Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
REGARD
Bibliothèque chrétienne online
EXAMINEZ toutes choses... RETENEZ CE QUI EST BON
- 1Thess. 5: 21 -
(Notre confession de foi: ici)
Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



LE SERMON SUR LA MONTAGNE
Transposé dans notre langage et pour notre temps



CHAPITRE VI

LES CONDITIONS DU SUCCÈS
(Matthieu VII, 7.27.)

2. Le vrai chemin.

«Entrez par la porte étroite, car large est la porte et spacieuse la voie qui mènent à la perdition, et nombreux sont ceux qui y passent! Mais étroite est la porte, et resserré le chemin qui conduisent à la vie, et il en est peu qui le trouvent.»

Que faut-il entendre par la voie large et le chemin resserré? Qu'est-ce que la porte étroite par laquelle nous devons entrer?

Selon l'interprétation reçue, la vole large c'est la vie sans Dieu, vouée aux choses périssables, aux jouissances, aux passions, au bonheur terrestre; le chemin resserré c'est la crainte de Dieu, la piété, la vie morale et la foi chrétienne, le christianisme sous la forme et selon la confession auxquelles on se rattache. Cette interprétation est fausse, à mon avis. On peut naturellement se servir de ces images pour marquer le contraste entre ces deux modes de vivre, mais tel n'en est pas le sens originel. Cette conception ne procède pas de la pensée de Jésus, mais de celle de l'Eglise. Si elle était correcte, elle jurerait avec le ton général du Sermon sur la montagne. En effet, nulle part dans ce discours Jésus n'oppose les croyants aux impies, les gens pieux aux gens du monde, les justes aux pécheurs. Il s'adresse constamment aux chercheurs, c'est-à-dire à des gens qu'il ne serait point nécessaire de mettre en garde contre la voie spacieuse si elle consistait en une vie de jouissance et d'insensibilité à l'égard des choses spirituelles.

Mais même si cette considération ne nous paraissait pas décisive, attendu qu'il n'est pas absolument certain que ce passage fit primitivement partie du Sermon sur la montagne, cette parole ainsi interprétée s'écarterait complètement de tous les autres enseignements de Jésus. Car l'opposition que l'Eglise établit entre les mondains et les fidèles n'a jamais été un leitmotiv de ses discours. Son attitude à l'égard des justes, comme à l'égard des pécheurs, était toute différente de celle qu'adopte envers eux le monde religieux.

D'ailleurs cette parole considérée en elle-même et sans idée préconçue, nous impose une conclusion identique : il n'y est question que des voies qui prétendent mener à la vie. Seule une sente étroite y conduit véritablement, tandis que le chemin battu aboutit à la ruine, bien que ceux qui le suivent croient y trouver la vie. C'est justement parce qu'avec les meilleures intentions du monde on court le risque de s'y égarer, que Jésus débute par ces mots : «Entrez par la porte étroite.» Si l'expression de chemin resserré eût eu le sens qu'on lui attribue généralement, il eût ajouté : « Il y en a peu qui le suivent », et non : « Il y en a peu qui le trouvent. » Car on ne saurait dire du chemin étroit que prône l'Eglise en opposition à la vole spacieuse des mondains, que beaucoup ne peuvent le trouver, mais seulement que beaucoup ne veulent pas le suivre. Il est en effet facile à découvrir. On y a pourvu.

Ce que Jésus avait en vue, ce qu'il opposait au chemin qui conduit à la vie, c'est tout autre chose. C'est la justice des scribes et des pharisiens, qui ne mène point au royaume de Dieu. Non seulement dans le Sermon sur la montagne, mais dans son activité tout entière, Jésus lutte contre cette tendance et met ses disciples en garde contre elle. Pour saisir le sens original de ses instructions au sujet de la porte étroite, il faut donc à tout prix nous rendre compte du contraste qu'il nous y présente.

