REINE
BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary
Slessor, missionnaire au
Calabar
CINQUIÈME PARTIE
En Avant - Toujours
1910 - Janvier 1915.
CHAPITRE III
À quelque distance d'Ikpé se
trouve une haute colline, appelée Odoro
lkpé, sur laquelle le Gouvernement
britannique avait fait construire un sanatorium. Un
certain samedi soir Ma grimpa sur cette
colline.
« Quelle vue !
s'écria-t-elle. Jamais je n'ai
été si haut ! » La
plaine se déroulait à ses
pieds ; elle respirait avec délices le
vent frais qui lui arrivait de si loin.
Pourtant, ses yeux se remplirent
bientôt de tristesse : cette verte
contrée était encore en plein
paganisme ; ses chefs ne voulaient rien avoir
à faire avec Jésus et refusaient
l'entrée du pays aux instituteurs et aux
missionnaires. Elle-même s'était
adressée à eux bien des fois, mais
sans réussir à les fléchir. Si
Ma venait chez eux, pensaient-ils avec raison, c'en
était fait de leurs vieilles coutumes
païennes !
Mais Ma n'était pas femme
à perdre courage et à lâcher
pied. assise maintenant sur le sommet de la
colline, elle voyait, par la foi, le jour où
la région tout entière aurait
accepté Jésus pour son Roi ; -
le jour où le peuple, comme le
démoniaque d'autrefois, viendrait à
la maison de Dieu « vêtu et dans
son bon sens ».
« O Dieu ! dit-elle, bien
que je sois vieille, faible et indigne de te
servir, aide-moi à gagner ces
chefs. »
Puis, se tournant vers Janie :
« Nous resterons ici
jusqu'à ce que nous ayons obtenu la
victoire », dit-elle.
Janie regarda autour d'elle et fit
entendre une sorte de grognement ; le
prétendu sanatorium n'avait que des trous en
guise de fenêtres ; pas de porte, pas de
chaise, pas de table, un sol en boue durcie, et le
reste - mais que restait-il ! - à
l'avenant. Ma, qui se contentait à bon
marché, aurait volontiers couché
à la belle étoile. Et de fait, c'est
ce qu'elle fit ; elle s'étendit le soir
sur la véranda, car l'air de la petite
maison n'était rien moins que
pur !
Ma eut de nombreux palabres avec les
chefs. Ceux-ci finirent par dire :
« Nous voulons bien des écoles
où nos enfants apprendront à lire et
à écrire ; mais nous ne voulons
pas qu'on se mêle de nos coutumes. Si nous
bâtissions des maisons de Dieu nous serions
bientôt morts, et nous mourrons
déjà bien assez
vite. »
- Jamais je ne vous donnerai des
instituteurs sans vous donner aussi
l'Évangile, répondit Ma avec
énergie. Il faut accepter l'un et l'autre.
Je vais bâtir un hangar sur le bord de la
route et j'y tiendrai des services toutes les fois
que je le pourrai.
- Très bien, Ma, dirent les
chefs. Alors viens toi-même ; mais ne
nous envoie pas des garçons pour faire
l'école.
Un grand pas était fait.
Puis recommença pour Ma une lutte
sans trêve ni repos au sujet des jumeaux.
À maintes reprises, elle dut envoyer ses
filles chercher des bébés et les
ramener à la maison de repos. Que de nuits
sans sommeil elle passa, tenant un
bébé dans ses bras,
tandis qu'autour de la maison
rôdaient des hommes qui guettaient un moment
propice pour se saisir du petit être et le
mettre à mort !
Un jour, elle crut avoir persuadé
les parents d'un bébé jumeau (l'autre
était mort) de reprendre leur enfant et de
s'occuper de lui. Mais quatre jours plus tard les
parents envoyèrent chercher Janie et
celle-ci revint en portant dans ses bras un petit
mourant qui ne tarda pas à rendre le dernier
soupir. Ses parents n'avaient pas osé
prendre soin de lui ! Là, comme dans
l'Okoyong, la terrible coutume ne fut
abandonnée que peu à peu.
D'autre part, la question des provisions
de ménage se faisait là plus
compliquée encore que partout ailleurs.
