Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps



CHAPITRE PREMIER

LE POINT DE DÉPART
(Matthieu V, 3-19.)

1. Ceux qui cherchent.

Jean se tenait au seuil du pays, sur les rives solitaires du Jourdain. Il frappait à la porte et proclamait son message : « Voici venir le jour de Dieu. » À ce cri, le peuple tout entier s'émeut. Saisies d'une intense émotion, les foules accourent de toutes parts. Il s'agit de se préparer à cet événement inouï et de s'assurer le salut. jean baptise et instruit, mais son action n'est que provisoire; il dirige tous les regards vers celui qui doit venir et qui reste encore ignoré.

Cependant les pouvoirs publics interviennent, et réduisent au silence l'importun Baptiste. C'est alors que Jésus paraît. Il se met à parcourir les villes et les villages en y faisant retentir la même proclamation : «Le royaume de Dieu est proche, convertissez-vous. » À l'ouïe de ces paroles, tous comprennent que les temps sont venus, car ce qu'ils attendaient, ils le voient apparaître en sa personne. De lui émanent les vertus bienfaisantes et libératrices d'une vie nouvelle, inconnue jusqu'alors. Ils accourent, ils se pressent autour de lui, une même question dans le coeur et sur les lèvres : Que devons-nous faire?

C'est dans ces circonstances que Jésus, s'adressant à la foule, s'écrie : « Heureux les pauvres en esprit!» Comme le soleil perçant les nuages, cette parole dut illuminer les coeurs profondément troublés qui attendaient de lui le mot de leur destinée. Jésus ne leur prescrit aucune tâche, il les déclare heureux. L'impérieux : «tu dois » fait place à une assurance riche de promesses qui les investit du plus grand de tous les biens. Ils se tenaient aux pieds de Jésus, accablés déjà sous une infinité de devoirs, mais prêts à se charger encore jusqu'aux extrêmes limites de leurs forces; il les élève sans autre dans la sphère de la vie divine.

Quand nous ignorerions tout de Jésus, cette seule parole suffirait à lui donner la prééminence sur tous les prophètes de la terre. En effet tous ont imposé aux hommes des obligations; lui seul a libéré ceux qui venaient à lui du poids du passé et de l'accablement de l'avenir en les plaçant au centre même du salut espéré.

Il en va de même, aujourd'hui encore, pour ceux qu'oppressent tant de fardeaux religieux et philosophiques, quand se déchire le brouillard des préjugés confessionnels ou matérialistes, et quand le Fils de l'homme leur apparaissant dans sa réalité, leur jette son appel à la vie en leur montrant le but de l'humanité. C'est un merveilleux affranchissement de tout lien et de tout fardeau. On se sent plongé dans les flots vivifiants d'un salut merveilleux duquel découle une vie nouvelle. C'est là ce que la Bible appelle la grâce, elle entend par là ce puissant courant de vie qui jaillit de la source originelle et créatrice.

Le Sermon sur la montagne est une bonne nouvelle, et non pas une seconde loi. Les béatitudes ne sont pas de fallacieuses promesses, suivies d'exigences rigoureuses. Leur cri de bonheur huit fois répété vibre au travers de toutes les instructions consécutives. Consolation, encouragement, révélation bienheureuse, le Sermon sur la montagne est l'Évangile même. Voilà la note toute nouvelle qu'il faut y percevoir d'un bout à l'autre pour le bien comprendre.

Alors même que les mots disent : « tu dois », leur sens profond et l'esprit qui les anime répètent ; « heureux êtes-vous », car vous pouvez accomplir ces choses, vous les accomplirez nécessairement, elles seront la manifestation naturelle du royaume des cieux en vous.

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux. »

Jésus déclare heureux les. pauvres, ceux qui sont dans le dénûment. Le mot de «pauvres » est pris ici dans son sens le plus étendu, mais Jésus lui donne une acception subjective : « en esprit », ajoute-t-il. Il désigne donc ceux qui, conscients de leur pauvreté intérieure, pénétrés du sentiment de leur indigence, en éprouvent du malaise et un intense mécontentement.

Il est possible que Jésus ait dit simplement, comme le rapporte Luc (chap. 6, v. 20) : « Heureux les pauvres, malheur à vous, riches. » Car on constatait sans doute alors comme aujourd'hui, combien il est rare que les riches éprouvent spontanément soit la sensation de leur indigence, soit un intérêt profond pour un nouvel ordre de choses. S'ils participent, il est vrai, aux maux inhérents à la nature et à la vie humaines, ils sont cependant satisfaits des conditions d'existence qui leur garantissent le bien-être matériel.

