Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



INIQUITÉ ET CHARITÉ


PREMIER DISCOURS (1) .

 

« Parce que l'iniquité sera multipliée, la charité de plusieurs se refroidira. »

(MATTH., XXIV, 12.)

Aucun de nous n'a oublié l'émotion qui faisait battre nos coeurs, il y a peu de jours : nous venions d'apprendre que notre ville était en feu. Et, bien qu'il fût permis de supposer quelque exagération dans la sinistre nouvelle, les tourbillons de fumée qui s'élevaient des bords du Rhône, les furieuses rafales de notre bise, le souvenir aussi, présent à tous les esprits, de l'incendie qui avait dévoré naguère une cité américaine, tout se réunissait pour nous remplir d'appréhension.

Mais vous rappelez-vous, en particulier, quel sentiment se fit jour lorsqu'on s'aperçut qu'un grand hôtel, séparé du foyer de l'incendie par deux maisons intactes, avait soudain pris feu, sans cause appréciable ? De groupe en groupe, tout bas d'abord et bientôt tout haut, on se répétait qu'un crime avait été commis. Impossible d'expliquer autrement ce nouvel accident. Puis, on commentait de mystérieuses histoires de complots et d'arrestations. On voulait voir à l'oeuvre cette société internationale qui s'est fait connaître, hélas ! par assez d'actes mauvais, pour attirer sur elle les soupçons dès qu'un grand malheur se produit. Ainsi, préoccupés du besoin de trouver une cause à ce qu'ils ne comprenaient pas, les esprits se hâtaient de désigner des coupables : qui sait chez combien ces sentiments ont recouvert ceux de la reconnaissance, due à Dieu pour sa protection ?

Ce n'est point là, du reste, un fait isolé. Dans ces derniers temps, bien des catastrophes ont été signalées et ont provoqué des explications de même nature. Qu'a-t-on dit, par exemple, au mois d'octobre, quand on a reçu la nouvelle que Chicago presque entière était réduite en cendres ? On a, pendant deux ou trois jours, parlé d'un accident, d'une imprudence. Ensuite, on ne s'est plus contenté de cette version. On s'est cru certain que la méchanceté seule avait agi.....
On avait vu des formes sombres se glisser le long des rues, des torches à la main. On était sur la trace d'une bande d'incendiaires qui avaient résolu de poursuivre, dans le Nouveau-Monde, la réalisation du programme dont la Commune de Paris n'avait donné qu'un premier aperçu. Ce fut bien pis, quand on sut que des forêts immenses subissaient le sort de la malheureuse ville. On affirma que la révolution universelle commençait, et, dans des milliers de coeurs, pénétrait, avec un sentiment d'horreur, un sentiment de haine qui ne contribuera certes pas à sauver la société.

Réunissez, mes frères, bien d'autres faits encore, qui sont présents à toutes les mémoires et qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer ici. Puis, tirez les conclusions. Pour moi, j'en vois surtout ressortir une, que je trouve clairement exprimée dans les paroles de notre texte : d'une part, l'iniquité est multipliée ; de l'autre, la charité s'est refroidie. Dans une époque très-fière de ses progrès, reparaissent des crimes qui ne s'étaient pas vus depuis l'âge des barbares, ou dont il faudrait chercher la pareille chez les tribus les plus sauvages de l'Afrique ou de la Polynésie.

Si nous, spectateurs de ces forfaits, étions les vrais disciples de l'Ami des pécheurs, nous éprouverions un grand redoublement de charité. Nous nous sentirions au coeur beaucoup d'amour pour ceux qui sont très-souvent les aveugles instruments de ces horreurs. Nous examinerions ce qui peut atténuer leur responsabilité, expliquer leur égarement. Loin d'ouvrir à deux battants la porte aux soupçons, nous l'ouvririons à la pitié pour des frères dont plusieurs, certainement, ne sont devenus méchants que pour n'avoir pas été aimés. Le faisons-nous ?