Mais nous n'en sommes pas réduits à des conclusions indirectes. Jésus nous a clairement et positivement indiqué la voie qui mène à la vie. Il ne l'a point désignée sous le nom de piété ni de quoi que ce soit d'analogue, mais il a dit : « Convertissez-vous; il faut que vous naissiez de nouveau; si vous ne changez et ne devenez comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume de Dieu; celui qui voudra sauver son âme la perdra, et celui qui la perdra, la sauvera», et ainsi de suite. C'est là le chemin étroit. Cette voie est vraiment resserrée, car elle passe par une mort et une résurrection, et véritablement difficile à trouver, car combien peu nombreux sont ceux qui la découvrent !

Il ne peut donc y avoir de doute : la porte étroite, c'est le secret de la nouvelle naissance qui fait le sujet de tout le Sermon sur la montagne; et le chemin resserré, c'est le devenir de l'homme nouveau, de l'être originel créé par cette seconde naissance.

La voie resserrée et la voie spacieuse ne figurent donc pas non plus le contraste entre ceux qui cherchent et ceux qui restent stationnaires. Cette interprétation ne ferait que transporter sur le terrain de l'expérience humaine en général la conception ecclésiastique courante. Elles représentent, au contraire, deux éventualités qui s'offrent à tout chercheur sincère. Ceux mêmes qui sont aptes au royaume de Dieu courent le danger de s'engager dans une voie spacieuse qui semble conduire à la vie, mais qui en réalité aboutit à la ruine; ils risquent encore de manquer la sente étroite qui seule mène à la vie.

Si nous avons compris le Sermon sur la montagne, il est impossible de nous méprendre à ce sujet : suivre la voie spacieuse, c'est nous soustraire à la transformation radicale de notre être intérieur, à l'éclosion et à l'épanouissement de la vie originelle en nous. Toutes les voles de progrès spirituel qui évitent la porte étroite, c'est-à-dire la rénovation totale de l'être, qui ne partent pas de ce point de vue positif et objectif de la vie personnelle pour en faire dériver tout le reste, sont des voies spacieuses.

Qu'on manque à son insu la porte étroite, qu'on se figure l'avoir franchie, soit par le baptême, soit en vertu des émotions psychiques d'une conversion, soit en imprimant à sa vie une direction nouvelle, ou qu'on l'esquive consciemment comme absurde et impraticable, cela revient au même. Possédons-nous, oui ou non, la vie qui résulte de l'éclosion de notre être originel et de son épanouissement créateur? Voilà la question. Si ce n'est pas de lui que notre vie procède et qu'elle s'alimente, nous n'avons point réellement trouvé la vie, mais un faux semblant qui dissimule avec peine notre déchéance intérieure et notre insuccès. Nous demeurons en fait dans l'état ancien, dans un train de vie barbare, quels que soient d'ailleurs nos efforts sur nous-mêmes, nos aspirations et notre activité religieuse. Nous ne saurions fournit les fruits authentiques du nouveau devenir, mais uniquement les produits artificiels d'un labeur moral.

Au point de vue positif, suivre la voie spacieuse, c'est donc éduquer et façonner notre vieille nature, dompter le chaos et y établir un ordre relatif, cultiver, de manière à la rendre supportable, notre humanité dégénérée, au lieu de nous affranchir de la barbarie, de remplacer le chaos intérieur par une vie personnelle organique, de laisser naître et grandir notre être originel avec la vie qui lui est propre.

Un grand nombre de chrétiens ne trouvent pas la porte étroite qui donne accès à cette vie nouvelle. Aussi ne se produit-il chez eux aucun changement essentiel. Ils se transportent par la réflexion dans un nouvel état d'esprit, Ils croient naïvement être nés de nouveau, posséder la vie véritable, appartenir à Jésus-Christ, participer à la communion des saints. Ils demeurent dans l'ordre ancien, mais Ils professent la doctrine chrétienne, s'approprient ses points de vue, s'imaginent posséder de ce fait la lumière de la vie. Ils domptent leur nature barbare, la plient à la morale chrétienne et se figurent porter les fruits de la vie nouvelle. Ils s'exercent à la piété et croient reconnaître dans leurs états d'âme religieux des impulsions divines. Ils substituent des contrefaçons aux manifestations spontanées de la vie authentique et estiment «croître dans la sanctification». Ils prennent une part active aux oeuvres de l'Eglise et aux Missions, espérant étendre le royaume de Dieu qu'ils ne possèdent point eux-mêmes. Qu'ils s'y appliquent honnêtement, de tout coeur et avec un zèle ardent, cela ne change rien à la chose : leur justice. reste, en substance, celle des scribes et des pharisiens, réalisée selon les conceptions et fondée sur les principes du christianisme.