Souvent on se trouvait à court de
thé, ce qui était pour Ma une
très grande privation ! Une fois, elle
dut même se contenter, plusieurs jours
durant, d'une infusion de feuilles ayant
déjà servi... Elle se demandait
combien de temps il allait falloir user de ce
système, lorsque tout à coup, un
dimanche soir, des cris retentirent : une
pirogue arrivait d'Use chargée d'une caisse.
Janie devina d'emblée de quoi il
s'agissait ; se saisissant d'un marteau et
d'un ciseau, elle eut bientôt fait d'ouvrir
la caisse. C'était une provision de
thé qui avait été
adressée à Use. Ma réunit
autour d'elle sa bande de jeunesse et remercia
Dieu, le Maître du Sabbat, de s'être
ainsi souvenu de ses enfants. Jamais tasse de
thé ne lui parut plus exquise que celle
qu'elle but ce dimanche soir !
Les prosélytes d'Ikpé
avaient surveillé ce qui se passait à
Odoro Ikpé avec plus ou moins de
satisfaction. Ils se décidèrent enfin
à venir en personne en discuter avec Ma.
« Nous sommes heureux, lui dirent-ils,
que les chefs d'Odoro Ikpé vous aient permis
de vous établir dans le pays ; mais
allez-vous pour cela nous
abandonner ? »
Émue jusqu'au fond du coeur, Ma
décida qu'elle n'avait qu'une chose à
faire : s'occuper à la fois des trois
stations : Use, lkpé, Odoro
lkpé, et y séjourner à tour de
rôle. Mais quel ne fut pas son
étonnement, un dimanche qu'elle
prêchait à lkpé, de voir entrer
dans l'église trente jeunes gens d'Odoro
Ikpé ! Ils avaient fait huit
kilomètres pour venir l'écouter.
Aussitôt les gens d'Ikpé offrirent
leurs sièges aux nouveaux venus et
s'assirent eux-mêmes par terre.
Une autre surprise attendait Ma.
Lorsqu'elle retourna à Odoro lkpé,
les chefs vinrent lui rendre visite et la
prièrent de vouloir bien parcourir la
contrée afin d'y choisir un emplacement pour
une station missionnaire.
Oh ! comme alors son coeur battit
de joie ! « Je ne comprends pas
pourquoi Dieu m'honore ainsi, dit-elle à ses
amis. Quelle oeuvre Il me confie ! »
Or, à ce moment-là, elle
n'était guère qu'une épave
humaine ; elle souffrait de partout, elle
devenait sourde et aveugle... Voici quelques
extraits du journal qu'elle tenait à cette
époque, - journal qu'elle écrivait
chaque soir, parfois même au milieu de la
nuit :
« Partis le soir pour
lkpé. Navigué au clair de lune ;
arrivés à Ikpé le jour
suivant, à 4 heures de
l'après-midi ;
jetés contre un arbre ; rameurs
à l'eau. « Les gens de l'Egbo,
toute la nuit, criant, tambourinant comme des fous
jusqu'au matin. Tous ivres.
« Première nuit dans la
nouvelle maison. Triste de quitter la petite hutte
où j'avais joui de tant de confort et
reçu tant de
bénédictions.
« Reçu des malades
depuis l'aurore ; un homme mordu par un
rat ; un autre par un serpent. - École
commencée ; près de cent
élèves.
« Premier enterrement
chrétien à lkpé.
« Chefs venus dès
l'aurore pour des palabres.
« Magnifique auditoire. Le
peuple fait des progrès.
« Terrible orage.
Garçons de l'école trempés.
Allumé un grand feu autour duquel tous se
sont assis, et je leur ai donné une
leçon de lecture.
« Joyeuse réception
à Use ; Dieu soit béni pour mes
filles et pour la maison ! Dieu soit
béni de me donner du sommeil !
« Toute la journée sur
le toit ; tête et cou font mal, mains
saignent.
« Porté du sable ;
déblayé champ de blé ;
frotté les murs de terre glaise.
« Cueilli mes deux
premières roses au fameux rosier, -
exquises, vrai don de Dieu.