Peu, n'est-ce pas ; bien peu. Effrayés du mal, nous devenons durs envers ceux qui l'ont commis. Nous leur en voulons de nous avoir fait peur. Notre coeur désorienté a besoin de flétrir des coupables. Nous nous éloignons de la charité qui espère et qui ne soupçonne pas (1. Cor. XIII, 5.). Nous contribuons, pour notre part, à séparer la société en deux classes qui se détestent l'une l'autre. Et nous ne saurions nier, devant ces faits, que la prophétie du Sauveur commence à se réaliser : « Parce que l'iniquité sera multipliée, la charité de plusieurs (du grand nombre, dit le texte) se refroidira. »

Jésus annonçait cet état de choses comme un signe de la fin des temps. Nous n'avons pas le droit de ne pas nous en occuper. Autant il nous est interdit de fixer des dates pour la fin du monde, parce que « Dieu le Père a réservé à sa propre puissance la disposition des temps et des moments (Actes I, 7.) » autant il nous est ordonné de penser aux signes qui préparent la fin, de sorte que nous ne soyons pas surpris par elle, comme les contemporains de Noé par les eaux du déluge.

L'iniquité est multipliée. La charité est refroidie. Ayons le courage de regarder en face ces deux vérités, comme deux solennels garde à vous ! et que Dieu nous donne une charité nouvelle, rendue capable par sa chaleur de fondre les glaces de l'iniquité !

I

Nous pourrions ne pas nous arrêter longuement sur la première de nos deux assertions : l'iniquité est multipliée. Que dire, en effet, à ce propos, qui n'ait été dit et redit sur tous les tons ? Tâchons, cependant, de comprendre ce que Jésus entendait, ce que nous devons entendre, par ce mot : l'iniquité.

Remarquez qu'il ne dit pas : les iniquités. Il ne se borne pas à désigner certains actes mauvais qui peuvent, dans un temps donné, se multiplier d'une façon particulière, puis passer et faire place à d'autres. Non ; ce n'est pas deux ou trois, actes que le Seigneur a en vue : c'est la source unique de ces actes, c'est le mal lui-même. Dans la langue du Nouveau Testament, l'iniquité désigne soit l'absence de loi, soit la révolte contre la loi. Vivre sans loi, ou violer la loi, voilà ce que l'Écriture appelle l'iniquité, la transgression, le péché ; - dans la première épître de saint Jean, ces termes sont absolument synonymes (1 Jean III, 4.). Cherchez maintenant, mes frères, une définition du mal qui s'applique mieux que celle-là aux temps où nous vivons !

Quiconque prête un peu l'oreille aux bruits du jour, sait que le but poursuivi par les réformateurs modernes de la société, c'est non pas seulement l'abolition de telle ou telle loi qui les gêne, mais la suppression de la loi en général et dans sa totalité. Ne plus obéir à rien qu'à ses caprices, ni à personne qu'à soi-même, secouer les jougs de quelque côté qu'ils viennent, voilà bien le progrès, voilà l'idéal. Tous, il est vrai, ne marchent point du même pas dans cette route. Mais la foule qui s'y précipite s'appelle pourtant légion, et ceux qui voudraient aller plus lentement sont entraînés par les autres. Quand, à Zurich, l'été dernier, une assemblée populaire interrompt un orateur en s'écriant : À bas le respect ! beaucoup dressent les oreilles et trouvent que c'est un peu prompt. Ce n'est pourtant que l'expression assez crue, mais sincère, de sentiments qui bouillonnent dans des milliers de coeurs. À bas le respect ! Ceux qui crient cela sur la place publique ont, du moins, le mérite de la franchise. Mais ils ne sont pas plus coupables que ce jeune fils ou cette jeune fille qui se moquent de l'autorité paternelle, ni plus dangereux que ce savant enfermé dans son cabinet bien tranquille, où il démontre plaisamment que la Bible est un tissu de fables. Les derniers comme les premiers prétendent travailler à la régénération de la société. Ils travaillent à sa ruine, parce qu'ils avancent, chacun pour son compte, cette révolte contre la loi que Jésus a nommée « l'iniquité. »