Peu importe que ce chef-d'oeuvre de notre vieille nature porte ou non l'étiquette de l'Eglise et du christianisme. Cultiver notre personnalité avant que l'être originel ait germé en nous et sans attendre de son épanouissement tout progrès intérieur, essayer de vivre selon l'ordre nouveau sans avoir passé par la mort et la renaissance de notre être et nous être ainsi conquis nous-mêmes, travailler à notre éducation avant que notre nature désordonnée ait été remplacée par une nature éducable, appliquer notre esprit aux grandes questions de l'existence au lieu de chercher à résoudre le problème de notre moi, c'est suivre, tout comme les chrétiens de nom, la voie spacieuse, construite et pavée, il est vrai, de façon différente. Que ce soit la route de la Bible et des livres d'édification, des écrits consacrés à l'éducation personnelle ou des « grüne Blätter » (1) ni sur l'une, ni sur l'autre de ces voies on n'avancera d'un pas. On se condamne à un échec certain, si l'on n'entre pas dans la vie par la porte étroite de la nouvelle naissance.

Nombreux sont ceux qui foulent ces voies spacieuses. Elles se sont aplanies et élargies sous les pas des multitudes, aussi sont-elles faciles à trouver et commodes à suivre. La religion y tient lieu de la vie originelle, la culture chrétienne de l'évolution créatrice, l'Eglise du royaume de Dieu, la conformité au christianisme de la conformité à la volonté divine. La civilisation se substitue à la nouvelle création de l'humanité, les progrès moraux aux fruits de la vie. « Je suis sauvé » remplace «Voici, toutes choses sont faites nouvelles ». L'espérance d'une vie future console de la banqueroute de la vie présente.

Le Sermon sur la montagne nous a signalé à plusieurs reprises ces traits caractéristiques de ceux qui suivent les grand'routes officielles du salut. Ils ne vivent point d'une vie réellement nouvelle, car ils n'en connaissent ni les opérations immédiates, ni les manifestations impulsives et originales, ni la croissance et l'épanouissement naturels. Ils en ignorent les sensations instinctives, les forces innées, les clartés intuitives, l'enchaînement organique et l'homogénéité des phénomènes, l'ingénuité, la simplicité et l'harmonie.

L'être nouveau à la façon de la vole large a quelque chose d'artificiel, de voulu, d'appuyé. Il est marqué d'une empreinte rigide et ne revêt pas les formes souples de la vie. Il se manifeste chez tous d'une manière uniforme et non diversement et individuellement. Il est lié et ne saurait s'épanouir en liberté. Il est conforme à la tradition et à la convention; il n'est pas réellement né de nouveau et ne s'est pas développé d'une manière originale dans chaque personnalité. Il est raisonné, car il est le produit de la connaissance, au lieu que sa connaissance soit le fruit de l'expérience. Il est laborieux et compliqué, car il est une spécialité sans rapport avec le reste de la vie. Il est arbitraire, incertain et, par conséquent, borné et intolérant. Dépourvu de vie intrinsèque, il ne possède aucune autonomie, mais reste dépendant des hommes, perpétuellement mineur, constamment obligé à un régime particulier. On ne réussit à l'émanciper qu'en faisant de lui l'objet d'une culture spéciale, mais même alors on ne le libère que théoriquement et il reste dépendant dans la pratique.

