LE SERMON SUR LA
MONTAGNE
Transposé dans notre langage
et pour notre temps
CHAPITRE VI
LES CONDITIONS DU
SUCCÈS
(Matthieu VII, 7.27.)
3. L'action de bon aloi.
«Ce ne sont pas tous ceux qui me disent:
«Seigneur! Seigneur!» qui entreront dans
le royaume des cieux, mais bien celui qui fait la
volonté de mon Père qui est dans les
cieux. Plusieurs me diront en ce jour-là :
Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en ton nom que
nous avons prophétisé? en ton nom que
nous avons chassé les démons? Et
n'avons-nous pas en ton nom fait beaucoup de
miracles ? Alors je leur dirai ouvertement : je ne
vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, vous
qui pratiquez l'iniquité ! »
Notre incorporation au royaume de
Dieu et à l'être originel, cet
organisme personnel créé,
animé et façonné par les
vibrations de la vie divine, ne dépend pas
de notre profession de foi chrétienne, mais
de notre accomplissement des lois divines. Chacun
peut dire : Seigneur! Seigneur! La question est de
savoir si nous obéissons à la parole
de Jésus, si nous le suivons
véritablement, si toutes les manifestations
de notre vie témoignent de son règne
au-dedans de nous. On le reconnaît à
ceci, que Dieu est mis en lumière purement
et intégralement, que l'ordre
s'établit dans la vie et que sa
volonté s'y actualise d'une façon
immédiate. Ni l'orthodoxie de la doctrine
concernant la personne et l'oeuvre du Christ, ni le
culte que nous lui rendons ne nous font participer
à la vie éternelle, mais seule une
vie qui n'a plus d'autre objet, que la
réalisation de la volonté de Dieu :
«Pourquoi m'appelez-vous Seigneur et ne
faites-vous pas ce que Je dis? »
Les hommes se font à ce sujet
de graves illusions. Aussi le réveil
sera-t-il terrible le jour où la valeur et
la réalité objectives de notre vie
seront manifestées et où notre
participation au royaume de Dieu sera reconnue.
Beaucoup en appelleront aux oeuvres qu'ils ont
accomplies au nom de Jésus, mais elles
seront ouvertement traitées de
contrefaçons je ne vous ai jamais connus
», vous êtes des étrangers pour
moi, déclarera Jésus à leurs
auteurs. Le passage parallèle de
Luc, ch. 12, v. 25, porte : «Je
ne sais d'où vous êtes »,
c'est-à-dire : Vous n'êtes pas de ma
race, vos oeuvres ne sont pas
authentiques.
Cette parole pèse lourdement
sur le coeur, surtout si l'on considère les
oeuvres accomplies par ceux que Jésus
repousse : «N'avons-nous pas
prophétisé, chassé les
démons, fait beaucoup de
miracles en ton nom? » Ainsi donc, il s'agit
d'oeuvres éminemment représentatives
du royaume de Dieu, et cependant Jésus les
désavoue! Comment est-ce possible? Pour la
raison bien simple que l'essentiel n'est pas
l'étiquette que porte notre vie, mais la
puissance d'où elle procède. Quand on
prophétise à, coups
d'exégèse et que l'on prêche
à coups de doctrine, quand on chasse les
démons des passions impures par l'esprit du
fanatisme religieux ou de l'exaltation psychique,
quand on guérit les malades par la
suggestion de la prière ou le scientisme, il
n'y a pas là de révélations de
Dieu, mais seulement des exploits de l'esprit
humain, des phénomènes subjectifs ou
l'utilisation d'états d'âme
maladifs.
