LA
MAISON
Chapitre premier
L'APPEL DE DIEU
- Charles Moreillon ;
sa vision
- Cécile
Burnet ; sa préparation
Tire de moi ta gloire en faisant de
moi ce que tu voudras. Rien pour moi, tout pour
toi. Frédéric
Godet
En quittant le chemin de fer qui longe le lac
Léman, peu après la petite ville de
Nyon, vous trouvez à la station de Gland un
tram électrique. Il vous conduit dans le
beau village de Begnins, enfoui dans la verdure. De
là, un autobus monte dans les
localités éparses au pied du Jura et
s'arrête tout d'abord à Burtigny,
situé à 700 mètres d'altitude
environ.
Avant d'entrer dans le village,
à votre gauche, se dresse le clocher de
l'église. Le vieux tilleul, plusieurs fois
séculaire, étale ses larges branches
sur la petite place devant le temple ; tout
près de là, vous apercevez la cure
aux volets blancs et verts, demeure du pasteur de
cette grande paroisse. Les maisons, l'auberge,
l'école, l'épicerie, la poste,
s'étagent sur les deux côtés de
la grand'route qui s'élève vers le
Jura.
Si vous montez jusqu'à la
lisière de la forêt toute proche, vous
jouissez d'un panorama grandiose sur la
contrée. Les bois, les ravins, les champs,
les plaines, les villages entourés de leurs
vergers, descendent en échelons successifs
jusqu'au lac que vous voyez
presque dans son entier, encadré par les
montagnes de Savoie et la cime immaculée du
Mont-Blanc.
Mais si la nature se
révèle ici dans toute son harmonieuse
beauté et la splendeur de sa gloire, autre
chose nous invite à nous arrêter, car,
cet humble village du canton de Vaud, pareil
à tant d'autres, Dieu s'est plu à
l'honorer en y suscitant une oeuvre de foi et
d'amour dont le rayonnement s'étend au
loin.
Une lumière ne peut
être cachée. « On n'allume
pas une lampe pour la mettre sous le boisseau
(Matth. 5.15) », c'est
pourquoi il est temps de raconter à ceux qui
n'en ont pas encore entendu parler, les grandes
choses que Dieu a faites en faveur de La Maison et
des nombreux orphelins qui ont trouvé
là le foyer familial et l'amour qui leur a
manqué.
Avant de parler de quelques-unes des
interventions de Dieu en faveur des enfants
orphelins et abandonnés, il faut dire un mot
de celui qui eut la vision de cette oeuvre de
miséricorde et qui en a été le
fondateur.
Charles Moreillon était un
enfant du canton de Vaud ; il naquit le 9
novembre 1871, et fut élevé au sein
d'une famille chrétienne, entouré de
l'affection de ses parents et d'une joyeuse cohorte
de sept frères et soeurs, dans la
propriété de Mimoret, non loin de
Burtigny.
Cette belle vie de famille, loin de
le rendre égoïste, le poussa au
contraire à penser aux enfants
déshérités de ce monde,
à tous ceux qui ne jouissaient pas des
mêmes privilèges que lui et ignoraient
le bonheur d'une heureuse enfance. Très
jeune, il ouvrit son coeur à l'amour de
Dieu ; il avait soif de connaître la
relation de l'âme avec son Père
céleste et ce fut poussé par ce
désir qu'il entreprit des études de
théologie, pensant qu'il
apprendrait là le grand secret de la
communion intime de l'âme avec
Jésus-Christ, à laquelle il aspirait
si ardemment.
Ce ne fut pas par les hommes qu'il
devait découvrir ce mystère, mais par
une révélation de Dieu
lui-même, par le Saint-Esprit. Ah !
comme il a su dans la suite parler de cette vie
« en Christ », qui devait
devenir le ressort caché de son
ministère. « Quand
l'Écriture parle du baptême de
Saint-Esprit et de feu, je puis rendre
témoignage, à la gloire de Dieu, que
j'en ai fait l'expérience »,
dira-t-il plus tard.
Charles Moreillon n'avait que 23 ans
lorsqu'il fut installé comme pasteur de la
paroisse de Burtigny, le 1er janvier 1895. Il avait
épousé en 1894 Mlle Valentine Poudret
qui allait partager son ministère et
s'associer à toute son activité. Dans
les années qui suivirent, une belle couronne
de cinq enfants vint enrichir cet heureux
foyer.
La vie religieuse de cette grande
paroisse était fort négligée
lorsque Charles Moreillon en prit la charge. Ni
École du dimanche, ni groupement de
jeunesse. Les cultes étaient peu
fréquentés et le pasteur ne faisait
point de visite. Tout était à
créer. Avec zèle le jeune serviteur
de Dieu se mit à l'oeuvre.
