Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
Cela me suffit...



REINE BLANCHE EN PAYS NOIR
Vie de Mary Slessor, missionnaire au Calabar



 CINQUIÈME PARTIE

En Avant - Toujours

1910 - Janvier 1915.

CHAPITRE III

 

À quelque distance d'Ikpé se trouve une haute colline, appelée Odoro lkpé, sur laquelle le Gouvernement britannique avait fait construire un sanatorium. Un certain samedi soir Ma grimpa sur cette colline.
« Quelle vue ! s'écria-t-elle. Jamais je n'ai été si haut ! » La plaine se déroulait à ses pieds ; elle respirait avec délices le vent frais qui lui arrivait de si loin.

Pourtant, ses yeux se remplirent bientôt de tristesse : cette verte contrée était encore en plein paganisme ; ses chefs ne voulaient rien avoir à faire avec Jésus et refusaient l'entrée du pays aux instituteurs et aux missionnaires. Elle-même s'était adressée à eux bien des fois, mais sans réussir à les fléchir. Si Ma venait chez eux, pensaient-ils avec raison, c'en était fait de leurs vieilles coutumes païennes !

Mais Ma n'était pas femme à perdre courage et à lâcher pied. assise maintenant sur le sommet de la colline, elle voyait, par la foi, le jour où la région tout entière aurait accepté Jésus pour son Roi ; - le jour où le peuple, comme le démoniaque d'autrefois, viendrait à la maison de Dieu « vêtu et dans son bon sens ».
« O Dieu ! dit-elle, bien que je sois vieille, faible et indigne de te servir, aide-moi à gagner ces chefs. »

Puis, se tournant vers Janie : « Nous resterons ici jusqu'à ce que nous ayons obtenu la victoire », dit-elle.

Janie regarda autour d'elle et fit entendre une sorte de grognement ; le prétendu sanatorium n'avait que des trous en guise de fenêtres ; pas de porte, pas de chaise, pas de table, un sol en boue durcie, et le reste - mais que restait-il ! - à l'avenant. Ma, qui se contentait à bon marché, aurait volontiers couché à la belle étoile. Et de fait, c'est ce qu'elle fit ; elle s'étendit le soir sur la véranda, car l'air de la petite maison n'était rien moins que pur !

Ma eut de nombreux palabres avec les chefs. Ceux-ci finirent par dire : « Nous voulons bien des écoles où nos enfants apprendront à lire et à écrire ; mais nous ne voulons pas qu'on se mêle de nos coutumes. Si nous bâtissions des maisons de Dieu nous serions bientôt morts, et nous mourrons déjà bien assez vite. »
- Jamais je ne vous donnerai des instituteurs sans vous donner aussi l'Évangile, répondit Ma avec énergie. Il faut accepter l'un et l'autre. Je vais bâtir un hangar sur le bord de la route et j'y tiendrai des services toutes les fois que je le pourrai.
- Très bien, Ma, dirent les chefs. Alors viens toi-même ; mais ne nous envoie pas des garçons pour faire l'école.
Un grand pas était fait.

Puis recommença pour Ma une lutte sans trêve ni repos au sujet des jumeaux. À maintes reprises, elle dut envoyer ses filles chercher des bébés et les ramener à la maison de repos. Que de nuits sans sommeil elle passa, tenant un bébé dans ses bras, tandis qu'autour de la maison rôdaient des hommes qui guettaient un moment propice pour se saisir du petit être et le mettre à mort !

Un jour, elle crut avoir persuadé les parents d'un bébé jumeau (l'autre était mort) de reprendre leur enfant et de s'occuper de lui. Mais quatre jours plus tard les parents envoyèrent chercher Janie et celle-ci revint en portant dans ses bras un petit mourant qui ne tarda pas à rendre le dernier soupir. Ses parents n'avaient pas osé prendre soin de lui ! Là, comme dans l'Okoyong, la terrible coutume ne fut abandonnée que peu à peu.

