Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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MARTIN NIEMÖLLER



9. - LE « GRAND » ET LE « PETIT » MARTIN

On a souvent reproché à la lutte ecclésiastique de ces cinq années de n'être autre chose qu'une querelle de pasteurs polémistes. On ne saurait mieux répondre à ce grief qu'en disant : « Allez donc passer huit jours au presbytère de Niemöller et vous verrez bien si cette lutte n'est inspirée que par le plaisir de faire de l'opposition ».

Nous avons vu Niemöller à son bureau et dans son cabinet de travail. Il nous reste à parler des autres parties de ce presbytère : cuisine, jardin, chambres d'enfants avec leurs sept habitants de dix-huit à trois ans. C'est le domaine de Madame Niemöller. En fait de soucis et de mouvement, il ne le cède en rien au reste de la maison. Toutefois cette femme, qui connaît son mari depuis l'enfance, ne parle que fort peu des charges et des peines qu'elle a partagées avec lui dès la fin de la guerre, pendant les dures périodes de son travail agricole et de son artisanat, puis pendant ces dernières années si difficiles. Mais on le lit sur ses traits et l'on ne peut que donner raison au jugement d'un visiteur anglais : « She is a fine, brave lady ».

Il est naturel que la vie de famille se ressente de la lutte menée par Niemöller. Autant que possible, il se fait accompagner de sa femme dans ses travaux et dans ses voyages. Il est rare aussi qu'ils n'aient à leur table un ou plusieurs hôtes inattendus. On raconte qu'un jour un étranger manifestait un appétit si extraordinaire que les yeux écarquillés des enfants regardaient avec étonnement les portions géantes dont son assiette était chargée, lorsqu'une petite voix s'écria
- Eh ! bien, si tu arrives à bout de tout ça ! ...

Mais tout n'est pas toujours aussi gai, même pour les enfants. La première fois qu'ils prirent conscience du sérieux de leur vie, ce fut un matin de février, en 1934. Quelque chose fit explosion sur le toit de la maison et un jet de flammes s'en échappa. Une heure plus tard, voici la police, que personne n'avait appelée, et les six enfants, précipités hors de leurs lits, apprirent qu'une bombe avait été jetée sur le presbytère, par une main heureusement inhabile et alors que les parents étaient en voyage. Jusqu'à ce jour, ce cas n'a jamais été éclairci.

La petite troupe d'enfants grandit, observe attentivement ce qui se passe autour d'elle, est souvent témoin aux repas, de graves entretiens entre parents et amis, et se représente les choses à sa manière. La fillette de huit ans, quelque part en séjour de vacances, babille avec la cuisinière et parlant d'un collègue de son père, lui dit :
- Tu sais, nous avons à la maison l'oncle F., tu pourrais bien te marier avec lui, il n'a encore jamais été en prison.

Une autre fois, les parents apprennent que les cadets, tandis qu'ils sont censés faire leur somme d'après dîner, s'amusent à se relier au moyen du tuyau de l'aspirateur à poussière et jouent aux personnages qui téléphonent au « frère Niemöller ». Sujets des conversations : la police secrète ou l'histoire de l'Eglise au XXe siècle !

C'est une cause de grand chagrin pour Niemöller de ne pas pouvoir donner à la famille tout le temps voulu et d'avoir besoin de se réserver ses rares moments de répit. Le dimanche, la plupart de ses enfants sont dispersés dans les familles de la paroisse, qui se les disputent au point qu'elles doivent pour ainsi dire les retenir à l'avance. Cela permet à la mère de respirer un peu, et pourtant elle se reproche de manquer à son devoir sitôt qu'elle n'a pas les sept enfants autour d'elle : - « Ils sont pourtant si gentils ! ». Et cela nul ne le conteste. Ils ont tous leur originalité particulière, très doués et fiers de leur « petit père ». Plus remarquable encore est la conscience, qui leur est en quelque sorte innée, de leurs devoirs à l'égard de leur Église et la résolution avec laquelle même les plus jeunes vont à l'école du dimanche afin de devenir un jour, comme leur père, de fidèles témoins du Seigneur Jésus-Christ.

C'est aussi le seul but que poursuit Niemöller dans cette éducation. Il n'a point d'autre pédagogie. Ses enfants vivent « dressés dans la liberté ». Les garçons font partie de la jeunesse hitlérienne comme leurs camarades et, comme ces derniers, élevés dans l'obéissance envers les autorités. Avec la réserve, bien entendu, qu'on doit obéir à Dieu plus qu'aux hommes et qu'aucun conflit de devoirs ne doit aboutir à un reniement du christianisme. Car, dans la maison de Niemöller, tous prennent une part active à la lutte ecclésiastique et les enfants s'en tiennent aux mots d'ordre du père. Niemöller n'ayant pas réussi un jour à faire rapporter une décision, à son gré trop modérée, il quitta la séance du Conseil fraternel avec vivacité et reçut de son aîné cette parole de consolation :
- Il te faudra bientôt trouver autre chose, petit père, ça ne prend plus !

