Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



MARTIN NIEMÖLLER



 10. - LA PRISON

Voici le moment où cet autre NiemölIer va se trouver placé au centre de la lutte pour l'Eglise. Le 1er juillet 1937, la Gestapo vient le quérir pour un « court interrogatoire » d'où il ne reviendra plus. Sa maison est perquisitionnée du haut en bas, on saisit ses documents et ses sermons, on séquestre trente mille marks provenant de collectes d'Eglise et conservés dans un coffre. Le coup n'est plus inattendu. Depuis des semaines le procureur d'État enquête contre Niemöller. Déjà, en automne 1936, ce dernier avait pris des dispositions dans la paroisse en prévision de son arrestation.

On est à la veille de la Conférence oecuménique d'Oxford. Dès le mois de mai, les principaux délégués de l'Eglise confessante se voient retirer leurs passeports. Fin juin, la plupart des membres du Conseil fraternel de Prusse et de la direction de l'Eglise sont en prison. Niemöller sait que son tour viendra bientôt. C'est à peine s'il s'étonne lorsque, après quelques heures d'arrêts, il est emmené à la prison préventive de Moabit. Le lendemain, les journaux annoncent en gros caractères les accusations portées contre lui : « Excitations du haut de la chaire, attaques perfides contre l'État et le Parti ». Puis, quelques semaines plus tard, on apprend que le jugement est fixé à la mi-août.

L'Eglise confessante se rend compte - et le dit du haut de ses chaires - que, dans la personne de Martin Niemöller, c'est elle-même qui est emprisonnée et traînée devant les tribunaux. Mais elle espère avec lui que le procès public lui permettra de justifier sa cause et de faire la preuve de sa bonne conscience devant le monde entier. Aussi va-t-elle, avec confiance, au-devant des débats, pour lesquels elle se prépare minutieusement. Mais lorsque, soudain, le procès est remis de semaine en semaine, de mois en mois, on réalise de plus en plus l'absence de Niemöller sur le champ de bataille. Angoissés, ses amis se demandent : comment supportera-t-il cela ? Six semaines d'attente anxieuse, puis le brusque renvoi du procès pour un temps indéterminé. Après quatre années de vie active, le voici dans sa cellule, entre une table, une chaise et un lit. Naguère, du matin de bonne heure jusque tard dans la soirée, des gens et toujours des gens, et maintenant l'isolement, le silence du tombeau N'importe qui supporterait cela, mais non pas un Niemöller !

Écoutons-le cependant. Avent 1937 Il m'est impossible de répondre individuellement aux centaines de messages que je reçois en cette période de l'Avent. Il est une seule chose que je vous demande à tous : ne cédons pas à la lassitude ! Des voix se lèvent, ici et là, qui s'efforcent de nous montrer dans les souffrances de notre Église la preuve que nous avons fait fausse route. À cela nous répondons avec confiance que les apôtres nous ont appris à considérer les choses sous un tout autre jour. Nous savons bien, sans doute que ce n'est pas plus notre souffrance que notre prospérité qui nous procure et nous assure la paix avec Dieu. Cette paix est une grâce de Celui dont la souffrance a commencé à la crèche et s'est accomplie sur la croix, afin que nous tous, qui lui appartenons, puissions être appelés enfants de Dieu. Croyons à cette joyeuse nouvelle que Dieu nous envoie, et, forts de sa vertu, poursuivons notre course sans nous inquiéter de la désapprobation des hommes, mais avec la paix de Christ dans nos coeurs et la louange de Dieu sur nos lèvres. Que Dieu nous soit en aide ! ».
La cellule s'est peu à peu transformée en chambre pastorale dans laquelle Martin Niemöller n'est guère moins actif que chez lui. Des milliers de lettres de tout le pays, voire du monde entier y affluent et sont enregistrées dans son Journal. Le jour de son anniversaire, il reçoit trois mille messages de félicitations et de voeux. Comme ci-devant, toutes ses préoccupations vont à sa paroisse et à l'Eglise entière. Il est au courant de tous les événements. Apprenant que jusqu'à Noël 1937 quelques centaines de ses frères dans le ministère partagent son sort, pendant un temps plus ou moins long, il y voit une confirmation, et non un ébranlement de la position que l'Eglise et lui-même ont cru devoir prendre.