D'autre part, la question des provisions de ménage se faisait là plus compliquée encore que partout ailleurs. Souvent on se trouvait à court de thé, ce qui était pour Ma une très grande privation ! Une fois, elle dut même se contenter, plusieurs jours durant, d'une infusion de feuilles ayant déjà servi... Elle se demandait combien de temps il allait falloir user de ce système, lorsque tout à coup, un dimanche soir, des cris retentirent : une pirogue arrivait d'Use chargée d'une caisse. Janie devina d'emblée de quoi il s'agissait ; se saisissant d'un marteau et d'un ciseau, elle eut bientôt fait d'ouvrir la caisse. C'était une provision de thé qui avait été adressée à Use. Ma réunit autour d'elle sa bande de jeunesse et remercia Dieu, le Maître du Sabbat, de s'être ainsi souvenu de ses enfants. Jamais tasse de thé ne lui parut plus exquise que celle qu'elle but ce dimanche soir !

Les prosélytes d'Ikpé avaient surveillé ce qui se passait à Odoro Ikpé avec plus ou moins de satisfaction. Ils se décidèrent enfin à venir en personne en discuter avec Ma. « Nous sommes heureux, lui dirent-ils, que les chefs d'Odoro Ikpé vous aient permis de vous établir dans le pays ; mais allez-vous pour cela nous abandonner ? »

Émue jusqu'au fond du coeur, Ma décida qu'elle n'avait qu'une chose à faire : s'occuper à la fois des trois stations : Use, lkpé, Odoro lkpé, et y séjourner à tour de rôle. Mais quel ne fut pas son étonnement, un dimanche qu'elle prêchait à lkpé, de voir entrer dans l'église trente jeunes gens d'Odoro Ikpé ! Ils avaient fait huit kilomètres pour venir l'écouter. Aussitôt les gens d'Ikpé offrirent leurs sièges aux nouveaux venus et s'assirent eux-mêmes par terre.

Une autre surprise attendait Ma. Lorsqu'elle retourna à Odoro lkpé, les chefs vinrent lui rendre visite et la prièrent de vouloir bien parcourir la contrée afin d'y choisir un emplacement pour une station missionnaire.

Oh ! comme alors son coeur battit de joie ! « Je ne comprends pas pourquoi Dieu m'honore ainsi, dit-elle à ses amis. Quelle oeuvre Il me confie ! » Or, à ce moment-là, elle n'était guère qu'une épave humaine ; elle souffrait de partout, elle devenait sourde et aveugle... Voici quelques extraits du journal qu'elle tenait à cette époque, - journal qu'elle écrivait chaque soir, parfois même au milieu de la nuit :
« Partis le soir pour lkpé. Navigué au clair de lune ; arrivés à Ikpé le jour suivant, à 4 heures de l'après-midi ; jetés contre un arbre ; rameurs à l'eau. « Les gens de l'Egbo, toute la nuit, criant, tambourinant comme des fous jusqu'au matin. Tous ivres.
« Première nuit dans la nouvelle maison. Triste de quitter la petite hutte où j'avais joui de tant de confort et reçu tant de bénédictions.
« Reçu des malades depuis l'aurore ; un homme mordu par un rat ; un autre par un serpent. - École commencée ; près de cent élèves.
« Premier enterrement chrétien à lkpé.
« Chefs venus dès l'aurore pour des palabres.
« Magnifique auditoire. Le peuple fait des progrès.
« Terrible orage. Garçons de l'école trempés. Allumé un grand feu autour duquel tous se sont assis, et je leur ai donné une leçon de lecture.
« Joyeuse réception à Use ; Dieu soit béni pour mes filles et pour la maison ! Dieu soit béni de me donner du sommeil !
« Toute la journée sur le toit ; tête et cou font mal, mains saignent.
« Porté du sable ; déblayé champ de blé ; frotté les murs de terre glaise.
« Cueilli mes deux premières roses au fameux rosier, - exquises, vrai don de Dieu.
« Après nuit sans sommeil, trouvé dans les tiroirs des millions de fourmis blanches.
« Fait une grande lessive.
« Terrible tempête ; pas d'école.
« Très faible ; à peine pu me tenir debout à l'église.
« Affreuse nuit à cause d'un enfant grognon.
« Délicieuses lettres de ceux que j'aime. Dieu est très bon pour moi.
« Tous les garçons de l'école vêtus aujourd'hui pour la première fois.
« Tas de bébés malades.
« Travaillé jusque très tard le soir. Éreintée.
« Deux femmes assommées en allant au marché ; leurs têtes emportées par les meurtriers.
« Fièvre ; essayé de fabriquer un garde-manger.
« Nuit blanche ; bébé a jeté les hauts cris à tout instant.
« Splendide sommeil enfiévré et plein de rêves. Dieu soit béni de m'aider dans ma tâche quotidienne, quelque faible que je sois. Dieu soit béni pour mes filles, qui se sont levées et m'ont préparé du thé sans faire d'embarras.
« Atteint le sanatorium à la tombée de la nuit. Nuit de misère en raison de la saleté et des moustiques. Levée aux premiers rayons de l'aurore et jamais plus heureuse de quitter un endroit. Bébé a hurlé toute la nuit.
« Rien fait ; fièvre lente, mais très heureuse journée.
« Fièvre ; sommeil stupéfiant. Perdu la notion des jours.
« Bonne à rien, après nuit absolument sans sommeil. Fait de si beaux sermons et les ai récités toute la nuit ».