« Après nuit sans
sommeil, trouvé dans les tiroirs des
millions de fourmis blanches.
« Fait une grande
lessive.
« Terrible
tempête ; pas d'école.
« Très faible ;
à peine pu me tenir debout à
l'église.
« Affreuse nuit à cause
d'un enfant grognon.
« Délicieuses lettres
de ceux que j'aime. Dieu est très bon pour
moi.
« Tous les garçons de
l'école vêtus aujourd'hui pour la
première fois.
« Tas de bébés
malades.
« Travaillé jusque
très tard le soir.
Éreintée.
« Deux femmes assommées
en allant au marché ; leurs têtes
emportées par les meurtriers.
« Fièvre ;
essayé de fabriquer un garde-manger.
« Nuit blanche ;
bébé a jeté les hauts cris
à tout instant.
« Splendide sommeil
enfiévré et plein de rêves.
Dieu soit béni de m'aider dans ma
tâche quotidienne, quelque faible que je
sois. Dieu soit béni pour mes filles, qui se
sont levées et m'ont préparé
du thé sans faire d'embarras.
« Atteint le sanatorium
à la tombée de la nuit. Nuit de
misère en raison de la saleté et des
moustiques. Levée aux premiers rayons de
l'aurore et jamais plus heureuse de quitter un
endroit. Bébé a hurlé toute la
nuit.
« Rien fait ;
fièvre lente, mais très heureuse
journée.
« Fièvre ; sommeil
stupéfiant. Perdu la notion des
jours.
« Bonne à rien,
après nuit absolument sans sommeil. Fait de
si beaux sermons et les ai récités
toute la nuit ».
L'année 1914 avait
commencé. Les amis de Ma en Écosse se
rendaient compte, par ses lettres, à quel
point elle était fatiguée et malade.
Ils essayèrent de la
décider à venir se reposer en Europe,
en emmenant Alice avec elle.
Ma répondit à une amie qui
l'invitait à descendre chez elle :
« Si je venais, ce ne serait certainement
pas pour une courte visite, mais pour un long
séjour. N'empêche que ce beau projet
est trop tentant ; ce qui y fait obstacle
c'est un devoir que mon Roi m'a donné
à remplir ». Et elle raconte qu'il
lui est impossible de s'absenter avant d'avoir vu
achevée la construction de la maison
missionnaire qui s'élevait à Odoro
Ikpé. Quand la maison serait finie, alors on
verrait s'il y avait moyen de s'absenter, etc.,
etc...
Sur quoi Ma consacra le meilleur de son
temps à donner des ordres aux ouvriers et
à s'assurer que ces ordres étaient
exécutés. La construction de cette
maison - la dernière élevée
sous sa direction fut de beaucoup la tâche la
plus ardue qu'elle eût jamais entreprise. Les
cinquante hommes qui y travaillaient étaient
une bande de fainéants qu'il lui fallait
surveiller des heures durant.
« L'Africain travaille bien,
disait-elle, si vous êtes toujours à
côté de lui pour le stimuler et
l'encourager ; mais, éloignez-vous, et
il s'installera par terre à causer et
à dormir jusqu'à votre
retour. »
Souvent ces ouvriers lambinaient
tellement sur une besogne insignifiante qu'elle
perdait patience et leur tirait les oreilles ;
mais cela ne les troublait guère : ils
en riaient comme d'une bonne
plaisanterie !
À ce sujet Ma écrivait
à l'un de ses jeunes correspondants :
« Vous auriez pu croire que votre
amie missionnaire avait le coeur
bien dur ; mais ici on est obligé de
dire des choses dures et de se conduire durement en
apparence, quand bien même, au fond de son
coeur, on désire faire et dire des choses
aimables. » Et à quelqu'un d'autre
elle faisait cette remarque : « Tout
cela fait partie du caractère païen.
