PROMENADES À TRAVERS LE
PARIS DES MARTYRS
1523 -
1559
CHAPITRE II
La Croix du Tiroir
(du Trahoir, du Tirouer),
au coin de la rue Saint-Honoré et
de la rue de l'Arbre sec.
La Croix du Tiroir. - Ses victimes. -
Audebert Valeton. - Nicole Lhuillier. - Simon
Foutret.
LES
SUPPLICIÉS DE LA CROIX DU TIROIR.
1535.
LE PILORI DES
HALLES AU XVIV SIÈCLE.
« La croix du Tiroir, est la
première chose remarquable que l'on
distingue dans la rue de
St-Honoré » ainsi s'exprime un
historien de Paris en 1698. « Elle est au
coin de la rue de l'Arbre-sec (1),
appuyée sur l'angle d'un
pavillon dont la maçonnerie est assez belle,
dans lequel se fait la décharge des eaux
d'Arcueil, qui passent sous le
pavé du Pont-Neuf, ensuite
mêlées avec celles de la pompe de la
Samaritaine, elles se distribuent au Louvre, aux
Tuileries, au Palais-Royal, et à d'autres
endroits particuliers et la manière dont
cette distribution se fait est assez curieuse
à voir. Ce pavillon a été
bâti par François Miron,
prévost des marchands qui entra en charge en
l'année 1604. » Quelques
historiens prétendent que c'est à cet
endroit que Brunehaut fut traînée
à la queue d'un cheval indompté par
ordre de Clotaire II. C'est pure
légende.
En tous cas, en 1698, on
exécutait encore des criminels sur cette
place puisque Germain Brice dit :
« On fait assez souvent des
exécutions de criminels devant cette croix,
principalement de ceux qui sont convaincus d'avoir
fait de la fausse monnaie, à cause que la
maison où l'on fabrique la monnaie n'est pas
fort éloignée de cet
endroit. » (2)
La raison est naïve - mais la
coutume était ancienne.
La place du tiroir s'appelait ainsi
parce que l'on y tirait les étoffes dit
Lebeuf (3), mais,
d'après Berty, ce que l'on y tirait ou
plutôt triait, c'étaient des animaux
de boucherie qu'on y amenait ? La croix que
l'on avait érigée d'abord sur la
place avant de l'appliquer au pavillon de
François Miron, remontait à la plus
haute antiquité. Elle fut détruite en
1789.
Ceux qui la détruisirent se
souvenaient peut-être des longues injustices
qu'elle avait pu contempler.
C'est ainsi qu'on avait vu des potences
s'y élever le 21 janvier 1535. On avait fait
le matin dans Paris une procession solennelle qui
avait déroulé ses splendeurs de
St-Germain l'Auxerrois à Notre-Dame.
L'après-midi, pour donner une sanction
à cette fête religieuse, on avait
brûlé six luthériens, trois aux
Halles et trois devant la Croix du tiroir.
Ceux-ci s'appelaient Audebert Valeton, receveur de
Nantes, maître Nicole Lhuillier, clerc du
greffe du Châtelet et maître Simon
Foutret, chantre du roi. Le Martyrologe de
Crespin raconte en ces termes la triste
destinée de Audebert ou
Nicolas Valeton.
21
Janvier 1534. (Vieux style). Nicolas Valeton
(4), receveur
de Nantes en Bretagne commençant de venir
à la connoissance de l'Évangile par
le moyen d'aucuns bons personnages qu'il hantoit,
et par la lecture du nouveau Testament en
françois ; voyant la grande poursuite
qu'on faisoit, et que Morin (avec lequel il aurait
eu différend) approchait de sa maison,
commanda à sa femme de faire, oster de sa
chambre le bahu ou estoient les livres, et
cependant alla au devant du danger. Elle
effrayée de son costé, jeta
soudainement tous les dicts livres dans les
privés, ensemble d'autres papiers qui y
estoyent, en, sorte que le bahu demeura vuide.
Morin estant entré, envoya Valeton en
prison, et commanda qu'il fut étroitement
gardé ; puis ayant
fouillé par tout et n'ayant rien
trouvé, aperçut ce bahu vuide, toutes
fois il ne s'y arresta pour l'heure, tant il avoit
envie d'interroguer son prisonnier, ce qu'ayant
faict et ne se trouvant aucunes charges et
informations contre lui pensa qu'il y falloit
procéder plus finement et qu'autrement le
receveur seroit homme pour lui garder et donner de
la peine, parce qu'il estoit homme d'esprit et de
crédit.