Il fonda l'École du dimanche,
une section de la Croix-Bleue, un choeur
paroissial. Doué pour la musique, il
entraînait les jeunes avec son violon,
pendant que Mme Moreillon tenait l'harmonium. Il
donna lui-même des leçons de
solfège à ceux qui le
désiraient.
Il fit surtout beaucoup de visites,
cherchant à encourager les parents à
instituer le culte de famille dans leur foyer. Avec
quel soin il instruisait ses
catéchumènes, sentant toute sa
responsabilité à leur égard.
« Paissant le troupeau de Dieu qui
était sous l'on peut
s'attendre à la disparition de toute
espèce d'idéal individuel et
familial.
- Oh ! si vous saviez ce que
c'est qu'une vraie famille. C'est l'oeuvre que Dieu
a entreprise en appelant toutes les
créatures à être ses enfants,
et c'est l'oeuvre qu'Il nous appelle à
fonder ici-bas. Faites tout ce que vous pouvez pour
rendre la famille unie, sainte, joyeuse et forte,
de telle sorte que chacun de ses membres s'y plaise
et aime à y revenir.
- Qu'est-ce qu'une famille dont les
membres ne prient pas les uns pour les
autres ? Le salut des vôtres vous a-t-il
sérieusement préoccupé ?
Est-ce que votre affection pour eux a eu pour but
premier de les arracher au péché, au
monde, à la mort spirituelle ? Les
avez-vous aimés de telle manière
qu'en se sentant aimés par vous, ils se sont
sentis en même temps aimés par le
Seigneur ?
C'est sans doute la haute
idée qu'il avait de la valeur de la famille
qui a poussé Ch. Moreillon à
s'occuper de beaucoup de ceux qui en étaient
privés et qui n'ont jamais été
aimés.
- Alors nous comprendrons, dit-il,
que notre famille, c'est toute
l'humanité ; alors aussi nous
chercherons à réaliser jusqu'au bout
cette justice du Royaume de Dieu qui consiste
à donner à tous, et non seulement
à ceux qui portent notre nom, l'amour qui
leur a manqué. (Voir appendice a.)
Deux familles chrétiennes
dans le village de Burtigny furent pour Charles
Moreillon de précieux appuis dans le travail
qu'il allait entreprendre. Ce furent Mme Bichet et
sa fille Amélie, qui recevront dans leur
maison les premiers orphelins, puis Mlle Beney et
sa soeur Mme Burnet, dont la fille Cécile
aura une si grande part de responsabilité
dans La Maison.
Cécile Burnet fut
élevée par sa mère, femme
vaillante et courageuse, habituée aux durs
travaux des champs, et d'une piété
admirable. Sa tante, Mlle Beney, chrétienne
vivante, exerça aussi une profonde influence
sur l'éducation et le développement
spirituel de sa jeune nièce.
Si nous remontons d'une
génération plus haut, nous voyons
dans le grand-père maternel de
Cécile, M. Beney, un chrétien comme
on aimerait en rencontrer beaucoup dans nos
villages du canton de Vaud. Il habitait le Vully,
près de Morat. Chaque soir, à la fin
d'une journée de labeur, assis près
du grand fourneau de molasse, entouré de ses
six enfants, il ôtait respectueusement son
bonnet de velours noir et lisait la Parole de Dieu
dans la grosse Bible de famille, puis
élevait son coeur dans la prière.
Comme on touche du doigt la
bénédiction qui repose sur les
enfants et sur les enfants de leurs enfants de ceux
qui gardent les commandements divins et qui donnent
à Dieu la première place dans leur
vie !
Cécile fut une
élève assidue et bien douée.
À 15 ans déjà, elle termina
ses études avec succès. Elle vint
à Genève où elle eut le
privilège de faire son instruction
religieuse avec le pasteur Louis Choisy.
Après un apprentissage de couturière,
puis de repasseuse, elle entra en place dans la
famille du docteur Kummer. À 18 ans elle
partit pour la Hollande. Sa tante, Mlle Beney,
avait été institutrice dans une
famille de l'aristocratie, et à son tour
Cécile eut la charge de deux charmantes
fillettes à qui elle enseigna le
français et qu'elle eut la joie d'amener
à la connaissance du salut en
Jésus-Christ. Elle eut le privilège
de faire de beaux voyages, visita Berlin, Londres,
Paris, Venise. En été les vacances se
passaient en Suisse, souvent à Montreux, ce
qui lui donnait l'occasion de revoir Burtigny et
les siens. Après quatre
années vécues dans cette charmante
famille, elle revint auprès de sa
mère gravement malade.