La loi ! Mais ne semble-t-il pas qu'elle tende à devenir une antiquité bizarre, un objet de curiosité, ou encore un jouet, dont chacun se sent libre de faire ce qu'il lui plaît ? Qu'on modifie souvent les lois, il n'y aurait encore que moitié mal, surtout si c'était pour arriver à une meilleure obéissance. Malheureusement, ce n'est guère le cas. D'une part, on les multiplie, ce qui trahit d'habitude un accroissement de transgression ; de l'autre, on est vainement en quête, toutes les années, de leur donner des garanties nouvelles, ce qui montre qu'elles ne sont pas généralement acceptées. Ce ne sont pas, du reste, les criminels ordinaires qui s'insurgent seuls contre les lois. Que d'honnêtes gens vont rejoindre aujourd'hui les transgresseurs ! Seulement, ils s'y prennent avec plus d'habileté. Ils violent la règle, mais pas en face. Ils y mettent les formes, et le nombre est immense de ceux auxquels pourrait s'adresser l'apostrophe sévère de Jésus : « Au dehors, vous paraissez justes aux hommes ; mais au dedans, vous êtes remplis d'iniquité (Matth. XXIII, 28.) ! »

Si cela est vrai pour les lois écrites par les hommes, combien plus encore pour la loi de Dieu, dont les premières ne sont qu'un pâle reflet. - Dieu commande l'observation de son jour, le repos de ses sabbats, qu'Il nous a donnés pour notre propre soulagement dans nos fatigues. Eh bien ! il a suffi que ce fût un ordre, pour que l'homme n'en voulût pas. Comptez le nombre de manufactures, d'ateliers, de magasins, où les maîtres font du dimanche le jour du travail et du gain, forçant ainsi presque nécessairement leurs ouvriers à faire du lundi le jour de la paresse et de la boisson. Comptez le nombre de nos maisons et de nos champs où l'on accumule sur le jour du repos des occupations pour lesquelles la veille ou le lendemain eussent amplement suffi.

Dieu commande le respect de la propriété du prochain. Contre cet ordre se rebellent non pas seulement les voleurs de grand chemin, mais beaucoup de gens du meilleur monde qui, s'ils ne prennent rien directement dans la bourse d'autrui, empêchent du moins d'y entrer, ou d'y rester, beaucoup d'argent qui aurait dû s'y trouver. Débiteurs négligents qui ne s'inquiètent point de leurs dettes, les laissent dormir pendant des mois, pendant des années, et, chrétiens, disent-ils, se moquent du commandement de Moïse : « Le salaire de ton mercenaire ne demeurera point chez toi jusqu'au lendemain (Lév. XIX, 13.). » Vendeurs indélicats qui vantent une marchandise inutile ou même gâtée, et la font payer plusieurs fois sa valeur ; acheteurs peu scrupuleux qui déprécient l'objet auquel ils tiennent, descendants fidèles de l'homme dont parlait Salomon - « Celui qui achète dit : Cela ne vaut rien, cela ne vaut rien. Après cela, il s'en va et il l'estime (Prov. XX, 14.). » Négociants qui mènent à certains égards la société, et devant qui grands et petits s'inclinent, mais dont les entreprises ont été entachées de plus d'une violation du 8me commandement, aux yeux de Celui qui sonde les coeurs et les reins.... Un journal nous racontait l'autre jour la fondation d'une caisse d'un nouveau genre, qui devait s'appeler « la caisse de la conscience. » Elle était destinée, par un certain nombre de négociants des États-Unis, à recevoir toutes les sommes dont ils estimaient être devenus propriétaires par des moyens que la probité chrétienne n'approuve pas. En un temps assez court, cette caisse a reçu plus de 1,400,000 fr. Qu'en pensez-vous, mes frères ? Le vieux monde n'aurait-il pas aussi de quoi remplir sa « caisse de la conscience, » si elle était établie (2?.... Et que vous dirais-je encore ?
Dieu a défendu le mensonge : un ardent besoin de mentir s'est emparé des enfants des hommes. La vérité est devenue si rare, que celui qui la dit, ou croit la dire, est obligé de l'entourer de protestations multipliées, qui n'aboutissent qu'à augmenter la défiance. On parle de vérité vraie, de vérité certaine, de vérité véridique, comme si la vérité toute seule n'avait plus aucune chance de se faire admettre nulle part. Partout la loi semble n'avoir été donnée que pour inspirer le désir de la violer. Elle est devenue une occasion d'iniquité, en ce sens qu'elle a soulevé, dans tous les lieux où elle a pénétré, la passion de s'y soustraire. Au nom de la liberté, on l'a déchire, ne voyant pas, ou ne voulant pas voir que, sans le respect de la loi, la liberté n'est qu'un désordre ou bien une anarchie.

