Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps



CHAPITRE II

LA MORALE NOUVELLE
(Matthieu V, 20-48.)

SON CARACTÈRE POSITIF
2. Son caractère libre et primesautier.

 «Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu ne commettras point d'adultère. Mais moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la convoiter, commet déjà l'adultère avec elle dans son coeur.»

Le contraste entre l'ordre ancien et l'ordre nouveau que Jésus illustre ici par un exemple concret, éclaire une nouvelle face de la «justice supérieure». La justice ancienne, c'est la vie réglée par des principes moraux; la moralité nouvelle, c'est la vie jaillissant d'une façon de sentir qui est elle-même morale. Celui dont la façon de sentir n'est pas morale est immoral, quelque morale que soit sa conduite. Le sentiment impur équivaut de ce fait à l'adultère : l'un et l'autre sont des manifestations de la même nature immorale et ne présentent qu'une différence de degré. L'homme qui se détourne résolument de toute immoralité, et fait des exigences de la loi morale sa règle de conduite, vit moralement; celui seul qui réalise l'idéal moral en vertu d'une impulsion intérieure irrésistible est moral. Car il l'est dans son être intime et non seulement par l'orientation de sa conduite; et sa façon d'agir procède de ses impressions spontanées qui sont morales et non de principes moraux contraires à des penchants qu'il serait obligé de tenir en bride (1).

La moralité du royaume de Dieu est un état intérieur librement et spontanément moral qui s'exprime nécessairement par des manifestations de même nature. Il ne saurait produire les sentiments immoraux qui sont le fruit de la nature humaine corrompue dont la rédemption est indispensable à l'apparition de l'être nouveau. L'être originel a des sensations pures, aussi là où il règne, l'instinct sexuel inhérent à notre nature est-il pur, et dominé par le respect de soi-même et du prochain, qui le préserve de toute altération. L'émotion sensuelle ne disparaît donc pas, mais elle devient une source de force, un stimulant précieux, et le respect mutuel dont elle est pénétrée en exclut toute basse convoitise.

Cependant ici encore l'enseignement de Jésus au sujet de l'adultère ne concerne pas uniquement ce point particulier, mais s'applique à tous les domaines de la vie morale. En voici quelques exemples :

Quiconque aspire à la considération a déjà dérobé sa gloire au Père qui est aux cieux. De même celui qui réclame la reconnaissance. Car tout ce qui vaut dans notre activité n'est que l'effet de l'action de Dieu en nous et par nous. Le respect pour le Dieu qu'il adore n'est donc pas encore un sentiment instinctif et spontané chez celui que n'affectent point péniblement les éloges, les hommages de gratitude et d'admiration.

Quiconque ressent la présence d'un autre comme un obstacle sur son chemin s'est déjà débarrassé de lui dans son coeur. Éprouver un sentiment opposé n'est ni insensé, Il impossible, car celui qui ne vit que comme membre d'un corps voit dans tout concurrent un autre membre qui le complète, allège sa charge et collabore au bien de l'ensemble; et il trouve autant de joie à le servir négativement par un acte de renoncement, qu'à lui fournir une aide positive.

Quiconque porte envie à son prochain l'a déjà volé dans son coeur.
Quiconque tient son prochain en petite estime, l'a déjà condamné et s'est déjà élevé intérieurement au-dessus de lui.
Quiconque est l'esclave de ses biens, de ses intérêts, de ses habitudes, s'est déjà vendu lui-même.

Nous sommes donc tous voleurs, meurtriers, adultères et blasphémateurs? Oui, certes, quelque honnêtement et pieusement que nous vivions d'ailleurs. Car nous le sommes par notre façon de sentir. Jésus n'entend point nous accabler cependant, mais nous éclairer sur ce que nous sommes et sur ce que nous pouvons devenir. Ses paroles sont des rayons de lumière illuminant la terre promise vers laquelle nous marchons.

La façon de sentir que crée en nous le fonctionnement de la vie nouvelle procède de la vérité. Notre vocation originelle s'y réalise et s'y manifeste. Elle triomphe des préventions, de l'arbitraire, de la superficialité et de l'étroitesse qui altèrent et défigurent la nature humaine. Le flot de notre vie renouvelée s'y répand limpide et puissant. La conduite morale, même fondée sur les principes les plus élevés et sur la volonté la plus éclairée, pâlit devant l'énergie et l'originalité de son action féconde comme les produits de la réflexion et du labeur humain devant les créations du génie. Car être moral, c'est accomplir toute moralité.

Les sensations morales s'affirment en nous dans la proportion où notre être originel grandit, se fortifie par l'exercice et l'expérience, vit la vérité et en devient une incarnation. Mais cela n'est possible qu'au prix d'une lutte sans trêve contre les sensations faussées, déviées et corrompues de notre vieille nature qui doit être vaincue et délogée. Aussi ne réalisons-nous que progressivement cette moralité primesautière. Elle est le fruit mûr de notre devenir.