L'anecdote suivante, même si elle est légendaire, illustre bien cet état d'esprit. L'aumônier de la prison ayant demandé à Niemöller :
- Mon frère, pourquoi es-tu en prison ? il reçut pour seule réponse cette question :
- Et toi, mon frère, pourquoi n'es-tu pas en prison ?

Bien plus, en janvier 1938, après six mois d'attente et alors que la situation de l'Eglise n'a fait que s'aggraver, son langage a presque un accent de triomphe : Janvier 1938 : « Au cours de ces six mois, la barque de l'Eglise est remise à flot. Certes, ses couleurs sont ternies, ses mâts sont brisés, son aspect n'est pas beau. Mais le Seigneur Jésus-Christ est toujours au gouvernail et la barque flotte ! Qui eût osé espérer cela, lorsque Ludwig Müller crut pouvoir crier : ville gagnée ! Ça n'a pas duré plus que l'émeute rouge de 1918 ; après cela, on ne fuit plus devant le premier fantôme venu, parce qu'on sait bien ce qu'il y a par derrière. Je pense que ma détention est le fait du saint « humour » de Dieu. D'abord ils s'écrient en ricanant : « Cette fois nous le tenons ! » Puis, viennent les incarcérations. Et voici le résultat : Des églises pleines, des fidèles qui prient. Démène-toi, ô monde, je suis debout et je chante en sécurité. La puissance de Dieu prend soin de moi. Les menaces du monde tournent à sa confusion. Me laisser gagner par l'amertume serait la pire ingratitude ».

Tous les dix jours il peut recevoir pendant un quart d'heure et en présence d'un gardien, la visite de sa femme et parfois de ses enfants. Il lui est dur, sans doute, d'être séparés d'eux, du petit Martin en particulier. Pourtant, c'est toujours lui, le prisonnier, qui console et réconforte les siens. Sa plus grande joie est d'entendre un de ses jeunes fils le saluer d'un joyeux : « Dieu te bénisse, père » et d'apprendre la réponse qu'il fit un jour au gardien en partant. Celui-ci lui ayant demandé :
- Sais-tu bien, pourquoi ton père est ici ? », l'enfant répondit avec assurance :
- Oui, parce qu'il a annoncé le pur Évangile.

Et quand, à la maison, la petite soeur adresse un message à son père, elle déclare :
- Je suis toujours très fière d'écrire : Moabit, prison préventive ».

À la question qui lui fut posée une fois sur ce qu'elle pouvait bien demander dans ses prières pour son père, cette même enfant répondit avec la simplicité de ses neuf ans : « Je prie pour que la décision soit bonne. Jusqu'ici je n'ai pas su ce que c'est qu'une décision. Maintenant je le sais ». Elle exprimait ainsi ce qu'éprouvaient son Église et la chrétienté de tous pays lorsqu'enfin, le 7 février 1938, le procès commença. Partout, dans les maisons et dans les églises, des prières d'intercession. Toutes les pensées et tous les regards sont dirigés vers la salle du tribunal de Moabit. Mais aussitôt on déclare que les débats ne seront pas publics. Seuls les représentants de l'État et de l'Eglise et un membre de l'Eglise confessante sont présents lorsque Niemöller est appelé à s'expliquer devant ses juges. À tous les assistants, il est ordonné de garder le silence le plus complet sur ce qu'ils entendront. Le huis-clos n'est levé que pour la proclamation du jugement. Niemöller est condamné à sept mois de forteresse et à mille marks d'amende pour violation du paragraphe relatif aux devoirs des prédicateurs. Par contre, l'accusation d'attaques perfides contre l'État et le Parti n'est pas retenue. La peine des arrêts en forteresse signifie que l'accusé n'a rien commis de déshonorant ni de préjudiciable aux intérêts du Reich. Elle est en outre compensée par la prison préventive.