C'est alors que Ch. Moreillon, de
plus en plus préoccupé du triste sort
des orphelins et des enfants moralement
abandonnés, se sentit pressé par Dieu
d'ouvrir une maison pour les accueillir et leur
donner un foyer chrétien. À l'exemple
de Georges Müller en Angleterre, il se
proposait de s'appuyer sur Dieu seul pour recevoir
de Lui toutes les ressources nécessaires. Il
demandait tout d'abord une collaboratrice pour le
travail qu'il allait entreprendre et vit en
Cécile Burnet celle que Dieu avait
préparée pour cette
tâche.
Par son éducation familiale
elle avait appris ce qu'est la vie à la
campagne et connaissait les travaux du
ménage et des champs. Son séjour
à l'étranger révéla ses
dons d'éducatrice. Elle eut l'occasion, par
ses voyages et les relations de la famille
où elle était fort
appréciée, d'élargir son
horizon. Elle acquit ce qu'elle avait
déjà par nature, cette distinction,
ce quelque chose d'indéfinissable qui
inspire le respect, donne l'autorité et
attire les coeurs. Par sa vie intérieure si
profonde, sa relation avec Dieu, sa grande
humilité, son amour, le don si complet
d'elle-même, elle était bien la
personne qualifiée pour se consacrer
à l'enfance malheureuse. Elle partagea
pleinement la vision de M. Moreillon
« d'une marche par la
foi ».
L'institut, qui devait porter le nom
de « La Maison », prenait comme
pierre angulaire sur laquelle elle allait
être fondée, cette parole de
Jésus : « Cherchez
premièrement le Royaume de Dieu et sa
justice, et toutes ces choses vous seront
données par-dessus
(Matth. 6. 33). »
- Nous voulons en tout chercher la
volonté de Dieu ; avec sa force
obéir à ses ordres et compter sur sa
promesse : Les autres choses, les ressources,
la nourriture, les vêtements, nous seront
donnés par-dessus.
- Ce dont je me réjouis fort,
écrivait Ch. Moreillon, c'est non seulement
de m'occuper des êtres inutiles et
malheureux, mais encore de montrer à ceux
qui nous traitent d'exaltés, parce que nous
nous confions uniquement aux promesses et aux
ordres du Maître, que réellement il y
a pour ceux qui se confient en Lui, un Dieu qui
entend et qui délivre.
- C'est un peu nouveau pour nos
populations que de marcher par la foi, en prenant
au sérieux la Parole de Dieu, mais l'exemple
convaincra mille fois mieux que les paroles. Nous
avons nos ordres ; pour les accomplir nous
avons nos promesses, et Celui qui les a faites est
fidèle.
Voici quelques fragments de lettres
adressées à Cécile peu avant
la fondation de La Maison.
- Vous entrevoyez l'inutilité
d'une entreprise ou d'une vie quelconque sans
Christ. Aussi je viens vous dire que tout en
persévérant dans la voie de
l'humilité, il faut en même temps
croire à l'action réelle et
immédiate du Seigneur en nous.
- J'espère que vous profitez
des circonstances, tout d'abord pour aimer les
âmes que vous rencontrez... Faites-vous aimer
de tous si possible, non pour vous mais à
cause du Seigneur, et servez-vous de la confiance
et de l'affection que l'on vous témoigne
pour accomplir doucement mais sûrement votre
tâche... Je vous ai dit que vous verriez des
choses magnifiques, entre autres des
épreuves dont l'issue sera toute à la
gloire de Dieu.
- Il faut que la vie que Dieu vous
prépare soit bien sérieuse dans son
but et bien active dans la manière de la
remplir pour que Dieu m'oblige à vous
poursuivre ainsi que je le fais jusqu'à ce
que vous soyez prête. Si cela parait à
d'autres trop accablant, nous devons au contraire
être reconnaissants envers Dieu de ce qu'il
veuille bien nous honorer d'autant de confiance, et
c'est déjà pour moi une immense
récompense que Dieu ne me permette pas de
perdre un seul jour de ma courte vie... Il veut que
nous portions beaucoup de fruits, nous ne saurions
trop nous en persuader.
- Maintenez-vous non seulement une
âme forte, vivante, rompue à toutes
les éventualités,
préparée par bien des
expériences et d'abondantes prières,
mais maintenez-vous aussi une belle et forte
santé...
La lettre qui suit nous montre
l'humilité de ce serviteur de Dieu et
combien il se sentait faible, incapable et indigne
par lui-même.
