Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps



CHAPITRE PREMIER

LE POINT DE DÉPART
(Matthieu V, 3-19.)

1. Ceux qui cherchent. (Suite)

« Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu. »

Jésus n'a point en vue dans ces paroles une pureté morale absolue, ni une conduite irréprochable; il se fût servi, dans ce cas, d'une expression différente. Il eût dit, par exemple : Heureux ceux qui sont parfaits, heureux ceux qui sont justes! Prise dans ce sens-là, cette parole serait tout à fait étrangère à l'esprit des béatitudes et au terrain sur lequel Jésus se place là comme dans tous ses autres discours. Car il est venu appeler à la conversion non les justes mais les pécheurs.

Le mot « pur » est ici le contraire de trouble, mélangé, faux, menteur (comp. Matthieu, chap. 6, v. 22; chap. 10, v. 16; et Jean, chap. 1, v. 47). Il désigne ceux dont le coeur est sincère. Or, si les chercheurs sont certainement sincères, ils ne sont point, pour la plupart, moralement irréprochables. Souvent même ils sont inférieurs, à cet égard, à d'autres qui, estimant avoir trouvé, peuvent appliquer toute leur énergie au polissage de leur âme. Le chemin des chercheurs se déroule par delà la notion courante du bien et du mal, et conduit à une appréciation nouvelle de toutes les valeurs. Les principes moraux traditionnels perdent pour eux sur bien des points leur caractère obligatoire. D'autres impératifs catégoriques se dressent devant eux. Or, pour ceux qui s'écartent ainsi des chemins battus, les erreurs sont presque inévitables. En outre, l'inquiétude intime commence par remuer et mettre au jour la fange qui, dans la quiétude de l'inertie antérieure, s'était déposée au fond obscur de l'âme, en sorte qu'ils restent épouvantés à la vue de leur corruption, jusqu'à l'heure où ils se rendent compte que la purification commence dans les profondeurs, pour parvenir peu à peu jusqu'à la surface. Mais leur sincérité n'en est point compromise. Au contraire, elle est précisément le foyer de la crise intérieure qui fait émerger tous les éléments malsains qui sommeillaient en eux.

Jésus a donc en vue les natures honnêtes, droites, simples, sans parti pris, dont la vie jaillit directement d'une impulsion spontanée, quoi qu'elle amène, d'ailleurs, à la lumière. C'est chez les enfants que nous rencontrons cette spontanéité réalisée au plus haut degré. Aussi Jésus les en loue-t-il à plusieurs reprises, et déclare-t-il ouvertement : «Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu», c'est-à-dire dans le règne de la sincérité primitive.

L'expression de «coeur pur» comprise ainsi, non comme une notion abstraite et affadie par l'usage, mais d'une manière concrète et vivante, et dans son rapport avec les autres traits du caractère des chercheurs relevés par les béatitudes, nous révèle à l'arrière-plan de toutes leurs aspirations, la disposition que Jésus indique en ces mots : «celui qui est de la vérité». Le coeur pur, c'est celui dont l'élan vers la vérité est tout impulsif et se manifeste directement dans la vie.

« Ils verront Dieu. » Car, sans le savoir, ils sont orientés vers lui, et ouverts à son influence. Le tréfonds obscur de leur être, demeuré jusqu'alors silencieux, s'éveillera à la vie. En eux s'affirmera, avec une certitude immédiate et spontanée, la présence de ce principe éternel et l'indestructible lien qui les unit à l'auteur de toute vie. Voir, c'est saisir. Comme notre oeil perçoit les formes extérieures, leur regard intérieur percevra clairement la réalité vivante que nous désignons sous le nom de Dieu. Elle deviendra pour eux l'objet d'une expérience personnelle.