Cet état, du reste, n'est pas nouveau. L'apôtre Paul nous avait déclaré déjà, que « le péché a pris de nouvelles forces par le commandement (Rom. VII, 13.). » Mais ce qui est nouveau dans cet état, c'est qu'il tend à passer de la société civile dans la société religieuse, du monde dans l'Eglise. Là aussi, on déclare la guerre à la règle. Que chacun, a-t-on dit, croie ce qu'il voudra et comme il voudra ; après cela que tous, bien unis entre eux, affirmateurs ou négateurs des mêmes principes, se donnent fraternellement la main et continuent à former « l'Eglise de nos pères. » À bas les liturgies ! À bas les confessions de foi ! Cela ne sert qu'à diviser. Nous ne voulons pas plus du joug des doctrines que du joug des hommes. Plus de loi, et soyons unis.

Ces théories, mes frères, vous savez qui, surtout, les recueille et s'en nourrit. Vous savez ce qu'en pensent nos jeunes gens, à qui elles enlèvent l'ennuyeux devoir d'obéir et de se soumettre. Affranchis de l'autorité religieuse, vous savez ce qu'ils font de l'autorité de la famille. Vous saurez bientôt, si Dieu ne nous tend la main pour nous sauver, ce qu'ils feront des autorités de leur pays. Tel enfant, tel citoyen ; telle famille, telle société. C'est au foyer domestique qu'on commence à crier : À bas le respect ! en attendant de le vociférer sur la place publique. C'est à la maison que se forme petit à petit l'iniquité, avant de s'étendre sur le monde comme une inondation..... Encore une fois, ne pensez-vous pas que notre époque donne raison d'une manière saisissante à la prophétie du Sauveur : « L'iniquité, sera multipliée ! »

II

Jésus ajoutait : La charité du grand nombre se refroidira.

On pourrait ici remarquer l'erreur étrange où sont tombés ceux qui voudraient réformer le monde en commençant par supprimer la loi. Ils se rattachent à un projet dont l'énoncé, tout au moins, ne saurait manquer d'éveiller des sympathies. Ils veulent (ils le disent, du moins), amener le règne de la fraternité universelle. Leur tâche, c'est de détruire toutes les barrières élevées entre les hommes et de les réunir. les uns aux autres par un ardent amour. Aux États-Unis d'Amérique doivent se relier les États-Unis d'Europe, et tous ensemble ne formeront qu'une seule patrie, dont tout homme sera citoyen par le seul fait de sa naissance. Alors, pour la première fois, on ne verra partout que des frères. Alors la fraternité triomphera dans l'égalité, sur une terre rajeunie par la liberté.....Bel idéal, nous en convenons. Idéal que plusieurs poursuivent avec une sincérité que je veux bien me garder de mettre en doute. Chimère, néanmoins, et rien de plus, aussi longtemps qu'on prendra, pour atteindre ce but, la route indiquée par les ennemis des lois. Ils ont dit : Plus d'autorité, et la fraternité triomphera. Jésus avait dit : Plus de loi, et la charité se refroidira. Cette parole, qui a pu nous étonner, reçoit des événements contemporains une conformation assez éclatante.