C'est dire que nous n'y parviendrons que par le développement de la vie nouvelle dans notre âme. Une fois de plus, nous nous trouvons ramenés à l'évolution que nous ont révélée les béatitudes. Elle seule peut produire en nous cette sensibilité nouvelle, toute pénétrée du pur instinct de la vérité. Le travail sur nous-mêmes peut en sauvegarder la croissance et en hâter les progrès, mais il ne saurait la créer. Il faut qu'elle soit spontanée; les sentiments de seconde main, provoqués par un effort moral, manquent de vérité innée, de certitude profonde, de vie jaillissante, de force créatrice et de puissance souveraine.

C'est donc incontestable : le développement de notre être originel peut seul produire une vie spontanément morale qui, à son tour, favorise la croissance de cet être nouveau. Il contribue du même coup à la destruction des instincts mauvais de notre vieille nature. Le sentiment profond de notre misère et de la souffrance humaine, notre endurance patiente, notre poursuite passionnée de la vérité étoufferont en nous la plupart de ces instincts pervers. Mais ce qui leur portera le plus rude coup, c'est le retour à notre spontanéité native, la renaissance de la nature enfantine en nous. Car lis sont incompatibles avec la sincérité et la simplicité reconquises. Plus notre véritable humanité revit et s'affirme en nous, plus ils perdent de terrain.

Il serait donc absurde de prétendre que le caractère objectif de la transformation qui doit se produire en nous exclut le travail sur nous-mêmes. Il n'en est rien. Seulement ce travail doit se borner à assurer les conditions évolutives qui dépendent de nous, et les mesures indispensables à notre développement. Il ne peut rien créer; il peut fort bien coopérer. incapable de produire l'être originel, il peut le protéger et concourir à son éducation. Aussi Jésus ne poursuit-Il pas en disant : Efforce-toi d'éveiller en toi des instincts moraux, mais :

«Si ton oeil droit est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Car il vaut mieux que l'un de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. Si ta main droite est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi. Car il vaut mieux que l'un de tes membres périsse et que ton corps tout entier ne soit pas jeté dans la géhenne. »

L'oeil et la main sont une occasion de chute lorsqu'ils sont les agents d'une convoitise mauvaise. Dans ce cas, il ne nous reste qu'à les arracher, pour éviter la destruction de la vie nouvelle qui veut grandir en nous. Plutôt les perdre que de nous perdre tout entier.

L'oeil n'est que l'intermédiaire de la séduction, l'organe de la sensation coupable. L'ordre de nous l'arracher sans délai, si une chose quelconque excite notre convoitise, marque la façon péremptoire et radicale dont nous devons nous soustraire à toutes les impressions qui attisent notre instinct sexuel.

Toutefois cet ordre de Jésus ne s'applique pas uniquement au domaine des sensations impures, mais à tous les domaines de notre vie. Pour que les instincts moraux que crée en nous la vie nouvelle puissent prospérer, il faut que nous rendions l'existence impossible à tous les instincts contraires, en les privant des excitations et des séductions qui les éveillent et les entretiennent, aussi bien que du milieu et du terrain où ils prospèrent. Leur retirer ainsi toutes leurs conditions d'existence, c'est les condamner à périr nécessairement. Ce retranchement ne sera jamais trop radical. Si nous l'opérons avec l'énergie qu'il faut à un homme pour s'arracher l'oeil, les sensations coupables mourront en nous, faute d'aliment, tandis que les pures et nobles émotions se fortifieront.

Que celui que ses sens et son imagination pervertie entraînent au mal évite donc tout ce qui risque de les exciter. Fût-ce la chose la plus belle, la plus pure, la plus irréprochable en soi, pour peu qu'elle éveille en lui des sensations impures, qu'il la fuie! Peut-être devra-t-il bannir de son existence les créations artistiques les plus merveilleuses et les chefs-d'oeuvre de la littérature ou renoncer aux entretiens les plus innocents avec une personne de sexe différent, afin d'éviter tout ce qui pourrait enflammer son imagination et allumer ses instincts déshonnêtes.

Toutefois, en supprimant les excitations extérieures, nous ne faisons parfois que multiplier celles du dedans. Ce serait donc nous arrêter à mi-chemin que de ne point nous imposer, dans cette direction aussi, toutes les mesures nécessaires pour étouffer nos mouvements de convoitise et tenir en respect notre imagination : nourriture simple et frugale, genre de vie propre à nous endurcir, exercice corporel, activité intense.

Si nous pratiquons cette discipline avec persévérance, notre façon de sentir s'épurera, et s'imprégnera graduellement de la moralité véritable de l'être originel. L'ascétisme à lui seul ne saurait accomplir cette transformation. Il retranche et détruit. C'est la vérité grandissante qui élève et transforme tout ce qu'il y a de vraiment humain en nous. Car il s'agit de ne détruire aucun des éléments inhérents à notre nature, mais bien de leur restituer cette pureté et cette santé souveraine, auquel rien de ce qui est humain ne doit demeurer étranger, parce que rien ne saurait plus les altérer. Aussi toutes les relations qu'il avait fallu rompre pourront-elles être renouées dès que la suprématie de notre vie nouvelle nous aura rendus capables de les régler et de les vivifier.