La vole spacieuse, elle est partout où s'assemblent des adeptes et où des hommes dépendent d'autres hommes; partout où ce sont des doctrines, des dogmes, des confessions de foi, des idées et des mots d'ordre qui font loi; où l'on croit, parle, sent et agit de seconde main et en s'appropriant des expériences étrangères; où le salut est lié à l'adoption de formes et de notions déterminées, à certains actes religieux ou à certaines manifestations collectives; où l'on pratique le prosélytisme; où l'on fait reposer la piété sur des éléments impersonnels, tels que les dogmes, les préceptes et les institutions, tandis qu'on regarde l'élément personnel comme subjectif et discutable; où l'on agit du dehors au dedans; où l'on organise des réveils, et où l'on croit pouvoir édifier le royaume de Dieu au moyen des agents de vie et de culture de l'ordre ancien.

La voie spacieuse, c'est la morale qu'on a tirée du Sermon sur la montagne. La porte étroite, en échange, c'est le nouveau devenir esquissé dans les béatitudes, le chemin resserré, c'est la croissance de l'être originel, sa vie propre, son déploiement créateur que nous a fait connaître la suite de ce discours. Les décrire, ce serait répéter tout ce que nous avons exposé jusqu'ici,

Nous connaissons donc ce chemin, et cependant Jésus dit vrai : «Il y en a peu qui le trouvent ». Car il y a loin de connaître à trouver. On peut savoir parfaitement en quoi consiste la porte étroite sans en découvrir personnellement l'accès et surtout sans jamais franchir le seuil de la vie nouvelle. C'est même précisément du moment où nous comprenons ce dont il s'agit que commence la difficulté : comment cette entrée dans la vie peut-elle devenir une réalité?

Dans ce domaine, la réflexion ne nous sert de rien. Elle risque bien plutôt de nous entraîner sur la grand'route pavée de doctrines qui mène au pays nébuleux de la théorie et des illusions et non au royaume de la vie. Ce qui importe, c'est d'entrer personnellement en contact avec les paroles de Jésus, en partant du point où nous nous trouvons à ce moment précis, de nous assurer jusqu'à quel point nous sommes intérieurement dans les conditions nécessaires à l'éclosion de la vie nouvelle en nous, de distinguer ce qui est le résultat, bien insuffisant peut-être, de l'action divine et ce qui y a, par conséquent, une valeur vitale. Car alors seulement nous discernerons où s'amorce notre évolution nouvelle et à quoi elle doit aboutir, ce qui est un symptôme de vie originelle et ce qui, au contraire, appartient à notre nature dévoyée, enfin, ce que nous avons à faire pour cultiver en nous la vérité et lui frayer la voie.

Dussions-nous ne rien trouver en nous de ce que Jésus réclame, nous y sentirons cependant monter une inquiétude, une aspiration, faibles encore et vacillantes peut-être, mais qui, au contact de Jésus, augmenteront d'intensité et d'ardeur. Et nous ne tarderons pas à constater que pour avancer, il nous est indispensable de rester en relation personnelle avec lui, Il faut qu'il nous fasse franchir la porte étroite. Il faut l'influence vivifiante de sa personnalité pour entretenir la vie originelle qui a point en nous.

Quand ces premiers éléments de la vie nouvelle se développent selon les directions de Jésus, quand ils se fortifient grâce à la vertu qui émane de lui, nous distinguons en y appliquant toute notre attention un chemin à peine indiqué qui, partant de notre situation actuelle, s'engage dans la direction de la vie nouvelle. Il n'est point foulé encore, personne ne l'a jamais suivi, c'est celui que nous devons nous frayer. Nous n'en connaissons pas le tracé, nous ne voyons pas loin devant nous, mais nous distinguons le pas qu'il s'agit de faire. impossible à d'autres de nous l'indiquer, parce que pour chacun ce pas est différent. Chacun de nous a son point de départ à soi, individuel et tout spécial; pour le discerner, il faut le flair délicat de l'aspiration à la vérité.

Il en est ainsi non point au début seulement, mais constamment dans la suite. L'étroit sentier demeure pour chacun une trace à part, tout juste perceptible, qui ne deviendra jamais un chemin battu. Aussi ne le trouverons-nous que si nous restons des chercheurs. Guidés par nos aspirations, par le sûr instinct de l'être originel qu'affine notre recherche persévérante, nous suivrons notre sentier avec une assurance absolue au travers d'un labyrinthe de chemins déjà foulés, sans nous laisser troubler par les clameurs qui s'élèvent sur nos pas, ni égarer par les guides importuns qui s'offrent à nous, et nous marcherons d'un pas ferme droit au but.

