Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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LE VEILLEUR SUR LA TOUR



L'HISTOIRE D'AGAR

Elle s'en alla, et s'assit vis-à-vis, à la distance d'une portée d'arc, car elle disait : « Que je ne voie pas mourir mon enfant ! » Elle éleva la voix, et pleura. Et Dieu entendit la voix de l'enfant.
(Genèse 21 : 16-17.)

 

Les récits de l'Ancien Testament qui se trouvent être les plus familiers à nos mémoires sont apparemment ceux dans lesquels les peuples voisins d'Israël apparaissent sous un jour peu favorable. À la lumière de ces récits, le monde païen semble impur et hostile : ces nations idolâtres, toujours acharnées à tourmenter Israël, semblent former une antithèse irréductible avec le peuple de Dieu, comme s'il y avait dans le monde un seul peuple élu, que Dieu aime, auquel il réserve les marques de sa faveur, et qu'en dehors de ce peuple, tout ne fût que ténèbres. Le seul traitement qu'il convienne d'infliger aux païens, c'est l'interdit, c'est-à-dire l'extermination.

Cependant, à examiner les choses de plus près, il se découvre dans l'histoire d'Israël, telle que l'ont conçue les écrivains sacrés, des intentions assez différentes. Et je ne parle pas seulement de cette haute philosophie de l'histoire qui fait des nations païennes les instruments des desseins de Dieu, philosophie qui se développe magnifiquement dans la seconde partie du livre d'Esaïe, : qu'il me suffise de rappeler la parole fameuse : « L'Éternel a dit de Cyrus : il est mon berger. » Je parle aussi de certains traits d'humanité qui se retrouvent çà et là, semés par une inspiration providentielle au long des récits bibliques. Il y a des figures accessoires qui n'appartiennent pas au « peuple de Dieu » et qui pourtant sont traitées avec amour : Naaman le Syrien, la veuve de Sarepta. Les nations païennes elles-mêmes sont considérées parfois comme formant, au même titre qu'Israël, l'objet de l'amour divin. Cette intuition si élevée est celle de plusieurs prophètes : « N'ai-je pas fait sortir Israël du pays d'Égypte ? » s'écrie Yahvé par la voix d'Amos, « comme j'ai fait sortir les Philistins de Caphtor et les Araméens de Kir ? » Mais il y a plus : la même tendance est très sensible déjà dans ces traditions relatives aux origines des races, que le livre de la Genèse nous rapporte. Ici, nous voyons les ancêtres d'Israël entretenir des rapports étroits avec ceux des Araméens de Mésopotamie : c'est l'histoire du mariage d'Isaac. De même, dans l'épisode que nous venons de lire, les origines du peuple ismaélite sont exposées avec une visible sympathie.

Ismaël, c'est l'ancêtre des nomades, de ces bédouins du désert, race inquiète, aventureuse, pillarde, « toujours sur le dos de ses voisins », suivant l'expression pittoresque de la Genèse. Race qui, n'ayant jamais su s'organiser, n'ayant même jamais eu l'ambition d'être sédentaire, a été moins dangereuse pour Israël que les peuples d'Ammon et de Moab. De plus, le nomade conserve, jusque dans ses pires brigandages, quelque chose de chevaleresque, d'héroïque même, une certaine espèce de grandeur d'âme qui séduit. Ces peuples du désert n'ont jamais poussé le paganisme jusqu'au degré de complication dans l'idolâtrie où il atteignit chez les Cananéens. Tout en adorant la puissance divine dans les sources, dans les arbres sacrés et surtout dans les pierres, ils ont gardé, à l'état vague tout au moins, la croyance en un Dieu qui domine les choses : en somme, une forme de religion assez semblable à ce culte de l'Être Suprême que nous voyons survivre, de nos jours, dans l'âme de ceux-là même qui ont rompu avec les religions positives ; et cette foi élémentaire a été entretenue sans doute par l'habitude de la vie errante, dans la steppe infinie, sous l'immensité des cieux.