La sincérité intérieure que ne trouble aucun désir intéressé, que n'aveuglent ni préjugés, ni arrière-pensées, et qui conserve une attitude tout objective, voilà donc l'oeil spirituel limpide, auquel l'universelle puissance de vie peut se découvrir et qui la distingue nettement. Car les vibrations incessantes de la vie divine trouvent dans cette intégrité d'une vie personnelle avide de vérité, l'organe qui les transmet à la conscience. Le contact personnel avec Dieu est rétabli: nous «voyons» Dieu. Saisis par lui, nous le saisissons intuitivement comme nous percevons tout ce qui ne tombe pas sous les sens, mais transparaît au travers, c'est-à-dire tout ce qui dans ce monde est du domaine de l'esprit. Alors, mais seulement alors, nous «croyons » en Dieu, s'il est vrai que la seule foi authentique soit l'intuition spontanée de la réalité du divin.

Cette affirmation que les coeurs purs verront Dieu, est vraiment pour notre génération « une parole dite à propos Y). Car le trait commun actuellement à d'innombrables chercheurs, c'est une répugnance instinctive pour le Dieu prêché et reconnu, et une aspiration inconsciente au Dieu inconnu. Entendre discourir sur son compte leur devient intolérable, et cependant toutes les racines de leur être tendent vers ce sol éternel auquel nous appartenons tous. Ils nient Dieu, parce qu'ils mesurent profondément l'insuffisance grotesque de toutes les représentations qu'on se fait de lui, et parce que les explications les plus plausibles ne sauraient remplacer pour eux l'expérience, fondement de toute certitude. Ils ont raison, sans aucun doute : toutes les dissertations sur l'existence de Dieu sont absolument vaines. Toutefois ils ont tort de conclure que ce qu'on est impuissant à formuler n'existe pas. Les limites de la réalité dépassent notre champ visuel, en éloignement comme en profondeur.

Or Jésus leur apporte la parole libératrice : il ne s'agit ni de croire, ni de reconnaître, ni de persuader, ni de démontrer, mais d'expérimenter. Jésus nous place sur le terrain de l'expérience, et nous en montre la condition préalable dans la sincérité du coeur. Une seule chose importe: entrer en contact vivant et personnel avec la source première de toute vie, afin de prendre par la vie possession de Dieu.

Cet enseignement est d'une portée immense pour les croyants, comme pour les incroyants. Car il fait passer la connaissance de Dieu du domaine des idées dans celui de la vie. Il nous affranchit à la fois de l'effroyable tourment qui obsédait notre esprit et de la fièvre intérieure qui nous consumait. Renonçant à nos vaines préoccupations, nous attendons en paix l'heure où nous connaîtrons quelque chose de la puissance de vie universelle et du contact personnel avec elle, qui répond à notre nature même.

Nous éprouvons, au reste, sa présence avant même de nous en douter. Notre inquiétude intérieure, d'autant plus intense et persistante que notre sincérité est plus complète, cette inquiétude qui nous arrache à notre inertie et nous pousse à chercher sans relâche, est déjà un pressentiment de Dieu. C'est un phénomène objectif qui s'accomplit dans notre vie personnelle. Nous ne prenons clairement conscience de son origine et de sa véritable portée, que lorsqu'il a acquis un certain degré d'intensité. Alors nous comprenons soudain que c'est Dieu qui ébranle notre âme. Ceux que les apparences captivent et satisfont sont effleurés aussi par ces vibrations de la vie divine, mais elles ne les mettent point en mouvement, car il leur manque la sincérité qui seule est capable de discerner ce qui palpite sous les phénomènes. Seuls les coeurs purs en sont réellement ébranlés. Or plus ils sont intègres, plus il leur devient évident que ce qui les presse et travaille en eux, c'est Dieu. Et une fois les yeux ouverts, ils le découvrent partout.

Cette expérience est une chose prodigieuse. Elle nous transporte au delà de tout ce qui constitue la religion, jusque dans le domaine de la vie divine. Elle est la pierre angulaire de la constitution normale de l'être humain et de l'organisation nouvelle et complète de toutes ses conditions d'existence.

« Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu. »

Ceux dont il s'agit ici ne sont point des êtres pacifiques ne demandant qu'à éviter les conflits et à vivre en paix avec chacun, mais des créateurs de paix qui la répandent tout autour d'eux; non des conciliateurs insupportables qui croient devoir s'immiscer dans toutes les relations tendues, mais des êtres qui portent en eux-mêmes la source «d'une paix qui surpasse toute intelligence». Aussi la paix qu'ils apportent n'est-elle pas le résultat de manoeuvres habiles, mais l'effet d'une action involontaire exercée par ces véritables chercheurs.