Comme le disait ma vieille amie, maman Anderson,
à son mari : Mais, papa, s'ils
étaient tous des chrétiens
qu'aurais-tu. à faire
ici ? ». Janie ne prenait pas les
choses si philosophiquement ; elle disait aux
gens : « Ne laisserez-vous pas
à Ma le temps de manger ? Voulez-vous
la tuer ? »
LA
DERNIÈRE MAISON BÂTIE PAR MA
Vers la fin de juillet (1914) la maison
missionnaire était presque
terminée ; à l'aide d'une
échelle du genre de celles dont se servent
les poules, Ma put grimper au premier étage,
Elle y passa la nuit à soigner un
bébé qu'on venait de lui
confier.
Car elle les aimait de plus en plus, ces
enfants noirs, petits et
grands ! Écrivant à un petit
garçon écossais, elle disait à
leur sujet : « Ils sont aussi
gentils et gais que s'ils étaient blancs. La
couleur de la peau ne signifie rien du tout ;
nous sommes tous pareils à
l'intérieur de nos têtes et de nos
coeurs. Les petits nègres qui connaissent le
Seigneur Jésus essayent de toutes leurs
forces de le servir, tout comme vous le faites,
vous petits blancs. »
Et c'était des garçons
qu'elle attendait le plus. Dès que ceux-ci
se trouvaient dans une difficulté
quelconque, vite ils se rendaient auprès
d'elle, lui racontaient tout en détail, et
écoutaient les conseils qu'elle leur donnait
avec tant d'affection et de sagesse : une
tendre mère n'aurait pas autrement
traité ses fils. À ceux que leur
instruction ou leur apprentissage appelait à
quitter le pays elle disait :
« Rappelez-vous bien que vous serez les
guides de votre génération ; et
que c'est vers le progrès que vous devez la
conduire. Mais vous ne pouvez amener les autres
à Jésus que si vous êtes
près de lui
vous-mêmes. »
C'est aussi ce qu'elle
répétait sans cesse à ses
enfants : « Restez près de
Jésus ».
Un soir, au culte de famille,
après avoir lu l'histoire du bon Berger,
elle rappela à son petit auditoire que
l'apôtre Pierre avait renié son
Maître parce qu'il ne l'avait suivi que
« de loin ». Et elle
ajouta : « L'enfant qui s'assied
tout près de sa maman a sa part des bonnes
choses ; mais celui qui boude et se tient
à distance ne sait pas de quoi il se
prive ! Restez près de Jésus le
bon Berger, tout le temps ».
Le Gouvernement désigna
quelques-uns des jeunes gens d'lkpé pour
aller travailler à la construction du chemin
de fer; mais ceux qui furent choisis vinrent en
grande hâte trouver Ma et lui dirent qu'ils
redoutaient d'aller si loin. « Dieu ira
avec vous et il vous protégera, dit-elle.
Tâchez de vous mettre en rapport avec
quelqu'un qui prêche l'Évangile et
restez près de lui. » Sur la
première page d'une Bible qu'elle remit
à l'un de ces jeunes gens elle
écrivit :
À Udö Ekpenyon
Edikpo.
Dans la confiance que, lorsqu'il sera au
milieu d'étrangers, exposé à
la tentation, il gardera précieusement les
vérités de ce saint Livre. En le
lisant n'oublie jamais de prier.
Ton amie, MARY SLESSOR.
« Ce Livre, dit-elle à
Udö, sera pour toi une lampe. Il
t'éclairera. »
Lorsque ces jeunes gens revinrent au
pays, Ma vit avec joie que leur vie spirituelle
n'avait pas souffert de leur exil.
À Ikpé, les jeunes gens
qui voulaient se bien conduire avaient pour cela
autrement à lutter que ceux d'Europe. En
voici un exemple : ils étaient tenus
d'assister à un Mbre, sorte de pièce
théâtrale, appelée ekang, et de
payer une somme de 250 francs ; ceux qui
refusaient de se soumettre à ces exigences
étaient punis d'une amende qui consistait en
dix barres de cuivre, du poisson, certaines
feuilles nommées akan et deux jarres de vin
de palme ; de plus ils devaient parader dans
la rue, danser à reculons
au son du tambour ; après quoi ils
étaient flagellés et renvoyés
chez eux, accompagnés des quolibets de la
foule.
Ma réussit à faire abolir
cette coutume.
