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  3. Notre Auguste

 

Nous avons dit un mot déjà de la mort de notre aîné sa mémoire a cependant encore bien droit à une page dans la biographie de son père.

Il avait vu la lumière du jour le 22 mai 1873 au matin, tandis que les cloches annonçaient l'Ascension. Déjà dans sa tendre enfance il déployait une profondeur et une richesse de sentiments, qui, avec de beaux dons physiques et intellectuels, permettaient aux parents d'espérer que leur enfant serait un jour un instrument capable dans la main de Dieu.

Dès qu'il eut obtenu sa «maturité », il se rendit, au printemps 1891, à Neuchâtel, pour se perfectionner dans le français et suivre les cours si vivants du vénérable professeur de théologie, Fréd. Godet. C'est à Neuchâtel que le Seigneur vint à lui de plus près, lui révélant sa profonde misère, mais lui donnant aussi, par le sang de l'Agneau, l'assurance du pardon. Faisant part à ses parents de cette expérience, il disait, en citant Héb. II, 16 : Ce mot s'applique aussi à moi : Dieu n'a pas honte de s'appeler leur Dieu.

La même année, en automne, il entra à la Faculté de théologie de Bâle. Demeurant au Fälkli, il s'attacha profondément à M. Jaeger et à son oncle et parrain, M. Paul Kober. Que d'expériences précieuses, que de luttes aussi, a vues sa chambre d'étudiant, alors que son esprit altéré de clarté cherchait la solution des problèmes que la Parole de Dieu ne résout que pour la foi.

Il s'occupait beaucoup en même temps de l'Union chrétienne de jeunes gens, comme directeur de la section cadette. Un missionnaire, à l'oeuvre aujourd'hui dans les îles lointaines de la Mer du Sud, a trouvé le chemin de la vie aux réunions de l'Union chrétienne de cette époque.

 

En automne 1893, Auguste se rendit à l'université de Göttingue, où il travailla ferme. Au nouvel-an déjà, il fit, avec une joie intime et une émotion profonde, dans l'église de son cousin, le pasteur Zeller, de Biesenrode (Harz), sa première et unique prédication. Nous ne disons rien des petites réunions auxquelles il avait eu fréquemment l'occasion de prendre part.

Chaque semaine, ponctuellement, arrivaient ses lettres, qui reflétaient souvent ses luttes et ses expériences spirituelles.

Je pourrais aussi, y lit-on, écrire au-dessus de ma table à écrire, comme S. au-dessus de sa porte : « JÉSUS M'AIME, voilà ma dogmatique; J'AIME JÉSUS, voilà ma morale ».

Il ajouta à l'une de ses dernières lettres la copie d'un cantique qui lui avait fait une impression profonde, et qui devait être peu après pour les siens d'une actualité saisissante:

 

Le fleuve de la vie, en sa fuite rapide,

Emporte tous mes biens, me laissant l'âme avide

D'un bonheur non soumis à la commune loi :

Seul tu ne passes pas, Seigneur, reste avec moi!

Mon regard qui s'éteint cherche encore ta face.

Ta croix parle à mon coeur de ta céleste grâce.

Le monde disparaît. Mais du ciel la splendeur

Descend jusques ici. Reste avec moi, Seigneur!

 

Ayant entrepris un voyage aux vacances de Pâques 1894, Auguste tomba malade à Uelzen, dans les Landes de Lüneburg, chez un médecin croyant, le père de son ami, qui l'entoura de soins affectueux et entendus.

Bientôt sa mère le rejoignit, et, comme son état empirait, elle le conduisit à la clinique de l'université de Göttingue. Au bout de huit semaines de souffrances, supportées avec une admirable patience par ce jeune homme si plein de vie, et alors que l'espoir de la guérison avait toujours repris le dessus, la maladie prit soudain une tournure grave, et le cher malade se trouva brusquement sur le seuil de l'éternité. C'est à sa mère qu'incomba le soin de le mettre au courant de la gravité de son état. C'était au crépuscule d'une belle journée de printemps. Auguste resta silencieux d'abord pendant quelques instants; puis, avec un sourire d'une douceur inexprimable, il dit en levant ses yeux bleus limpides : Maman, me voici redevenu petit enfant, je vais dire comme autrefois ma prière du soir :

 

De Christ le sanglant sacrifice

Est mon salut et ma justice;

Devant Dieu je m'en couvrirai

Quand dans le ciel j'arriverai.