Nous voyons ici la disposition décrite dans la béatitude précédente déployer ses effets dans la vie. L'intégrité intérieure qui veut la vérité, rétablit involontairement l'ordre dans toutes les relations et les circonstances ambiantes. La paix qu'elle procure ne consiste pas à ignorer les situations délicates, éluder les explications, éviter les frottements, étouffer les antagonismes, en usant de compromis, en se résignant au lieu de combattre, en se jetant dans les bras les uns des autres au lieu de lutter héroïquement, en capitulant au lieu de prendre délibérément fait et cause pour la vérité. Tout cela n'est que faiblesse malsaine. C'est la défaite, et non le triomphe de la paix. Mais l'équilibre intérieur d'une âme fondée en soi, la fermeté et la droiture qui créent des situations nettes, le calme persistant au milieu des agitations du dehors, la supériorité de l'âme s'affirmant parmi toutes les vicissitudes de la destinée, l'attitude vraie à l'égard de tous, bref, l'ordre régnant dans notre vie et dans notre activité, voilà la paix, voilà ce qui la répand.

C'est des profondeurs de notre être que jaillit l'harmonie. Celui qui a trouvé Dieu acquiert la paix, il la procure dans la mesure où il l'incarne. De ceux qu'elle anime, émanent des puissances tangibles d'ordre et d'apaisement, des possibilités d'entente et de compréhension mutuelles, une influence qui élève au-dessus des petitesses et des contradictions, une vision de la véritable union intérieure qui réside, comme la vérité, plus profond que toutes les oppositions apparentes. Ils agissent sans paroles, souvent même sans rien connaître des mésintelligences qu'ils côtoient. Ils créent la paix par leur être même. Ils éveillent le goût de ce qui devrait être, et le malaise de vivre dans le désaccord personnel et la désunion générale. C'est extraordinaire combien souvent, à leur seule apparition, les situations les plus embrouillées s'éclaircissent d'elles-mêmes. Quiconque se livre à leur influence pénètre dans leur atmosphère sereine; quiconque leur résiste, au contraire, ne peut que s'enfoncer davantage dans le chaos.

C'est l'harmonie divine et créatrice qui se manifeste dans ces artisans de paix. Ils en sont les instruments. Ils sont les cellules vivantes qui par leur action organique attirent tous ceux avec lesquels elles entrent en contact dans l'ordonnance harmonieuse de l'être et de la vie originels. Par eux se constitue l'unité de l'humanité en Dieu. Ils seront appelés enfants de Dieu, car ils le sont. À leur caractère et à leur action se reconnaît leur race.

Jetons maintenant un regard en arrière sur le prologue du Sermon sur la montagne; il nous donne la clef de toutes les instructions qui suivront. Qui concernent-elles? À qui sont-elles destinées? Voilà ce que nous révèlent les béatitudes.

Les théologiens discutent la question de savoir si elles s'adressent aux seuls disciples de Jésus ou à toute la foule qui l'écoutait. Question inconcevable, discussion oiseuse, qui partent d'un point de vue tout à fait étranger à l'esprit même de ce discours. Comment, à lecture de ce début si précis, se demander encore quels sont ceux que Jésus a en vue ? Il ne pouvait l'indiquer plus clairement que par le portrait que tracent d'eux les béatitudes : c'est pour ceux qui cherchent qu'il a prononcé le Sermon sur la montagne. Qu'ils soient pour l'instant en rapport plus ou moins personnel avec lui, cela n'a pas d'importance et il n'y fait allusion nulle part.