N'insistons pas, toutefois, sur ce côté de notre sujet. Laissons un moment les théories sociales, et bornons-nous à constater les faits.
Montrons que, dans ces temps où l'iniquité s'est multipliée, la charité se refroidit.
Écartons aussi, dès l'entrée, une objection qu'on sera probablement tenté de nous faire. Comment, dira-t-on ! vous accusez notre époque d'avoir laissé la charité se refroidir ? Est-ce juste ? Mais aucune, peut-être, n'a été plus remplie d'oeuvres de charité. Jamais on ne s'était autant occupé des pauvres, des infirmes, des abandonnés, des ignorants, de tous ceux, enfin, qui réclament de l'aide et de la sympathie. C'est vrai, mes frères. Dieu me garde de dire du mal de notre temps uniquement pour le triste et stérile plaisir de gronder ; rien n'est plus loin de ma pensée que de nier ce qui s'y fait de bon. Il est permis, cependant, de se demander de quelle nature sont, en réalité, ces différentes oeuvres qu'on oppose à notre thèse, - quel but elles poursuivent et quels principes les inspirent. Il est bon d'examiner s'il y a beaucoup d'amour dans toutes ces entreprises de la charité, et si toutes répondent à l'ordre de l'apôtre : « Que la charité soit sincère (Rom. XII, 9.) ! » Nous donnons beaucoup. Je l'admets ; on nous l'a d'ailleurs tellement dit, qu'il est difficile de ne pas le croire.

Comment donnons-nous ? Ne se glisse-t-il point d'orgueil dans les dons nombreux qui sortent de nos mains ? N'y mêlons-nous aucune ostentation, aucune recherche de nous-mêmes ?

Ensuite, à qui donnons-nous ? Est-ce à la société d'aumônes qui nous envoie son collecteur, et dont nous recevons les appels avec un dépit mal dissimulé, n'osant refuser pourtant, parce que cela aurait trop mauvaise façon ? Est-ce à l'ami, au solliciteur qui vient réclamer nos offrandes, visiteur dont l'insistance nous ennuie énormément, que nous tâchons d'accueillir avec des sourires, mais dont nous maudissons par derrière l'impertinente indiscrétion ? Ou bien, est-ce au pauvre parce qu'il est pauvre, au malheureux parce qu'il est malheureux, à notre frère, parce qu'il est notre frère et que nous l'aimons ? Est-ce, mieux encore, à Jésus, que nous devrions voir, aimer et soigner dans tous les infortunés ?

Encore ici, je passe et je n'insiste pas. Je voulais seulement vous montrer que beaucoup d'aumônes, même larges, ont pour objet de se débarrasser du misérable, plutôt que de le soulager, et qu'il est très-facile de soutenir sans charité un grand nombre d'oeuvres de charité.

Revenons à notre proposition : La charité se refroidit.

Nous avons placé tout à l'heure dans la famille une des sources principales du débordement de l'iniquité. C'est dans la famille aussi que nous trouverons refroidi un des premiers foyers de la charité. Là-dessus, mes chers auditeurs, consultez votre expérience. Soyez vous-mêmes vos juges. N'est-il pas vrai que la charité se retire peu à peu des familles, de vos familles ? Vous ne savez pas bien comment cela se fait ; vous le regrettez, vous en gémissez ; mais c'est ainsi. L'amour n'est pas ce qu'il devrait être entre les maris et les femmes, entre les parents et les enfants. Les liens se relâchent ; l'intimité s'en va. Chacun tire de son côté, sans trop se soucier des autres.