L'ayant
donc interrogué de rechef sur le faict du
bahu, et rien profité, il alla soudainement
vers sa femme à laquelle il fit tant de
demandes et si cauteleuses et subtiles (ioint qu'il
asseuroit que son mari avoit confessé le
coffre estre celui où il mettait les livres
et papiers secrets) que ceste jeune femme peu
avisée, se fiant en la promesse et serment
dudit Morin, que son mari n'auroit aucun desplaisir
moyennant argent par elle offert et promis) lui
descouvrit la vérité du faict. Les
livres estant retirés promptement hors des
retraits, encore qu'ils ne fussent défendus,
Morin le fit trouver si mauvais au Roi, qu'il
commanda qu'on le fist mourir, d'autant qu'ayant
ainsi faict jeter les livres, il estoit suspect
d'hérésie. À quoi la cour de
Parlement obtempéra très volontiers
et fut ce personnage mené à la croix
du tirouër, et là bruslé vif du
bois pris en sa maison. Il monstra une grande
constance et fermeté : ce qui fut
trouvé admirable des gens de bien, d'autant
qu'il avait encore bien peu d'instruction.),
Martyrologe, éd. Toulouse. 1, p.
303-304.
CHAPITRE III
Le Pilori des Halles
Son emplacement actuel. - Ses victimes. - Le
drapier de la rue St-Denis, Jean Dubourg. - Jean
Lenfant, un faiseur de paniers de fil d'archal, un
menuisier. - Pierre Guyon d'Auxerre. - Antoine
Sebilleau.
« Au bout de la rue Pirouette, dans
son prolongement, sur le passage actuel de la rue
Rambuteau, exactement vis-à-vis du pavillon
des Halles affecté à la marée,
s'élevait le pilori : C'était
une petite cour octogone, percée, de hautes
fenêtres ogivales, n'ayant qu'un étage
au-dessus d'un rez-de-chaussée, et au milieu
de laquelle était une roue de fer
percée de trous où l'on faisait
passer la tête et les bras des criminels,
voleurs, assassins, blasphémateurs,
courtiers de débauche, condamnés
à cette exposition infamante. On les y
attachait trois jours de marché
consécutifs, deux heures par jour, et, pour
que chacun pût jouir de cet
aimable spectacle, de demi-heure en demi-heure, on
tournait le carcan dans une direction
différente : on faisait faire aux
patients la « pirouette » -
d'où le nom de la rue. »
(5)
Il y avait à Paris deux piloris,
celui des Halles qui était le pilori du roi
et celui de la rive gauche qui se trouvait
derrière l'abbaye St-Germain des Prés
et qui était le pilori de
l'abbé.
Près du pilori, il y avait une
croix de pierre comme on en trouvait toujours
près des poteaux de justice ou des
gibets.
Aux halles disait le proverbe
est le pilori du roi. Il y resta longtemps
puisque la coutume barbare d'exposer les
délinquants aux risées, aux insultes
ou aux crachats de la foule ne disparut que sous
Louis XVI.
Les historiens de Paris qui ont fait
l'histoire du pilori et raconté les malheurs
de quelques-uns de ceux qui y furent
exposés, ne parlent guère ou point du
tout de ceux qui souffrirent à cet endroit
pour de simples opinions religieuses.
Il nous semble pourtant que ces victimes
sont autrement intéressantes que beaucoup
d'autres.
Réparons, en partie du moins, ces
oublis.
L'affaire des placards contre la messe
affichés dans Paris et jusqu'à la
porte même de la chambre à coucher de
François 1er, en octobre 1534, fit de
nombreuses victimes dans Paris. Les Halles virent
brûler quelques-unes d'entre elles.
Le 14 novembre 1534, un drapier de la
rue St-Denis à l'enseigne du cheval noir
accusé d'avoir affiché des placards
dans Paris fut condamné à faire
amende honorable devant Notre-Dame, à avoir
le poing coupé devant la Fontaine des
Innocents et à être brûlé
au pilori des Halles.
Voici le récit de cet
épisode d'après le Martyrologe
de Crespin (6).
« 14 Novembre 1534. Jean du
Bourg,
marchand de Paris, monstra en ceste
persécution qu'elle connoissance de
l'Évangile il avoit receuë de Dieu,
c'est assavoir ferme et fondée sur le rocher
qui est Jésus-Christ ; car ni bien, ni
parentage ne le seut onques divertir et esbranler
de la vérité. Son logis estoit
à l'entrée de la rue Sainct Denis,
à l'enseigne du cheval noir, faisant estat
de marchandise de drapperie. Il fut bruslé
aux Halles, lieu publique de Paris. (7) »
Driart, qui rapporte le même fait, affirme
que Jean Du Bourg mourut « bon
chrétien », nous n'avons pas de
peine à le croire.
Mais l'année 1535 devait voir
amener au Pilori des Halles bien d'autres victimes
de la réaction furieuse alors
déchaînée sur la France de la
Renaissance et de la Réforme.