Il est évident qu'en réalité le Sermon sur la montagne s'adresse à tous, puisqu'il indique l'unique voie d'un devenir véritablement humain et qu'il renferme les principes et les lois de cette évolution créatrice, principes et lois dont la portée est universelle. Mais les chercheurs seuls sont aptes à recevoir ces enseignements et préparés à réaliser ce devenir et à saisir cette vie. Pour tous les autres, le Sermon sur la montagne reste incompréhensible et impraticable. Il faut qu'ils deviennent à leur tour des chercheurs afin d'en trouver l'accès. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils en pénétreront le sens et qu'il opérera en eux une transformation.

Cela peut paraître dur; ce n'est cependant qu'une nécessité de nature. Notre vie intérieure, aussi bien que notre vie extérieure, est régie par les lois de la causalité dont nous croirions à tort pouvoir nous affranchir. Pas de phénomène sans conditions préalables déterminées, pas de résultat sans cause efficiente. Il est donc parfaitement naturel que le règne de Dieu ne puisse s'établir dans un être humain sous l'impulsion vivifiante de Jésus, que moyennant un certain état de la personnalité. Les béatitudes nous décrivent cet état intérieur sans lequel il est impossible de participer à l'évolution qui cherche à se réaliser.

Cette austère vérité ne cadre point avec la conception sentimentale d'un bonheur final universel, ni avec l'affirmation courante dans les cercles religieux : il suffit de croire. Comme si chacun pouvait croire! L'éveil de la foi suppose certaines conditions inéluctables, et là comme ailleurs l'action silencieuse des lois naturelles se révèle dans leur effet, Aussi sont-ils rares, ceux qui connaissent l'intuition spontanée de Dieu, le vivant.

L'Évangile est sans aucun doute destiné à tous, et il tend à la création d'une nouvelle humanité. Mais il n'est encore accessible qu'à un petit nombre. il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus chez lesquels puisse actuellement naître et grandir l'être originel. Et cela, non pas en conséquence d'une prédestination divine, mais bien d'une prédisposition créée par la vie. Aussi s'en faut-il de beaucoup que tous les chercheurs qui entendent l'appel de Jésus soient du nombre de ceux qu'il proclame heureux.

Il y en a tant dont la recherche est superficielle, intermittente, apparente ! Elles sont si rares, les natures sérieuses, profondes, persévérantes et honnêtes, chez lesquelles rien n'est voulu ni emprunté, mais tout procède involontairement d'une impulsion spontanée. Il y a de nos jours, il est vrai, beaucoup de pauvres en esprit convaincus de leur indigence. Mais qui donc mène deuil sur les souffrances de l'humanité et se charge réellement de ce redoutable fardeau ? Où sont les endurants assez optimistes et assez clairvoyants pour découvrir partout des vestiges de beauté, de bien et de vérité, et pour leur rendre hommage, si chétifs qu'il leur apparaissent auprès de ce que réclament leurs aspirations ?

Toutefois si Jésus semble, à chaque béatitude nouvelle, restreindre le cercle de ceux auxquels il s'adresse, ce n'est là qu'une apparence qui ne doit décourager aucun chercheur sincère. En réalité, ces paroles ne font que décrire le développement qui s'accomplit en eux et leur tracer ainsi la voie. C'est une marche, un devenir. Les béatitudes nous en montrent le point de départ; la suite du discours nous en révélera la portée et les effets. De là l'importance capitale de ces huit paroles : elles découvrent à nos regards les origines mystérieuses de la vie nouvelle.

Résumons ce qu'elles nous en font connaître : Dans les coeurs sincères chez lesquels le choc de la vie journalière ne provoque pas seulement des impressions superficielles, mais des émotions profondes, naît une agitation intérieure qui devient toujours plus intense. C'est le frémissement inconscient de l'âme ébranlée par les vibrations divines qui émanent de tous les phénomènes, de tous les événements. Plus ces hommes au coeur droit multiplient leurs efforts, plus ils luttent intrépidement avec la vie, plus aussi augmentent leur malaise et leur mécontentement intérieur. En vain se replient-ils sur eux-mêmes pour échapper à la vanité de l'existence; la faiblesse, le désarroi, le mystère de leur propre moi ne font qu'augmenter le sentiment cruel de leur dénûment.

