REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
PRÉFACE
Les premiers missionnaires de
l'Évangile ont laissé le souvenir
d'hommes extraordinaires, qui voyaient le
merveilleux éclore sous leurs pas.
« Il se faisait beaucoup de prodiges et
de miracles par les apôtres »
(Act. Il, 43). Il en fut de
même de ces grands missionnaires du Moyen-Age
qui s'établirent dans les forêts
séculaires de la Gaule ou de la Germanie,
ils travaillèrent à convertir et
à civiliser nos ancêtres païens,
et auxquels l'Eglise, dans son admiration
reconnaissante, décerna le titre de
Saints.
Nous n'attendons pas des missionnaires de
notre temps des prodiges absolument semblables
à ceux qu'ont enregistrés les Actes
des Apôtres ou la Légende des Saints.
Peut-être cependant ne nous rendons-nous pas
assez compte de ce que l'apostolat
évangélique, aujourd'hui encore, a de
surnaturel.
L'Évangile reste au vingtième
siècle ce qu'il a toujours
été, « la puissance de Dieu
pour le salut de quiconque croit »
(Rom. I, 16). Aussi pouvons-nous
affirmer - en donnant aux mots un sens plus
moderne, mais non moins explicite - que le
missionnaire de nos jours peut accomplir de vrais
miracles et qu'il y a, au service de nos missions,
des saints et des saintes qui ne le cèdent
à aucun des plus grands serviteurs de Dieu
dans les siècles passés.
La parole si étonnante du Christ ne
cesse pas, en vérité, de
s'accomplir : « Celui qui croit en moi
fera aussi les oeuvres que je
fais, et il en fera de plus grandes »
(Jean XIV, 12).
Mary Slessor, qui est morte il y a trois
ans, est une de ces saintes du protestantisme
contemporain. Son oeuvre au Calabar tient du
miracle, et, dans la faiblesse de cette femme, la
puissance de Dieu s'est déployée
d'une manière qui confond notre foi.
Sa biographie, que nous offrons au public
français, a déjà paru en,
anglais, sous deux formes différentes
(1). C'est
l'histoire, insistons-y, d'une simple femme du
peuple, et non pas même d'une femme
épanouie dans le mariage et la
maternité, mais, à l'entrée de
sa carrière, d'une jeune fille, et, plus
tard, de ce que nous appelons, d'un nom qui
évoque une idée de timidité
facilement effarouchée, une vieille
demoiselle.
De fait, Mary Slessor était timide.
elle osait à peine, nous dit-on,
arrêter un autobus dans les rues de Londres,
pour y monter. Mais quel courage Dieu lui donna
pour vivre, seule, dans un pays de nègres
sauvages, encore cannibales, pour leur disputer les
enfants jumeaux ou les esclaves qu'ils allaient
mettre à mort, pour tenir
tête aux chefs, pour siéger
elle-même comme juge de leurs
différends ! Sous ce climat si
pénible, si dangereux même pour
l'Européen, Mary Slessor a vécu de
longues années, se bâtissant
successivement plusieurs maisons de ses propres
mains, faisant de longues marches à pied,
portant sur ses épaules des malades, des
mourants, passant la nuit à bercer, à
soigner sa famille adoptive de petits
négrillons, endurant des fatigues, assumant
des responsabilités devant lesquelles
reculeraient certainement la plupart des
hommes.
Si une femme a fait cela, si elle est
devenue le magistrat, le consul britannique, la
reine enfin - sans sceptre, ni couronne, ni liste
civile - de tout ce grand pays d'hommes noirs,
n'est-ce pas la preuve que peut-être,
jusqu'ici, dans nos Missions, nous n'avons pas
donné à la femme - en particulier
à la femme non mariée - la place, le
rang, les fonctions qu'elle peut remplir ?
Nous l'avons utilisée seulement comme
institutrice ou comme garde-malade. Le plus
souvent, elle a été maintenue sous la
tutelle d'un missionnaire dont elle était la
subordonnée. Elle n'assistait qu'à
certaines séances des conférences,
n'y avait qu'une voix consultative, et même
sur un nombre limité de questions. Son
individualité n'était pas admise.
à se déployer librement dans tous les
domaines de l'apostolat.
Or la guerre donne en ce moment à la
femme européenne l'occasion de
révéler toutes ses capacités.
Que de places, réservées jusqu'ici
aux hommes, se trouvent occupées par des
femmes qui s'y sont parfaitement
adaptées ! La guerre passera, mais ces
conquêtes du
féminisme resteront. En Angleterre, la femme
a déjà obtenu la promesse qu'elle
aurait, après la paix, le droit de vote.
Bien d'autres droits devront lui être
reconnus.
