Du
Thabor à Golgotha
PRÉFACE
Ces pages, quand je les ai écrites,
n'étaient point destinées au public.
Mon but était de laisser en héritage
à mes jeunes enfants, si Dieu ne m'accordait
pas la grâce de les élever et de les
introduire dans l'Eglise chrétienne, la
profession de foi de leur père comme guide
dans la vie. C'est avec cette pensée que
j'ai médité la passion de notre
Seigneur Jésus-Christ, qui est à mes
yeux le lieu très saint du sanctuaire,
l'Évangile dans l'Évangile. Cette
étude, dont chaque ligne a été
écrite avec prière, a servi à
ma propre édification. Quoique j'aie
fréquemment prêché sur les
souffrances du Christ, j'éprouve toujours
plus le besoin de méditer et d'approfondir
les saintes douleurs et l'inexprimable angoisse que
le bon Berger a endurées par amour pour ses
brebis.
I
LE
THABOR
Le moment décisif de la vie du Sauveur
est à mes yeux la transfiguration. C'est sur
le Thabor que je place la ligne de
démarcation entre sa mission de
prophète et celle de sacrificateur. Si,
jusqu'alors, il a manifesté aux hommes sa
sainteté parfaite par une obéissante
activité, c'est maintenant par la souffrance
qu'il accomplira la volonté de son
Père. La même voix divine qui,
à son baptême, l'avait consacré
comme prophète, se fait de nouveau entendre
et vient l'oindre pour l'holocauste.
I. LA VIE DE
PRIÈRE DU SAUVEUR
La transfiguration a lieu pendant que
jésus prie. « Le Seigneur, durant
les jours de sa chair, avait offert, avec de grands
cris et avec larmes, des prières et des
supplications. »
(Hébr. V, 7.) Ce passage se
rapporte essentiellement à la
dernière prière de
Jésus à
Gethsémané ; il a cependant un
sens plus étendu.
Le Seigneur priait sans cesse. Son âme
sainte était en communion constante avec son
Père. Plus sa mission demeurait incomprise
de ses disciples, plus la différence
devenait incommensurable entre sa
personnalité exceptionnelle et celle des
autres hommes, et plus il devait éprouver le
besoin de s'isoler pour s'entretenir seul à
seul avec son Père céleste. Nul homme
n'a vécu ici-bas d'une vie tout à la
fois aussi humaine et aussi peu terrestre.
« Là où est votre
trésor, là sera aussi votre
coeur »
(Matth. VI, 21), disait-il à
ses disciples. Le coeur de son Père
était son trésor. Il vivait et se
mouvait dans la crainte de Dieu, dans la
prière incessante.
Outre cette communion intime et constante
avec son Père, le Sauveur recherchait
souvent la solitude afin de répandre
librement son coeur devant Dieu. Ce qui s'est
passé dans ces saintes retraites, dans ces
nuits de recueillement, entre le Père et son
Fils unique, entre l'Éternel et l'Agneau pur
et sans tache, nul ne peut se le
représenter. Ce sont des choses au-dessus de
la pensée humaine, des choses qui embrassent
le ciel et la terre, le temps et
l'éternité. Jamais prières
semblables à celles de Jésus ne sont
montées d'ici-bas au trône de
Dieu.
Christ nous a ouvert le chemin ; il
nous convie à de semblables heures de
consécration. Le voile qui
cachait le lieu très saint est
déchiré ; le Père est
prêt à accueillir ses pauvres enfants
fatigués.
Pour le chrétien, la prière
doit être un délassement ; la
communion avec Dieu, son bonheur. Où qu'il
se trouve, il doit consacrer sa demeure par la
prière. La chambre que tu habites, l'atelier
où tu travailles, n'ont peut-être
jamais entendu l'accent de la prière, mais
en revanche beaucoup de paroles coupables. Que ta
communion avec le Dieu saint vienne purifier ce
lieu souillé ! Le wagon du chemin de
fer dans lequel tu t'assieds, est peut-être
occupé par des personnes qui vivent loin de
Dieu et dont le coeur est léger ou
méchant. Poursuivras-tu ta route,
préoccupé de pensées
terrestres ou même mauvaises ? Les anges
de Dieu qui t'accompagnent vont-ils pleurer sur
toi ? ou te verront-ils sanctifier ton travail
et ton voyage par un soupir vers le ciel ?
Ii. LE CIEL SUR LA
TERRE
Parvenu au sommet du Thabor, Jésus
s'agenouille. Il élève les mains et
le regard vers le ciel : il prie.