La version de Luc est donc peut-être la forme originale des paroles de Jésus, mais elle n'en donne pas le sens réel. Car pour Jésus, l'essentiel fut toujours l'état intérieur des hommes et non leurs circonstances extérieures.

À qui s'adressent aujourd'hui ces paroles? Évidemment à ceux qu'animent des dispositions analogues. Les pauvres dont il s'agit ici, sont ceux qui ont le vif sentiment de leur superficialité, de leur médiocrité, de la vanité et du vide de leur vie; ceux qui, parmi tous les intérêts, tous les idéals qui embellissent leur existence, ne peuvent se défendre d'un profond besoin d'autre chose et ressentent douloureusement la distance à laquelle ils sont encore de leur véritable destination; tous ceux enfin chez lesquels se manifeste d'une manière quelconque l'élan intérieur vers le but suprême de l'humanité. Ce sont les chercheurs auxquels leur soif de vérité, de justice et de liberté, leur aspiration à une existence vraiment humaine et digne de ce nom, ne laissent pas de repos; chez lesquels l'inquiétude et l'effort de l'humanité en travail se font jour d'une façon personnelle et deviennent les forces motrices de la vie.

Peu importe, pour l'instant, de quelle manière leur inquiétude leur devient consciente et se manifeste, quels mouvements elle actionne, quelles vagues elle roule. Qu'ils aspirent à la rédemption, à la vie du surhomme, à une culture effective et authentique, à la création d'un état futur assurant à l'homme des conditions d'existence dignes de lui, - pourvu que ces aspirations soient réellement l'effet d'un profond mécontentement d'eux-mêmes, ils connaissent la pauvreté d'esprit que Jésus réclame.

Ils existent aujourd'hui par milliers ces êtres qui aspirent et qui cherchent, ne se distinguant en rien extérieurement, et cependant partout répandus. Aucun mouvement, aucune tendance, aucune confession, aucun parti, aucune classe de la société, ne les englobe ni ne les exclut; au contraire ils se rencontrent dans tous les milieux et ne se reconnaissent qu'à la passion pour la vie véritable dont ils sont consciemment ou inconsciemment enflammés.

Au pôle opposé sont les âmes rassasiées, les êtres pleins d'eux-mêmes, gonflés d'admiration pour les progrès accomplis par notre génération, et qui trouvent tranquillité et satisfaction dans la possession d'un bien quelconque, ne fût-ce que la mince considération dont ils jouissent, un point de vue douteux dans lequel ils s'encroûtent, un programme dont ils se glorifient, une foi qu'ils gardent comme un trésor inestimable, le bien-être mesquin d'un bonheur familial superficiel, la richesse, la puissance ou les plaisirs. Ce sont les philistins de la culture, de l'Église ou de la libre pensée, de la science ou de l'esthétique, adorateurs de la formule et de la phrase, de la surface correcte et des situations bien assises hors desquelles il n'y a pas de salut.

Or Jésus n'a pas dit : Heureux les orthodoxes, heureux ceux qui font le sacrifice de leur raison, heureux ceux qui m'appellent Seigneur ! mais : «Heureux les pauvres en esprit », sans condition ni restriction. Chrétiens ou juifs, athées, matérialistes, spirites, quoi que vous puissiez être par ailleurs, peu importe, le royaume des cieux est à vous.

Que n'existe-t-il une expression qui, triomphant des malentendus et des apparences, orienterait aujourd'hui tous les chercheurs vers le but unique auquel tendent tous ceux qui tâtonnent et qui luttent, - comme le faisait alors le terme de «royaume des cieux», ou «royaume de Dieu». Cette expression nous manque. Nous ne pouvons qu'essayer d'en formuler le sens en termes variés : règne de notre nature divine, ou, ce qui revient au même, réalisation de notre vocation originelle et de la véritable rédemption; reconstitution libératrice et vivifiante de l'humanité - de chacun de ses membres comme de 'Son ensemble - en un organisme composé de personnalités vivantes; organisation nouvelle de la vie; culture intégrale et réelle de l'être humain; en un mot, fin suprême de l'humanité. Sous quelque aspect que vous conceviez ce règne, ô chercheurs, il n'est pas seulement une espérance : vous le posséderez, car c'est en vous-mêmes qu'il se réalisera.