Mais soudain retentit l'appel à la vie, venu de n'importe où, modulé dans n'importe quel ton. C'est un ébranlement intérieur qui éveille en eux l'instinct de leur vocation native, un écho de la vérité dont leur temps est l'interprète qui retentit fortement en eux, une révélation de la vie personnelle authentique qu'ils voient réalisée par un autre et qui leur ouvre les yeux sur eux-mêmes, un élan vers le but imprimé à leur âme par les grands courants qui entraînent notre siècle, une catastrophe qui leur fait entrevoir dans la vie des profondeurs ignorées, la bonne nouvelle de l'Évangile qui les bouleverse. De quelque nature que soit cet appel, ils ignorent encore où il les mènera, néanmoins il a coordonné leurs impulsions. Ils chercheront désormais, car ils comprennent que ce qu'il leur faut existe quelque part. Mais de la profondeur de leur sincérité dépendra l'intensité de leur inquiétude, du degré de leur droiture dépendra l'énergie de leur recherche. Or la sincérité et la droiture ne sont que les deux faces de l'immédiateté de la vie intérieure, dans sa conscience intime, comme dans ses manifestations, les deux éléments de la candeur enfantine sur laquelle repose toute vérité humaine.

Lorsque retentit au fond de ces âmes d'enfant l'appel de Jésus à une reconstitution normale de l'être et à une organisation nouvelle de la vie, leur recherche acquiert du même coup un objet, une direction, un but. Cette «vivante parole de Dieu», cette manifestation précise de la volonté créatrice qui poursuit le développement intégral de l'humanité, transforme leur élan intérieur en un mouvement positif. L'être originel prend vie, l'évolution nouvelle commence.

Alors aussi s'éveille en eux une vive compassion pour les souffrances de leurs semblables. L'énigme de leur propre destinée devient le problème de l'humanité. C'est comme membres d'un corps qu'ils souffriront désormais. L'énergie qui les anime prend un caractère d'objectivité. il ne s'agit plus pour eux de leur salut personnel seulement, mais de la rédemption universelle.

Cette expérience a une importance capitale, car elle nous affranchit d'emblée de l'étroitesse et de l'isolement égoïstes qui entravent le développement de notre nature originelle. L'élargissement qu'elle nous apporte est la condition de notre productivité. Notre vie prend alors le caractère de solidarité qui est conforme à notre vraie nature, et s'effectue au profit de la grande unité à laquelle nous appartenons. Cela seul assure le développement harmonieux de notre personnalité naissante, car elle est ainsi préservée de toutes les déformations et de toutes les excroissances de l'égoïsme.

Le chercheur chez lequel s'opère cette transformation ne se rend compte ni de ces phénomènes, ni de leur enchaînement. Souvent même il ignore au début ce qui se passe en lui. Sa tension intérieure subsiste, malgré ce commencement de réalisation et il faut les effets de ce nouvel état de choses pour lui révéler que, sous la surface de sa vie, vient de poindre ce qu'appelaient: ses désirs.

Cependant dès que notre être originel commence à vivre et à s'exprimer selon sa nature, il rencontre la résistance que lui oppose l'inertie ambiante. Sa croissance n'en est pas ralentie, mais stimulée au contraire : cette opposition ne fait qu'accroître sa vigueur et renforcer son originalité. Se heurte-t-il à un obstacle? Il se tourne vers la profondeur et y puise la force victorieuse. C'est ainsi qu'il apprend l'endurance, première expérience éducatrice et, en tout temps, la plus précieuse, à condition que ce soit l'authentique endurance simple et sincère dans laquelle se manifeste et s'accroît l'héroïsme caché.

L'héroïsme, nous le trouvons ailleurs aussi. Mais ici, et c'est ce qui prouve qu'il est un effet de l'épanouissement de la vie nouvelle, il s'unit à la patience qui supporte. Ailleurs la souffrance endurée aigrit et rend injuste, aveugle, exclusif. Ici, elle développe non seulement la puissance de la vérité, mais le goût rigoureux et délicat qui recherche la vérité dans tout ce qui est humain, le flair subtil qui discerne, parmi la multitude des phénomènes ambiants, tous les éléments de vie et toutes les semences d'avenir.