Ainsi s'explique la prédilection particulière que le vieux récit de la Genèse semble témoigner à Ismaël, soit qu'il montre cet ancêtre d'un peuple ombrageux et fier jouant avec l'héritier d'Abraham, et le traitant d'égal à égal ; soit qu'il nous fasse entrevoir, au moment où Sara invite son mari à chasser le fils de l'étrangère, que ce malheur sera pour Ismaël une source de bénédictions. Il n'est pas le fils de la promesse, mais il héritera pourtant quelque chose de grand : l'espace illimité, la liberté, qui ne se trouve qu'au désert ; il sera le père d'un peuple qui gagnera sa vie avec son épée.

Malgré ces perspectives d'avenir, il faut le reconnaître, l'expulsion d'Agar et de son fils a quelque chose de pénible. Si l'on entreprend de juger cette histoire à la lumière de nos expériences religieuses et de nos exigences morales, il est difficile de ne pas être étonné. Ce sont ces étonnements-là qui nous perdent. Nous commençons par poser comme un axiome que tout ce que la Bible nous raconte est propre à nous servir d'exemple ; et, en même temps, nous n'arrivons pas à imposer silence aux protestations de notre conscience en face de faits qui la troublent. Il y a là une contradiction douloureuse, où la foi de plus d'un a sombré. Mettons-nous donc dans l'esprit, une fois pour toutes, qu'il s'est fait un progrès dans la conscience humaine ; que Dieu, pour élever l'humanité jusqu'à lui, a dû s'abaisser jusqu'à elle ; qu'il a consentie, par un effet de son amour, à lui parler le langage qu'elle pouvait comprendre ; qu'il a dû tolérer de voir sa pensée incomprise et sa volonté méconnue ; et qu'à ce prix, en éclairant par degrés la conscience israélite, il l'a préparée à recevoir l'Évangile.

N'oublions pas que l'histoire d'Israël, si belle et si salutaire qu'elle soit, n'est encore que l'histoire de la préparation du salut ; qu'ainsi, c'est faire fausse route que d'appliquer aux héros de la Genèse, situés au début d'une évolution qui a mis bien des siècles pour aboutir à l'Évangile, les exigences de la conscience chrétienne. Soyons heureux que Dieu ait parlé à la conscience d'Israël. Dans ces expériences religieuses des hommes d'autrefois, approprions nous pieusement ce qui est éternellement vrai, et digne d'être imité, Ne nous laissons jamais entraîner à dire que, si certains récits de l'Ancien Testament sont en conflit avec notre sens moral, c'est que Dieu n'est pas présent dans ce livre où nos pères ont puisé tant de force. Notre Dieu, le Dieu de l'Évangile, apparaît dans l'Ancien Testament. Parfois, il y est voilé, et c'est le fait de l'ignorance ou de la corruption humaines ; mais parfois, il y apparaît sans voiles. Alors, nous sommes transportés d'un coup au niveau de l'Évangile ; et ce que l'Ancien Testament nous apprend est véritablement divin. Or, l'Esprit, que Dieu donne à ses croyants, connaît ce qui est de l'Esprit.

C'est ainsi que, dans l'épisode que nous venons de lire, nous retrouvons cette double manifestation de Dieu. Il apparaît d'abord voilé, dans la conscience du patriarche qui se persuade qu'il accomplit la volonté de Dieu en renvoyant Ismaël ; ensuite, sans voiles, comme nous le connaissons aujourd'hui. Tel nous allons le trouver dans l'histoire d'Agar au désert.

Suivons donc la pauvre esclave errante à travers la solitude. Elle s'en va au hasard. Elle a quitté l'oasis bénie où, sous les chênes et les palmiers, Ismaël jouait, si insouciant, si heureux. Maintenant, c'est la fin du rêve. Tout ce bonheur passé est évanoui, irréparablement. Et elle va devant elle, sans trop savoir où ses pas la conduisent, comme ceux qui marchent dans un songe. Bientôt, elle se trouve en plein désert, sur ce plateau aride de Béerséba où croît une herbe rare, parmi le sable et les cailloux. Pas d'ombre : rien que quelques broussailles épineuses, genêts ou lentisques du désert. Abraham lui a donné pour le voyage un pain et une outre pleine d'eau ; mais ces maigres provisions ne tardent pas à être épuisées. La fatigue vient ; la chaleur est devenue accablante ; la soif s'éveille, la soif qui torture ; et il faut marcher, marcher toujours, sans savoir où l'on va, sous le soleil brûlant, sans un souffle d'air. À perte de vue se déroule l'étendue grise. Agar rebrousse chemin, puis elle revient sur ses pas. Les forces de l'enfant déclinent : il n'en peut plus. Alors, Agar, se rendant compte qu'il n'y a plus rien à faire, étend le petit Ismaël à l'ombre maigre d'un buisson, et s'éloigne à une portée d'arc, pour ne pas voir mourir son enfant. Là, elle se laisse tomber, elle aussi, sur le sable, et elle jette en pleurant un cri d'appel, un cri désespéré. À quoi bon ! Dans l'immense étendue désertique et morne, qui donc entendra la voix d'une mère, appelant au secours de son enfant ? Et si même il passait une caravane dans le voisinage, qui donc aurait pitié d'une esclave, ignominieusement chassée ?