L'année 1914 avait commencé. Les amis de Ma en Écosse se rendaient compte, par ses lettres, à quel point elle était fatiguée et malade. Ils essayèrent de la décider à venir se reposer en Europe, en emmenant Alice avec elle.

Ma répondit à une amie qui l'invitait à descendre chez elle : « Si je venais, ce ne serait certainement pas pour une courte visite, mais pour un long séjour. N'empêche que ce beau projet est trop tentant ; ce qui y fait obstacle c'est un devoir que mon Roi m'a donné à remplir ». Et elle raconte qu'il lui est impossible de s'absenter avant d'avoir vu achevée la construction de la maison missionnaire qui s'élevait à Odoro Ikpé. Quand la maison serait finie, alors on verrait s'il y avait moyen de s'absenter, etc., etc...

Sur quoi Ma consacra le meilleur de son temps à donner des ordres aux ouvriers et à s'assurer que ces ordres étaient exécutés. La construction de cette maison - la dernière élevée sous sa direction fut de beaucoup la tâche la plus ardue qu'elle eût jamais entreprise. Les cinquante hommes qui y travaillaient étaient une bande de fainéants qu'il lui fallait surveiller des heures durant.
« L'Africain travaille bien, disait-elle, si vous êtes toujours à côté de lui pour le stimuler et l'encourager ; mais, éloignez-vous, et il s'installera par terre à causer et à dormir jusqu'à votre retour. »

Souvent ces ouvriers lambinaient tellement sur une besogne insignifiante qu'elle perdait patience et leur tirait les oreilles ; mais cela ne les troublait guère : ils en riaient comme d'une bonne plaisanterie !
À ce sujet Ma écrivait à l'un de ses jeunes correspondants : « Vous auriez pu croire que votre amie missionnaire avait le coeur bien dur ; mais ici on est obligé de dire des choses dures et de se conduire durement en apparence, quand bien même, au fond de son coeur, on désire faire et dire des choses aimables. » Et à quelqu'un d'autre elle faisait cette remarque : « Tout cela fait partie du caractère païen. Comme le disait ma vieille amie, maman Anderson, à son mari : Mais, papa, s'ils étaient tous des chrétiens qu'aurais-tu. à faire ici ? ». Janie ne prenait pas les choses si philosophiquement ; elle disait aux gens : « Ne laisserez-vous pas à Ma le temps de manger ? Voulez-vous la tuer ? »

