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 2. Les enfants

 

Pendant bien des années il y eut autour de la table de famille huit joyeux enfants, semblables à « des plants d'olivier ». Il y en eut même au total dix, quatre fils et six filles. Mais, comme on l'a vu, deux des fils furent « transplantés » tout jeunes encore. Ce double deuil fit briller d'un éclat plus vif la parole royale du Prince de la vie : « Pour Lui tous sont vivants. »

Ils ont eu tous une enfance ensoleillée, et souvent on a appelé la paisible colline un « paradis des enfants », avec ses bois et ses prés et leurs délicieux emplacements pour les jeux, avec ses chevaux, ses vaches et tout son train de campagne. Le plus beau de tout cependant, c'est que partout régnaient la crainte de Dieu et l'amour, et qu'on n'y entendait jamais de ces vilaines paroles qui viennent trop souvent souiller de bonne heure les âmes enfantines.

Jusqu'au moment où l'on partit pour Bâle, les leçons furent confiées à une institutrice, fidèle chrétienne, à laquelle parents et enfants ont toujours gardé une grande reconnaissance. Une fois en ville, on profita des écoles. Puis, de retour à Chrischona, la grande soeur dirigea les études des cadettes, tandis que les garçons continuaient à descendre chaque jour au gymnase.

Bien que les parents fissent effort pour que la vie d'institut ne nuisît pas à la vie de famille, le père ne pouvait pas se consacrer autant qu'il l'eût aimé à l'éducation de sa petite bande. Néanmoins, tous éprouvaient à l'avoir auprès d'eux un sentiment de sécurité qui se traduisit une fois dans un chant de leur crû, qu'ils avaient composé à l'occasion d'un de ses départs, et qui débutait ainsi:

Oh ! reste ici, Seigneur Jésus,

Tant qu'avec nous Papa n'est plus.

 

On retrouvait dans ses allocutions comme dans ses publications le fruit des observations qu'il faisait dans son petit cercle de famille. Ainsi dans son dernier rapport annuel:

Un jour, mes enfants étant encore petits, comme j'avais lu au culte de famille le chapitre 10 de Luc, l'un d'eux demanda:

« Mais comment les disciples pouvaient-ils voyager sans bourse?»

« Moi, je sais, répondit un autre, les disciples faisaient comme nous quand nous allons n'importe où avec Papa. Nous n'avons pas besoin de nous munir d'argent, parce que nous savons qu'il a une bourse, lui ».

D'ailleurs, les petits tours qu'il faisait ici ou là avec les enfants ne coûtaient guère, bien qu'ils fussent riches en beaux et précieux souvenirs. Nous prenions notre voiture, et le père conduisait lui-même, choisissant les routes les plus belles pour apprendre aux enfants à connaître leur pays et à ouvrir les veux.

Une fois, on alla jusqu'à Lucerne, d'autres fois; on poussa jusqu'à Neuchâtel, au lac Titi (Forêt-Noire), ailleurs encore. Il ne faisait pas de longs séjours de vacances ; mais ces excursions de quelques jours en famille lui faisaient à lui-même grand bien. Quelle joie pour lui d'avoir une fois du temps à leur donner ! Comme on chantait! D'un bout à l'autre de l'année d'ailleurs la maison retentissait de chansons et de cantiques.

 

Le 28 novembre 1892 est resté dans toutes nos mémoires comme un point culminant de notre bonheur en famille: c'étaient nos noces d'argent! Le vénéré oncle Samuel était venu de Männedorf, et son allocution (sur Ps. 65, 2-5) donna le ton à toute la fête. Et le père de famille se joignit de toute son âme à l'affirmation du chantre royal: « Heureux celui que tu choisis et que tu admets en ta présence, pour qu'il habite dans tes parvis ! Nous nous rassasierons du bonheur de ta maison, de la sainteté de ton temple. »

Jusqu'alors les huit frères et soeurs, si étroitement unis, n'avaient jamais été séparés longtemps. Mais peu après cette belle fête commencèrent les adieux. En 1894 eut lieu le mariage de l'aînée, tandis qu'une autre s'en allait ailleurs travailler à l'oeuvre de Dieu. Puis le Seigneur vint déchirer les coeurs en rappelant à Lui l'aîné des fils. Un nuage jetait sa grande ombre sinistre sur notre vie de famille si ensoleillée, et nos coeurs étaient tremblants. Mais la voix du Dieu tout-puissant et compatissant perça le nuage....