Nous n'aurons point alors à nous préoccuper du changement qui doit s'opérer en nous. Car tandis que nous cherchons et marchons, écoutons et agissons, la vie originelle germe, lève et fait toutes choses nouvelles en s'épanouissant.

C'est ainsi qu'il faut chercher et trouver le chemin étroit. Quoi d'étonnant à ce qu'un petit nombre seulement y parviennent? Impossible de prendre quelqu'un par la main pour le guider. Essayons-nous imprudemment de le faire, nous tombons dans l'embarras le plus cruel et nous renonçons bien vite à jouer pour les autres le rôle d'éclaireur. Au reste, nous ne tardons pas à comprendre qu'il n'en saurait être autrement. Comment, en effet, pourrions-nous reconnaître un autre chemin que le nôtre? Que chacun recoure donc à ses propres lumières; il faut le chercher et le trouver soi-même, sous peine de n'y jamais parvenir. Les lecteurs qui ont réellement compris le Sermon sur la montagne seront les premiers à en faire l'expérience. Arrivés au terme de cette étude, ils se demanderont perplexes : Comment s'accomplira pour moi cette évolution? - je ne saurais le leur dire, même s'ils s'adressaient personnellement à moi. C'est à chacun de le découvrir par une recherche persévérante.

Peu importe la situation dans laquelle nous surprend cette question angoissante, que notre esprit soit imprégné d'idées religieuses ou athées, que nous nous rattachions à l'Eglise chrétienne ou à l'Union pour l'action morale, que notre âme demande sa subsistance à l'art ou à quelque autre aliment spirituel. Quelle que soit la voie spacieuse qu'il ait suivie, dès qu'un être arrive au seuil de la porte étroite, un sentier nouveau s'ouvre devant lui, qui se déroule sur un autre plan que toutes les routes frayées : il l'introduit dans la sphère de l'expérience personnelle, des opérations profondes et cachées, où sont directement ressenties les impulsions divines qui communiquent à l'âme la véritable énergie vitale.

Seul ce chemin resserré du devenir personnel qui tend à une nouvelle création de l'être conduit l'homme à la conquête de sa vraie vie, de sa nature propre, de son moi réel. Toutes les voles larges mènent à la ruine de notre personnalité; non point assurément à une perdition éternelle qui n'est concevable que si l'on relègue le royaume de Dieu, le ciel, la vie, dans l'au delà, mais à la banqueroute de notre vie présente, en ce qui concerne notre être véritable et immortel. Il périt en effet sur la route spacieuse, car il n'y saurait germer, ni à plus forte raison s'épanouir.

« Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous couverts de peaux de brebis et qui au dedans sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Peut-on cueillir des raisins sur des épines ou des figues sur des chardons? Ainsi tout bon arbre donne de bons fruits, et tout mauvais arbre de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits ni un mauvais arbre de bons fruits. Tout arbre qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C'est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. »

Si le chemin resserré est une vole presque imperceptible d'évolution et de vie personnelles, il n'est point étonnant que le monde soit plein de prophètes qui préconisent inconsciemment des voles spacieuses comme le seul accès possible à la vie, parce qu'eux-mêmes ne se font aucune Idée de ce qu'est la porte étroite, Ils égarent ainsi ceux qui s'adressent à eux dans leur angoisse, en les engageant dans des chemins où ils se fourvoient et qui les mènent à la ruine. C'est la vieille histoire d'un aveugle conduisant un autre aveugle. Et c'est pourquoi Jésus met les chercheurs en garde contre les faux prophètes de la vole large.

Mais comment nous soustraire à leurs protestations séductrices? Comment les distinguer de ceux qui ont franchi la porte étroite et peuvent, par conséquent, nous venir véritablement en aide sur la vole de notre devenir? Jésus nous répond : Examinez-les avec soin, ils viennent à vous sous des peaux de brebis, mais au-dedans ils sont des loups ravisseurs. Ils font extérieurement parade d'une nouvelle vie, mais intérieurement ils sont restés barbares. Ils portent le costume de la piété, mais au-dessous s'agite leur vieille nature : ils ne sont point nés à la vie originelle. Aussi les reconnaîtrez-vous à leurs fruits, dans lesquels se révèle leur vrai caractère.