Le soir de ce 2 mars, le monde respire. Dans la maison de Niemöller on fait les malles pour aller en vacances avec le père retrouvé. La paroisse de Dahlem se dispose à célébrer un culte d'actions de grâces. Tout à coup, on apprend que l'acquitté du tribunal est retombé entre les mains de la Gestapo qui l'envoie, dès le lendemain, au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin. L'amnistie du 20 avril n'apporte aucun changement à sa situation. La nouvelle d'un transfert dans une forteresse ne se confirme pas. Cinquante délégations de toutes les parties du Reich frappent vainement aux portes des ministères. La protestation des dirigeants du mouvement oecuménique demeure sans effet. Un recours en grâce de la paroisse de Dahlem pour son pasteur est purement et simplement écarté par le Führer.

Une seule fois, au début d'avril, Mme Niemöller réussit à voir son mari. Au Vendredi-Saint un pasteur est autorisé à lui donner la Sainte Cène dans sa cellule. Il peut recevoir deux lettres par mois. Ce sont là ses seuls rapports avec le monde extérieur. Il ne peut faire sa promenade quotidienne à l'air libre que séparé de ses compagnons de captivité. On lui interdit l'usage de papier et de crayon, ce qui pour lui est une rude privation. Il porte le costume des détenus. Tout cela n'inspire à l'assesseur Chantre, un fils de pasteur (!) que ces simples mots : « Quelques pasteurs de l'Eglise confessante en feront le sujet de communications du haut de la chaire, puis l'affaire sera vite oubliée ».

Est-ce là le dernier chapitre de cette histoire ? À vues humaines, elle n'a pas d'issue. Mais le zèle pour la maison de Dieu n'est pas éteint pour autant. Et ce n'est pas la fin de la milice du Christ, à laquelle appartient Niemöller et avec lui l'Eglise confessante qui regarde à ce prisonnier comme à un témoin de l'Eglise triomphante. On n'en a pas fini avec la Bible, le catéchisme et le psautier, qui lui restent dans sa cellule. Trois fois, depuis sa captivité, il a lu l'Ancien et le Nouveau Testament et c'est plus de 300 cantiques qu'il a appris par coeur. Il n'en a pas fini de dire à toute idolâtrie, un « non » toujours aussi saintement résolu, que sa conscience liée par la Parole de Dieu ne retirera jamais, même au prix de sa liberté. Enfin, rien n'est changé dans ses rapports avec sa paroisse : de l'Eglise comme de sa cellule continuent à monter vers Dieu leurs prières d'intercession. « J'ai l'impression, écrivait-il dans la première lettre de sa captivité, que l'Eglise comprend l'impossibilité de se passer du joyeux message de Jésus-Christ, dans l'avenir comme dans le passé. Je suis heureux et reconnaissant de pouvoir maintenant me laisser porter par Celui que j'ai prêché. Qu'il est beau de savoir que ce rocher demeure inébranlable, malgré tout ce qui peut nous arriver ! ».

Tel est Niemöller. Privé de sa liberté, de son travail et de sa famille, contraint au silence, il est dans sa cellule plus éloquent et plus puissant encore qu'il ne le fut dans sa chaire. « Naguère », dit un ami anglais après sa première rencontre avec lui, « je savais qu'il était un lutteur. Maintenant je sais qu'il est un croyant ».

L'histoire dira tout ce qu'il a fait pour son Église et pour son peuple. Quant à lui, il lui suffit qu'on dise :

« Celui-ci aussi fut avec Jésus de Nazareth »
( Ev. Luc XXII, v. 56 et Actes IV, v. 13)


Table des matières

Page suivante:
A
 

- haut de page -