Puis les séparations se multiplièrent, Joyeuses et tristes, comme cela arrive habituellement, à mesure que chaque membre de la famille trouvait son champ de travail. Quelle joie pour le père de constater dans les coeurs de ses enfants l'action de la grâce et de les voir envoyés par le Maître de la moisson dans ce vaste champ qu'est le monde !

Durant nombre d'années, il eut la joie de garder à ses côtés l'une ou l'autre de ses filles à titre de secrétaire intime, ce qui pour lui était un allégement considérable de sa tâche, et pour elles un excellent moyen de se développer à tous égards.

Son fils Henri, le dernier qui lui restât, partit en 1898 pour Saïda (Algérie) comme pasteur, chargé, de la part de la Société centrale d'évangélisation (Paris), de s'occuper des Européens de la région, mais surtout des soldats de la Légion étrangère. Il eut en 1901 la grande douceur de recevoir la visite de ses parents, qui passèrent quelques semaines avec sa petite famille dans cette ville très africaine. Pour l'inspecteur, ce n'était pas rien que de fouler une fois encore le sol de cette Afrique qui avait été le témoin de ses premières armes. Contrée et population l'intéressaient également, et les légionnaires avaient toute sa sympathie. Son fils finit par s'établir définitivement en Algérie, sans renoncer cependant à venir revoir chaque année la vieille patrie et la maison paternelle.

En avançant en âge, l'inspecteur eut encore la joie de voir deux de ses gendres, MM. Hanke et Veiel, devenir avec leurs femmes et sa fille M. ses collaborateurs à Chrischona, tandis que les trois cadettes trouvaient aussi chacune leur champ de travail. L'une est la femme de M. le pasteur A. Simon, à Francfort, une autre est à l'oeuvre à Valentigney (Doubs), et la cadette, Mme G. de Tribolet, est missionnaire à Lourenço-Marques (Mozambique). Son départ fut douloureux pour le coeur de son père, qui ne devait pas la revoir ici-bas.

Ils savent tous, ces enfants, ce que leur père a été pour eux! C'est de ses lèvres qu'ils ont appris les paroles de vie.

Dans la maladie, il s'est tenu auprès d'eux dans la prière et dans la foi. C'est sur cette foi ferme comme le roc qu'ils se sont appuyés toujours à nouveau dans leurs détresses extérieures ou intérieures, parce qu'il savait les adresser à Celui qui était l'Étoile de sa vie, sa vie même, Jésus-Christ.

Les incidents de leur vie journalière l'intéressaient d'ailleurs aussi à un haut degré, et ses enfants attachaient un grand prix aux questions minutieuses qu'il leur posait. Pouvoir tout raconter en détail à leur père mettait toujours le comble à leur joie.

Au reste, ce trait de caractère, cette sympathie compréhensive, frappait chacun. Il prenait un vif intérêt à tout ce qui occupait ou préoccupait ses amis, et savait fréquemment les aider de quelque heureuse suggestion. Quand on est débarrassé de soi-même et de la préoccupation de soi-même, on a du temps et du coeur pour les autres.

Avec quelle tendresse aussi son coeur de grand-père suivait les progrès de ses petits-enfants de Chrischona, de Francfort et de Saïda! Comme il savait se mettre à leur portée ! Au milieu des savants volumes et des imprimés divers qui encombraient sa table à écrire, se trouvaient toutes sortes de jouets, une boîte à musique entre autres, attendant l'occasion d'égayer ses petits visiteurs.

Il intercédait chaque jour pour eux auprès du Seigneur, demandant surtout qu'ils pussent tous venir à Christ et demeurer en Lui, le servir ici-bas et briller un jour dans la gloire. Il redisait du fond de l'âme et parfois avec larmes

 

Puisque ta main, Seigneur, nous unit ici-bas,

Fais que ces doux liens ne se relâchent pas

Vienne la mort, nous chanterons victoire

Qu'auprès de toi, dans l'éternelle gloire,

Nous soyons réunis après tous nos combats

 

Avant de donner quelques fragments de ses lettres à ses enfants, il convient, en parlant de la famille, de dire un mot des relations de maîtres à serviteurs. L'inspecteur avait à coeur de voir sa maisonnée tout entière rangée sous le sceptre de son Roi et imprégnée de l'Esprit de Christ. Il parlait fréquemment de la haute estime en laquelle il tenait ceux qui servent leurs maîtres avec fidélité et dévouement, sans chercher l'admiration des hommes. Il s'intéressait cordialement aux circonstances extérieures ainsi qu'à l'état spirituel des domestiques, qui de leur côté avaient en lui pleine confiance, et le servaient avec d'autant plus d'empressement qu'il était moins exigeant. Au cours de son dernier petit voyage de vacances, peu de semaines avant sa mort, il envoyait d'une station de montagne une carte illustrée à la servante qui gardait la maison, et la signait

« Ton reconnaissant, C.-H. Rappard. »

 

Voici maintenant quelques extraits de lettres à ses enfants

5 octobre 1883.