LA DERNIÈRE MAISON BÂTIE PAR MA

Vers la fin de juillet (1914) la maison missionnaire était presque terminée ; à l'aide d'une échelle du genre de celles dont se servent les poules, Ma put grimper au premier étage, Elle y passa la nuit à soigner un bébé qu'on venait de lui confier.
Car elle les aimait de plus en plus, ces enfants noirs, petits et grands ! Écrivant à un petit garçon écossais, elle disait à leur sujet : « Ils sont aussi gentils et gais que s'ils étaient blancs. La couleur de la peau ne signifie rien du tout ; nous sommes tous pareils à l'intérieur de nos têtes et de nos coeurs. Les petits nègres qui connaissent le Seigneur Jésus essayent de toutes leurs forces de le servir, tout comme vous le faites, vous petits blancs. »

Et c'était des garçons qu'elle attendait le plus. Dès que ceux-ci se trouvaient dans une difficulté quelconque, vite ils se rendaient auprès d'elle, lui racontaient tout en détail, et écoutaient les conseils qu'elle leur donnait avec tant d'affection et de sagesse : une tendre mère n'aurait pas autrement traité ses fils. À ceux que leur instruction ou leur apprentissage appelait à quitter le pays elle disait : « Rappelez-vous bien que vous serez les guides de votre génération ; et que c'est vers le progrès que vous devez la conduire. Mais vous ne pouvez amener les autres à Jésus que si vous êtes près de lui vous-mêmes. »
C'est aussi ce qu'elle répétait sans cesse à ses enfants : « Restez près de Jésus ».

Un soir, au culte de famille, après avoir lu l'histoire du bon Berger, elle rappela à son petit auditoire que l'apôtre Pierre avait renié son Maître parce qu'il ne l'avait suivi que « de loin ». Et elle ajouta : « L'enfant qui s'assied tout près de sa maman a sa part des bonnes choses ; mais celui qui boude et se tient à distance ne sait pas de quoi il se prive ! Restez près de Jésus le bon Berger, tout le temps ».

Le Gouvernement désigna quelques-uns des jeunes gens d'lkpé pour aller travailler à la construction du chemin de fer; mais ceux qui furent choisis vinrent en grande hâte trouver Ma et lui dirent qu'ils redoutaient d'aller si loin. « Dieu ira avec vous et il vous protégera, dit-elle. Tâchez de vous mettre en rapport avec quelqu'un qui prêche l'Évangile et restez près de lui. » Sur la première page d'une Bible qu'elle remit à l'un de ces jeunes gens elle écrivit :

À Udö Ekpenyon Edikpo.
Dans la confiance que, lorsqu'il sera au milieu d'étrangers, exposé à la tentation, il gardera précieusement les vérités de ce saint Livre. En le lisant n'oublie jamais de prier.

Ton amie, MARY SLESSOR.

« Ce Livre, dit-elle à Udö, sera pour toi une lampe. Il t'éclairera. »
Lorsque ces jeunes gens revinrent au pays, Ma vit avec joie que leur vie spirituelle n'avait pas souffert de leur exil.

À Ikpé, les jeunes gens qui voulaient se bien conduire avaient pour cela autrement à lutter que ceux d'Europe. En voici un exemple : ils étaient tenus d'assister à un Mbre, sorte de pièce théâtrale, appelée ekang, et de payer une somme de 250 francs ; ceux qui refusaient de se soumettre à ces exigences étaient punis d'une amende qui consistait en dix barres de cuivre, du poisson, certaines feuilles nommées akan et deux jarres de vin de palme ; de plus ils devaient parader dans la rue, danser à reculons au son du tambour ; après quoi ils étaient flagellés et renvoyés chez eux, accompagnés des quolibets de la foule.
Ma réussit à faire abolir cette coutume.