Cependant, il en est un qui a entendu le cri de la pauvre mère. Les hommes n'ont pas eu pitié d'elle : ils l'ont jetée au désert. Lui, il a pitié. Des hauteurs de son sanctuaire, du fond de sa gloire infinie, il a entendu la voix d'Ismaël mourant, Lui, le Dieu d'Israël, qui est aussi le Dieu de toute l'humanité. Dieu n'est pas seulement auprès d'Abraham le juste, dans la chênaie de Mamré. Il est dans le désert de Béerséba, auprès d'Agar, l'esclave païenne. Il y a dans le coeur des hommes des préférences et des oublis. Les hommes sont exclusifs dans leurs affections. C'est qu'ils ne savent pas aimer véritablement. Dieu n'est pas exclusif. Il ne limite pas son amour à un seul peuple. S'il donne à Israël des lumières spéciales, c'est pour le salut du monde. Il bénira Isaac, l'enfant de la promesse, mais il sauve Ismaël. Il entend le cri de toutes les mères et le cri de tous les enfants.

Sa voix retentit dans le coeur d'Agar. Il lui dit les paroles qui calment et qui rassurent. Agar comprend qu'elle n'est pas seule, que Dieu est avec elle, qu'il réserve son fils pour un grand avenir ; qu'il faut se ressaisir et se dominer. Elle reprend courage ; elle essuie ses larmes. Elle se lève. Elle se sent forte désormais, prête à tout braver, puisque Dieu a entendu la voix de son enfant. Elle regarde autour d'elle ; et voici, à ses pieds, il y a une source. Tout à l'heure ses larmes l'aveuglaient, son coeur était trop désespéré : elle ne voyait rien. Dieu a entendu sa plainte, il a vu ses larmes. Il lui a ouvert les yeux. Il lui a rendu la clairvoyance, la possession d'elle-même ; et maintenant, Ismaël, est sauvé. Vite, elle remplit l'outre vide, elle la porte à son fils. Rafraîchis, reposés, la mère et l'enfant, la main dans la main, vont reprendre leur route : ils franchiront les espaces déserts ; ils arriveront en quelque oasis hospitalière. Là, Ismaël sera recueilli, nourri, élevé, il grandira dans ces terres sauvages ; il deviendra tireur d'arc, et il sera le père d'un grand peuple.

Ce récit n'est pas seulement une des pages les plus touchantes de cette « histoire sainte » qui en contient de si belles. Il est merveilleusement propre à nous faire sentir l'amour de Dieu, et à nous faire voir comment sa présence se manifeste dans notre vie.

L'homme vulgaire ne voit pas les interventions de Dieu. Pour lui, ces événements que nous appelons, nous, des exaucements et des délivrances, n'ont rien que de naturel. Supposez qu'une scène comme celle de Béerséba ait un spectateur : il n'y trouvera rien d'extraordinaire. Une mère qui, réduite au désespoir par l'état misérable où elle voit son enfant, aperçoit soudain une source que sa douleur l'avait jusqu'alors empêchée de voir : qu'y a-t-il à cela de miraculeux ? Et cependant, la mère sait bien, elle, que si elle a vu la source et sauvé son enfant, c'est que Dieu est intervenu. Ainsi se produisent les miracles de Dieu dont notre vie contemporaine est toute semée.