« Et son visage devint resplendissant
comme le soleil et ses habits devinrent
éclatants comme la
lumière. »
(Matth. XVII, 2.) Son corps, ses
vêtements reflètent une gloire
inconnue. La divinité du
Fils unique, voilée jusqu'alors par son
humanité, perce son enveloppe terrestre et
répand sur tout son être une
lumière douce, céleste,
indéfinissable. Les disciples contemplent
leur Maître avec étonnement ; ils
éprouvent, d'une manière saisissante,
l'avant-goût de la vie éternelle et
bienheureuse.
Ce n'est point tout. Le ciel s'ouvre ;
deux personnages glorieux apparaissent et viennent
s'entretenir avec Jésus. Ces envoyés
de Dieu sont chargés d'un message pour Celui
qu'ils adorent comme leur Seigneur et Maître
et « qui s'est dépouillé
lui-même, ayant pris la forme de
serviteur. »
(Phil. II, 7.) « Ils lui
parlent de sa mort qu'il devait accomplir à
Jérusalem. »
(Luc IX, 31.) Jésus
reçoit le message de son Père avec
une soumission filiale, l'Agneau de Dieu monte
volontairement sur l'autel afin de s'offrir en
sacrifice pour l'humanité
tombée : « Voici, je viens,
ô Dieu ! pour faire ta
volonté. »
(Hébr. X, 7.) Cette parole,
Jésus l'accomplira jusqu'à son
dernier soupir, jusqu'à la dernière
goutte de son sang.
Un nuage lumineux descend du ciel, enveloppe
la montagne et une voix venant d'en-haut se fait
entendre : « C'est ici mon Fils
bien-aimé, en qui j'ai pris plaisir ;
écoutez-le.)
(Matth. XVII, 5.) Les disciples,
comprenant qu'ils se trouvent en présence de
l'Éternel, de Jéhovah, du Dieu trois
fois saint, tombent à
terre épouvantés. Jésus
s'approche, les relève et leur dit :
« N'ayez point de peur. »
(Matth. XVII, 7.)
Cet événement merveilleux
jette un nouveau jour sur la personne du Sauveur,
sur sa divine origine et sur le but de sa mort. Il
confirme, non par des paroles, mais par un acte
éclatant de vérité et de
gloire, le témoignage que Jésus a
rendu de lui-même. Son humanité est
maintenant parvenue à maturité ;
il est digne d'entrer dans le sanctuaire
céleste. « Il nous fallait un tel
souverain Sacrificateur saint, innocent, sans
souillure, séparé des
pécheurs, et élevé au-dessus
des cieux.
(Hébr. VII, 26.) La puissance
des ténèbres a vainement
essayé de le souiller de la plus
légère ombre de
péché.
Il est demeuré parfaitement
pur ; aussi la mort ne pourrait-elle avoir
aucun pouvoir sur lui, s'il ne livrait
lui-même sa vie par un acte
entièrement volontaire. « Personne
ne m'ôte la vie, mais je la donne de
moi-même ; j'ai le pouvoir de la quitter
et le pouvoir de la reprendre. »
(Jean X, 18.) « Il donne sa
vie en rançon pour plusieurs. »
(Matth. XX, 28.)
L'intelligence humaine ne parviendra jamais
à sonder le mystère de la
divinité et de l'humanité
réunies en la personne du Christ. Dans les
tentations, les combats, les victoires de sa vie
terrestre, la nature divine du Sauveur s'est comme
effacée pour laisser agir sa nature humaine.
Aussi est-il « le chef
et le consommateur de la foi. »
(Hébr, XII, 2.) « Il
a appris l'obéissance par les choses qu'il a
souffertes. »
(Hébr. V, 8.) « Il a
été éprouvé en toutes
choses, comme nous, mais sans
péché. »
(Hébr. IV, 15.) Toutes les
tentations qui s'attaquent à l'homme, le
Seigneur les a connues. Ses miracles mêmes
n'ont point été accomplis par sa
divinité, mais par son humanité, Dieu
exauçant les prières du saint Fils de
l'homme. « Père, je te rends
grâces de ce que tu m'as exaucé. je
savais bien que tu m'exauces toujours. »
(Jean XI, 41.)
Il semble que le Seigneur se rapproche de
nous, lorsque nous le contemplons sous sa face
humaine. Quand nous entendons les prières et
les supplications que le saint Lutteur a offertes
avec larmes, nous sentons en lui le souverain
Sacrificateur plein de compassion, de
miséricorde et d'amour. « Car
Celui qui n'a point connu le péché,
Dieu l'a traité en pécheur pour nous,
afin que nous, nous devenions justes de la justice
de Dieu en lui. »
(2 Cor. V, 21.) C'est pour nous qu'il
a surmonté le péché, vaincu la
tentation et accompli la loi.