Mais encore, en quoi consistent ces fruits ? Non dans le succès; car plus il est apparent, plus il dépend non de ceux qui l'obtiennent, mais des circonstances dans lesquelles ils agissent; Plus il reste, par conséquent, un indice douteux de leur nature intime. Pas non plus dans l'influence qu'ils exercent; car elle est conditionnée par celui qui la subit. D'ailleurs, nos paroles et nos actes sont parfois en contradiction directe avec ce que nous sommes en réalité : nous pouvons être les porteurs de valeurs vitales qui nous demeurent étrangères; notre moralité peut n'être que l'obéissance aux commandements et non l'expression de notre vie spontanée. Mais les manifestations immédiates et involontaires de notre personnalité, les créations originales de notre vie, c'est-à-dire tout ce qui a mûri naturellement au lieu d'être un produit de notre fabrication, voilà nos fruits authentiques. Voilà les seuls indices certains de ce que nous sommes, parce qu'ils sont la révélation directe de notre être. Pour apprécier les hommes, tenons-nous-en là. Il est aussi impossible à ceux de l'ordre ancien de porter les fruits de la vie nouvelle qu'aux épines de produire des raisins; un mauvais arbre ne saurait porter de bons fruits.

Considérons donc avec soin, non ce que sont leurs actes, mais ce qu'est leur vie. Tenons-nous-en aux mouvements spontanés dans lesquels leur nature se fait jour, non lorsqu'ils veulent exercer une influence, mais lorsqu'ils se croient sans témoins. Observons-les quand lis se laissent aller, c'est alors qu'ils se montrent tels qu'ils sont; dans leur vie de famille, leurs relations personnelles, le travail de leur vocation. Voyons comment ils s'acquittent de leurs affaires, comment ils font face à leurs expériences journalières, en un mot, quelle est leur conduite. SI le nouvel ordre de choses s'y actualise sans apprêt, involontairement, si toute leur attitude respire la vérité, si la lumière de la vie originelle y rayonne, fions-nous à eux: ce serait impossible s'ils n'avaient passé par la porte étroite, s'ils n'avaient été transformés intérieurement.

Mais si leur vie procède du non, s'ils usent de représailles envers leur prochain, s'ils ne vivent point ingénument, mais en vertu d'un raisonnement, s'ils sont injustes et faux malgré leur zèle pour la vérité et la justice, si, tout en ayant constamment le nom de Dieu sur les lèvres, leur vie tout entière crie : « Moi! moi! », si leur charité consiste à tyranniser leur prochain, s'ils cherchent leur propre gloire, s'ils jugent et anathématisent, si dans leur passion de convertir ils jettent les perles devant les pourceaux, s'ils sont possédés du démon de la richesse, s'ils vivent dans les soucis, la tristesse et la crainte, en un mot, si leur vie ne porte pas « les dignes fruits de la conversion », n'hésitons point à les tenir pour de faux prophètes. Ils peuvent être sans doute des hommes très capables, très pieux et d'une valeur inestimable en ce qui concerne l'ordre ancien. Mais il est inutile de compter sur eux en tant que prophètes du chemin étroit, car ils ne le connaissent point et ne l'ont point suivi. Comparé à l'être nouveau, leur être intérieur est encore vicié et tout ce qu'ils accomplissent est mauvais de sa nature, quel que puisse en être, dans certaines conditions, l'effet bienfaisant. Ici ni l'action bénie, ni les résultats heureux n'entrent en ligne de compte, la vie elle-même est le fruit qui témoigne d'une façon palpable que l'arbre a été enté ou qu'il est resté sauvage.


Table des matières

Page précédente:
Page suivante:


(1) L'auteur fait ici allusion au périodique qu'il publie lui-même (Blätter zur Pflege persönlichen Lebens).

 

- haut de page -