Il faudra que le vaniteux dominé par le désir de plaire cesse de s'occuper de son extérieur, qu'il s'efforce de passer inaperçu et de rester indifférent à l'impression qu'il produit; qu'il abandonne tout ce qui lui prête du prestige, qu'il renonce à la vie mondaine, ou à la carrière qui flatte sa vanité, pour se consacrer à des devoirs sérieux réclamant toutes ses pensées. Lorsqu'il aura ainsi éteint sa soif de briller et placé son centre de gravité dans les profondeurs de sa personnalité, son être véritable pourra naître à la vie et dans la mesure où il se développera, le transfigurer lui-même. En se retrouvant plus tard dans ses anciennes conditions d'existence, si brillantes fussent-elles, il y vivra comme dans un monde nouveau et, parmi leur éclat trompeur, affirmera son être renouvelé.

Celui que domine l'argent devra s'en dépouiller sans réserve. Car tant que son âme est au pouvoir de l'argent son être originel ne peut grandir. La richesse, aussi bien que les soucis et les convoitises, étouffe la semence qui lève. Qu'il arrache sa bourse et la jette loin de lui ! Cela ne signifie point qu'il doive nécessairement distribuer toute sa fortune aux pauvres. Qu'il la transforme en valeurs vitales au lieu de la placer à intérêts! Si ses biens sont pour lui une occasion de péché, une chaîne ou un obstacle, qu'il les dépense entièrement pour son prochain, en vue duquel ils lui ont été confiés. Avant même que d'avoir achevé cette tâche, il aura rompu ses liens et acquis une nouvelle vie.

Assez d'exemples. C'est à chacun de savoir ce qu'il doit arracher de sa vie. Nous le savons tous, d'ailleurs, si lents que nous soyons à le faire. On ne saurait au surplus exiger de personne de se dépouiller précisément des choses qui font le charme de son existence. Que celui qui y trouve son contentement les conserve et périsse avec elles! Quant aux chercheurs auxquels répugnent les défroques sous lesquelles l'humanité déguise sa misère, qu'ils prêtent l'oreille à la parole du maître : « Si ton oeil te fait tomber dans le péché, arrache-le. »

Quiconque hésite et cherche à éluder cette obligation n'est point apte au royaume de Dieu. Et cependant, Combien ne se bornent pas à hésiter, mais refusent. Ils se figurent pouvoir éviter ce sacrifice. L'être nouveau, pensent-ils, doit être assez vigoureux pour triompher de leur impureté et de leurs esclavages sans qu'ils soient obligés de lui venir en aide par des mesures violentes, la toute-puissance de Dieu doit éclater précisément dans la victoire remportée sur toutes les conditions défavorables. D'autres estiment qu'il suffit d'opposer intérieurement une résistance continuelle aux influences néfastes et à l'attrait du mal; cela est plus difficile, disent-ils, que de recourir à un procédé sommaire et radical, c'est donc un exercice d'autant plus salutaire pour notre fermeté. Certains enfin feraient les sacrifices demandés s'ils étaient seuls en cause, mais ils ont des obligations envers d'autres êtres, et ils trouveraient égoïste de s'y soustraire dans l'intérêt de leur propre bien. Quelle force de conviction, quel sérieux moral respirent ces prétextes hypocrites ! En réalité, ceux qui marchandent ainsi ne veulent pas obéir, ou Plutôt ils ne le peuvent pas. Leur aspiration à la vie et à la vérité n'est pas assez puissante pour les inciter à tout risquer afin d'acquérir ce qui contrebalance et remplace tout : la vie nouvelle.

Qui oserait, en effet, déclarer qu'il a conquis cette vie sans renoncer auparavant à tout ce qui lui faisait intérieurement obstacle, et sans avoir coupé les vivres à tous ses instincts dépravés? Cela est impossible. Il y a là une loi de nature inexorable : tant que des sensations contraires vibrent en nous, les sensations nouvelles n'y sauraient prospérer. Or rien n'arrêtera les premières aussi longtemps que quelque chose les provoquera; tout ce qui les ravive doit donc être supprimé sans merci. Alors seulement pourra surgir en nous la sensibilité nouvelle de notre être originel.

Aussi tous ceux qui se soustraient à cette obligation catégorique restent-ils stationnaires et finissent-ils par périr. C'est en vain qu'ils cherchent à justifier moralement leur refus d'amputer les membres gangrenés. La vieille nature étouffe la nouvelle. La semence de vie ne peut lever et grandir parmi l'ivraie envahissante, quel que soit d'ailleurs l'enthousiasme avec lequel on proclamé sa vertu créatrice. De là l'éternel « nous sommes de pauvres pécheurs », qui laisse subsister les occasions de chute tout en offrant la consolante perspective du salut dans une vie future.


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1 Voir: Joh. MÜLLER. Von den Quellen des Lebens. Glaube und Sittlichkeit, pages 176 et suiv. (Die höhere Stufe des sittlichen Seins), 3me édition, 1910.

 

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