Ainsi la vie de l'être originel se manifeste d'emblée, tant activement que passivement, dans toutes les directions. L'endurance que relève la troisième béatitude, n'en est qu'un exemple. L'affirmation de nous-mêmes contre le courant contraire, l'élaboration de toutes nos expériences, nécessaires à notre éducation personnelle, ont des modes aussi variés que la vie elle-même. Cependant, de cette action et de cette réaction, de cet effort et de cette résistance, résulte une orientation nouvelle de la vie. Désormais l'aiguillon de notre vie personnelle et consciente, c'est la soif de vérité. qui augmente dans la proportion même où elle s'assouvit. La vérité s'instaure en nous.

Mais comme l'être nouveau a été affranchi définitivement d'un individualisme exclusif et ne se sent plus exister qu'avec et pour les autres, à cette orientation nouvelle de la vie s'ajoute une impulsion nouvelle : le besoin de vivre pour autrui. Car la vérité et la miséricorde sont indissolublement unies et se conditionnent réciproquement. La soif de vérité conduit à la miséricorde, et l'élan de l'amour secourable conduit à la vérité. «Si quelqu'un aspire à s'élever parmi vous, qu'il se fasse le serviteur de tous, et si quelqu'un aspire à être grand, qu'il se fasse l'esclave de tous. »

Quand notre être originel s'accroît ainsi en hauteur, en étendue et en profondeur, quand il se déploie dans notre vie d'une manière toujours Plus nette et plus puissante, le moment vient où nous comprenons que ce qui se passe en nous est le résultat d'une impulsion divine et créatrice. Alors se lève le grand jour de la vie nouvelle. Désormais notre vie personnelle s'organise clairement et solidement selon un principe nouveau, non seulement en elle-même, mais dans son rapport avec son principe éternel et avec la structure générale de l'humanité. Les sources des profondeurs jaillissent et débordent. De l'expérience du divin découle une harmonie féconde. Une influence vivifiante se déploie. L'énergie plastique des vibrations divines crée et modèle la vie par l'intermédiaire de l'homme. Le royaume de Dieu se réalise.

Tel est, pour autant que je le comprends et que je réussis à le formuler, le secret de la transformation radicale de l'être, à ses débuts du moins, depuis les premières douleurs de l'enfantement jusqu'à la naissance de la vie nouvelle. Les béatitudes n'en donnent ni une description détaillée, ni surtout une explication circonstanciée. Elles ne contiennent que des indications fortuites, suffisantes néanmoins pour nous donner une idée de cette transformation et du moyen d'y parvenir.

Chacun comprendra que ce changement radical est le fruit d'un devenir et non le résultat d'un travail. Il s'agit ici d'expériences spontanées, d'opérations créatrices qu'on ne peut contrefaire et auxquelles on ne saurait s'entraîner. D'un pareil effort, en effet, ne résulterait point une vie originale, mais une construction artificielle, non une nouvelle création, mais de la piété seulement. Nos pratiques et nos efforts nous laissent dans notre état ancien, jamais ils ne nous introduiront dans un monde nouveau. Comme le dit l'Écriture : «Un homme ne peut prendre que ce qui lui a été donné », et : «Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de la miséricorde de Dieu. » Il faut que la puissance de vie universelle nous imprime' un mouvement créateur, que du germe de vie enseveli au fond de nous-mêmes, elle fasse éclore et s'épanouir notre être originel. Or, de cette impulsion première-née de notre inquiétude intérieure, jusqu'au terme parfait de notre devenir, tout échappe à notre action.

La seule chose qui dépende de nous, c'est de nous placer autant que possible dans les conditions favorables à la croissance de cette vie mystérieuse, conditions que reconnaît certainement, en une faible mesure au moins, chacun de ceux qui lisent ces lignes avec un sincère désir de les découvrir. Jamais sans elles la légère inquiétude qui frémit en nous ne deviendra une énergie créatrice capable de toutes les victoires. Jésus l'a marqué dans une de ses paraboles : il faut un terrain propice pour que le grain de semence lève et porte du fruit en abondance. La fertilité des terrains varie. Qu'elle soit suffisante, du moins, pour permettre à la semence de lever, de grandir et de porter du fruit!