 

Appelé télégraphiquement, le père accourut à temps pour le revoir. Il y eut même un tel arrêt de la maladie que l'on se reprit à espérer en un miracle du grand Médecin. Le malade était trop faible pour parler beaucoup ; mais son père put cependant rendre grâces à Dieu pour l'amour, la reconnaissance, l'humilité et la foi dont son enfant donna les preuves.

Au bout de huit jours, toutefois, il dut repartir, cet état d'incertitude et de souffrance se prolongeant. C'était le vingt-et-unième anniversaire d'Auguste. Sur son désir, ses parents lui chantèrent le cantique populaire bien connu: « Dieu est amour », lui-même essayant de faire la basse de sa voix éteinte. Puis le père dut s'arracher à l'enfant... « Jésus reste », dit Auguste à cet instant poignant où il dut lâcher la main de son père.

Sa mère put rester jusqu'à la fin, qui survint assez brusquement. Le matin du 15 mai, le jour de sa mort, on crut encore pouvoir lui parler de guérison ; à quoi il répondit: «Je suis dans la main de mon Maître ! » L'après-midi, il eut un violent frisson, qui d'emblée lui parut un symptôme fâcheux. Jusqu'à la fin, il garda toute sa connaissance; mais le souffle lui manquant, il pouvait à peine parler. Ses lèvres mourantes essayèrent cependant encore de balbutier le nom bien-aimé de Jésus; puis soudain sa tête s'inclina et ses yeux s'éteignirent: l'esprit avait doucement pris son vol.

Sa foi n'a jamais chancelé, écrivait un ami qui l'avait vu de près les derniers mois de sa vie. Ce qui était encore imprécis et ce qui lui causait des débats intérieurs, ce n'était pas la foi, c'en était la formule théologique et la systématisation. Auguste a fidèlement aimé son Maître ; aussi est-il parti de bon coeur, sachant qu'il allait à la maison. C'était pour moi un ami, un conseiller et un pasteur.

Quoi qu'en dise cet ami, ajoutait Rappard, nous, parents, nous devons avouer que nous avons été souvent en souci ces deux dernières années en voyant l'intérêt qu'excitaient en lui la désastreuse critique biblique et les courants divers de la théologie, et nous suppliions le Seigneur de le garder de l'erreur et de l'incrédulité. Ce départ prématuré est-il un exaucement de nos prières ? Dieu n'avait-il d'autre moyen de l'arracher au péril que de le retirer dans son éternel abri ? Cette pensée, notre fils l'a exprimée lui-même sur son lit de mort. Quoi qu'il en soit, à toutes les questions, notre unique réponse est que Dieu est amour, et que ce qu'il fait est saint et bon.

 

A l'heure de l'ensevelissement, qui se fit à Göttingue, bien loin de la patrie suisse, il y eut à Chrischona un service commémoratif, où l'amertume de la séparation fut adoucie et transformée, au dire de Rappard, par la foi à Celui qui a dit: « je suis la résurrection et la vie. »

Sur la pierre funéraire, à Göttingue, se lit ce passage: « Le sang de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, nous purifie de tout péché. »

Dans la poche de l'habit que portait notre Auguste quand la maladie le surprit, sa mère a retrouvé ensuite la copie du cantique: «Monte, monte, mon coeur, va du côté du ciel ! » Il avait appris peu auparavant à le connaître, et il aimait beaucoup à le chanter. Il est resté pour les siens comme un message de sa part, et des années après son père écrivait: « Ces mots n'ont jamais cessé de résonner dans nos coeurs ! »


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