Cela nous frappe d'abord chez les jeunes gens, chez nos enfants. Comme ils cherchent avec empressement leurs convenances ! Comme ils s'inquiètent peu de la gêne, quelquefois des douleurs, que la satisfaction de ces convenances entraînera dans la famille ! Un vieux père, une vieille mère ! Mais ce sont parfois les dernières personnes auxquelles pensent les enfants d'un certain âge - pas toujours très-âgés, - dans l'organisation de leurs journées et dans la recherche de leurs plaisirs. Le père et la mère s'arrangeront assez ! Cette explication, qu'on ose ici et là formuler, suffit à tout. - Un spirituel écrivain, publiant, il y a peu d'années, un livre d'éducation, y a placé un chapitre intitulé : « Messieurs les enfants (3). » Ce titre est exact. Il arrive souvent à messieurs nos fils d'avoir le verbe haut, les exigences impérieuses. La charité n'est pas leur fait, ou, s'ils aiment quelqu'un, c'est d'abord eux-mêmes. Que de fois, n'est-ce pas, mesdemoiselles nos filles rivalisent avec eux, non de dévouement, mais de frivolité, c'est-à-dire d'égoïsme.

Accordons tout cela : c'est malheureusement trop vrai pour pouvoir être nié. Mais hâtons-nous d'aller plus loin. Il ne serait point juste de rejeter la faute uniquement sur les enfants. Elle remonte plus haut. Il faut la chercher dans les pères et dans les mères, en nous-mêmes, par conséquent. L'éducation, dites-moi, cette tâche si sainte et si laborieuse, est-elle constamment inspirée par la charité ? Que vous proposez-vous avant tout, mes frères, avec vos enfants ? De faire réussir le plus tôt possible de jeunes plantes, et de les charger de beaucoup de feuilles ? Ou bien d'amener de jeunes âmes à Jésus, afin qu'il les bénisse ?

Vous les aimez, j'en suis certain. Mais les aimez-vous avec charité ? Vous les aimez quand ils sont sages, obéissants, gentils. Et quand ils désobéissent, quand ils vous manquent de respect, quand ils sont maussades, franchement insupportables, alors, au lieu de cet amour dont ils auraient un plus grand besoin que jamais, ce qu'ils trouvent, chez vous, c'est de l'impatience, de brusques gronderies, des reproches emportés et pas toujours justes. Souvent, certes, vos enfants sont très-importuns, très-maladroits. Mais ils sont jeunes, voyez-vous, et comme tels, ils avaient droit à votre charité. Que de fois, au lieu de cela, leurs élans enfantins ont été arrêtés par la froideur d'un père devenu tout à coup inabordable, et qui ne pouvait descendre un seul instant des hauteurs de son travail pour s'amuser avec les petits ! Que de fois ils se sont heurtés et blessés aux distractions interminables d'une mère, qui ne savait arracher une heure aux tracas de son ménage ou aux soucis de sa toilette, pour redevenir enfant avec ses enfants !

Remontons d'un degré, et ne craignons pas d'aborder une grande plaie de notre époque. Nous verrons que ce refroidissement de la charité a commencé par jeter sa glace épaisse entre la femme et le mari. On avait juré de s'aimer, de se supporter, de rester fidèle l'un à l'autre « dans la maladie et dans la santé, au jour de l'infortune ainsi qu'au jour de la prospérité. » Serments oubliés, engagements déchirés ! On ne s'aime plus. On a commencé par se témoigner mutuellement un peu moins de confiance, ce qui veut toujours dire un peu moins de tendresse. Le mari a pris ses habitudes, la femme a pris les siennes ; on ne les a pas mises en commun. Petit à petit, chacun s'est accoutumé à savoir un peu moins ce que l'autre faisait. On ne se consultait point, on ne se communiquait rien. On s'accommodait fort bien de longues heures qui s'écoulaient sans que deux pensées aient été échangées. Plus de vues unies, dès lors, dans l'éducation des enfants. Plus de souffrances ni de joies partagées. Chacun chez soi, chacun pour soi. Et l'on appelle encore cela un mariage chrétien !... Ce sont des détails, me direz-vous ; des petitesses.. Je veux bien. Mais ces petitesses réunies deviennent de grandes choses. Demandez plutôt à ces nombreux ménages désunis, où le mari et la femme, finalement ennuyés l'un de l'autre, le coeur et la bouche remplis de reproches, sont arrivés au bord d'un abîme, qu'il n'y a pas besoin de vous nommer. Oh ! ces détails accumulés deviennent de lourds nuages dans le ciel de la famille, et de grands malheurs dans la société, parce qu'ils ont contribué, chacun pour sa part, à refroidir la charité.

