REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
CINQUIÈME PARTIE
En Avant - Toujours
1910 - Janvier 1915.
CHAPITRE IV
On était maintenant en août
1914... Vous vous rappelez ?...
D'étranges rumeurs commençaient
à circuler dans le coin de l'Afrique
qu'habitait Ma. On parlait d'une grande guerre
« là-bas », dans le
monde des blancs, au-delà des mers. Ma, qui
savait comme les nouvelles circulent vite en terre
africaine, était inquiète, mais n'en
laissait rien voir et s'efforçait
d'accomplir sa tâche quotidienne. Mais elle
dut bientôt reconnaître qu'il se
passait quelque chose... les indigènes
étaient agités, excités ;
les denrées se faisaient
chères ; déjà l'huile
à brûler manquait.
Les gens ne tardèrent pas
à venir trouver Ma ; la panique les
avait saisis : « l'Europe est en
guerre ! » disaient-ils. Ma les
calma de son mieux ; elle-même,
cependant, était dévorée
d'inquiétude. Le 13 août elle
reçut un courrier qui lui apprit que la
guerre était déclarée. En un
instant elle comprit tout ce que cette guerre
allait entraîner de souffrances, de
détresses et de périls pour le
Calabar, car le Cameroun était tout
près, et elle connaissait assez les
Allemands pour se méfier de ce qu'ils
feraient. « Oh ! que ne donnerais-je
pas pour recevoir un
télégramme ! disait-elle ;
pour entendre crier le titre d'un journal dans la
rue ! »
Enfin arriva un autre courrier qui la
mit au courant de la situation ; elle apprit
l'invasion de la Belgique, la décision de la
Grande-Bretagne d'entrer, elle aussi, dans la lutte
en se rangeant du côté de ceux qui
défendaient le droit, la justice et la
liberté ! « Dieu soit
béni ! dit-elle, nous ne sommes pas les
agresseurs. » Mais le choc qu'elle venait
de recevoir avait été tel qu'il lui
fut impossible de se lever de la chaise où
elle était assise. Ses filles la
portèrent dans la maison et
l'étendirent sur un lit de camp. Elle y
resta quinze jours, en proie à une
fièvre ardente. Lorsque la fièvre
tomba, la faiblesse de Ma était si grande
qu'il lui sembla entrer « dans la
vallée de l'ombre de la mort ».
Cette perspective n'était pas pour
l'effrayer ; oh non ! Mais elle
était troublée par le fait qu'elle
était seule dans la brousse avec ses
enfants : elle craignait que les
indigènes ne s'emparassent de son
crâne pour en faire un fétiche.
Bientôt elle perdit la notion de
ce qui se passait autour d'elle. Ses filles
l'entouraient en pleurant ; les jeunes gens de
l'Eglise se tenaient là, debout, saisis
d'une crainte respectueuse. La scène
rappelait à bien des égards la mort
de Livingstone. Que pouvaient-ils faire ces
enfants, seuls avec leur bien-aimée Ma, qui
approchait si rapidement de sa fin ? Ils
prirent la décision qu'elle-même
aurait préférée entre
toutes : celle de la transporter à Use.
Ils la soulevèrent dans son lit de camp et
se rendirent d'abord à Ikpé, à
8 kilomètres de distance, faisant tous leurs
efforts pour secouer le moins possible la malade
lorsqu'il fallait traverser un ruisseau ou
dévaler une colline.
Le lendemain matin, ils placèrent
le lit sur une pirogue et descendirent la
rivière. Ils abordèrent à un
endroit appelé Okopedi, et
déposèrent leur précieux
fardeau sur la plage. Ma respirait à peine.
On fit alors chercher le docteur missionnaire
d'Itu, le Dr. Wood. Il accompagna Ma jusqu'à
Use et passa la nuit suivante auprès d'elle,
craignant que la fin ne fût toute proche. Ma
semblait ne penser qu'à la guerre et aux
soldats dans les tranchées.