Il ne convient pas que l'Eglise de Celui
« en qui il n'y a ni homme ni
femme » se montre, sur ce point, en
retard sur le siècle. Déjà les
Synodes ont discuté sur « les
activités féminines » au
sein de nos paroisses. Le temps nous paraît
venu où, dans nos champs de mission, nous
devrons reconnaître le titre et les fonctions
de missionnaire à la femme appelée de
Dieu qui aura atteint sa maturité et fait la
preuve de sa valeur personnelle, soit par des
études égales à celles des
hommes, soit par un stage suffisamment
prolongé dans une situation
subordonnée. Pendant une dizaine,
d'années, au moins, nous allons manquer
d'hommes, après la saignée
épouvantable de la guerre. Seules, les
femmes pourront suppléer à cette
lacune. J'admets qu'on réserve la question
de la consécration pastorale et de
l'administration des sacrements, mais, pour occuper
les stations vacantes, pour
évangéliser les villages de
païens, pour visiter et grouper les femmes,
les jeunes filles, les enfants, pour prêcher
l'Évangile et fonder des églises,
pour diriger enfin les catéchistes et
instituteurs indigènes de tout un district,
l'exemple de Mary Slessor et de bien d'autres
prouve suffisamment qu'une femme peut être
employée sans inconvénient, souvent
même avec avantage. Préparons-nous
donc dès maintenant à confier
éventuellement à des femmes toutes
ces activités, et préparons pour ces
activités les jeunes filles bien
qualifiées qui viendront à nous.
Telle est la conviction que nous avons vue
se former et se fortifier au sein du Comité
directeur de notre Société des
Missions. Déjà il a
décidé en principe qu'au lendemain de
la guerre, nous organiserions un cours de
préparation spéciale pour les jeunes
filles ou les femmes se destinant aux missions. On
envisage même la possibilité de deux
préparations différentes, suivant que
les candidates seraient ou non pourvues de
diplômes universitaires et capables
d'affronter avec profit des études
supérieures.
Quelles devront être les
qualités essentielles de ces missionnaires
femmes ? C'est à Mary Slessor
elle-même que nous voudrions le demander.
Voici deux pages sorties de sa plume, et qui n'ont
pas trouvé place dans l'ouvrage que l'on va
lire : elles sont tirées de sa grande
biographie
(2).
La première insiste sur la
distinction intellectuelle et morale : aucune
fleur ne saurait être trop belle, aucun
diamant d'un éclat trop pur pour la couronne
du Roi des rois.
« Rien, j'en ai la conviction, ne
touchera jamais ni ne relèvera ceux qui sont
tombés, si ce n'est l'amour. Ils ont horreur
de la propre justice qui voudrait se pencher sur
eux avec satisfaction, ils haïssent tout ce
qui ressemble à une protection qui patronne,
à une pitié qui s'abaisse. Ils ont
besoin d'amour et de patience. Ils ont besoin aussi
de « distinction », car ce
qu'il est convenu d'appeler les classes les plus
humbles respectent et aiment la
« distinction, » et les
païens eux-mêmes sont plus fins à
découvrir le manque de
« distinction » que beaucoup de
ceux qui les dépassent dans l'échelle
sociale. Pour ma part, quand il s'agit de
prêcher aux petits et à tous les
hors-castes, je ne crois pas au succès des
anciens forçats ou des lutteurs de foire
convertis. Je crois au contraire que, plus il y a
de distinction, de beauté et de bonne
éducation dans toutes les branches de
l'activité chrétienne, et plus aussi
il y a de succès réel et de
solidité, plus il y a de garanties que
suivront bientôt des résultats
incommensurables, et des fruits chrétiens de
première valeur. La vulgarité et
l'ignorance ne pourront jamais par
elles-mêmes avoir une influence quelconque
sur les classes inéduquées, ni du
reste sur qui que ce soit... »
L'autre citation vise les qualités
non moins indispensables de dévouement
pratique, de consécration sans
réserve au service du Sauveur dans la
personne dos plus misérables de nos
semblables.