Pour qu'il y ait miracle, il n'est pas nécessaire qu'il se produise dans le monde de grands bouleversements. Il y a des événements qui se passent d'une façon tout à fait normale et qui n'en sont pas moins des miracles, de grands miracles, parce que ceux qui y sont mêlés y ont senti l'intervention de Dieu. Et de ces miracles, il s'en fait tous les jours. Dieu choisit les voies naturelles, qui répondent à sa volonté générale, pour venir en aide à ses enfants.

Combien d'âmes, aujourd'hui, sont au désert ! C'est chose effrayante de penser qu'il y en a des milliers et des milliers qu'on laisse mourir de soif. Mais parmi ces âmes, il s'en trouve une de temps à autre qui, du fond de sa détresse, jette vers Dieu - ce Dieu qu'elle a ignoré jusqu'ici - un cri d'appel. Alors, le miracle d'Agar se renouvelle : la source est là.

Il arrive qu'on s'engage à l'aventure dans le désert du doute. On erre longtemps, on lutte, on cherche, et finalement on sent que tout est fini. La foi est vaincue, la force morale est anéantie ; l'Idéal défaille ; l'âme est angoissée ; elle va mourir. Mais voici qu'elle jette au ciel, dans un suprême effort, un appel désespéré ; et Dieu entend la supplication de son enfant. Il lui fait voir la source, la source qui était là, mais qu'il ignorait, l'eau murmurante qui jaillit dans le désert de l'âme. Ce douteur a relu l'Évangile ; et, pour la première fois, il en a compris la divinité. Ces pages, jusqu'alors parcourues d'un regard distrait, ont pris à ses yeux une valeur singulière. En les lisant, il a vu clair, il a repris confiance ; la paix est rentrée dans son âme : il s'est relevé avec des forces nouvelles pour affronter la lutte.

Vous étiez plongé dans le deuil. Les hommes, voyant que vous souffriez, avaient fait le désert autour de vous. Tout au plus vous avaient-ils laissé, pour affronter la solitude, un pain et une outre d'eau : leur sympathie mesure ses dons parcimonieusement, et quand la maigre ration qu'elle dispense est épuisée, il serait vain de compter sur quelque chose de plus. Aussi n'espériez-vous plus rien de la vie qui vous avait frappé dans vos affections les plus chères et les plus douces. Cependant, vous avez prié, vous avez appelé à votre aide le Dieu de consolation ; et voici qu'une étrange assurance a raffermi votre coeur. Le voile que les larmes mettaient sur vos yeux a disparu. Vous avez vu la source. Était-ce quelque affection, de celles qu'on ignore parce qu'elles sont discrètes : quelqu'une de ces sympathies qui soulagent parce qu'on les sent durables, et qui aident à faire le chemin ? N'était-ce pas plutôt Dieu lui-même qui venait au secours de son enfant, et qui, en le soutenant de sa force divine, lui faisait entrevoir l'oasis éternelle, but du pèlerinage terrestre ?

Parfois, on plie sous le poids des soucis matériels, on ne sait plus que faire, on est à bout de forces ; tout désir de vivre est aboli, on voudrait mourir. Alors, on appelle Dieu à l'aide. L'homme qui, jadis, orgueilleux de sa force ne comptait que sur lui-même, jette un cri désespéré ; et soudain, il se sent plus fort qu'il n'a jamais été : l'esprit libre et clair, la volonté ferme, le coeur confiant. Il voit ce qu'il y a à faire, et il le fait ; il surmonte l'obstacle. Car Dieu ne supprime pas l'obstacle, il ne change pas la solitude en un jardin fertile, mais il donne à l'âme qui se réfugie en lui la force de traverser le désert.

La source est toujours là, mais il faut la chercher. C'est l'oeuvre de la prière. Par elle, nous devenons forts et clairvoyants. Opprimée par la vie, l'âme se ressaisit en Dieu. Quand elle rentre en elle-même, elle domine les choses. C'est en nous qu'il faut chercher Dieu. Quand nous l'aurons retrouvé au fond de notre âme, nous irons au combat avec la confiance qui fait les victorieux. Livrés à nous-mêmes, nous défaillons, mais la source n'est pas loin. Nous en avons pour garant Celui qui a dit : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive », et qui, ayant dit cela, a désaltéré, de génération en génération, la soif des âmes, en leur donnant l'eau vive, celle qui calme l'inquiétude humaine pour l'éternité.


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