14 mars 1898. - Je ne suis qu'un
homme misérable à qui Dieu, par une
pitié qui ne se mesure pas, fait la
grâce de subsister encore quoiqu'il ne le
mérite pas. Je suis loin de glorifier Dieu
comme je viens d'y inviter votre tante. Si vous
saviez combien en réalité je me sens
petit et faible. Pourquoi vous cacherai-je toute ma
misère ? Vous croyez trouver en moi une
conscience délicate et pourtant voyez quelle
peine j'ai à tenir la balance de la justice
parfaitement égale ; je ne sais pas
aimer tous les hommes pareillement comme de vrais
frères et soeurs. Vous croyez que mon
intelligence peut vous venir en aide,
hélas ! chère Cécile,
mille fois non, car je ne prie pas assez. À
peine puis-je suffire à mes besoins.
Ah ! je suis loin d'être la
lumière qui, mise sur le boisseau, doit
éclairer toute la maison.
Pauvre paroisse que celle de
Burtigny au point de vue de celui qui a pour
mission de la faire vivre pour la gloire du
Père ! Vous croyez que j'ai du coeur...
non, je ne prie pas assez. Je n'ai pas non plus
assez de volonté, je ne sais pas vouloir
malgré tout. Et ma foi, quelle pauvre
foi !
Si vous saviez combien ma
tâche est grande ! Autrefois je me
croyais fort, maintenant je sens toute ma
faiblesse. Dieu m'appelle à le glorifier
dans cette paroisse d'abord et je ne sais pas le
faire. Il m'appelle ensuite à le glorifier
avec les miens, et vous et d'autres, en venant au
secours des orphelins malheureux, en venant en aide
aux âmes égarées... Il
m'appelle à être un instrument
puissant de réveil dans notre pays, et je
suis si mal préparé à
cela.
J'essaie de me mettre à
l'oeuvre ; je sais qu'avec Dieu je puis tout
par Christ, mais la vie vraie, forte, pleine,
débordante, éternelle, sainte,
n'abonde pas en moi, des fleuves d'eau de la vie ne
jaillissent pas de moi. Les âmes meurent
autour de moi sans que je les amène à
la vie par Jésus-Christ.
Et cependant Dieu ne diminue pas la
tâche. Il m'appelle à le glorifier en
relevant les âmes abattues comme la mienne.
Je ne veux pas dire que je suis sans courage, mais
je ne prie pas assez. Priez donc le Père au
nom de Christ, afin que je sache prier avec
puissance et alors la montagne ira
d'elle-même se jeter dans la mer. J'ai plus
besoin de vous que vous de moi...
Cette lettre nous permet de
pénétrer dans cette âme qui
avait de si profondes aspirations et un sentiment
si grand de tout ce qui lui manquait.
Nous verrons dans la suite comment
Dieu a répondu à ses aspirations et a
fait de lui un des hommes de prière les plus
puissants de notre pays.
Peu de jours après, il
écrivait ceci :
- J'espère que vous n'avez
pas cru que j'étais découragé.
En effet je ne le suis pas, je ne l'ai jamais
été et j'espère ne
l'être jamais. Ce que je voulais dire, c'est
que je sentais mieux la grandeur de la tâche
dont Dieu me charge ; c'est aussi que je me
rends compte de mon extrême faiblesse et
enfin que, sachant que Dieu est la source en
Jésus-Christ de tout ce dont j'ai besoin, je
ne sais cependant pas assez vite et assez bien
demander au Père au nom de
Jésus-Christ, cette force vraiment colossale
et inouïe. C'est afin que je n'apporte plus de
retard dans la consécration de mon
être tout entier, corps et âme, au
service de la gloire du Père, que je vous ai
dit ces choses en vous demandant de prier ardemment
pour que Dieu agisse avec puissance et pour que, de
mon côté, je n'oppose plus la moindre
résistance. Je n'en ai jamais opposé
en réalité, mais ce qui revient en
somme au même, c'est que je ne me
prépare pas assez à cette admirable
tâche à laquelle vous êtes aussi
appelée à travailler.
Ce qui me manque le plus, c'est
l'Esprit de Dieu. Il me le faut, à moi le
premier, pour pouvoir faire plus de choses, les
faire plus vite et mieux. Tout cela ne
dépend que de la présence de l'Esprit
du Père descendant en moi. Il vous est
nécessaire, comme à tous ceux que
Dieu prépare avec vous à l'oeuvre
qu'Il vous demande d'accomplir, mais il importe que
moi le premier je sois abondamment baptisé
de la force d'En haut. Oh ! si vous saviez
comme cela va plus vite et mieux lorsque je sens un
rayon de la grâce paternelle descendre du
coeur divin et rayonner dans mon être !
Vous le sentirez aussi. Dieu ne mettra point de
mesure à sa générosité
si nous ne mettons pas non plus de mesure à
notre amour, à notre confiance, à
notre persévérance.
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