Moïse, le législateur, Elie, le
réformateur du peuple hébreu, les
deux plus grands prophètes de l'ancienne
alliance, apparaissent et s'entretiennent avec
Jésus de sa mort prochaine. Leur
présence sur le Thabor fait pressentir
l'importance qu'auront pour le Sauveur et pour
l'humanité les souffrances
au-devant desquelles il s'avance. Moïse et
Elie avaient prédit à leur peuple une
rédemption future ; ils lui avaient
parlé d'espérance céleste, de
purification, de rachat du
péché ; mais ils n'avaient pu
accomplir eux-mêmes cette rédemption,
ni en prévoir le moyen. Sur le Thabor, il
leur est donné de contempler la chute
épouvantable de l'humanité et le
sacrifice inouï que Dieu prépare pour
son salut ; ils adorent la sainte victime qui
va s'offrir en holocauste et l'amour
incompréhensible de Dieu pour les hommes
tombés et déchus. Avec quel saint
respect et quel joyeux étonnement,
Moïse et Elie auront salué le Sauveur
du monde et admiré l'oeuvre
rédemptrice qu'il allait
accomplir !
De nos jours la cause et le but de la mort
de Christ sont connus dans le monde entier. Au
moment de la transfiguration personne ne les
comprenait. Les apôtres mêmes ne
pouvaient accepter l'abaissement de leur
maître. N'est-il pas admirable que le
Seigneur soit allé au-devant de la mort pour
des hommes que son sacrifice laissait
indifférents, auxquels même il
était en scandale ?
Moïse a transmis aux hommes la loi
sainte et immuable de Dieu ; mais il n'a pu
l'observer dans sa perfection. Aucun homme ne l'a
accomplie. Sur le Thabor, Moïse salue en
Jésus celui qui a satisfait, dans leur sens
le plus complet, toutes les
exigences de la loi, qui,
parfaitement pur et saint lui-même, a
détourné de l'humanité la
juste colère de Dieu et attiré sur
elle sa bienveillance paternelle. Le
législateur des Hébreux avait
prononcé une parole redoutable :
« Maudit est celui qui n'accomplit pas
les paroles de cette loi en les mettant en
pratique. »
(Deut. XXVII, 26.) Cette
malédiction pesait sur l'humanité
tout entière. Le saint Fils de l'homme vient
s'offrir pour « nous racheter de la
malédiction de la loi »
(Gal. III, 13), et prendre sur lui la
condamnation que nous avions méritée.
« Ils parlaient de sa mort qu'il devait
accomplir à Jérusalem. »
(Luc, IX, 31.)
Lorsque, en présence du ciel et de la
terre, Christ eut manifesté sa
volonté arrêtée d'obéir
jusqu'à la mort, le Dieu saint intervient
lui-même et lui accorde la consolation la
plus douce, la force la plus puissante, dont il
avait besoin pour supporter les souffrances de la
Passion. « Et voici il vint de la
nuée une voix qui dit :
« C'est ici mon Fils bien-aimé, en
qui j'ai pris plaisir ;
écoutez-le. »
(Matth. XVII, 5.) Durant sa vie
terrestre, le premier et l'unique désir de
Jésus fut de mériter l'approbation de
son Père ; aussi cette
déclaration dut-elle être pour lui un
sujet de joie et de consolation.
Notre bonheur devrait être aussi de
nous sentir approuvés de Dieu. Si je
possédais les plus grands privilèges
terrestres : richesse, honneur, puissance,
si j'avais gagné le monde
entier, mais qu'en même temps j'eusse encouru
le déplaisir de l'Éternel, je ne
serais qu'un pauvre et misérable fou, digne
de pitié. Que sont les louanges et la faveur
du monde, qu'importe la bienveillance des hommes,
en présence de l'indignation et de la
colère, du Tout-Puissant ? Mais
« si Dieu est pour nous, qui sera contre
nous ? »
(Rom. VIII, 31.)
La transfiguration nous fait comme toucher
du doigt le but des souffrances de Christ :
rétablir les rapports entre le ciel et la
terre, entre Dieu et l'humanité ;
rouvrir le Paradis à l'homme déchu et
lui rendre le bonheur. Le royaume de Dieu
apparaît pendant ce court instant, dans sa
gloire, sa paix et sa félicité -
c'est l'aurore de la transformation du monde qui
s'accomplira par la mort du Christ ; sa mort
en est le chemin douloureux, mais aussi le divin
gage.