Ce froid, en effet, se propage. Même entre les croyants, la charité se refroidit. Et, comme nous avons vu l'iniquité, c'est-à-dire la révolte contre la loi, se glisser au milieu de l'Eglise, de même nous devons y constater de nos jours l'absence de la charité. Nous nous laissons aller, - je ne dis pas à juger les doctrines ; c'est notre devoir et plût à Dieu que nous apprissions à « éprouver les esprits pour savoir s'ils viennent de Dieu (1 Jean IV, 1.), » - mais à juger et à condamner les hommes qui professent ces doctrines. Nous suspectons les intentions ; nous prêtons des motifs ; nous nous dépitons contre ceux que nous devrions aimer et plaindre d'autant plus qu'ils n'ont pas le bonheur de croire. Chrétiens évangéliques, laissez-moi le proclamer et m'en humilier avec vous, nous méritons ce reproche que l'apôtre de l'amour dut écrire à l'Église d'Éphèse : « J'ai quelque chose contre toi, c'est que tu as abandonné ta première charité (Apocalypse II, 4.). » Nous l'avons si bien abandonnée, que nous perdons de plus en plus notre influence sur le monde. Au lieu de dire de nous, comme les païens autrefois : Voyez comme ils s'aiment ! on serait tenté de s'écrier Voyez comme ils se déchirent !

Refroidie dans l'Eglise comme dans la famille, la charité ne se réchauffe pas dans le monde, dans la société civile. Là, dans cette famille agrandie, il y a comme dans les nôtres des enfants revêches, pis que cela, méchants et cruels. Beaucoup d'entre eux sont chargés de bien des fautes, de bien des crimes. Résister à leurs entreprises, c'est plus que notre droit, c'est notre devoir, car nous les voyons souvent déclarer à l'ordre établi une guerre implacable. Mais comment nous y prendrons-nous ? Deux voies nous étaient ouvertes. Celle de la charité, d'abord, dont il est écrit « qu'elle couvre une multitude de péchés (1. Pierre IV, 8.), » et qui les couvre si bien qu'elle finit par les étouffer. Ensuite, celle de la vengeance. Celle-là, c'est la voie large, et il y en a beaucoup qui y entrent. On prend l'habitude de répondre aux menaces par des menaces, à la guerre par la guerre. On déguise assez mal la peur que l'on éprouve, derrière de grandes phrases et des expressions de dédain, qui sont comme des flots d'huile versés sur un feu ardent. Ce ne sont pas nos mépris qui détruiront les armées de l'iniquité.

Nommons tout de suite les choses par leur nom. Quel est le sentiment généralement éprouvé chez nous à l'égard de cette association toujours grandissante, dont l'étendue, sans parler de ses actes, suffit à mériter notre attention, l'association internationale des travailleurs ? Qu'il y ait dans son sein une grande masse d'iniquité, ce n'est pas moi qui le nierai. Son programme n'est pas la réforme, c'est la révolution sans pitié comme sans justice. Ses moyens, ce sont les violences ; ses résultats, jusqu'ici, à côté de beaucoup de ruines, les souffrances énormes de plusieurs milliers d'êtres trompés, au profit de quelques meneurs qui les trompent. Mais, qu'opposons-nous, je vous prie, à cette iniquité multipliée ? Hélas ! une charité presque toute froide. Sans y réfléchir, poussés par notre horreur ou par notre effroi, nous augmentons volontiers des crimes très-réels de beaucoup de crimes imaginaires, et nous condamnons les uns et les autres avec la même rigueur. Nous nous éloignons des coupables, vrais ou prétendus ; nous les tenons à distance ; nous affectons de ne pas connaître ces gens-là. Savez-vous que de fois il a suffi de ces froideurs pour rejeter dans les rangs des plus méchants, ceux qui blâmaient hier leurs excès, et que dégoûte aujourd'hui notre manque de charité ? Eh bien ! Jésus n'aurait pas fait ainsi. Il ne les aurait pas repoussés, ces coupables. Il se serait approché d'eux. Il ne leur aurait pas caché un seul de leurs torts. Maintes fois, je pense, il leur aurait répété : Malheur à vous ! Mais il y aurait eu dans sa menace plus de charité que dans nos jugements sommaires et sans appel (4). C'est qu'il aurait, en même temps, reconnu leurs besoins ; il leur aurait montré sa sympathie ; il serait venu vers eux en commençant par s'anéantir soi-même, « en prenant la forme d'un serviteur. »