Jésus dit expressément aux pauvres en esprit: «Le royaume des cieux est à vous.» Il ne les assure point qu'ils y entreront un 'jour, après être morts saintement; car le règne de Dieu vient sur la terre, il appartient à ceux qui cherchent et il s'établit en eux. Il commence à poindre dans leur âme dès l'instant où y retentit l'appel à la vie. Ce n'est point une promesse, mais un fait, aussi réel pour les chercheurs d'aujourd'hui que pour ceux d'autrefois, car il se produit avec la nécessité d'un phénomène naturel, moyennant certaines conditions déterminées.

Lorsque cet appel nous atteint au coeur, la sourde inquiétude qui couvait au fond de nous-mêmes et qui cherchait en vain l'apaisement dans les spéculations abstraites, la piété, les jouissances intellectuelles ou une activité quelconque, jaillit soudain comme une flamme consumant tout ce qui n'a pas de valeur vitale. Quiconque traverse cette fournaise et voit s'y effondrer tout ce qui constituait la richesse et le repos de sa vie, se sent alors plus pauvre que le dernier des mendiants, et de son coeur s'élève une ardente aspiration aux choses nouvelles qui sont en marche.

C'est la révolution intérieure qui commence. il ne s'agit, en effet, de rien moins que de l'être originel qui veut naître et s'épanouir en nous (1). Quiconque trouve son contentement dans ce qu'il est ou dans ce qu'il possède, est impropre à le concevoir, car le règne de Dieu consiste en vie véritable, en biens, permanents, en forces effectives, au prix: desquels tout ce que nous croyons avoir, être et pouvoir n'est que trompeuse apparence. Seul celui qui ressent profondément la vanité de toutes choses s'ouvre à cette réalité vivante et, à mesure qu'il la poursuit, devient capable de la saisir. Au sein de ses aspirations inquiètes tressaille et s'éveille son être originel. Son véritable moi commence à germer en lui.

Dans les béatitudes suivantes, ceux que Jésus proclame heureux ne sont pas des hommes d'autre sorte auxquels il adresserait des promesses différentes, il ne fait qu'y décrire sous leurs divers aspects les chercheurs et le lot qui leur est assuré, afin de nous en donner ainsi une idée toujours plus nette. Les traits qu'il relève et salue en eux sont des manifestations caractéristiques de la pauvreté d'esprit, qui nous en révèlent la vraie nature. Dans les âmes chez lesquelles le sentiment de la pauvreté est spontané, ces traits caractéristiques apparaîtront tout naturellement, mais là où il n'est qu'un sentiment d'emprunt, ils feront défaut.

L'étude des béatitudes suivantes nous permettra donc de mesurer la force, la profondeur, l'authenticité et la pureté de nos aspirations et de notre inquiétude.

« Heureux ceux qui mènent deuil, car ils seront consolés. »

L'expression de « consolation d'Israël» était fréquemment employée pour désigner le salut messianique. Si Jésus en use ici, il est évident qu'il fait allusion à une souffrance Plus profonde et Plus large que celle que nous apportent les contrariétés passagères de chaque jour et nos infortunes personnelles. Ses paroles évoquent bien plutôt le souvenir du serviteur de l'Éternel, de l'homme de douleur, qui incarnait aux yeux des prophètes le peuple croyant et fidèle accablé sous le poids des misères présentes, mais attendant le salut à venir, - le souvenir aussi du deuil des enfants d'Israël assis pleurant au bord des fleuves de Babylone.

La souffrance dont il s'agit ici est donc l'universelle souffrance humaine et la consolation promise ne consiste point seulement en un secours religieux, mais en une aide effective et libératrice.

Cette parole de Jésus éclaire d'une lumière nouvelle la détresse intérieure des chercheurs et la portée de la vie originelle qui germe en eux : à la conscience de leur misère s'ajoute la torture que leur fait éprouver le sort cruel de l'humanité, si infiniment divers et toujours d'une si poignante gravité. Ce n'est qu'aux âmes tourmentées chez lesquelles se confondent ces deux courants d'inquiétude que Jésus s'adresse ici.