Les chefs d'Ikpé donnèrent un jour à tous les hommes l'ordre d'aller chasser dans la brousse, puis de sacrifier et de manger les animaux qu'on aurait pris, en l'honneur des Ndems de la ville. Les jeunes gens de l'Eglise refusèrent d'obéir à cet ordre. « Alors vous serez exilés, » leur dit-on. Ma était alors à Use ; on lui fit savoir ce qui se passait et elle se rendit promptement à Ikpé. Sans y aller par quatre chemins, elle déclara aux chefs que personne ne devait être contraint d'agir contre sa conscience. Et, à partir de ce jour jusqu'à aujourd'hui, il n'y eut plus jamais ni chasse ni sacrifice !

Ces Ndems, hautes pierres plantées en terre et sculptées grossièrement, jouaient un grand rôle dans le pays : les gens se figuraient que leurs ignames croîtraient mieux si on les honorait. Ma expliqua que cette bénédiction venait de Dieu et que les membres de l'Eglise ne pouvaient rien avoir à faire avec les Ndems. Ce fut la conséquence de son intervention.

Depuis longtemps Ma n'avait pas reçu de visites, lorsqu'à sa grande joie arriva inopinément M. Bowes, l'imprimeur de Duke Town. Elle fit avec lui, à pied, le trajet d'Ikpé à Odoro Ikpé. Chemin faisant, elle aida une femme à poser sur sa tête une lourde charge de noix de coco, puis elle alla voir un vieux chef malade. À l'entrée de l'enclos du chef il y avait trois poulets sans tête. « C'est un sacrifice, dit Ma à M. Bowes. Quelle pitié ! » À la montée d'une colline, M. Bowes voulut se charger du sac qu'elle portait en bandoulière - « Non, non, mon garçon ! dit-elle ; c'est mon chat qui est là-dedans ; le sac m'aide à garder mon équilibre. »

UN NDEM

Vers cette même époque Ma écrivit à Radcliffe : « Je viens d'être sans argent pendant presque tout un mois ! Que dis-tu de cela ? Nous avons même eu faim quelquefois, mais pas très souvent, parce que je n'avais pas de quoi envoyer au marché faire les provisions. Ce sont les ouvriers qui font un tel trou à ma bourse. Il est très difficile de faire venir de l'argent du Calabar ; et d'ailleurs les gens d'ici n'acceptent pas l'argent anglais. Leur monnaie, c'est du fil de cuivre que nous nous procurons à la station voisine. Nous menons une drôle de vie, dis ! C'est une vraie vie de bohémiens ; seulement nous ne sommes pas des voleurs. »

Elle écrivit aussi à la nièce de ses vieux amis missionnaires, M. et Mme Goldie, qui allaient s'embarquer pour l'Amérique :
« Ma chère fille, vous ne me connaissez pas, mais tous ceux qui vous appartiennent me sont très chers ; je vous ai aimée dès votre naissance et ma pensée vous a souvent suivie dans la vie. Et maintenant donc, Dieu vous appelle à voler de vos propres ailes et à Lui rendre témoignage dans un pays étranger ? Vous aurez certainement quelquefois de petits accès de mal du pays ; vous voudrez avoir à vos côtés ceux qui jusqu'à présent ont été tout pour vous... Et pour votre mari, il en sera absolument de même ; car, lorsque le mariage est ce qu'il doit être, il ne détruit pas les vieilles affections. Je sais par expérience ce qu'il en coûte de quitter la maison, et je puis vous assurer que, lorsque le moment de le faire sonnera pour vous, votre Sauveur sera là, tout près de Nous. En toutes choses, en tout temps, il sera pour vous tout ce dont vous aurez besoin.