La troisième tentation dans
laquelle Jésus fut sollicité d'imiter
le règne de Dieu et ses manifestations au
moyen des procédés et des forces de
la vieille nature, nous éclaire parfaitement
à cet égard. Jésus la repoussa
catégoriquement; il déclara ainsi une
fois pour toutes ne reconnaître comme
authentiques que les résultats dus à
la vertu de la vie originelle, et obtenus selon ses
méthodes. Et ce fait demeure, quand bien
même le christianisme officiel tout entier
succomberait à la tentation dont
Jésus a triomphé, et cette
méthode frauduleuse eût-elle
reçu la consécration d'une pratique
séculaire. Ce fait demeure, quelles que
soient par ailleurs la sincérité et
la ferveur avec lesquelles on abuse du nom de
Jésus. Le jour viendra où cette
aberration sera reconnue, et alors si grandes, si
belles, si glorieuses qu'en aient été
les apparences, le verdict qui la frappera sera
aussi net et aussi décisif que celui qui fut
prononcé sur le tentateur : Retirez-vous de
moi, vous m'êtes étrangers; à
mes yeux dont le regard cherche partout le
Père, vous avez
pratiqué
l'iniquité, car vous n'avez point
édifié le royaume de Dieu, mais vous
en avez détourné les
hommes.
L'expression qu'on traduit en
général par les mots : Vous qui
pratiquez l'iniquité, signifie
littéralement : « Vous qui êtes
les auteurs responsables de
l'illégalité. » Elle
caractérise ce qu'il y a de subjectif,
d'arbitraire, de barbare dans l'activité de
ceux auxquels elle s'applique. Le jugement
porté par Jésus ne met donc pas en
question l'utilité des oeuvres accomplies,
les bienfaits et le secours qu'elles ont
apportés aux hommes. Il ne les
considère qu'au point de vue de la
création nouvelle de l'humanité, qui
seule lui importait. À ce point de
vue-là, elles sont mauvaises, parce qu'elles
ne procèdent pas des forces actives et des
nécessités intérieures du
nouveau devenir, ni d'une rénovation de
l'humanité; elles n'y sauraient, par
conséquent, contribuer. Les seules oeuvres
de bon aloi sont celles qui en procèdent
organiquement et qui y contribuent d'une
manière effective, qui découlent de
la même source et participent de la
même vie. Car elles ont la même
origine, portent le même caractère et
tendent au même but que celles de
Jésus. Tout le reste n'est qu'une
activité arbitraire, selon l'ordre de choses
ancien.
«Tout homme donc qui entend ces
paroles que je dis et les met en pratique, est
semblable à un homme sage qui a bâti
sa maison sur le roc. La pluie est tombée,
les torrents sont venus, les vents ont
soufflé et se sont
déchaînés contre cette maison,
mais elle n'a pas été
renversée, parce qu'elle était
fondée sur le roc. Mais tout homme qui
entend ces paroles que je dis et
ne les met pas en pratique, sera
semblable à un insensé qui a
bâti sa maison sur le sable. La pluie est
tombée, les torrents sont venus, les vents
ont soufflé et ont fondu sur cette maison,
et elle s'est effondrée, et grande a
été sa ruine. »
Détournant ses regards de cet
avenir solennel où tout apparaîtra
dans sa vérité et selon sa valeur
réelle, Jésus adresse en terminant
une exhortation pressante à ceux de ses
auditeurs qui comprennent la gravité du
sujet. Il leur fait voir dans une parabole
saisissante qu'une seule chose importe : entendre
et pratiquer. Non pas, remarquons-le, entendre et
retenir, entendre et méditer, entendre et
vouloir, mais entendre et pratiquer.