.... J'ajouterai, selon que Dieu me le donnera, un mot pour chacun de mes huit enfants :

Th. - Réjouis-toi toujours dans le Seigneur; je le répète, réjouis-toi!

M. Garde Jésus constamment dans le coeur et devant les yeux

E. - Pense à ce que tu as reçu, et fais-y des progrès.

A. - Entre de bonne heure dans le chemin du salut, en suivant ton père et ta mère.

Hri. - Apprends à prier avec foi, et tu seras exaucé.

H. - Obéis à la voix de ton bon Berger qui parle en ton coeur.

El. - Prie pour ton père, et fais plaisir à ta mère.

Hél. - Que le Seigneur te garde et te bénisse! Amen.

Que le Saint-Esprit soit en vous, mes chers enfants!

Votre père.

23 avril 1884.

Ce matin à cinq heures et demie j'ai pensé très particulièrement à chacun de vous, priant pour mes huit enfants, demandant que pas un d'eux ne soit et ne veuille être autre chose que la propriété de Jésus-Christ. Que le Seigneur vous bénisse et vous garde jour par jour, à l'école, dans la rue, à la maison, au jardin, de jour comme de nuit!

 

24 mai 1889.

Ma chère enfant, sache tirer un bon parti de ce que tu as. Dieu a des écoles diverses pour les siens, et je suis convaincu que celle où tu es maintenant a été choisie par Dieu pour toi. Vis au jour le jour sans te laisser troubler par la pensée de la maison. Nous risquons toujours de nous laisser envahir par quelque caprice de notre imagination qui vient nous Ôter notre paix et nous affaiblir.

Soupire, non pas après la maison, mais après une plénitude plus grande de Son Esprit. Sans Lui il n'y a rien en nous que l'homme naturel. Ne te laisse ni gâter, ni louer, car il n'y a rien à louer en des êtres qui ne vivent que de grâce. Il s'agit de se vouer au service de l'amour.

Il savait aussi intéresser ses enfants à son oeuvre

 

Memel, 10 mars 1890.

L'oeuvre marche bien ici. Les croyants sont ravis de la maison qu'a achetée M. N. (pour leur usage) et qui renferme, outre une salle de six cents places, des logements pour huit familles. Que de bien l'on pourrait faire, si d'autres riches consentaient à me confier encore 100 000 marks pour bâtir des locaux de réunions ! Ça viendra peut-être une fois !!

 

4 novembre 1891. A deux de ses filles malades:

Que Dieu vous fasse entrer toujours plus avant dans la communion avec Lui, pour que non seulement vous sachiez qu'on peut être uni à son Sauveur de la façon la plus étroite et la plus réelle, mais pour que vous en fassiez vous-mêmes l'expérience heureuse et bénie. Les meilleurs de nos biens nous viennent de Lui.

 

11 novembre 1893

C'est une joie pour moi, mon enfant, d'apprendre que tu es heureuse. - On fait bien des expériences douloureuses dans le travail pour le Seigneur, mais ce qu'il y a de consolant, c'est qu'on peut tout dire au Seigneur Jésus. Plus il surgit de difficultés, plus le Seigneur se révèle comme notre puissant secours. Qu'il remplisse nos coeurs de sa paix et de sa joie.

 

Londres, 8 mars 1904.

A l'une de ses filles gravement malade:

Ma chère enfant,

Dieu est ton Père, Jésus ton Médecin. je me tiens à ses pieds, je l'implore jour et nuit pour toi. Mon coeur voudrait voler auprès de toi.... Abandonne-toi à ton Dieu de tout ton coeur. Je prie et j'ai confiance que mon Seigneur et mon Roi, Jésus-Christ, me remplace glorieusement à Chrischona. Il est, Lui seul, notre refuge. Tu te rappelles combien de fois déjà le Seigneur t'a retirée du bord de la fosse. Il sait tout, il comprend tout. Il aime chacun de ses enfants d'un amour tout-puissant. - Que Jésus soit ta force ! La montagne du salut est plus haute que toutes les montagnes. Je suis constamment avec vous en esprit.

Votre fidèle père.


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