Suivre cet exemple, mes frères, c'est la seule arme qui nous reste pour combattre les progrès du mal. Nous ne sommes pas si rassurés que nous voulons en avoir l'air, et cela seul suffirait à prouver que la charité s'est refroidie : si elle était parfaite, elle bannirait la crainte (1 Jean IV, 18.). Marchons résolument contre cet ennemi que nous craignons. Mais, pour marcher de manière à ne pas nous faire battre, marchons avec amour. Il est passé le moment de regarder de loin les périls de la société, en s'endormant dans son bien-être. Le temps de l'action est venu. Quand, il y a quinze jours, l'incendie menaçait Genève, vous auriez traité de lâches les citoyens qui seraient restés sourds à l'appel du tocsin, et qui n'auraient employé qu'à leurs plaisirs ces heures émouvantes. Traiterez-vous de bons citoyens, de chrétiens courageux, ceux qui restent les bras croisés à la voix d'un bien autre tocsin et devant les flammes d'un bien autre incendie, de l'incendie social, qui menace de tout embraser ? Oh ! descendez de vos hauteurs, mes bien-aimés frères. Occupez-vous de ceux que vous appelez vos ennemis, et dont plusieurs pourraient devenir vos amis, si vous vouliez les aimer. Rapprochons aujourd'hui, non par le socialisme, mais par la charité, les rangs hostiles et divisés de notre société.

Mais comment resserrer les liens déjoints ? À quel foyer réchauffer la charité refroidie ?

Nous consacrerons à ce grave sujet une étude spéciale. De celle que nous achevons ressort toutefois une première conséquence. Si c'est l'iniquité, c'est-à-dire la suppression de la loi, qui a pour résultat le refroidissement de la charité, ce sera l'obéissance, le retour à la loi, qui nous rendra la charité. Retournons donc à la loi : nous en avons besoin pour être libres. Retournons-y sans tarder. Mais, rendons-en grâces à Dieu, ce ne sera pas pour en rester à la seule loi du Sinaï à celle qui épouvante et qui maudit. Nous n'aurons pas de repos avant d'être arrivés à la loi de Jésus-Christ, à son joug aisé et à son fardeau léger. Il nous affranchit, mais en nous donnant ses commandements. Oh ! puissions-nous bientôt, à force de les avoir pratiqués, leur rendre le même témoignage que l'apôtre Jean. « Ses commandements ne sont pas pénibles (1 Jean V, 3.). »

Ainsi soit-il !


Table des matières

Page suivante:


1 Prêché dans le temple de Saint-Pierre, à Genève, le 26 novembre 1871.

2 On s'est élevé contre ce titre, et l'on a fort blâmé la prétention de satisfaire sa conscience en offrant à Dieu aujourd'hui ce qu'on a pris hier au prochain. Ai-je besoin de dire que je blâmerais ce calcul aussi énergiquement que qui que ce soit ? Dois-je dire que le premier devoir de celui qui a pris, c'est de rendre, s'il le peut, à celui qu'il a dépouillé ? Mais le peut-il toujours ? Le joueur, le spéculateur indélicat peuvent-ils, une fois convertis, retrouver toutes les personnes auxquelles ils ont fait tort ? Ne le pouvant, devront-ils garder pour eux l'argent mal acquis ?

3 E. Legouvé, les pères et les enfants au XIXe siècle.

4 Jésus n'a jamais flatté la multitude. Ne flattons pas non plus ; mais aimons.

 

- haut de page -