La malade était un peu mieux le
lendemain matin ; elle ne voulut pas entendre
parler de se laisser transporter à Itu. Use
était devenu son chez elle ; là,
ses enfants pouvaient s'occuper d'elle ; c'est
là qu'elle désirait rester. Pourtant,
comme elle se rendait bien compte de son manque de
forces, elle fit prier Mlle Peacock, d'Ikotobong,
de venir la voir. « Il faut que Ma soit
bien malade pour envoyer chercher
quelqu'un » pensa son
amie ; et elle monta
immédiatement sur sa bicyclette pour se
rendre à Use. « Oh ! lui dit
Ma, si seulement la guerre était
terminée, et si j'avais l'esprit tranquille
au sujet de tous mes enfants, avec quelle joie je
partirais ! »
Grâce à sa merveilleuse
énergie elle reprit quelques forces, et ses
enfants se laissèrent bercer par l'espoir de
la garder auprès d'eux. Chacun reprit sa
tâche habituelle : Janie alla au
marché, Alice et Blanchette tinrent la
maison en ordre, Maggie prit soin du
bébé.
La guerre oppressait Ma de plus en plus.
« Oh ! si j'étais un homme et
si j'avais trente ans de moins ! »
disait-elle. Lorsqu'arrivèrent de meilleures
nouvelles du front, ses forces physiques se
ressentirent de la joie qu'elle en éprouva.
Plusieurs dimanches consécutifs, cette femme
extraordinaire, presque mourante, trouva moyen de
se traîner à l'église et d'y
diriger les services ; mais elle dut parler
assise et en s'appuyant contre la table de
communion.
Quelques mois se passèrent. La
tragédie qui se déroulait en Europe
continuait à occuper toutes ses
pensées, mais elle apprenait de nouvelles
leçons de foi et de confiance.
« Pourquoi se préoccuper
ainsi ? disait-elle, Dieu n'est-il pas capable
de prendre soin de son univers et d'atteindre le
but qu'il s'est proposé ? Puisque nous
ne sommes pas coupables d'agression, puisque nous
ne sommes pas en quête de nouveaux
territoires, nous pouvons compter qu'il nous
donnera la victoire. Ni chef militaire ni empereur
ne l'empêchera d'accomplir
son dessein. » Et elle
répétait sans cesse :
« L'Éternel
règne ».
Noël arriva. Ma se chargea encore
ce jour-là du service divin, et
annonça publiquement qu'elle recevrait des
dons en réponse à l'appel du Prince
de Galles en faveur des victimes de la guerre. Elle
n'aimait pas faire mention de cette guerre entre
nations chrétiennes devant les
indigènes ; mais tous cependant
savaient ce qui en était.
Le 1er janvier 1915, les dames
missionnaires d'Ikotobong envoyèrent
à Ma, comme de coutume, un plum-pudding fait
par elles, et se firent annoncer pour le
thé. Lorsqu'elles arrivèrent, la
table était mise ; le plum-pudding y
occupait la place d'honneur, décoré
d'une rose cueillie au rosier de Ma, et Ma informa
gaiement ses visiteuses qu'elle avait eu toutes les
peines du monde à ne pas entamer le
gâteau avant leur
arrivée !
Mais le 8 janvier elle était de
nouveau bien malade ; c'était un
vendredi. Le dimanche elle se leva, se rendit
péniblement à l'église et y
prêcha pour la dernière fois. Le
lendemain elle dut s'aliter pour ne plus se
relever. Ses filles inquiètes firent
chercher Mlle Peacock et celle-ci appela le docteur
Wood. Quelques jours, quelques nuits se
passèrent. On entendit Ma murmurer :
« 0 Abasi, sana mi yok »,
c'est-à-dire : « 0
Dieu ! délivre-moi » ;
et pendant la nuit du 12 au 13 janvier, Ma Akamba,
« la Grande Mère »,
entra en la présence de son Roi.
Lorsque ses filles se rendirent compte
de la réalité, grande fut leur
désolation. « Notre maman
est mortel Notre maman est
mortel » répétaient-elles
en sanglotant ! La maison se remplit
bientôt d'indigènes ; tous
pleuraient....
Le corps de Ma fut transporté
à Duke Town et enseveli sur la colline. Sur
tout le trajet de la maison missionnaire au
cimetière, les gens s'étaient
assemblés en foule ; jeunes et vieux
voulaient une dernière fois témoigner
de leur respect et de leur affection pour celle qui
avait été Eka kpukpru owo,
« la Mère de tout le
monde ».
Une femme de la Jamaïque
était assise auprès de la
tombe ; c'était « Maman
Fuller », vieille servante de la Mission,
et qui avait aimé Ma dès le jour de
son arrivée au Calabar, trente-neuf ans
auparavant.
