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  4. Une mère en Israël

 

Le centre de ralliement de la famille Rappard-de Rham, dispersée par les vicissitudes de la vie après avoir été si étroitement unie jadis au Lôwenstein, c'était la colline de Chrischona et la demeure de la vénérable mère. De ses neuf enfants, il ne restait auprès d'elle que sa cadette, tandis que l'aîné, Henri, avait le privilège de demeurer tout près et de jouir ainsi de toutes les réunions de famille. Son frère Charles, son inséparable compagnon à Iben, qu'il était allé voir en 1887 dans sa belle ferme du Kansas, revint huit ans après faire une visite aux siens. Rencontre bénie, où l'on put sentir que la communion d'esprit était indissoluble, tellement que les adieux en furent moins douloureux, encore que l'on pressentît qu'ils seraient sans revoir ici-bas.

Quant à l'autre frère d'Amérique, celui de New-York, il revint définitivement en Suisse, à la joie de tous, et se fixa à Genève, d'où il a pu souvent venir voir sa mère et ceux de Chrischona. Et la joie maternelle était à son comble quand le cadet, Wilhelm, établi en Angleterre, venait encore avec les siens faire un petit séjour auprès d'eux tous.

Cette mère se trouvait, par l'entremise de ses enfants, en rapport direct avec trois établissements importants où se formaient des ouvriers pour la mission intérieure, et qui tous trois l'intéressaient fort. Son gendre, M. W. Arnold, était le directeur du séminaire appelé Predigerschule, à Bâle; un autre gendre, M. Th. Haarbeck, inspecteur du Johanneum de Barmen, et son propre fils inspecteur de la Pilgermission de Chrischona. Quant à M. Hermann, dont il a été question à propos du séjour des H. Rappard en Egypte, il était rentré en Europe et s'était fixé à Bâle ; M. Hermann est devenu le trésorier de la Pilgermission. Le quatrième gendre enfin, M. J.-P. Werner, négociant à Londres, président de l'Union chrétienne allemande de jeunes gens et membre actif de la Société biblique britannique et étrangère, en relations étroites aussi avec la Société des missions de Bâle, faisait fréquemment avec les siens des séjours à Chrischona

Ainsi, la famille avait des sujets d'intérêt aussi variés qu'importants, et l'on pouvait reconnaître avec actions de grâces les effets de la bénédiction laissée par le fidèle serviteur de Dieu, M. Rappard père.

Sa veuve avait compris sa belle et grande tâche de mère. Si pendant ses trente années de vie commune elle avait été une épouse humble et dévouée, elle se montra pendant ses trente-six ans de veuvage profondément enracinée en Dieu, ferme dans la foi, une vraie mère en Israël, vénérée de tous et portant les siens dans un coeur vraiment sacerdotal.

Les divers membres de la famille venaient de loin comme de près se retremper dans l'atmosphère du foyer maternel. Elle portait à tous, enfants et petits-enfants, et à tout ce qui les concernait, un vif intérêt, et l'on s'émerveillait de sa mémoire en la voyant au courant de tout ce qui s'agitait en leurs coeurs. Son regard clair et pénétrant voyait juste ; mais ce qui la distinguait par-dessus tout, c'était son ferme attachement à la Parole de Dieu. Elle en faisait vraiment sa nourriture, et en parlant avec elle on se rappelait souvent le mot du psalmiste : « Les jugements de l'Éternel sont plus précieux que l'or, que beaucoup d'or fin; ils sont plus doux que le miel, que celui qui coule des rayons. » C'était, on le sentait, son expérience.

S'entretenir avec elle était pour son fils Henri un fortifiant pour sa foi et sa vie spirituelle. Il y avait quelque chose de touchant à voir cet homme déjà blanchi assis aux côtés de sa vénérable mère, et à surprendre leurs entretiens si élevés.

Elle ne perdit ses forces que très graduellement ; sa vue baissait de plus en plus ; elle ne put que rarement quitter sa chambre au cours de l'hiver de 1901 à 1902, qu'elle passa, comme les deux précédents, dans la maison encore neuve « Zu den Bergen », dont la situation ensoleillée et les aménagements intérieurs répondaient bien à ses besoins. Une fois seulement, lors de son quatre-vingt-quatrième anniversaire, elle refusa de se priver de la joie d'être entourée des siens et de saluer de quelques paroles cordiales les élèves missionnaires qui lui avaient chanté un cantique.

« Chantez-moi le nom de Jésus », demandait-elle un jour à ses petits-enfants réunis ; et elle chanta avec eux, le visage rayonnant, puis ajouta: « Ce ne sont pas seulement des phrases, c'est la vérité Jésus est ma joie ! » Comme on lui demandait peu de jours avant sa fin: « Sens-tu le Seigneur près de toi ? » elle répondit simplement : « je crois en Lui! »

 

Le dernier jour de sa vie, elle put voir sept de ses enfants réunis autour de son lit. La joie semblait la ranimer, et on se sépara le soir avec l'espoir qu'elle allait mieux. Mais le matin du 29 avril elle eut, d'une façon tout imprévue, une forte hémorragie pulmonaire; quelques instants après, sa vie s'éteignait. Profondément saisis, ses enfants et petits-enfants présents s'agenouillèrent auprès de la couche funèbre, et Henri, au nom de tous, rendit grâces à Celui qui a détruit la mort et qui a mis en évidence la vie et l'immortalité par l'Évangile. Les premiers rayons du soleil venaient éclairer la paisible chambre, et Jésus, le Soleil de Justice, le Prince de vie, mettait dans les coeurs ployés sous la douleur quelque reflet de la lumière et de la gloire éternelles.

Cette noble mère fut pleurée par une famille de quatre-vingt-deux enfants, gendres et belles-filles, petits-enfants et arrière-petits-enfants, dispersés en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique. Ils louent Dieu pour les traces bénies qu'elle a laissées. Elle a marché dans la foi et dans l'obéissance, et, bien que morte, elle vit encore.


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