La première condition nécessaire à l'éclosion et à la croissance de la vie nouvelle en nous, c'est la sincérité, la simplicité de la conscience et de la conduite, c'est-à-dire une spontanéité complète dans l'assimilation et les manifestations de la vie. Jésus a dit : «Si vous ne devenez comme des enfants, vous ne pouvez entrer dans le royaume de Dieu. » Du même coup, il confie à notre effort ce qu'il nous présente cependant comme un devenir.

Et telle est bien en effet la situation. Il ne dépend pas de nous d'être spontanés. Cependant la spontanéité est un des éléments de notre nature, puisqu'elle est un des caractères de l'enfant. Il nous est donc possible de découvrir les causes qui l'ont détruite en nous et, par conséquent, les moyens de recouvrer cette faculté atrophiée.

Soyons bien décidés, tout d'abord, à ne plus jamais avoir honte de notre naïveté, mais à la respecter au contraire comme le milieu favorable aux vibrations de la vie divine. Puis affranchissons-nous de tout ce qu'il y a de raisonné et de voulu dans notre manière d'être et dans notre vie, car c'est cela qui a tué en nous la spontanéité. Donnons-nous, en tout et partout, comme le coeur nous en dit. Débarrassons notre existence de tout ce qu'elle a de compliqué, de façonner, d'affecté. Cherchons à simplifier notre train de vie.

Soyons naturels et sans malice afin de pouvoir agir simplement et sans contrainte. Ayons une horreur vigoureuse des clichés et des plagiats. Bannissons de notre être et de notre vie les vaines apparences, visons à l'honnêteté et à la loyauté dans nos opinions, nos jugements et nos entreprises, acquérons la droiture et la rectitude physique et morale. Alors renaîtra en nous notre nature d'enfant.

Mais il ne suffit pas de tendre à ce but, il faut encore agir en conséquence. Il y aura des liens à briser, des résolutions inusitées à accomplir, une révolution à opérer dans notre vie extérieure. Nous ne pourrons plus, par exemple, laisser envahir notre terrain par les mauvaises herbes de la culture moderne. Nous devrons nous soustraire à maint devoir conventionnel et à mainte considération secondaire pour que l'enfant revive et prospère en nous.

Persévérons cependant. Non seulement nous recouvrerons ainsi notre spontanéité perdue, mais la vie dont témoignent les béatitudes deviendra peu à peu pour nous une réalité. Elle naîtra et s'affirmera d'elle-même au contact des impressions et des événements journaliers, car elle possède une énergie créatrice qui garantit son développement ultérieur. Ressentir ce que nous vivons, vivre ce que nous ressentons, voilà tout ce que nous avons à faire. C'est ce vivant ressentir qui fait prospérer notre être originel. Or, plus nous serons simples et sincères, plus nos émotions seront puissantes, nettes et profondes.

Mais ce que nous n'éprouvons et n'expérimentons point encore, il faut savoir l'attendre. Il faut que la patience bride notre zèle, afin qu'il ne se laisse pas tenter d'imaginer ou de remplacer par autre chose ce qui n'a pas encore grandi spontanément. Qu'il nous suffise d'attiser toujours à nouveau nos aspirations. Elles seules créent en nous la réceptivité nécessaire. La volonté qui s'applique au détail de ce que nous voudrions éprouver, vient du malin. Au contraire, l'aspiration qui ne précise rien, mais qui attend avec ferveur, verra la réalisation. Tout ce qui doit naître en nous naît du sein de nos aspirations, et ce qui doit croître, croit par ces aspirations jamais assouvies, bien que constamment exaucées. Impossible d'en dire plus. C'est à chacun de découvrir l'accès à la vie nouvelle. Il n'existe aucune formule magique qui nous l'indique et qui nous l'ouvre. Il faut le chercher et «il y en a peu qui le trouvent».


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