L'humanité accablée de maux appelle à grands cris la délivrance. Son infortune éveille une douleur poignante dans les coeurs qui aspirent et qui cherchent, mais ils n'essaient point d'endormir leur mal. Au contraire, prenant résolument sur eux le fardeau de la destinée humaine, ils consentent à souffrir, aux prises avec ce problème tragique. À ces âmes chargées, Jésus ouvre de merveilleuses perspectives : heureux ceux qui ressentent personnellement la souffrance humaine et qui s'en chargent intérieurement : la rédemption sera leur partage. La rénovation de l'humanité vers laquelle nous marchons l'affranchira des maux dont elle souffre; ils en feront l'expérience. Car la manifestation de notre nature originelle et cet affranchissement effectif sont, dans la grande évolution qui commence, aussi intimement liés et aussi dépendants l'un de l'autre que le sont, dans l'âme inquiète des chercheurs, la pauvreté d'esprit et le deuil causé par l'universelle souffrance.

Cette douleur intime revêt naturellement des formes et des nuances diverses selon les temps et les moments. Les disciples de Bouddha ne l'ont pas ressentie de la même façon que ceux du Christ et chez nous, chercheurs d'aujourd'hui, elle se manifeste autrement que chez ceux qui attendaient alors le royaume de Dieu. Ceux d'entre nous qui ne sauraient s'accommoder des conditions humaines actuelles, ni tolérer le désaccord intérieur, la faiblesse de volonté, la mentalité compliquée, raisonneuse et vieillote de la génération présente, non plus que la stérilité de notre vie collective, ceux qu'épouvantent la vulgarité, la méchanceté, les passions qui ravagent les âmes et l'existence anormale qui les déforme, - ceux-là ressentent la souffrance dont parle Jésus d'une manière conforme à notre siècle. Or Jésus leur garantit expressément la rédemption et il leur donne ainsi la joyeuse assurance de voir un jour la vie humaine se dégager de l'état d'infériorité où elle végète actuellement. Telle est la perspective bienheureuse que nous ouvre la seconde béatitude. Ce n'est point par hasard que Jésus promet la rédemption précisément à ceux qui mènent deuil. Cette déclaration repose sur une loi naturelle fondamentale, celle de la relation intime existant entre la souffrance volontairement assumée et la. puissance libératrice, loi confirmée par l'expérience de tous ceux qui se chargent intérieurement des douleurs humaines et qui les portent avec persévérance.

«Heureux les endurants, car ils hériteront de la terre.

Hériter de la terre, de la terre promise, CI était en Israël une expression courante pour désigner l'abondance des bénédictions divines et du bonheur messianique. C'est là ce que Jésus promet aux âmes patientes et soumises que leurs aspirations mêmes exposent à l'inimitié; car - nous en faisons encore aujourd'hui l'expérience, - on opprime ceux qui cherchent, et cela inconsciemment, involontairement, comme sous l'action d'une force irrésistible. Cela aussi est une loi de nature.

Ceux qui s'efforcent de découvrir le chemin de la vie, dans une muette obéissance à leur impulsion intérieure, feront toujours sur les esprits inertes avec lesquels ils entrent en contact et en conflit. l'impression de personnages incommodes, exaspérants, insensés, et ils se verront certainement malmenés. Plus ils seront sincères et résolus dans leur recherche de la vie nouvelle, plus ils devront apprendre à souffrir sans défense. Car cette hostilité n'est que la contre-pression exercée par le courant qu'ils remontent.

Mais ces opprimés sont des « endurants ». Nos versions traduisent ce mot par «doux » ou «débonnaires » et en effacent ainsi la nuance d'héroïsme qu'il a dans le texte original. Les chercheurs ne sont ni des fanatiques, ni des esprits exclusifs, ergoteurs, tranchants ou aigris. Ils subissent la pression de l'élément contraire plutôt que de le faire voler en éclats; ils supportent même les oppositions les plus douloureuses. Ils reconnaissent le bien partout où ils l'aperçoivent et promènent de tous côtés des yeux bien ouverts afin de découvrir le moindre indice de vie. Ils fouillent jusque dans les décombres pour y discerner les valeurs et les germes qui y sont ensevelis. Ils recherchent le vrai sous tous les phénomènes et ne se donnent pas de repos qu'ils ne l'aient décelé. Ils saisissent les occasions d'approuver, non de désapprouver leur prochain. Ils vivent d'affirmation, non de négation; n'écrasent point, mais relèvent; n'importunent personne, mais vivifient ce qui dépérit, apportent la guérison à ce qui est malade, et la clarté dans la confusion. Absorbant ainsi tous les germes de vie et toutes les semences d'avenir, ils en alimentent leur propre croissance et collaborent du même coup à l'avènement de la grande vérité qui cherche à se réaliser.