Le 21 janvier 1535, le bon roi
François 1er « pour apaiser l'ire
de Dieu » et en expiation du
sacrilège commis par les luthériens
qui avaient osé afficher leurs fameux
placards contre la Messe, fit
faire la plus belle procession que l'on vit jamais
en France. Les chasses de sainte Geneviève,
de St-Marceau, toutes les chasses des
églises de Paris sans exception,
« le fer de la lance »
« le précieux chapeau
d'épines » et toutes les reliques
de la Ste-Chapelle y furent solennellement
portées. L'évêque de Paris,
Jean du Bellay, portait le corpus domini sur
lequel il y avait le riche ciel du roi ».
Le dauphin, le duc d'Angoulême et les enfants
du roi, le duc de Vendome en portaient les quatre
coins. Devant le Corpus domini marchaient
toutes les paroisses, les archers du roi et les
suisses en bon ordre avec leurs tambourins, puis
les neuf gentilshommes du roi avec leurs haches
d'armes, enfin messeigneurs les cardinaux de
Tournon, de Lisieux et de Châtillon, tous
nus-têtes.
Après le St-Sacrement, marchait
à pied le roi lui-même vêtu
d'une robe de velours noir fourrée de
martres, nu-tête et portant en ses mains une
grande torche de cire blanche allumée.
À côté de lui cheminait le
cardinal de Lorraine ; ils étaient
suivis des princes du sang et des plus grands
personnages tous nus-têtes avec une torche de
cire aux écussons de France. Puis venaient
le Parlement, la cour des comptes, la Ville, le
lieutenant de la prévôté de
Paris, l'Université. Partie de St-Germain
l'Auxerrois, la procession gagna Notre-Dame. La
grand'messe dite, le roi et la reine
allèrent dîner chez monseigneur
l'évêque de Paris
(8).
Pour achever la fête on
brûla l'après-midi six
« luthériens » à
savoir trois à la Croix du
Trahoir : Maître Simon Foutret,
natif de Cusset en Auvergne, chantre du roi ;
Audebert Valeton, receveur de Nantes. On avait
trouvé dans sa demeure, près de la
Croix du Trahoir, des livres luthériens qui
furent brûlés avec lui ;
Maître Nicole Lhuillier, clerc du greffe du
Châtelet.
Les trois autres furent
brûlés aux Halles après avoir
fait amende honorable devant Notre-Dame.
C'étaient un riche fruitier des Halles, Jean
Lenfant, un faiseur de petits paniers de fil
d'archal et un menuisier dont le nom est
resté inconnu. Driart raconte à ce
propos que l'on avait dressé huit potences,
quatre à la Croix du Trahoir
(9) et quatre aux
Halles, car on devait exécuter huit
luthériens mais « pour quelque
cause » il n'en fut exécuté
que six. Les malheureuses victimes furent conduites
au supplice, deux par deux, dans six tombereaux de
voierie. Un autre tombereau les
précédait, chargé,
celui-là, de « grands sacs de
livres de la fausse et mauvaise doctrine de
Luther. » (Chronique parisienne,
p. 176).
Le lendemain, 22 janvier, dit le
Journal d'un bourgeois de Paris fut
brûlée la femme d'un cordonnier
demeurant près de l'église
St-Séverin. Elle était
maîtresse d'école et
« mangeait de la chair aux vendredis et
samedis. » Driart dit qu'elle
était
« luthérienne » et
âgée d'environ trente-six ans.
Menée dans un tombereau devant Notre-Dame,
elle y fit amende honorable puis, ramenée
à l'abreuvoir Popin, elle « fut
pendue à une potence et laissée choir
au feu toute vive. »
(10)
Sous Henri Il, le, nombre des martyrs
brûlés aux Halles est
considérable et tous ne sont pas connus.
C'est, le 26 mai 1548, Pierre Guyon originaire
d'Auxerre qui, pour réparation des
blasphèmes séditieux,
hérétiques et scandaleux dicts et
proférés par lui contre l'honneur de
Dieu, du saint sacrement de l'autel, de notre
mère sainte Église, est
condamné à avoir la langue
coupée au sortir de la chapelle de la
Conciergerie, à être mené aux
halles à y être soulevé
à une potence et brûlé tout vif
en l'air
(11).
Le 4 octobre de la même
année, c'est Antoine Sebilleau, dit Navet
qui est condamné à la même
peine pour le même délit. Mais il
faudrait un volume à part pour
donner une idée de la
répression furieuse qui marqua le
règne de Henri II et nous renvoyons ceux qui
voudraient s'en faire une juste idée au
livre de M. N. Weiss, sur La Chambre
ardente.
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