« Ce qu'il nous faut, ce sont des
femmes consacrées, des femmes qui sachent
aimer, des femmes qui n'aient peur d'aucun travail,
qui ne redoutent le contact d'aucune espèce
de corruption matérielle ou morale, des
femmes qui puissent soigner un bébé
abandonné, enseigner à un enfant
à se laver et à se peigner, tout
aussi bien qu'à lire et à
écrire ; des femmes qui sachent avec
tact polir toute rudesse, et, pour l'amour de
Jésus, supporter toute rebuffade, des femmes
qui puissent accepter n'importe quelle situation
qui s'offrira à elles; des femmes surtout
qui aient appris à porter au Sauveur tous
leurs fardeaux et à trouver auprès de
lui la force de sourire, la force de
persévérer, d'aller de l'avant,
quelles que soient les
circonstances. Si elles savent jouer du Beethoven,
peindre et dessiner, parler anglais,
français, allemand, tant mieux ; mais
nous pourrons nous passer de tout cela, si elles
ont seulement un coeur qui aime, des mains qui
veulent et du bon sens. À coup sûr ces
femmes-là existent. Il y en a par milliers,
dans nos églises, et nos églises ne
peuvent pas réclamer comme un monopole le
privilège de les prendre pour
elles-mêmes. Oh !
réservez-nous-en
quelques-unes. »
La femme qui a écrit ces deux pages
avait beau sortir elle-même des rangs du
peuple, être fille d'un alcoolique, avoir
été dans son enfance ouvrière
de manufacture, elle appartenait à
l'élite spirituelle de l'humanité,
elle possédait, au plus haut degré,
l'aristocratie du coeur, celle de la conscience
morale et même celle de l'intelligence.
Comme les premiers apôtres du Christ,
Mary Slessor a un jour entendu son appel, et,
« ayant tout quitté, elle l'a
suivi ». Voici donc son histoire,
racontée tout simplement, pour les enfants
de nos familles protestantes. Puisse-t-elle
susciter dans l'âme de beaucoup de jeunes
filles l'ambition de devenir comme elle, par la
grâce de Dieu, dans ce monde où il y a
encore tant de tribus et tant de races
« assises dans les
ténèbres », un
témoin de l'amour rédempteur, une
vraie missionnaire.
Paris, 14 novembre 1917. JEAN
BIANQUIS.
Directeur de la Société des
Missions évangéliques de Paris.
P. S. - L'impression de ce petit volume
devait ne prendre que quelques semaines et
être terminée avant Noël 1917.
Mais la guerre complique et retarde toute
chose : Reine blanche en
pays noir ne paraîtra pas avant la
première quinzaine de mars 1918. Et, pendant
ce temps, la fidèle amie des Missions qui
avait traduit de l'anglais cette biographie de Mary
Slessor est allée la rejoindre auprès
de Dieu.
Ce travail d'adaptation avait
été pour Mme Soltau, née
Louise Monod, une tâche très douce
dont elle s'était acquittée avec
joie. Elle avait été
encouragée par l'accueil que nous avions
fait à son manuscrit et projetait
déjà de se lancer dans une entreprise
beaucoup plus considérable. À
l'occasion du prochain centenaire de l'introduction
de l'Évangile à Madagascar, elle
avait accepté, sur notre conseil,
d'écrire l'histoire de cette mission, ou du
moins de sa période héroïque, de
1818 à 1865, une des pages les plus
admirables de l'apostolat
évangélique. Déjà elle
avait fait venir des livres qu'elle n'eut
même pas le temps de parcourir. Une des
dernières recommandations qu'elle fit
à son mari, quand elle sentit venir la mort,
fut celle-ci : « Renvoie les livres
à Londres ».
Elle a pu relire en épreuves les
premières feuilles de sa Reine blanche. Elle
espérait tenir bientôt entre ses mains
le volume broché. Elle n'aura pas eu celle
satisfaction. Sa fin a été rapide et
douce et elle s'est endormie à Hastings, le
16 janvier, dans sa soixantième
année.
L'une des caractéristiques de sa
piété, très personnelle,
très active, très joyeuse aussi,
c'était l'amour du ciel.
Elle parlait du ciel volontiers, souvent, et
on peut dire gaiement. C'est dans le ciel que nous
la chercherons désormais, comme dans un lieu
familier. Elle s'y « repose de ses
travaux », tandis qu'ici-bas cette
dernière oeuvre de ses mains agiles et de
son coeur généreux perpétuera
son souvenir, prolongera son influence et
contribuera encore à glorifier son
Maître.
J. B.
Consécration
- À toi, mon Dieu, je me donne,
- Je me donne tout entier !
- Ton amour est ma couronne,
- Ta force est mon bouclier.
-
- Je te donne mes journées,
- Mes succès ou mes revers ;
- Je te donne mes années,
- Mes printemps et mes hivers ;
-
- Mes désirs, avec leur flamme
- Que tu peux seul apaiser,
- Et les rêves de mon âme
- Que tu veux réaliser.
(3)
-
- Toutes les fleurs de ma route
- Viens les cueillir de ta main ;
- Tous mes pleurs, goutte après
goutte,
- Les recueillir dans ton sein.
-
- Dans la joie ou la souffrance,
- Je veux te suivre en tout lieu ;
- Toute ma vie à l'avance,
- Je te l'apporte, ô mon
Dieu !
-
- EDOUARD MONOD.
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