Ce que nous avons appris de
Jésus doit se traduire immédiatement
dans notre vie. Ainsi nous entrons dans le
mouvement effectif qui pressent, découvre et
suit le chemin étroit. Mais avant tout il
faut avoir véritablement entendu, autrement
nous agissons à l'aventure, selon des
notions théoriques et illusoires. Or nous
n'entendons en vérité que les paroles
que nous saisissons d'une manière
personnelle et vivante, à la lumière
de notre situation intérieure,
c'est-à-dire celles qui nous atteignent en
plein coeur. Quelles sont les paroles de
Jésus qui pénètrent en nous,
quel est le point sensible qu'elles touchent? Cela
varie selon les individualités. Mais une
fois que le contact s'est établi, Il s'agit
de suivre sans délai les impulsions vitales
que nous percevons et de nous consacrer
entièrement à leur
réalisation. Dès que le contact ne
s'affirme plus dans la vie. la communication
s'interrompt. Dès que les enseignements
qui ont trouvé en nous un
écho ne se traduisent pas en actes, ils
n'enrichissent que nos points de vue. Tout ce qui
ne se transforme pas en vie, devient affaire de
théorie.
Alors nous bâtissons sur le
sable, sur le sable mouvant des idées et des
principes, des convictions et des
résolutions, et la solidité de notre
édifice réside uniquement dans le
poids qu'a pour nous notre manière de voir,
dans la confiance que nous avons en nos opinions.
il manque à notre vie la base d'un fait
objectif. Mais comment trouver un appui dans une
croyance à laquelle nous devons servir
nous-mêmes de point d'appui? Vienne à
fondre sur nous la tempête, un
désastre ébranle-t-il
l'édifice de notre vie, toute notre
construction théorique s'effondre, et nous
nous trouvons gisant sur le sable. Alors c'est le
désespoir :
« Il n'y a point de Dieu
», s'écrie-t-on. Et l'on se lamente
d'avoir perdu sa foi. Heureux êtes-vous
d'avoir perdu votre foi, vous voilà
débarrassés d'une illusion!
Peut-être, si vous le cherchez,
trouverez-vous maintenant l'accès à
la véritable vie.
Quant à celui qui laisse les
paroles de Jésus germer en lui et
s'actualiser dans sa vie, qui permet aux
impressions et aux énergies, aux
clartés et aux impulsions divines qui se
font jour dans son âme de se réaliser
dans son attitude et sa conduite, ses relations et
ses circonstances, bref dans tous les faits et tous
les phénomènes de son existence, il
fait l'expérience immédiate de Dieu,
le vivant, et de son travail créateur et
organisateur. L'évolution de
l'humanité s'accomplit dans sa vie
individuelle. Il s'incorpore à l'organisme
nouveau d'où procède toute vie
personnelle. En lui monte la sève de
l'être originel; il est régi par ses
lois de vérité; il renouvelle toutes
choses dans la mesure où lui-même est
créé de nouveau.
Cet homme-là a bâti sa
maison sur le roc, car son existence tout
entière repose sur une base objective, sur
le Dieu vivant, C'est en lui que sa vie plonge ses
racines, c'est de lui qu'elle tire sa subsistance
et son accroissement. Ce sont ses vibrations qui
lui communiquent son énergie vitale.
L'être nouveau qui grandit en lui est une
création de la rédemption et de la
régénération divines. Sa
destinée est une grâce du Père
et se déroule au soleil immuable de son
amour. Chacun de ses jours devient une
révélation de sa gloire. Rien ne
saurait l'ébranler, car le pivot de son
existence est dans l'être véritable,
impérissable, éternel, dont il fait
l'expérience personnelle avec chaque
battement de son coeur.
«Jésus ayant
achevé ce discours, le peuple fut saisi
d'admiration, car il enseignait comme ayant
autorité, et non à la façon
des scribes», nous dit Matthieu. Nous aussi,
malgré les siècles
écoulés, nous nous sentons
ébranlés jusqu'au fond par ses
paroles, quand du sein de notre inquiétude
nous les saisissons dans leur vivante
réalité. Et notre âme reste
émerveillée devant les perspectives
qu'elles ouvrent à chacun de nous et
à l'humanité tout entière.
Quiconque ne se sent pas transporté à
la lecture du Sermon sur la montagne ne l'a pas
compris. Mais celui qui l'a compris a trouvé
le chemin de la vie.
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