Les chefs d'Ikpé donnèrent
un jour à tous les hommes l'ordre d'aller
chasser dans la brousse, puis de sacrifier et de
manger les animaux qu'on aurait pris, en l'honneur
des Ndems de la ville. Les jeunes gens de l'Eglise
refusèrent d'obéir à cet
ordre. « Alors vous serez
exilés, » leur dit-on. Ma
était alors à Use ; on lui fit
savoir ce qui se passait et elle se rendit
promptement à Ikpé. Sans y aller par
quatre chemins, elle déclara aux chefs que
personne ne devait être contraint d'agir
contre sa conscience. Et, à partir de ce
jour jusqu'à aujourd'hui, il n'y eut plus
jamais ni chasse ni sacrifice !
Ces Ndems, hautes pierres
plantées en terre et sculptées
grossièrement, jouaient un grand rôle
dans le pays : les gens se figuraient que
leurs ignames croîtraient mieux si on les
honorait. Ma expliqua que cette
bénédiction venait de Dieu et que les
membres de l'Eglise ne pouvaient rien avoir
à faire avec les Ndems. Ce fut la
conséquence de son intervention.
Depuis longtemps Ma n'avait pas
reçu de visites, lorsqu'à sa grande
joie arriva inopinément M. Bowes,
l'imprimeur de Duke Town. Elle fit avec lui,
à pied, le trajet d'Ikpé à
Odoro Ikpé. Chemin faisant, elle aida une
femme à poser sur sa tête une lourde
charge de noix de coco, puis elle alla voir un
vieux chef malade. À l'entrée de
l'enclos du chef il y avait
trois poulets sans tête. « C'est un
sacrifice, dit Ma à M. Bowes. Quelle
pitié ! » À la
montée d'une colline, M. Bowes voulut se
charger du sac qu'elle portait en
bandoulière - « Non, non, mon
garçon ! dit-elle ; c'est mon chat
qui est là-dedans ; le sac m'aide
à garder mon équilibre. »
UN
NDEM
Vers cette même époque Ma
écrivit à Radcliffe :
« Je viens d'être sans argent
pendant presque tout un mois ! Que dis-tu de
cela ? Nous avons même eu faim
quelquefois, mais pas très souvent, parce
que je n'avais pas de quoi envoyer au marché
faire les provisions. Ce sont les ouvriers qui font
un tel trou à ma bourse. Il est très
difficile de faire venir de l'argent du
Calabar ; et d'ailleurs les
gens d'ici n'acceptent pas
l'argent anglais. Leur monnaie, c'est du fil de
cuivre que nous nous procurons à la station
voisine. Nous menons une drôle de vie,
dis ! C'est une vraie vie de
bohémiens ; seulement nous ne sommes
pas des voleurs. »
Elle écrivit aussi à la
nièce de ses vieux amis missionnaires, M. et
Mme Goldie, qui allaient s'embarquer pour
l'Amérique :
« Ma chère fille, vous
ne me connaissez pas, mais tous ceux qui vous
appartiennent me sont très chers ; je
vous ai aimée dès votre naissance et
ma pensée vous a souvent suivie dans la vie.
Et maintenant donc, Dieu vous appelle à
voler de vos propres ailes et à Lui rendre
témoignage dans un pays
étranger ? Vous aurez certainement
quelquefois de petits accès de mal du
pays ; vous voudrez avoir à vos
côtés ceux qui jusqu'à
présent ont été tout pour
vous... Et pour votre mari, il en sera absolument
de même ; car, lorsque le mariage est ce
qu'il doit être, il ne détruit pas les
vieilles affections. Je sais par expérience
ce qu'il en coûte de quitter la maison, et je
puis vous assurer que, lorsque le moment de le
faire sonnera pour vous, votre Sauveur sera
là, tout près de Nous. En toutes
choses, en tout temps, il sera pour vous tout ce
dont vous aurez besoin.
« Savez-vous une chose ?
Nous nous trouvons très bien ici, en pays
étranger, d'avoir pris l'habitude de chanter
le Psaume Il tous les samedis soirs. Dites à
votre mari d'en essayer. Chantez ce psaume à
votre culte du samedi soir, même si votre
gorge se serre : il vous fera l'effet d'un
tonique.
