissance stricte exigeait une victoire sur soi-même. Sa domination toutefois n'avait rien de dur ou de despotique; on savait qu'il ne cherchait point ses aises, et de plus en plus on constatait que ses décisions étaient sages et fécondes en bénédictions; aussi avait-on confiance en lui et s'effaçait-on volontiers.

Voici quelques vers qui lui ont fait plaisir; ils accompagnaient une paire de gants confectionnés par la même main qui les a écrits:

 

J'ai placé mes mains dans les tiennes

Trente-six ans passés déjà ;

Avec toi Dieu tenait les rênes,

Et nous sommes encore là....

 

Devant nous s'ouvre encore la voie;

Replaçant ma main dans ta main,

Je puis te redire avec joie :

Tiens les rênes jusqu'à la fin!

 

Et il l'a fait: sans relâchement, sans négligence, sans qu'on ait pu jamais constater un recul dans sa tendre sollicitude, dans son esprit chevaleresque ou dans sa tendresse. Au contraire, il s'est montré toujours moins exigeant, toujours plus paisible et plus reconnaissant.

Terminons ce chapitre par une prière qu'il avait écrite une fois pour l'anniversaire de sa femme

 

Seigneur Jésus, Sauveur fidèle!

Ta main a dirigé,

Et ton oeil a veillé,

Ta grâce a restauré,

Toujours à nouveau Ton Esprit a ranimé.

Constamment ton sang précieux a purifié,

Tu n'as pas ménagé ta peine avec nous,

Accomplissant ton oeuvre d'amour !

 

Fais que les années futures qui débutent aujourd'hui soient remplies de vigueur nouvelle, remplies de ton Esprit, vécues pour toi seul, pour te servir et pour porter des fruits à la gloire du Père ! Amen.


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