La transfiguration du Seigneur sur le Thabor
est un présage de sa transfiguration
éternelle, après l'accomplissement de
la rédemption ; elle est l'onction qui
inaugure son règne. C'est, il est vrai, avec
son propre sang que le Sauveur doit
conquérir le royaume ; il le donne
volontairement et par amour ; c'est pourquoi
Dieu le consacre ici comme roi. « Toute
puissance lui est donnée dans le ciel et sur
la terre. »
(Matth. XXVIII, 18.) Christ ne veut
pas jouir seul de la gloire immortelle; il
ne veut pas que les habitants du
ciel en soient seuls participants ; c'est pour
cela qu'il va mourir sur la croix.
« Père, je désire que ceux
que tu m'as donnés soient avec moi,
où je serai, afin qu'ils contemplent la
gloire que tu m'as donnée, parce que tu m'as
aimé avant la fondation du
monde. »
(Jean XVII, 24.)
Les saintes Écritures parlent
à plusieurs reprises du sort bienheureux des
rachetés. Les nouveaux cieux et la nouvelle
terre avec leur splendeur, leur harmonie, leur
félicité, sont dépeints par
des images que l'imagination a peine à
saisir. La transfiguration est la promesse la plus
solennelle de la gloire et du bonheur qui seront le
partage des élus.
Si, après avoir contemplé
cette glorieuse perspective, nous reportons nos
regards sur nous-mêmes et sur le monde qui
nous entoure, nous serons saisis d'une profonde
tristesse ; car le but que les hommes
poursuivent est bien éloigné de celui
que Dieu leur propose, et souvent il lui est
entièrement opposé. Le coeur humain a
été créé pour le
bonheur ; il le cherche sans cesse, mais il ne
le trouve pas ici-bas. Les explorateurs
découvrent des pays inconnus ; les
savants font de merveilleuses inventions ;
mais ni les uns ni les autres ne parviennent
à délivrer l'homme de la souffrance
et de la fatigue. La transfiguration du Christ nous
offre l'image et la promesse du
bonheur et de la gloire à venir ; elle
nous montre ce que sera notre propre
transfiguration.
III. LA VIE
À VENIR
As-tu perdu tes bien-aimés ? sans
doute tu les suis par la pensée ; tu
voudrais ne jamais te séparer d'eux ;
tu aimerais connaître leur état
actuel. Mais que tu en sais peu de chose !
Dormiront-ils jusqu'au jour de la
résurrection ? Sont-ils auprès
de Dieu ? Voient-ils ta douleur ? Les
reconnaîtras-tu dans le ciel ?
À ces questions que chacun a
entendues ou s'est posées à
lui-même, les réponses varient. Les
uns pensent que, ne sachant rien de l'état
des âmes après la mort, nous n'avons
pas à nous en préoccuper ; il
doit nous suffire de savoir nos bien-aimés
délivrés de la souffrance et
entrés dans le repos. D'autres
déclarent que, comme aucun mort n'est revenu
affirmer son existence, nous ne possédons
pas de preuves d'une vie à venir.
Mais il est un témoin de
l'éternité qui reviendra certainement
à une époque plus ou moins
rapprochée. Celui-là, tous le
verront. Alors les incrédules en grand
nombre, oubliant leurs objections et leurs
critiques, supplieront les montagnes de
« tomber sur eux et de les cacher de
devant la face de Celui qui est
assis sur le trône, et de devant la
colère de l'Agneau. »
(Apoc. VI, 16.)
Sur le Thabor apparaissent ensemble
Moïse et Elie, qui ont vécu sur la
terre à dix siècles d'intervalle.
L'éternité réunit ceux qui ont
eu la même foi, travaillé à la
même oeuvre, poursuivi le même but.
À leur mort, les hommes sont partagés
en deux camps : les enfants de lumière
et les enfants des ténèbres ;
les uns vont à la condamnation, les autres
à la vie éternelle. « Dieu
est le Dieu des vivants. »
(Marc XII, 27.) Quand nous aurons
déposé notre enveloppe mortelle, nous
verrons toutes choses sous un jour nouveau.
Moïse et Elie, sur le Thabor, auront
porté un jugement tout autre sur leur peuple
que pendant leur vie ; les promesses divines,
le péché, la grâce, auront pris
à leurs yeux une bien plus grande
importance. Il est dit que Moïse et Elie
s'entretiennent avec le Sauveur. Sans doute les
bienheureux converseront ensemble, mais sur
d'autres sujets que lorsqu'ils étaient sur
la terre. On n'entendra plus de paroles
oiseuses ; le sérieux de
l'éternité les dissipera.
Les disciples reconnaissent
immédiatement Moïse et Elie ; si
près du ciel, le souffle de
l'immortalité les effleure. Ce fait nous
permet de conclure que nous nous
reconnaîtrons dans la vie à venir.