« Vous en avez fini avec les
emballages et vos achats sont
terminés ; mais au dernier moment, on
s'aperçoit toujours qu'on a oublié
quelque chose. C'est pour ce quelque chose que je
vous envoie les quelques shillings
ci-inclus.
« Je me rappelle qu'une fois
votre tante avait oublié ses gants et ses
épingles de sûreté, et que nous
avons dû vite revenir les chercher, alors que
nous étions déjà en route pour
le paquebot.
« Que toute
bénédiction vous accompagne, et
puisse votre vie à deux être longue,
utile et heureuse. Celui qui vous a conduit
jusqu'ici vous environnera encore de toute
part.
« Votre affectionnée,
MARY SLESSOR. »
Ma aimait à être tenue au
courant de ce que les jeunes filles
écossaises faisaient pour le Seigneur. Elle
s'intéressait à toutes les
innovations : associations, cercles
d'études, sociétés diverses.
« L'Eglise a raison d'attirer à
elle les jeunes filles, disait-elle ; ces
mères de l'avenir sont destinées
à former les nations de demain ; ce
qu'elles font aujourd'hui les aidera à
être des mères capables et des membres
de l'Eglise entendues. »
Toutes les lettres qu'elle recevait Ma
les gardait, avec ses autres trésors, dans
le tiroir d'une vieille commode qui avait appartenu
à sa mère. Lorsque sa bande d'enfants
avait été spécialement sage,
elle la réunissait autour d'elle, une fois
la lampe allumée, et exhibait un à un
ses trésors. Puis elle lisait et relisait
les lettres à haute voix. Les enfants
savaient donc que Dorothée avait reçu
une poupée qui parlait et
fermait les yeux, que Jacquot possédait
enfin son cheval à bascule, qu'un nouveau
petit frère avait fait son apparition dans
la famille de Mary, etc. Ma montrait aussi des
photographies ; toutes étaient
longuement admirées. Venaient ensuite les
petits cadeaux envoyés à Ma ;
choses de peu de valeur, mais
appréciées parce que les donateurs
les avaient faites eux-mêmes.
« Quelle peine ils se sont
donnée ! »
disait-elle.
Et la bruyère, donc ! Ma
l'aimait tant ! La vue de ces rameaux
desséchés lui faisait toujours monter
les larmes aux yeux, et reportait ses
pensées « tout
là-bas », en Écosse. Il lui
semblait contempler la lande fleurie inondée
de soleil et y observer l'ombre d'un nuage... Elle
respirait l'odeur de la bruyère, celle de la
brise salée venant du large...
« Ceci c'est de la
bruyère de Bonkle, disait-elle ;
celle-ci vient de Blairgowrie. Tous les ans on m'en
envoie quelques brins ; c'est comme si je
recevais une visite de
là-bas. »
Il y avait enfin un certain paquet que
Ma ouvrit avec émotion : il contenait
les jouets et les livres qui avaient appartenu
à un petit garçon parti pour le
ciel ; ils lui étaient envoyés
par la pauvre maman.
Dans un coin de la chambre, une armoire
contenait une foule d'objets en faïence et en
verre, fort communs en eux-mêmes mais d'une
grande valeur aux yeux de Ma :
c'étaient des cadeaux que des enfants
avaient achetés pour elle soit au
marché, soit dans une fabrique, et qu'ils
lui avaient offerts bien
timidement ! Souvent Ma les grondait, ces
enfants, d'avoir « gaspillé leurs
sous » ; mais au fond elle
était fière de ces preuves de leur
affection.
La famille faisait ensuite le culte du
soir, sous l'impression de tous ces souvenirs.
Accroupis par terre, les enfants lisaient à
tour de rôle les versets, Ma leur parlait des
choses saintes, tantôt en anglais,
tantôt en efik ; on chantait un psaume
ou un cantique. Personne n'avait de livre pour
suivre et malheur à celui - même si
c'était un visiteur - qui ne savait pas par
coeur « ce qui venait
après » ! Mais Ma aimait
aussi qu'on apprît de nouveaux cantiques,
qu'on fredonnait ensuite en travaillant ou en
marchant.
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