C'est pourquoi l'avenir leur appartient, l'organisation nouvelle de la vie sera leur oeuvre et portera leur caractère. Ils sont en route, ils atteindront le but. Il faut qu'ils le sachent et se cramponnent à cette certitude, quelque invraisemblable qu'elle puisse leur paraître, en face de l'opposition qui les accable.

C'est là une assurance stupéfiante. Elle ne nous garantit pas seulement un développement tout nouveau de l'être humain et une rédemption correspondante, mais une transformation complète de toutes choses, par la puissance organisatrice de la vie nouvelle qui commence à sourdre dans les profondeurs de la personnalité humaine. Il nous semble parfois impossible, insensé même, que ce que nous sentons germer en nous puisse jamais prévaloir et changer la face du monde. il ne s'agit de rien moins, en effet, que d'une nouvelle création de l'humanité. Cependant l'affirmation de Jésus est formelle. Le but sera atteint. Ce n'est qu'une question de temps.

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. »

Le caractère des chercheurs sincères auxquels s'adresse le Sermon sur la montagne se précise, chaque béatitude le définit d'une manière plus vivante et en éclaire tour à tour les différentes faces.

Que de gens s'enthousiasment pour de grandes choses et brûlent du désir de les atteindre! Mais leur propre personnalité reste stationnaire. À force de regarder au loin, ils ont perdu la faculté de s'apercevoir eux-mêmes. La préoccupation de l'avenir leur fait méconnaître et négliger le devoir présent et personnel. Heureux donc les affamés pour lesquels tous les grands intérêts de l'existence s'effacent devant l'intense désir d'être délivrés du mal !

Ils sont affamés de justice, nous dit Jésus. Ce terme de «Justice » représentait une notion courante parmi les Juifs. L'apôtre Paul, dans sa lutte contre les ordonnances légales, lui donna une acception nouvelle conforme à la pensée chrétienne. Bien qu'usité encore dans la langue théologique, il n'a plus aujourd'hui de signification réelle que dans le domaine du droit et de la vie civile. Chez les juifs, il impliquait la disposition intérieure et la conduite extérieure conformes à la loi, c'est-à-dire à l'expression alors régnante de ce que tout homme doit être et pratiquer.

Aujourd'hui encore les vrais chercheurs ont le sentiment vif et profond de leurs obligations, et cependant tous éprouvent également l'impossibilité de formuler en préceptes ce qui s'impose spontanément à leur conscience intime. Ils ont soif de réaliser, dans leur état intérieur et dans leur conduite, la vie véritable à laquelle ils sont destinés. Bienheureux celui qui connaît cet effort incessant et passionné de l'âme vers la splendeur infinie et radieuse de l'être humain, car il sera rassasié. La vérité prendra vie en lui et le pénétrera, il sera façonné, entraîné et guidé par elle.

Ce courant d'aspiration à la vérité a acquis de nos jours une profondeur et une puissance extraordinaires. Nous comprenons enfin que l'être humain tel que nous le connaissons n'est qu'un être transitoire, inférieur à sa condition d'homme. « Ce que nous sommes n'a pas encore été manifesté», nous ne faisons que le pressentir. Le travail créateur se poursuit en nous et son achèvement révélera chez la créature humaine une splendeur insoupçonnée. Cette intuition jaillit chez les uns de la contemplation du Christ, l'homme accompli, chez les autres du spectacle de ce qu'il y a d'inachevé et de chaotique dans notre existence actuelle. Mais les uns et les autres s'insurgent également contre l'indifférence satisfaite de ceux qui déclarent que cet état de médiocrité est inhérent à notre nature et qu'aucune évolution créatrice ne le transformera jamais. Les uns et les autres soupirent après l'épanouissement grandiose de l'être intégral, qui portera à sa perfection tout ce qui n'est qu'ébauché en nous. L'organisation nouvelle de la vie vers laquelle nous marchons, est inséparable de cette transformation intérieure : l'être véritable se révélant et se réalisant progressivement dans l'homme peut seul l'apporter au monde.

Aussi avons-nous soif de voir cet être de vérité s'épanouir en nous, car tout le reste demeure dans le chaos tant que l'ordre nouveau ne s'installe pas en nous-mêmes. Si la vérité ne naît et ne grandit dans notre vie personnelle, toute notre activité n'est qu'agitation puérile, et notre proclamation de l'avènement de la vraie humanité n'est que le vain bavardage d'une imagination surexcitée.