« Ne pleurez
pas ! » répétait-elle
aux femmes qui poussaient des cris, selon la
coutume indigène, « louez Dieu, la
source de toutes les
bénédictions. »
Et lorsque la triste
cérémonie fut terminée, la
vieille négresse disait à une des
dames missionnaires : « Je ne sais
pas si j'ai jamais été aussi heureuse
qu'aujourd'hui. Je me sentais tout le temps
près du ciel ».
« Mary Slessor était
tout à la fois un ouragan un tremblement de
terre, un feu, et un son doux et
subtil », disait d'elle un ami qui
l'avait connue de longue date. En effet, elle
réunissait les qualités les plus
diverses, et mettait au service de son Dieu Sauveur
les multiples aptitudes que lui-même lui
avait confiées.
Et l'une de ces aptitudes,
c'était ce besoin de toujours faire mieux,
de toujours aller de l'avant, de ne jamais se
laisser vaincre par les difficultés de la
route ; en un mot de s'avancer sans faiblesse
vers l'idéal qu'elle s'était
donné. Car, ses
« rêves »
qu'étaient-ils donc, sinon ce désir
constant de faire de sa consécration
à Dieu le but suprême de sa
vie ?
Combien d'entre vous, les jeunes, se
contentent de rêver, mais sans se mettre
à l'oeuvre pour transformer leurs
rêves en réalité ?
À quoi donc servent-ils ces rêves qui
s'évanouissent en fumée !...
Quelle influence peuvent-ils avoir sur votre vie et
sur les vies avec lesquelles vous vous trouverez en
contact ?
Non, non ! que vos rêves pour
l'avenir soient tout autres. Accompagnez-les de
prière et de persévérant
labeur. Rêvez ! Priez !
Agissez ! L'avenir du monde est entre vos
mains. Vous serez les ouvriers de demain. Le
Seigneur compte sur vous : lui ferez-vous
défaut ?
Est-ce à dire que vous êtes
tous appelés à devenir missionnaires
en pays païen ? Je ne le pense pas. Mais
cependant, combien Dieu en convie à ce
glorieux service qui ferment leur coeur à sa
voix ? De quel privilège ils se privent
volontairement ! De quelle lourde
responsabilité ils se chargent ! Dans
nos champs missionnaires français en
particulier « la moisson est grande et il
y a peu d'ouvriers... »
Dieu montrera à chacun sa
voie.
Jeunes gens, jeunes filles, dirigez
votre vie vers un but
précis. Ne gaspillez pas ce don magnifique
de Dieu.
Dans la plénitude de vos forces,
dans la plénitude de votre volonté,
dans la plénitude de votre liberté,
dites : « Seigneur, me voici. Je
suis à toi ; fais de ma vie ce qu'il te
semblera bon ».
LE POT
DU MBIAM
Quelques dates
importantes de la vie de Mary Slessor
- 1848. Naissance
à Aberdeen.
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- 1859. Entrée en
fabrique.
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- 1876: Départ
pour le Calabar.
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- 1879. Premier
congé en Écosse.
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- 1880. À la
tête de l'œuvre à Old Town.
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- 1883. Second
congé. (Janie l'accompagne).
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- 1885. À Creek
Town.
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- 1888. Voyage
d'exploration dans l'Okoyong.
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- 1891. Nouveau
congé. (Avec Janie).
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- 1892. Nommée
représentant du Gouvernement
britannique.
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- 1898. Congé.
(Avec Janie, Alice, Maggie et Mary).
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- 1902. Pris pied dans
nouveau terrain d'action.
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- 1903. Commencé
l'oeuvre à Itu. Atteint Arochuku.
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- 1904. Établie
à Itu.
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- 1905. Établie
à Ikotobong. Nommée
vice-présidente du tribunal
indigène.
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- 1907. Dernière
visite en Écosse. (Accompagnée de
Dan). Établie à Use.
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- 1908. Fondation d'un
asile pour les femmes et les jeunes
filles.
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- 1910. Commencé
l'œuvre à lkpé.
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- 1912. Congé aux
Îles Canaries.
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- 1913. Visite à
l'Okoyong. Reçu la médaille
royale. Commencé l'oeuvre à Odoro
lkpé.
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- 1915. Mort à
Use, le 13 janvier.
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