Bien des pères seraient difficilement abordables dans de telles situations et, à vrai dire, plus d'un orage se déverse sur la maison de Niemöller. Mais l'impression caractéristique qu'il produit est cependant celle d'une étonnante tendresse paternelle à l'égard de ses enfants. Il n'est pas un tyran domestique qu'ils auraient à redouter. Ils obtiennent de lui bien des choses que n'obtiendraient pas des adultes. Nous touchons là au point faible du « grand Martin ». Car c'est ici que commence le règne du « petit Martin », le benjamin, né au presbytère de Dahlem un dimanche d'août 1935, tandis que les cloches de l'église sonnaient pour le culte. Cet enfant de la « guerre ecclésiastique » est étrangement tranquille au milieu de la nervosité des autres habitants de la maison. De bonne heure il a été habitué à voir beaucoup de gens autour de lui, sans en avoir peur. Lorsque, le 1er juillet 1937, quinze policiers vinrent arrêter son père et perquisitionner dans la maison, le petit Martin circulait sans se gêner au milieu de ces inconnus, le visage rayonnant, ne pouvant se douter qu'il ne reverrait son père qu'après plusieurs mois, derrière un grillage de prison.

Ce cadet, que le grand-père Niemöller a baptisé, est le centre et l'idole de toute la famille, la seule joie humaine sans mélange que connaisse son père. Avec lui s'intervertissent les rôles du « grand » et du « petit » Martin. Car « en tout homme véritable se cache un enfant qui veut jouer ». Cette parole, tirée de Nietzsche, se trouve chez Christian Morgenstern, auteur particulièrement aimé de Niemöller, qui cite de mémoire la plupart de ses poèmes et s'applique à soi-même leurs maximes de vie pratique. Aussi voit-on voisiner chez lui le plus grand sérieux avec l'humour le plus folâtre. Il y a peu d'endroits en Allemagne où l'on rie autant et aussi cordialement que dans les milieux de l'Eglise confessante et en particulier chez Niemöller. Celui-ci a gardé ainsi toute la fraîcheur de la jeunesse et cette spontanéité juvénile qui sait s'amuser de farces bien réussies. Cela ne peut porter ombrage qu'aux esprits renfrognés, bougons et surtout jaloux du « grand Martin ».

Ce même humour, par ailleurs, prémunit Niemöller et ses amis contre le reproche de vivre par trop dans les nuées au lieu d'être campés sur leurs deux pieds. Sa spiritualité n'a pas besoin de se donner une auréole artificielle ni de se draper dans la solennité d'une conscience professionnelle et sociale. Il fait du reste peu de cas de l'ascétisme. Son zèle n'a rien de monacal. Il est trop bon luthérien pour ne pas se réjouir avec une sorte d'ingénuité des biens de ce monde, tels qu'un bon repas, un film amusant ou une société joyeuse. Certes, les heures dont il dispose pour cela sont comptées. Même quand viennent enfin les courtes vacances de l'été, elles sont encore interrompues par plus d'une conférence ou séance.

Il sait bien, sans doute, qu'il a des succès humains, un nom connu et un nombre croissant de partisans. Il ne croit pas devoir s'en défendre. Et pourquoi ne suspendrait-il pas à la paroi le diplôme de docteur en théologie honoris causa que l'Amérique lui a décerné en 1936 ? Il n'en tire aucune vanité et ne cherche pas à jouer au « grand » Martin. Il n'en éprouve que la joie simple et sincère de voir que le jeune Niemöller qu'il fut et qu'il reste à bien conduit sa barque. Et toujours reparaît dans sa demeure le visage du « petit Martin », de l'autre Niemöller, qui aborde son sermon avec crainte et tremblement, qui sans cesse atteint les limites de ses forces physiques, qui souvent est tenté de tout abandonner quand il voit l'infidélité ou la division se glisser dans les rangs de ses amis. Un homme chargé de soucis pour sa femme et ses enfants dont l'existence est engagée dans la lutte, et que les siens ne voient jamais sans anxiété quitter la maison, se demandant s'il reviendra sain et sauf. Un homme qui peut dire avec l'apôtre Paul qu'il est « assiégé chaque jour par les soucis que lui donnent les Églises » et qu'il a « travaillé plus que tous les autres », non pas lui, cependant, le « grand Martin », mais la grâce de Dieu qui a été avec lui ( V. 1 Cor. XV. 10 et Il Cor. XI, 28).


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