Pensez-vous qu'en apercevant Luther, il sera
nécessaire de demander son nom ? Et que
ceux que vous avez connus et
aimés sur la terre vous seront
étrangers ? Oh oui ! tu les
verras, tu les retrouveras, tes bien-aimés,
et désormais nulle ombre, nul nuage ne te
sépareront d'eux.
Moïse et Elie s'entretiennent des
souffrances que le Sauveur devait supporter
à Jérusalem. Ils avaient donc
conservé un saint intérêt pour
l'oeuvre à laquelle leur vie avait
été consacrée et, dans le
monde invisible, ils sont préoccupés
du même but. Les saintes Écritures ne
parlent pas de l'activité des élus
dans le ciel, mais l'entretien qui a lieu sur le
Thabor montre l'intérêt qu'ils
prennent au salut de l'humanité. Le fait
qu'il est parlé dans l'Apocalypse du repos
des bienheureux
(Apoc. XIV 13), n'est point une
objection concluante contre cette
interprétation. Ce qui est certain, c'est
qu'ils ne connaîtront plus la fatigue.
« Si les anges sont envoyés pour
exercer un ministère en faveur de ceux qui
doivent hériter le salut, »
(Hébr. I, 14) ne pouvons-nous
pas nous représenter les hommes qui ont
travaillé sur la terre au salut d'autrui,
comme continuant à s'en occuper encore dans
le ciel ?
Mais la transfiguration nous dit des choses
infiniment plus importantes pour notre vie
chrétienne : elle montre le rapport qui
existe entre la souffrance et la gloire, entre la
croix et la délivrance. Avant son dernier
voyage à Jérusalem, où
s'accomplir pour lui le
suprême sacrifice, le Seigneur reçoit
de son Père une éclatante
manifestation de son amour. La sombre nuit de
Golgotha a dû être
éclairée par ce souvenir, même
lorsque les écrasants nuages de la justice
divine voilèrent au Sauveur la face de son
Père : « Je ne suis pas seul,
parce que mon Père est avec moi. »
(Jean XVI, 32.)
Ce même rapport, entre la souffrance
et la gloire, se retrouve dans la vie des
patriarches, ainsi que chez les apôtres et
les disciples qui ont marché sur les traces
du Sauveur. Sans doute le souvenir de la
transfiguration aura fortifié ces derniers
pour les jours de l'épreuve. Bientôt
ils devaient voir leur Maître tomber entre
les mains de ses ennemis acharnés ; ils
allaient entendre le peuple crier :
« Crucifie-le !
Crucifie-le ! » enfin ils devaient
le voir mourir !
Il en est de même pour nous. Si nous
suivons Jésus, si nous cherchons sa face
avec prière, nous recevrons des forces et
des consolations proportionnées à nos
souffrances.
Depuis que le péché est
entré dans le monde, la douleur est devenue
le lot amer de l'humanité. La terre est une
vallée de larmes. Nul n'est
épargné. Les chrétiens ont une
part toute spéciale d'épreuves.
« C'est par beaucoup d'afflictions qu'il
nous faut entrer dans le royaume de
Dieu. »
(Act. XIV, 22.) La multitude des
rachetés, que saint Jean contemple devant le
trône de Dieu, « sont tous venus de
la grande tribulation. »
(Apoc. VII. 14.) Dieu ne trace pas
à ses élus des sentiers
privilégiés. La seule
différence, - et sans contredit, elle est
grande, - c'est que les enfants de Dieu sont
puissamment consolés, tandis que ceux qui ne
lui appartiennent pas pleurent sans
espérance. Dieu donne son secours à
chaque chrétien suivant ses besoins. Souvent
même, dans sa miséricorde infinie, il
lui envoie la consolation avant de lui imposer la
croix.
Si le Seigneur nous accorde sur le Thabor
une heure de rafraîchissement, s'il inonde
nos coeurs de paix et de joie, jouissons-en avec
reconnaissance et gardons-en précieusement
le souvenir ; nous pouvons être
appelés à marcher comme Elie quarante
jours et quarante nuits dans le désert,
à lutter à l'exemple du Sauveur
à Gethsémané et à
suivre Jésus, en portant notre croix
jusqu'à Golgotha. Plus le Thabor aura
été radieux, plus l'épreuve
sera sérieuse et douloureuse. L'important
est de ne pas nous laisser gagner par le sommeil
sur la sainte montagne. « Veillez et
priez, de peur que vous ne tombiez dans la
tentation ; car l'esprit est prompt, mais la
chair est faible. »
(Matth. XXVI, 41.)
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