« Savez-vous une chose ? Nous nous trouvons très bien ici, en pays étranger, d'avoir pris l'habitude de chanter le Psaume Il tous les samedis soirs. Dites à votre mari d'en essayer. Chantez ce psaume à votre culte du samedi soir, même si votre gorge se serre : il vous fera l'effet d'un tonique.
« Vous en avez fini avec les emballages et vos achats sont terminés ; mais au dernier moment, on s'aperçoit toujours qu'on a oublié quelque chose. C'est pour ce quelque chose que je vous envoie les quelques shillings ci-inclus.
« Je me rappelle qu'une fois votre tante avait oublié ses gants et ses épingles de sûreté, et que nous avons dû vite revenir les chercher, alors que nous étions déjà en route pour le paquebot.

« Que toute bénédiction vous accompagne, et puisse votre vie à deux être longue, utile et heureuse. Celui qui vous a conduit jusqu'ici vous environnera encore de toute part.

« Votre affectionnée, MARY SLESSOR. »

Ma aimait à être tenue au courant de ce que les jeunes filles écossaises faisaient pour le Seigneur. Elle s'intéressait à toutes les innovations : associations, cercles d'études, sociétés diverses. « L'Eglise a raison d'attirer à elle les jeunes filles, disait-elle ; ces mères de l'avenir sont destinées à former les nations de demain ; ce qu'elles font aujourd'hui les aidera à être des mères capables et des membres de l'Eglise entendues. »

Toutes les lettres qu'elle recevait Ma les gardait, avec ses autres trésors, dans le tiroir d'une vieille commode qui avait appartenu à sa mère. Lorsque sa bande d'enfants avait été spécialement sage, elle la réunissait autour d'elle, une fois la lampe allumée, et exhibait un à un ses trésors. Puis elle lisait et relisait les lettres à haute voix. Les enfants savaient donc que Dorothée avait reçu une poupée qui parlait et fermait les yeux, que Jacquot possédait enfin son cheval à bascule, qu'un nouveau petit frère avait fait son apparition dans la famille de Mary, etc. Ma montrait aussi des photographies ; toutes étaient longuement admirées. Venaient ensuite les petits cadeaux envoyés à Ma ; choses de peu de valeur, mais appréciées parce que les donateurs les avaient faites eux-mêmes.
« Quelle peine ils se sont donnée ! » disait-elle.

Et la bruyère, donc ! Ma l'aimait tant ! La vue de ces rameaux desséchés lui faisait toujours monter les larmes aux yeux, et reportait ses pensées « tout là-bas », en Écosse. Il lui semblait contempler la lande fleurie inondée de soleil et y observer l'ombre d'un nuage... Elle respirait l'odeur de la bruyère, celle de la brise salée venant du large...
« Ceci c'est de la bruyère de Bonkle, disait-elle ; celle-ci vient de Blairgowrie. Tous les ans on m'en envoie quelques brins ; c'est comme si je recevais une visite de là-bas. »

Il y avait enfin un certain paquet que Ma ouvrit avec émotion : il contenait les jouets et les livres qui avaient appartenu à un petit garçon parti pour le ciel ; ils lui étaient envoyés par la pauvre maman.
Dans un coin de la chambre, une armoire contenait une foule d'objets en faïence et en verre, fort communs en eux-mêmes mais d'une grande valeur aux yeux de Ma : c'étaient des cadeaux que des enfants avaient achetés pour elle soit au marché, soit dans une fabrique, et qu'ils lui avaient offerts bien timidement ! Souvent Ma les grondait, ces enfants, d'avoir « gaspillé leurs sous » ; mais au fond elle était fière de ces preuves de leur affection.

La famille faisait ensuite le culte du soir, sous l'impression de tous ces souvenirs. Accroupis par terre, les enfants lisaient à tour de rôle les versets, Ma leur parlait des choses saintes, tantôt en anglais, tantôt en efik ; on chantait un psaume ou un cantique. Personne n'avait de livre pour suivre et malheur à celui - même si c'était un visiteur - qui ne savait pas par coeur « ce qui venait après » ! Mais Ma aimait aussi qu'on apprît de nouveaux cantiques, qu'on fredonnait ensuite en travaillant ou en marchant.


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