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. »

Les gens contents d'eux-mêmes sont généralement impitoyables. Mais lorsque nous sentons notre indigence et ployons sous le faix des douleurs humaines, notre coeur déborde de pitié à la vue de tout être qui souffre. Rien ne nous coûte pour lui venir en aide, car sa détresse nous accable plus encore que la nôtre. propre. Celui qui connaît la faim ne peut souffrir de voir son prochain manquer de pain; aussi la miséricorde habite-t-elle toujours au coeur des chercheurs chez lesquels l'effort vers la vie naît d'un besoin profond et spontané.

La compassion active résulte donc, en vertu d'une nécessité intérieure, de la soif de vie véritable. Ces deux dispositions sont indissolublement liées, comme le sont le sentiment de la pauvreté et la participation à la souffrance universelle. C'est la tension intérieure qui se traduit par un mouvement effectif. Comme la faim et la soif de vérité ne consistent point en une vaine sensation de vide, mais en une aspiration douloureuse, un impétueux élan de l'âme, de même la miséricorde dont parle Jésus n'est point un simple sentiment de pitié, mais une aide positive et personnelle. Jésus ne dit pas : Heureux les coeurs sensibles ! Car ce qui ne se traduit pas en actes est sans valeur, ce qui se résout en états d'âme reste infructueux et ne peut qu'affaiblir et relâcher.

C'est à ceux qui cherchent que se font entendre les appels de notre vraie nature. Alors s'éveille en eux non seulement le désir de connaître et de réaliser la vérité, mais la vive sensation de leur communion de nature et de destinée avec leurs semblables. Ils prennent conscience de la solidarité qui les unit et de l'aide qu'ils leurs doivent. Si donc quelqu'un n'exerce pas la miséricorde envers les malheureux que la vie place sur son chemin, c'est que la recherche de la vérité n'a pas encore ébranlé les profondeurs de son être; elles demeureront inertes et silencieuses jusqu'à ce que l'ardeur de ses aspirations finisse par triompher de son engourdissement et de son étroitesse.

Celui qui répand la miséricorde, obtiendra miséricorde. Secourir, c'est être secouru : tel est l'enchaînement intime des opérations profondes de la vie. Il serait faux et superficiel de considérer ce résultat comme une récompense émanant d'une puissance supérieure. Ici, comme dans tout le Sermon sur la montagne, nous sommes sur le terrain des lois naturelles de l'être et de la vie. Nos actes de miséricorde ne sont que la répercussion des témoignages de compassion que nous avons reçus nous-mêmes et dont le plus merveilleux est de nous avoir rendus capables de Compatir. Ainsi, dans la mesure où la vie véritable grandit en nous, se réalise notre destinée originelle, c'est-à-dire le triomphe sur toutes les détresses qui ne sont que l'effet de la contradiction entre elle et notre vie. Le royaume de Dieu extirpe le mal.

La béatitude précédente se rapportait à la constitution normale de la personnalité : elle affirmait que lorsque la vérité palpite dans une âme, elle y grandit et envahit l'être tout entier. Cette béatitude-ci nous montre que, lorsque s'éveille et s'affirme l'instinct de la solidarité, la communion conforme à leur vocation native s'établit entre les hommes, vivifiante et féconde. Celui qui vit non en individu isolé, mais comme membre d'un corps, prospérera comme tel. Il tirera de tous sa vie, parce que c'est pour tous qu'il vivra.

La miséricorde dont il s'agit n'est point cependant l'assistance arbitraire, effet d'un sentiment de pitié qui a été excité en nous et qui cherche à s'apaiser, mais la manifestation directe d'une solidarité spontanément ressentie. C'est l'instinct de conservation de la communauté tout entière qui se fait jour en nous. La «bienfaisance» est tout autre chose : elle est bonne, utile, indispensable, mais elle n'a rien à faire ici.


Table des matières


1 Sous le nom d'être originel, je n'entends pas notre simplicité et notre originalité natives, non encore déformées ou atrophiées; ni ce que nous sommes réellement, en opposition à ce que la vie, la culture, les conventions et notre déchéance personnelle ont fait de nous. J'entends par l'être originel l'idée divine de l'homme, qui existe en tout être humain à l'état de puissance latente, et qui attend sa réalisation, le germe éternel, l'être véritable caché en nous, qui n'est pas de ce monde et qui, en venant au jour, fait de la créature animale un homme.

 

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